Le secret est dans les plantes [Libre]

7ème ennéade de Bàrkios,
2ème jour
An 20 du 11e cycle

Brannor avait rassemblé tout le matériel nécessaire : un sac pour ranger les spécimens de plante, un guide donné par un ami herboriste afin de trouver lesdites plantes et des armes par mesure de précaution. Il voulait améliorer ses aptitudes dans l’identification des plantes médicinales de la région. Depuis quelque temps, il étudiait tous les recueils qui lui tombaient sous la main sous la supervision d’un bon ami à lui, herboriste de profession. Aujourd’hui, c’était le test final : armé d’une liste et d’une description sommaire, il devait ramener des échantillons. S’il les identifiait correctement, Brannor pourrait passer au niveau suivant. En tant que médecin, il était naturellement capable d’identifier les plus communes, mais il avait envie de pousser ses connaissances plus loin, motivé autant par la curiosité que par l’ennui. À l’exception de quelques frayeurs, rien de très excitant n’était arrivé récemment. Brannor sentait l’agitation grandir en lui, il avait besoin de faire quelque chose. Après des années enfermé dans sa maison, ce sentiment le déstabilisait un peu. Il avait réfléchi à plusieurs options et l’étude du Péninsulaire figurait dans sa liste, mais les plantes lui seront plus utiles dans l’immédiat.

C’était la période de l’année idéale pour la cueillette des plantes et une superbe journée en plus de ça. Naturellement, certaines ne poussaient qu’en été, voir en automne, mais on lui avait promis qu’il pourrait trouver toutes celles figurant sur la liste. Il y en avait des plus faciles que d’autres. Il trouva assez vite celles qui préféraient les endroits ensoleillés, mais il lui restait les autres, celles qui préfèrent l’ombre et les endroits cachés. Pour les trouver, il fallait se mettre à quatre pattes, soulever des rochers ou ramper entre les racines des arbres. Après une heure, les cheveux de Brannor étaient en désordre et ses vêtements, couverts de terre. Il trouvait ça de moins en moins amusant…

Il est parfois des situations d’une inextricable complexité. Des moments de la vie où nous nous sentons prisonniers, incapable s’extirper de ce dans quoi nous nous sommes nous-même fourrés. Et c’était dans une de ces situations-là que Gwilithiel s’était fourrée aujourd’hui. Elle tirait tant bien que mal sur le lierre tressé qui lui enserrait les jambes sans pour autant parvenir à quoique ce soit.
Dans un soupir de frustration, elle laissa retomber sa tête vers là-bas pour observer ses dagues tombées dans l’herbe, une bonne quinzaine de pieds plus bas. Un véritable embarras.

Et c’est alors qu’elle le vit, lui là, les cheveux en bataille, à soulever des pierres et chercher entre les racines. L’aegedhel émit un léger sifflement. Puis un second un peu plus fort.

- Salutations, noble compagnon ! S’écria l’elfe pendue par les pieds à sa branche par les lianes grimpantes. Auriez-vous l’extrême amabilité de bien vouloir m’écouter ? Car, comme vous me voyez, me voilà en fâcheuse posture, il me faut bien l’avouer.

L’elfe vêtue d’une armure de cuir avait les cheveux d’un blanc rappelant les neiges éternelles couvrant les sommets des montagnes de la Prime Œuvre. Ses yeux gris anthracite détaillaient le cueilleur avec une insistance presque dérangeante et pourtant, malgré sa situation, son regard semblait presque rieur.

- Votre venue est une véritable aubaine, sans quoi demain, je serai encore prisonnière du lichen. Lança-t-elle, incapable de s’empêcher d’esquisser un sourire. Le moins risqué serait de grimper. Le moins risqué serait de grimper plutôt que de vous saisir d’une de mes dagues et de la lancer… Bien que vous crois très adroit ! C’est que ma dextérité laisse parfois à désirer.

Forçant sur ses muscles abdominaux, elle se contorsionna pour remettre sa tête en hauteur et laisser le sang reprendre son chemin habituel.

- Même si j'apprécie discuter la tête en bas, je préférais le faire une fois sortie de ce mauvais pas. Car voyez, malgré toute ma force et ma vitalité, je sens bien mes muscles commencer à fatiguer ! Et je serai votre obligée, si vous acceptiez de vous presser !

L’aegdhel se laissa à nouveau retomber, plongeant à nouveau son regard dans celui qui, elle l’espérait, daignerait la sortir de ce mauvais pas.

Brannor venait tout juste d’arracher du sol une plante prometteuse lorsqu’il entendit un sifflement qui le figea sur place. Avait-il bien entendu? Il se redressa sur toute sa hauteur, son butin toujours dans les mains et ne vit rien au départ jusqu’à ce qu’il lève les yeux en direction de la cime des arbres et aperçois enfin l’elfe qui venait de l’interpeller. La tête en bas, suspendue entre ciel et terre, elle était dans une position très délicate, mais ne semblait pas pour autant en être contrariée. Lui-même aurait probablement fait entendre sa frustration dans tout l’Anaëh.

« Comment avez-vous fait pour vous retrouver dans une telle situation? »

Naturellement, il ne pouvait pas la laisser comme ça. Brannor fourra la plante dans son sac qu’il posa ensuite au sol avant de s’approcher, non sans prudence. Il ne se souvenait pas de l’avoir déjà vu en ville et, à son accoutrement, il en déduit qu’elle était une Anëdhel. Elle ne pouvait pas faire grand-chose dans cette position, mais elle n’était peut-être pas seule. Non. Son visage était empourpré, signe qu’elle était là depuis un moment. S’il ne la descendait pas de là, elle finirait par s’épuiser, perdre connaissance et probablement mourir, le corps n’étant pas fait pour rester dans cette position trop longtemps.

« Le problème, c’est qu’à cette hauteur, si je vous laisse simplement tomber, vous allez vous fracasser le crâne sur ces rochers. En tant que médecin, je ne le recommande pas. »

Alors qu’il réfléchissait à une solution, il se passa une main sur le visage, laissant une trace de terre sur sa joue. Si seulement il avait quelqu’un d’autre pour l’aider. L’autre pourrait grimper, alors que lui serait au sol pour la rattraper, peut-être… Elle ne semblait pas tellement lourde malgré l’armure.

La symphonie était différente entre les Jardins et le reste de la forêt…

Avant il ne s’en rendait quasiment pas compte, mais aujourd’hui ça l’avait frappé. Assit sur une épaisse souche, et faisant machinalement rouler un fruit que son mathandil à la robe pommelée saisit en une seconde à peine, Aegden observa pensivement la fine démarcation naturelle entre l’espace sauvage et ce que les elfes avaient replantés et entretenu depuis quelques siècles. Depuis cet étrange flottement sur les rives du bord du monde, il se surprenait de plus en plus à ces rêveries, comme si inconsciemment, il recherchait quelque chose dans le battement inaudible de l’œuvre. Ou peut-être avait-il déjà adopté ce genre de réflexe après Aduram…Au final il n’était pas certain de pouvoir le dire. Mais en tout cas c’était là. Qui plus est, l’intérieur des murs avaient de plus en plus tendance à l’étouffer, alors sans même prendre le temps de se changer, il avait fuit la caserne pour quelques minutes.

Soudain, troublant la tranquillité qu’il trouvait à cette simple contemplation, un sifflement lui parvint de quelques parts, un peu plus loin, dans la densité de la forêt. C’était ténu. Mais ça ne ressemblait pas à un animal. C’était un appel.

Et puis il y eut un éclat de voix au-dessus des bruits normaux de la nature, avant qu’elle ne reprenne totalement ses droits. Le maintyh se dit alors qu’il devait s’agir d’une patrouille, ou de cueilleurs. Rien d’important. Rien qui ne force le soldat à interrompre le temps de pause qu’il s’était permis d’allouer à lui et sa monture entre deux entrainements. Après deux longues énnéades de voyages en quasi solitaires, il devait bien ça à son ami. Et puis...Il en avait tout autant eut besoin en fin de compte.

Pourtant, le mathandil lui ne semblait pas de cet avis et, les oreilles relevées, l’équidé se mit aussitôt à trottiner en direction du siffleur inconnu. Leur pause semblait soudain moins intéressantes que ce qui se passait à l’autre bout des jardins…

-Vailimo !

Rien n’y fit la bête avait visiblement décidé d’ignorer son compagnon qui fut bien obligé de le suivre, inquiet à travers les végétations denses.

-Vailimo qu’est-ce que….oh ! Ça alors… fit-il en haussant un sourcil de surprise, poings sur les hanches.

La scène sur lequel le duo finit par tomber était bien étrange… Il y avait Brannor, discutant tranquillement avec une noss la tête en bas qu’Aegden avait déjà croisé par deux fois. L'équidé ne se démonta pas pour si peu et vint fouiner près du guérisseur et des plantes qu'il avait récolté, cherchant certainement une nouvelle friandise.

-S’il y a deux elfe que je ne m’attendais pas à trouver ensemble ici, c’est bien vous deux. Vous avez besoin d’aide peut être ? Ajouta-il en lorgnant sur l’étrange noss suspendue par les pieds.

- Voilà une voix que je sais appartenir à un soldat. Vous revoir est une véritable joie ! S’exclama-t-elle en gesticulant tant bien que mal. Et, comme le voyez, j’apprécierai en effet qu’on vienne m’aider. Non que la vue ne me déplaise, mais il me faut reconnaître ne pas être à mon aise.

Gwilithiel commença à se tortiller sur elle-même pour enfin pouvoir observer la chevelure rousse qu’elle reconnut dans l’instant. Et c'est en lui offrant son sourire le plus avenant qu'elle écarta les bras, signifiant son impuissance. Puis elle désigna à nouveau ses dagues, tombées entre les racines de l’arbre.

- Hâtez-vous, je vous prie, avant que de sang, ma tête ne soit complètement remplie. Se plaignait-elle pendant que son teint hâlé commençait à virer au coup de soleil estival. Et peut-être alors, vous montrerais-je le trésor que j’apporte pour votre confort.

L’aegedhel désigna le sac de cuir pendant à une branche à sa gauche. Gonflant les joues et mettant les mains sur les hanches pour signifier son mécontentement, elle se mit ensuite à se balancer d’avant en arrière. Et à chaque mouvement de balancier, ses doigts approchaient toujours plus de son sac.

- Je l’ai ! Siffla-t-elle avant d’être frappé par la désillusion alors qu’elle repartait dans l’autre sens. Cette fois c’est la… Presque ! Siffla-t-elle dans un ultime et dernier effort. Le voilà !

La gwaeren maethor tenait désormais fermement son sac entre ses bras tandis qu’elle se balançait toujours, involontairement désormais, au-dessus du vide tandis que son regard allait de l’un à l’autre elfe, attendant se voir lequel des deux daignerait la sortir de ce mauvais pas.

Brannor regardait encore l’elfe lorsqu’un cheval apparemment sorti de nulle part exprima un fort intérêt pour son sac rempli de plante. Le médecin réussit à s’en saisir et le serra contre son torse afin de le protéger des naseaux inquisiteurs de l’animal qui lui était étrangement familier.

« Oh non, n’y pense même pas! » Gronda Brannor en usant de sa meilleure voix de médecin. « D’où sors-tu comme ça? J’ai l’impression de te connaître… »

La réponse vint d’elle-même lorsque Aegden les rejoignit, visiblement à la recherche du mathandil, bête magnifique, mais dotée d’une forte personnalité.

« Pourrais-tu dire à ta monture d’éviter de toucher à mes plantes. Ce fut déjà assez compliqué comme ça de les trouver et c’est sans parler que certaines pourraient probablement l’empoisonner s’il les ingérait. Quant à cette elfe, je n’y suis pour rien. Je l’ai trouvé dans cette fâcheuse position et je me demandais comment j’allais la descendre de là. Tu tombes à point, mon ami. Vous vous connaissez? »

Ils s’étaient déjà au moins croisés à en juger la réaction d’Aegden et de l’Anëdhel. Est-ce que ça voulait dire qu’elle traînait régulièrement dans les parages de la cité? Étrange… Habituellement, les siens évitaient autant que possible les contacts avec les citadins, les relations entre eux étant toujours un peu tendues. Celle-ci semblait plutôt sympathique, quoique franchement bizarre.

« Nous devons la descendre rapidement de là. Elle risque de perdre connaissance à cause du sang à la tête. Arrêtez ça tout de suite! »

Il vit avec horreur l’elfe qui essayait maintenant d’attraper quelque chose en se balançant. Brannor s’avança, déterminé à l’attraper si la liane venait à se rompre. Heureusement, elle tint bon, mais l’elfe continuait toujours à se balancer doucement. Il pouvait entendre le lien grincer sous la tension.

« L’un de nous deux doit grimper », décida Brannor. Il regarda ensuite Aegden avec l’un de ses rares sourires. « Ça te dérangerait de le faire? J’ai toujours été plus à l’aise avec les deux pieds bien ancrés au sol. Je vais l’attraper. Elle ne semble pas bien lourde… »

-Désolé pour Vailimo. Le soldat répondit un sourire amusé aux lèvres alors qu’il s’approchait de l’arbre dans lequel la noss était suspendue. Donne-lui un fruit si tu en as un et il te laissera tranquille. Il n’y a que ça pour l’amadouer quand il est comme ça.

Tandis que l’intéressé portait toute son attention sur ce sac qu’on lui interdisait –le rendant par conséquent d’autant plus digne de son intérêt-, Aegden, ramassa une des petites dagues sur le sol et sauta sur une branche un peu en hauteur, puis une autre, et ainsi de suite jusqu'à atteindre celle à laquelle la pauvre noss était suspendue par un simple jeu de quelques acrobaties anehdelles. Ensuite, agenouillé sur l’épaisse branche, il examina le nœud inextricable que formaient désormais les lianes. Vu l’état des nœuds, il n’y avait rien à faire de plus que de les couper net…

-Comment tu t’es débrouillée pour en arriver là Gwilithiel ?

Pourtant, il n’attendit pas vraiment de réponse. Il jeta un coup d’œil en contrebas, vérifiant que son camarade était au bon endroit pour réceptionner l’elfe, puis un claquement sec retentit. Un second, et elle fut libre. Enfin, libre de chuter dans les bras du médecin en tout cas…

-Rien de cassé ? Demanda-t-il finalement en toisant le duo improbable de son perchoir.

Gwilithiel observait le rouquin dans son ascension leste et rapide. Il eut tôt fait de la toiser depuis sa branche alors qu’il l’interrogeait sur le comment du pourquoi de son improbable situation. Et à bien y réfléchir, l’aegedhel n’était pas non plus bien certaine de savoir l’expliquer. Entre mauvais choix et maladresse, elle hésitait sur qui parier. Sans doute que la vérité se trouvait probablement autant dans l'un que dans l'autre.

- Mmh… Son regard allait de haut en bas, passant du médecin au commandant. Connaissez-vous l’adage : avoir la tête dans les nuaaa…

Ce fut sans prévenir que le léändrin coupa les lierres la retenant prisonnière, la jetant en pâture à la gravité qui, comme on pouvait s’y attendre, faisait, en toutes circonstances, toujours son travail.
L’elfe atterrit lourdement dans les bras du cueilleur, il fallait dire que malgré sa petite taille son poids avait de quoi surprendre, bien qu’il ne représentât pas un réel défi pour quiconque et encore moins pour un soldat. Car, en plus d'être vêtu comme une citadine, si elle était moins grande que ses comparses d'entre les murs, elle était plus trapue et costaude.

- Rien de cassé ! S’exclama-t-elle dans un rire tout en appuyant sur le bout du nez de Brannor de l’index de sa main qui n’était pas gantée. Bien que je fusse surprise d’être libérée de cette emprise ! Continuait-il de s’époumoner en agitant désormais son index en direction d’Aegden. Puis-je ?

Elle s’adressait à Brannor, tandis qu’elle laissait pendre une de ses jambes vers le sol, de sorte qu'il laissât ses pieds toucher terre. Et tout le long, l’aegedhel ne pouvait s’empêcher d’afficher un sourire presque enfantin, tandis qu’elle jaugeait des efforts du cueilleur au nombre de branchages et de feuilles emmêlées ou coincées dans sa chevelure.

- Oh, je ne me suis pas présentée ! Gwilithiel, c’est ainsi que je fus nommée. Souffla-t-elle dans un sourire à l’intention du médecin. Comment donc dois-je appeler celui qui m'a rattrapée ?

Bang! L’elfe lui atterrit dans les bras, lui étirant un muscle en plus de lui couper le souffle sous l’impact. Comment pouvait-elle être aussi lourde tout à coup? Son œil avait-il été trompé par une illusion quelconque? Le visage de Brannor vira au rouge avant que ses poumons ne se décident à fonctionner de nouveau. Heureusement, l’elfe n’avait rien de cassé et c’était le plus important. Il la posa au sol en essayant de conserver un air aussi digne que possible dans les circonstances. Décidément, il se faisait trop vieux pour ce genre de chose.

« Enchanté, mon nom est Brannor. Vous êtes certaine que tout va bien? Vous devriez peut-être vous assoir pendant un moment. Je suis médecin et il ne faudrait pas que vous tourniez de l’œil maintenant. Vous avez eu de la chance que nous soyons passés par là. »

Brannor leva les yeux vers le bout de la liane qui pendait encore dans le vide en se balançant légèrement. « Comme mon ami ici, je suis curieux de savoir comment vous en êtes arrivée là… et ce que vous faites si près d’Alëandir. Ce n’est pas si courant de voir les Anëdhel dans les parages », ajouta-t-il après une brève hésitation, ses joues rosissant de nouveau.

L’aegedhel pencha la tête sur le côté, s’agitant frénétiquement comme si elle voulait se débarrasser d’une goutte d’eau coicnée au fond de son oreille. Elle se redressa en regardant Brannor, un air un peu perdu sur le visage, avant de recommencer son manège de l’autre côté. Et après une poignée de secondes où un léger malaise eut tout le temps de s’installer, l’elfe leva à nouveau les yeux vers le médecin tout en lui offrant son plus beau sourire.

- J’apprécie. Cependant nul besoin de vous faire du souci. Souffla-t-elle en tapant sa tempe du plat de la main à plusieurs reprises. Quant au comment, rien de bien intéressant. Banissez de vos pensées cette curiosité mal placée.

L’elfe approcha sa main du visage de Brannor, allant finalement chercher une brindille dans ses cheveux qu’elle contenta de redresser en prenant exemple sur le côté opposé.

- Voilà qui est plus symétrique. Et bien plus esthétique ! Se moqua-t-elle en tournant sur elle-même pour terminer son geste dans une révérence exagérée. Je vais et viens au cœur des forêts, même si j’y finis plus souvent perdue… Ou pire : suspendue !

Elle jeta un œil commandant qui, tandis qu’elle réfléchissait aux meilleurs moyens d’enquiquiner son nouveau camarade, redescendait de l’arbre.

- Ma venue n’est point convenue, une sorte d’imprévu. Mais qui vous aurait tous deux plu si vous aviez su ! Reprit-elle en hochant vigoureusement la tête. Car j’apporte un présent qui réconforte. Un cadeau qui apaise, impossible qu’il ne vous déplaise ! Alors, vous tolérerez ma présence en les murs de l’éternelle Cité Blanche.

L’elfe termina sa phrase en pointant dramatiquement son index vers le visage de Brannor, et si elle essayait de garder un air des plus sérieux, elle ne pouvait s’empêcher de laisser transparaître une once de malice au fond de ses yeux.

- Où sont les bains qu’utilisent les citadins ? Vous devez me guider au travers des ruelles de votre cité. Son index passait de l’un à l’autre soldat. Et vous verrez, de vos yeux, les merveilles qui furent créées.

Gwilithiel termina sa diatribe en mettant les poings sur les hanches, le menton relevé et le regard perdu entre les troncs et les branches. « Merveilles » était sans doute un peu trop fort, mais il fallait bien semer un peu de mystère ici et là après tout.

-J’imagine que tu ne voudras pas nous dire ce qu’est ce fameux cadeau…

Aegden affichait un air entre l’amusement et l’étonnement. Malgré tout, il commençait à connaitre la façon dont l’étrange noss agissait alors il n’était pas si surpris. Il n'insista donc pas face à ce nouveau mystère. Elle en parlerait lorsqu'elle le déciderait.

-En route ? Il siffla brièvement à l’attention de son mathandil qui releva la tête et se désintéressa enfin du sac du médecin.

Il ne comprenait pas vraiment ce qui poussait Gwilithiel à demander spécifiquement de voir les bains de la cité mais il n’était plus vraiment à cela près…alors il s’exécutât. Passée les grandes portes, ils oscillèrent aussitôt entre les rues, parfois larges, parfois plus resserrées.

Rapidement sous leur pied s’étendaient de longues rigoles où gazouillait une eau pure, étincelant sous les rayons du soleil. Sans aucun doute, l’œil assurée de l’ornedhelle remarquerait vite qu’ils en suivaient une en particulier serpentant entre différentes rues, passant même parfois au milieu de jardins.

Finalement après quelques dizaines de minutes de marche, ils se trouvèrent devant un large bâtiment rond au parvis bordé d'élégantes colonnes sculptées, bordé par l’Elorëa qui traversait la ville. Les pavés blancs s’espaçaient pour finalement laisser place à la végétation, tandis que les colonnes à l’entrée du bâtiment étaient entourées de grosses glycines aux couleurs vives. Quelques elfes entraient et sortaient paisiblement, ne prêtant qu'une attention relative au groupe hétéroclite que formaient les deux soldat et l'archère pourtant clairement étrangère.

-Te voilà arrivée. Aegden se tourna finalement de nouveau vers l’archère.

Cette femme était sans doute la plus étrange que Brannor ait rencontrée dans toute son existence. Il la regarda faire son drôle de manège qui, naturellement, piqua sa curiosité de médecin. Au moment de lui demander si elle n’avait pas un problème avec son oreille, elle s’approcha de lui et tendit la main vers sa propre tête. À ce stade, il ne savait plus du tout comment réagir autrement qu’en rougissant furieusement. D’un geste impatient, il retira les brins d’herbe et les brindilles qui garnissaient encore ses cheveux presque blancs. Décidément, Brannor aimait de moins en moins cette drôle d’elfe et il lui aurait interdit d’entrer dans la cité s’il avait été seul à décider, mais Aegden était là et il connaissait cette femme. S’il lui faisait vraiment confiance, alors Brannor n’aurait pas d’autre choix que d’acquiescer lui aussi tout en gardant un œil sur elle. Pas question de les laisser partir seul, et il leur emboîta fermement le pas en tenant son sac de plantes. Il lui en restait encore à trouver, mais il pourra toujours continuer plus tard. Son ami ne lui avait pas donné de temps limite pour accomplir sa tâche.

Quelques minutes furent nécessaires pour atteindre les bains. En chemin, ils croisèrent d’autres citadins qui jetèrent sur eux quelques regards curieux, mais aucun ne posa de question et ils furent rapidement ignorés. La présence d’Aegen suffisait à rendre une situation insolite presque normale. En plus, ils étaient aux bains et s’il y en avait un parmi eux qui en avait besoin, c’était lui. Pourtant, ça ne l’empêchait pas d’agir avec la même dignité qu’un prince ou dans ce cas précis, un digne soldat de l’armée d’Alëandir.

« Tu crois vraiment que c’est une bonne idée? » Demanda Brannor à Aegden sans se soucier qu’elle puisse clairement l’entendre. « Elle pourrait… » Il baissa la voix. « Avoir de mauvaises intentions ».

L’oreille de l’elfe trembla l’espace d’une seconde. Sa tête pivotait dans une lenteur dramatique, tandis qu’une expression de choc bien exagéré par une mâchoire qui voulait se décrocher… S’effaçait pour regard perçant accompagné de la caricature d’un rire vil et malévolent.

- Je suis découverte ! S’exclama-t-elle en portant la main à son front. Malgré une exécution parfaite… Moi qui avais prévu de massacrer tous ces citadins prisonniers des bains et désarmé par leur nudité !

L’elfe titube, comme si elle allait défaillir puis, elle s’élance vers les bains dans un rire malicieux alors qu’un écho de sa voix résonnant comme une chanson leur parvenait déjà : « Qu’il est bête ! Il n’a rien dans la tête ! Me voilà qui déjà déplore les tourments de ce pauvre Brannor ! »

Gwilithiel, complètement perdu dans sa lancée, manqua de se terminer dans les bains complètement habillée, sous le regard médusé des citadins qui y barbotaient gaiement et profitait d'un moment de tranquillité. Elle pencha la tête sur le côté avant d’exécuter une révérence parfaite, quoiqu’exagérée. Pour changer.

- Soyez assurés de la sincérité de mes salutations, amis des cités ! Ses doigts se faufilèrent jusque dans le sac au cuir abîmé qu’elle trimballait en permanence. Ma présence dans les parages ne sera rien de plus qu’un bref passage.

Elle ouvrit sa paume, dévoilant des osselets à son auditoire quelque peu désabusé. Jetant un regard vers l’arrière, elle apercevait les deux soldats qui la suivait. Alors, elle s’empressa de laisser tomber les petits os dans l’eau avant de s’allonger par terre et d'y plonger la main.

Quelques « Oh » et quelques « Ah » se firent entendre en une poignée de secondes, certains des baigneurs se redressèrent, prêt à quitter l’eau. Et pourtant… Pourtant, quelque chose semble les retenir. Une douceur qui convainquit les plus apeurés à se rassoir dans un sourire témoignant d’une agréable sensation. Des exclamations et des rires eurent tôt fait de résonner dans les thermes, alors que se dessinait sur le visage de la petite elfe un sourire non moins malicieux qu'il laissait transparaître un bonheur sincère.

« Tu crois vraiment que c’est une bonne idée ?  Elle pourrait… Avoir de mauvaises intentions » avait marmonné le médecin à son attention, malgré la présence de l’intéressée tout prêt d’eux.

Aegden ne lui avait adressé qu’un haussement d’épaule avant que la noss ne s’en mêle d’elle-même, visiblement vexée de l’indélicatesse de Brannor. S’en suivit une scène des plus chaotique, tandis que l’ornedhelle se mettait à courir à travers les termes en chantonnant, jusqu’à manquer de tomber dans le bassin au sein duquel elle jeta des petits osselets, le tout sous l’œil médusé des pauvres civils venus là pour un moment de détente…

-Je ne suis pas certain de comprendre…

Le soldat qui l’avait suivi après un soupir avait posé ses poings sur ses hanches toisant le singulier spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Des petites fumées légères qui se dégageait de l’eau et vu la réaction pourtant joyeuse des pauvres elfes prit dans les évènements, il était simple de deviner l’effet de ce que la noss avait jeté dans l’eau…Mais pour quelle raison, s’il y en avait une, ça il l’ignorait.

-Mais le geste est plutôt louable…Il pencha la tête avec un fin sourire, hésitant entre l’amusement et la consternation. Enfin je crois.

Brannor se renfrogna un peu plus. Elle se moquait de lui, encore. Était-ce si étonnant qu’il se questionne sur les intentions de cette elfe qu’il ne connaissait pas? Il ne cherchait pas forcément à l’insulter, mais il était soldat et médecin de surcroit. Il était de son devoir de veiller à la santé et à la sécurité de ses concitoyens et à ses côtés, Aegden faisait preuve de beaucoup plus de laxisme. Il disait la connaître, mais même lui, en cet instant, ne semblait pas savoir quoi penser de l’étrange comportement de l’Anëdhel. Restant silencieux, Brannor s’approcha du bassin et s’accroupit près du rebord, plongeant le bout des doigts dans l’eau les sourcils froncés. À première vue, ça ne semblait pas menaçant et l’effet ravissait visiblement les témoins, mais pourquoi avoir fait ça? L’esprit analytique et raisonné du médecin refusait de croire qu’il n’y avait pas d’explications derrière tout ça.

« Je ne voulais pas être vexant, mais j’aimerais comprendre les raisons qui vous ont motivé à faire tout ce chemin juste pour faire ça? Vous en conviendrez que c’est étonnant. »

Gwilithiel se redressa, bien trop fière de son coup, elle s’inclina une fois encore, tout en laissant Brannor s’accroupir pour goûter la température de l’eau du bout de ses doigts. Son regard allait du commandant au médecin. Une idée germait dans son esprit. Une sombre pensée qui étirait plus encore le sourire sur son visage.

- Regardez comme tout le monde est excité ! Et je… Oh mince !

L’aegedhel se pencha vers le sol pour ramasser un objet imaginaire qui venait de lui échapper des mains. Elle se redressa brusquement en donnant un coup de fesse plus fort que de raison au médecin accroupi près de l’eau. Se retournant dans l’instant, son sourire laissait place à une fausse expression de surprise. Sa main vint cacher ses lèvres desquelles s’échappait un malencontreux et particulièrement sonore « Oh ! ».

- Vous m’en voyez profondément désolée ! Je voulais ramasser ce que je fis tomber ! Le Commandant de vos armées saura en témoigner !

Gwilithiel s’écarta rapidement et vint se placer du côté d’Aegden en lui adressant un regard particulièrement insistant, tout en essayant de camoufler sa malice derrière un masque de sérieux.

- N’est-ce pas ? Demanda-t-elle en donnant une tape dans le dos de son camarade. En tous les cas, point de mauvaises intentions, ni particulièrement de raisons n’ont motivé mes actions. Fit-elle dans un haussement d’épaules pour répondre à la question du médecin. Vous voilà, en plus d’être mouillé, au moins rassuré !

Voilà que la noss s'amusait à présent à tourmenter son camarade. Avant qu'il ne réagisse, elle fit mine de pousser le pauvre médecin dans l'eau, jouant ensuite de ses grand air innocents... Avant d'impliquer malgré lui le soldat en retrait qui ne pouvait plus que constater les dégâts.

-Décidément, tu es bien maladroite aujourd’hui Gwilithiel.

Le soldat souffla, trahissant l’amusement discret que provoquait les espiègleries malgré tout bon enfant de la noss. Il lui rendit sa petite tape sur l’épaule avant de quand même finir par s’approcher et de tendre la main vers le pauvre médecin…Non sans un regard en coin guettant la présence de la première, histoire de ne pas finir à son tour dans l’eau. Il n'aurait plus manqué que ça...

Les autres elfes dans l'eau observaient la scène avec un mélange d’incompréhension d’amusement et de méfiance pour certain. C’était là une scène certes pas des plus banales…

Brannor n’était toujours pas entièrement convaincu, mais il fut forcé d’admettre que les plantes ajoutées à l’eau du bain ne semblaient pas être dangereuses, dans l’immédiat du moins. Il était bien placé pour savoir que ces forêts regorgeaient de plantes dont les effets pouvaient se manifester bien après le premier contact ou l’ingestion.

Toujours accroupi près du bain, Brannor ne vit pas ce qui se tramait derrière lui et alors qu’il passait en revue dans sa tête toutes les plantes qu’il connaissait et qui pouvaient avoir de tels résultats, un coup soudain dans son dos le poussa vers l’avant. Il tenta de se rattraper, mais la pierre glissait sous ses doigts et le médecin plongea la tête première dans le bassin, éclaboussant tout le monde. Le spectacle en amusa plus d’un, car alors que sa tête perçait la surface de l’eau dans une grande gerbe d’eau, il entendit clairement des gloussements tout autour de lui. Son regard se posa immédiatement sur la petite elfe qui cherchait maintenant la protection d’Aegden. Se dernier peinait à garder son sérieux. Il faut dire que Brannor offrait malgré lui un spectacle fort amusant avec ses cheveux blancs plaqués sur son visage et ses vêtements trempés qui lui collaient au corps.

À ce point, avec ce qui lui restait de dignité, le médecin se hissa hors de l’eau. En se mettant debout, il réalisa que ses bottes étaient pleines d’eau, alors il entreprit de retirer la première qui résista un moment avant de céder dans un bruit de succion quasi obscène qui provoqua une nouvelle vague de gloussement chez les témoins de la scène. Il répéta l’exercice avec la seconde botte avant de rejoindre Aegden et Gwilithiel.

« Ça ne semble pas être dangereux », dit-il d’une voix où chaque mot semblait hachuré, comme s’il lui fallait faire un effort particulièrement pénible afin de parler calmement, mais qu’il ne réussissait qu’à moitié. « Mais ça n’en reste pas moins étrange, vous l’admettrez. Avez-vous d’autres surprises du genre en réserve? »