Un rêve a comprendre (Glumtol et Lunn)

3ème ennéade de Vérimios – Premier mois de l’Eté | Année XX | XI Cycle.
Route entre Lante et le Brissalzif
Dans l’auberge « La Chope à Ripaille » | Hameau clanique.

Dans les plaines du Brissalion, tout contre la route terrestre menant de la cité capitale de la région Sud du Zagazorn jusqu’à la croisée des chemins que l’on nomme Brissalzif, se trouve l’auberge curieusement nommée « La Chope à Ripaille ». Grande par la taille, l’ayuberge est également creusée dans le sous-sol, et donne, sur l’arrière, sur le hameau formé par les clans Fût-de-Chêne et Crin-de-Bouc, deux clans vivant ensemble depuis des siècles et qui, au fur et à mesure du temps, attirèrent d’autres clans plus petits qui vinrent gonfler les rangs de ce hameau paisible. Le voyageur serait rapidement intrigué par la vie et les bruits qui émanent tantôt de l’auberge, tantôt du hameau situé derrière. Des rires et des gazouillis témoignent des marmots et des naissances récentes, qui jouent, encore naïvement, dans la cour arrière sous la surveillance assidue de quelques guerriers claniques. Le bruit des outils des artisans raclant le bois, frappant l’acier, donne à l’endroit une aura de travail, l’image d’un lieu à la vie foisonnante. Une fois la nuit tombée, tout ce petit monde se retrouve autour de l’auberge, dans des rires, des cris, des jeux, des rots et des bravades amicales bruyantes, qui ne cessent qu’une fois la nuit bien entamée… Ou lorsque le tenancier décide qu’il en est assez. Là, on donne le gîte et le couvert contre quelques écus, ou quelques promesses faites sur l’honneur. Les Nains, après tout, ne monnaient pas tout ! Un bon repas peut parfois être offert au poilu affamé ou à la bavette épuisée, en échange de quoi ce dernier – ou cette dernière – offrirait un peu de ses marchandises, de son expertise, ou de ses récits.

Avec la reconstruction des voies de l’Ungordrinin, les moins optimistes s’inquiètent quant à la potentielle diminution du nombre de voyageurs qui, dorénavant, choisiraient prioritairement la sécurité des souterrains et non plus le hasard d’un voyage en surface. En-dessous, l’on soustrait les aléas de la météo, les dangers de quelques créatures curieuses ou malveillantes, l’insécurité d’une route battue par les vents ou la pluie et qui deviendrait boueuse ou impraticable pour les caravanes… Alors, est-ce que le commerce était en danger, finalement ?

Certains, inquiets, tentaient à penser que oui. D’autres, résolument plus réfléchis – ou peut-être plus patients – demandaient à voir les futurs travaux d’aménagements. Après tout, la voie souterraine reliant Thanor à Lante ne passait pas très loin de leur lieu de victuaille ! Creuser un tunnel permettant alors aux voyageurs de faire une pause et de remonter à la surface, pour rejoindre ensuite l’auberge, devrait être possible ! Un tel projet ne serait point fou ! Et cela permettrait à l’auberge d’avoir toujours pignon sur rue ! Oui… Tout cela animait beaucoup de discussions, à n’en point douter…


Korkrim était derrière le bar, un chiffon à la main. Il passait le tissus propre et nettoyé sur les chopes et les verres qui, depuis plusieurs heures, trempaient dans une eau de lavage, afin de les préparer pour le service du soir. Occupé, il levait chaque chope, chopine et verre, pour le passer non loin de la lumière doucereuse et limpide d’une rune de lumière, s’assurant de l’absence de traces indésirables. Ce travail, peu agréable, était pourtant d’une importance capitale ! Ici, l’on ne servait que des bavettes et des poilus du Zagazorn ! Pas de vulgaires humains, comme dans les enclaves commerciales des cités de Thanor et de Lante. Si eux se contentaient de chopines tâchées et de bières semblables à de l’eau, ce n’était point le cas des Nains, ah ça non !

Il levait encore un verre, lorsque son regard fut attiré par une silhouette rondelette, ramassée sur elle-même, dans un coin de l’auberge. A cette heure-ci, les clients étaient rares. Et Korkim en était sûr, il n’avait point laissé de soiffard ronquer dans son établissement ! Pas depuis le matin, où il s’était assuré que le cœur de l’auberge était bien vide, que les clients étaient dans leurs chambres, et que ceux qui n’avaient point demandé de chambrée soient retournés dehors, dans leurs tentures, ou en reprenant la route.

Alors, il abandonna sa tâche. Sa mine renfrognée ce fit plus sévère. En son esprit, la chose était simple : l’heure était à la préparation du service de ce soir, et à la préparation en cuisine des plats, et dans l’arrière salle, des bières en fûts. Le larron pourrait rester sur son assise… Mais commander lui serait impossible pour le moment.

« Baruk, l’voyageur ! » Dit-il, la salutation sincère mais le regard dur. Remontant sa ceinture sur son ventre proéminent, il reprend. « Qu’tu l’saches : on n’sert personne ici pour l’moment. T’peux fumer si t’as d’quoi, mais là, on est en train d’cravacher pour préparer l’service d’ce soir. Alors pas d’chichi, compris ? »

L’attitude du Nain face à lui forçait Korkim à s’apaiser. Non, il ne s’agissait ni d’un agitateur, ni d’un profiteur, ni d’un foie en attente de sa dose de ripaille histoire de pouvoir ensuite s’en aller ailleurs. Il s’agissait d’une Braise perdue… Perdue comme pourrait l’être l’ouaille qui s’est égarée du chemin ; comme pourrait l’être l’enfant dont les parents ne daignent point répondre aux questions. En son for intérieur, Korkim ressentit une chose inhabituelle : ce Dawi était en quêtes de réponses, et lui, Korkrim, allait être le réceptacle de ces besoins, de ce besoin d’épanchement de pleurs, de questions, d’interrogations et de doutes.

Girdon. Le Ripailleur, le Sixième fils de la Première forge, était celui qui, d’après les dires du poilus, lui parlait sans qu’il ne comprenne ; s’exprimait sans qu’il ne puisse l’entendre ; se faisait connaître, sans que Glumtol ne puisse réellement le reconnaître. Une quête de réponses, alors…

« Ah ! Je vois… » Dit-il, s’exclama tout d’abord, avant de poser sa voix dans un long soupir de compréhension. « Tu l’as compris, mon ami. Ici, tu es dans l’auberge du Prêtre Lünn, fidèle de Girdon. Mais il n’est pas ici, dans nos frontières. Il mettra du temps à revenir… » Dit Korkim, légèrement déçu face à ses propres mots. « Tu es ici chez toi. Le service ne va pas tarder à commencer… Que veux-tu humecter et béqueter ? »

Korkrim zyeutait son vis-à-vis avec un intérêt sans cesse grandissant. Point qu’il se délectait de la situation, ou de l’évident traumatisme qui faisait chavirer l’esprit et le cœur de celui qui n’osait même plus ripailler aujourd’hui. Point qu’il appréciait cette tristesse évidente, cette douleur cuisante qui semblait étreindre la Braise-Vie de ce Dawi opulent, non. L’appel de Girdon semblait dicter les pas de celui qui ne s’était point encore présenté. Le Sixième Fils lui parlait, lui dictait des choses apparemment difficiles à comprendre et désagréables à vivres sans avoir les clés de la compréhension divine. Korkrim, en son for intérieur, se sentait donc investi d’une mission en l’absence de son paternel, véritable prêtre de Girdon.

« Neh, en effet. Mort, tu n’auras aucune réponse. Et par ma barbe, je refuse qu’un fils du Ripailleur canne dans la taverne de mon clan ! Mon père en mourrait de honte. » Dit alors Korkrim, un regard sévère et perçant s’enfonçant dans les mires de Glumtol avec une ferveur religieuse renouvelée. « Il n’y a personne d’aussi qualifié que mon père. Mais je pourrais t’aider en t’accueillant. Aujourd’hui, qui que tu sois, tu es mon invité et celui de mon clan. Ton repas arrive. »

Abandonnant Glumtol, Korkrim revint derrière ce qui était le comptoir de l’auberge. Prenant une bonne place dans cette partie privée de l’auberge, le comptoir était un des deux centres névralgiques de l’auberge avec la cuisine, située à côté. Derrière le comptoir, donc, se trouvent les futs et autres tonneaux percés et ceux qui attendent de l’être. Dans une chope profonde taillée dans un roc, Korkrim servit deux litres d’une bière brune houblonnée et affinée avec un bouquet d’épices, laissée durant deux ans dans une tourbe, plus au Nord. Son goût terreux et légèrement iodé était un ravissement pour les papilles, et Korkrim, désireux de redonner un peu de baume au cœur de ce fidèle Ripailleur perdu, allait mettre les bouchées doubles.

En cuisine, les choses commençaient à s’activer. Freya, fille de Lünn, était aux côtés de sa mère, Selni, laquelle venait de déposer deux magnifiques porcelets entiers qu’elle avait tué l’après-midi même avant de les vider pour les préparer à la cuisine de ce soir. Dans sa mission de l’après-midi, elle avait ramené plusieurs faisans, un sanglier, trois agneaux et la moitié d’un bœuf. Les derniers voyageurs des derniers jours avaient largement entamé les réserves des cuisines, que cela soit la viande dans les chambres froides ou les condiments, les légumineux et les alcools.

Son tablier blanc – qui n’était plus blanc – ruisselait de sang alors que son tranchoir, à la lame épaisse et grande, tranchait dans le vif de la viande qui ne demandait qu’à être préparée. Coupant les pattes, séparant les pieds, découpant les filets, les pièces à griller, celles à déguster crues, celles à rôtir, Freya tranchait avec précision et professionnalisme, comme d’ordinaire.

Dans plusieurs casseroles en fonte réduisaient plusieurs jus, bouillons et sauces, dégageant des odeurs satisfaisantes et ô combien ragoutantes. Régulièrement, un membre du clan remuait ces sauces afin d’éviter qu’elles ne brûlent et ne déposent au fond de leurs auges, une couche de brulée qui détruirait le goût et ruinerait le service. Les légumineuses étaient taillées, émincées, assaisonnées par un autre membre du clan, tandis qu’un dernier s’occupait des filets de poissons et d’enlever les arrêtes. Les ordres étaient donnés, à voix haute, dans une certaine cacophonie de cris et de bruits de cuissons mêlés.

« Dans combien d’temps qu’on pourrait commencer l’service ? » Demanda alors Korkrim, passant ses doigts épais dans un torchon déjà humidifié par les bières servies.

« Teh ! A l’heure habituelle, par Girdon ! » Pestait Freya, dardant un regard dubitatif sur son ainé qui, d’ordinaire, était le genre d’individu à imposer les délais et à les respecter. « Quelle tique te pique ? »

« Un fils d’Girdon est là, à la recherche de papa. J’ai l’impression qu’il pourrait m’caner d’désespoir dans les pognes à n’importe quel moment. Il n’béquette presque rien d’puis des jours, mais par ma barbe, il pourrait être un d’ces Ventres de Fer qu’écument les tavernes d’Thanor. J’veux pas l’laisser dépérir, t’vois bin’.

« Hum… » Grommela Freya, comprenant alors que son frère venait encore de prendre une décision qui lui était propre, et qu’il allait devenir insupportable si qui que ce soit se mettait en travers de sa route. « Laisse nous qu’ques minutes. »

Quelques minutes s’égrenèrent alors. Mais bien vite, le repas fut prêt. Korkrim et Freya servirent eux-mêmes l’invité spécial qui était là, attablé, triste et… Absent ? Freya elle aussi pouvait ressentir tout cela, d’un coup d’un seul. Elle comprit alors que son frère avait pris sa décision pour venir en aide à un frère Nain, mais aussi, à un fidèle de Girdon en difficulté. Korkrim avait un caractère difficile et une façon bien à lui de faire les choses… Mais au moins était-il sérieux, fidèle à lui-même et, d’une certaine manière… Empathique.

« Cochon de lait entier grillé au feu d’bois avec son lard fumé d’Sanglier d’Brissalion, son lit d’pommes-de-terre, sa sauce au Frongol, tomates farcies au bœuf, fondue d’poireaux et pois chiches. Bonne béquetance. »

Les ennéades passées en Péninsule avaient été fortement intéressantes pour Lünn. Il avait rencontré des tas de gens ! Des plus ou moins intelligents ; plus ou moins courageux ; plus ou moins nobles ; plus ou moins ouverts aux Nains. Mais, dans pratiquement tous les cas, il avait pu communier ! Rendre hommage à Girdon ! Faire ce pour quoi il était passionné : philosopher avec les êtres vivants de ce monde, atténuer les barrières entre les races et communier, dans la ripaille, la nourriture et l’alcool, avant de refaire le monde et d’ouvrir les esprits, même les plus retords, à l’aide d’herbes aux particularités étonnantes.

Mais revenir sur les terres ancestrales du Zagazorn avait toujours été un réel plaisir. Bénissant le sol dès qu’il eut passé la frontière Sud et son mur imposant, Lünn était ensuite revenu en son clan, rejoignant la taverne clanique. Les embrassades de ses fils et de sa fille, et de ses petits-enfants, lui mettait du baume au cœur ! Et revoir sa tendre liée était toujours une bénédiction pour le prêtre de Girdon, qui se languissait d’elle et appréciait les longues et douces étreintes.

Il allait prendre place au cœur de la taverne, pour prendre un peu de repos et profiter d’un repas préparé par ses enfants et ses ouailles, lorsqu’une voix connue, familière, et forte, l’interpella sans possibilité de fuite. Retournant son tarin vers cette voix qui venait dans son dos, les yeux de Lünn s’exorbitèrent, se firent si rondes qu’on aurait pu les comparer avec deux billes blanches. Puis, doucement, son regard se radoucis… Ses sourcils s’éloignent de ses paupières, ses joues se rosissent, son sourire s’agrandit et ses pommettes s’arrondissent et se dessinent, alors qu’un rire franc et vif l’étreignit.

« Glumtol ! » S’écria-t-il, s’avançant vers l’immense barbus aussi large qu’un Bélier et aussi rond qu’une barrique, lui offrant une accolade sincère alors que la Voix de Thanor demeurait assis à la tablée. « Thane des Barbes-de-Fer ! Voix de Thanor ! Mentor des Ventres-de-Fer et grand fidèle de Girdon ! C’est un plaisir de te trouver ici, chez moi ! Par les doigts gras de Girdon le festoyeur ! Nous allons fêter ça, et communier ensemble, mon Fils ! »

Il allait faire demi-tour et foncer en cuisine pour commander à manger pour tout le monde, s’apprêtant à lancer une prière avec tous les clients d’une taverne bondée, lorsque les mots de Glumtol le forcèrent à s’arrêter à peine un seul pas réalisé en direction des fourneaux. Le désormais célèbre ventru de Thanor, ne venait pas pour s’empiffrer… Ni pour communier… Il venait pour chercher des réponses à des questions visiblement religieuses…

Le visage de Lünn prit soudainement un air sérieux. Il abandonna alors sa course vers les cuisines… Glumtol, lui, commanda à boire pour eux deux. Le prêtre prit alors place face à Glumtol et, tandis que ce dernier débitait les mots qui formulaient ses interrogations, Lünn vida la tête de sa pipe pour la remplir à nouveau d’une herbe aux propriétés psychotropes.

Glumtol raconta alors son rêve. Un rêve qu’il faisait chaque nuit depuis bien des ennéades, sans pouvoir en contrôler ni le début ni la fin, et sans qu’aucun moment ne soit changé. A chaque fois, Girdon est là et, à chaque fois, sa colère s’abat sur celui qui, pourtant, devrait être un aussi grand fidèle que Lünn lui-même.

Lünn était complètement absorbé par les propos de Glumtol. Fumant sa pipe de la main gauche et supportant sa caboche sur sa main droite, le coude posé contre la table, son esprit était tout entier dédié à entendre et comprendre Glumtol, qui semblait en proie à un immense désarroi. Et, au fur et à mesure, Lünn mesurait l’étendue de la puissance de ce rêve… Pour lui, il n’y avait aucun doute : Girdon était bel et bien apparu à Glumtol, et, depuis, il s’efforçait à lui faire comprendre quelque chose qui lui échappait jusque-là. Mais la Voix de Thanor n’était pas restée dans le doute : il était parti en quête de réponses, et avait fait le chemin jusqu’à la taverne familiale de Lünn, signe que l’adepte du Ripailleur était plus qu’une simple ouaille.

« Par les dix mille poils de la barbe du Ripailleur… Tu as été visité ! » Dit-il, la voix tremblante. « Girdon… Girdon te parle, mon ami ! Et il insiste ! Car il veut t’investir d’une mission ! » Dit-il, haletant, comprenant de seconde en seconde l’étendue et la puissance de ce message divin. « Tu… Tu es choisi ! Choisi par Girdon ! Il veut que tu dispense l’art de la table à ceux autour de toi ! Que tu amènes les Nains à communier avec lui, à travers la boustifaille ! A travers toi, ta réputation et ta puissance à Thanor, il veut que tu apprennes aux Nains l’art de la Ripaille, du bon manger et du bien cuisiner ! »

Lünn était… Comme choqué et transit d’une foi renouvelée. Il avait face à lui, un fidèle choisi par Girdon… Et qui était venu jusqu’ici pour trouver l’aide d’un prêter à comprendre la parole du dieu choisi par ce dernier pour diriger sa vie. L’honneur était grand, pour Lünn… Permettre à une ouaille de comprendre les paroles d’un dieu, distillées au travers d’un rêve récurrent… Le rêve de tous prêtre !

Sans le faire exprès, je tire une immense bouffée sur ma pipe aux herbes psychotropes. Avoir face à un moi l’un des fidèles de Girdon les plus connus du royaume, et visité par ma déité adorée… Et qui vient me demander conseil… Voilà qui m’impressionne, me réjouit, et m’honore plus encore que ce que je saurais dire. Je suis aux anges ! Et je le regarde débiter ses mots, pensées, sans pouvoir rien dire de plus.

Jusqu’à-ce qu’une illumination, épiphanie, ou vision éclaire, ne traverse son esprit. Dans tous ses rêves, ceux qui mangent et festoient avec lui sont des Ventres-de-Fer… Que, des Ventre-de-Fer… Et cela semble être la clé de sa vision. Il lui faut y retourner ! Son empressement traduirait presque une impériosité divine, mais je sens, en-dessous de tout cela, une influence divine justement. Girdon parle à travers ce fier Dawi… Je me dois de l’aider, mais surtout, de l’écouter.

« Oui ! Tiens… » Je prends une de mes pipes secondaires. Propre, je la bourre de ma puissante herbe psychotrope. D’un signe, je commande un verre d’une de nos bières les plus fortes. « Prends les plus grandes aspirations sur cette herbe bénie de Girdon ! Et dès que tu sentiras ton esprit tanguer comme le roulis d’un navire, bois cette chopine cul-sec ! Rends-toi ensuite dans ta chambrée au plus vite, et recommence à fumer jusqu’à-ce que tes poumons ne puissent plus ne contenir que de l’air, sans volutes. Là, tu t’endormiras en quelques instants… Et reviens me voir une fois ta vision obtenue ! »

L’empressement de Glumtol me fait plaisir et m’amène le rouge aux joues. Je n’ai aucun doute sur le fait que Girdon tente de lui parler et de communiquer une chose importante à sa Braise-Vie… Savoir que j’ai face à moi un Nain relié à ma déité favorite, me rend heureux ! Et d’ailleurs, j’ai si hâte d’en apprendre plus sur ce rêve et sur ce que Girdon tente de lui dire, que je me met à manger avec un appétit revigoré !

Deux porcelets, un demi-lapin, un saladier de purées assaisonnées, deux tonnelets et une bouteille d’élixir plus tard… Je me trouve allongé devant la cheminée de la taverne, sur un fauteuil de cuir ô combien confortable, les guiboles étendues et légèrement surélevées pour facilité le mouvement des humeurs et du sang et ainsi éviter les jambes lourdes… Et, surtout, une bonne pipe aux herbes psychotropes. Rien de mieux pour ouvrir l’esprit !

Par ces herbes, je prépare mon esprit à entrer en communion spirituelle avec Girdon, si ce dernier m’estime suffisamment honorable pour cela. Je suis seul, dans ce salon : mes fils sont au lit, complètement ronds et saouls ; et les clients sont encore bien plus repus ! Je commence à ressentir les prémisses d’un abandon spirituel, lorsque déboule dans les escaliers, un tonneau dépassant le quintal : Glumtol est debout ! Et ce qu’il me dit est tout bonnement impressionnant !

« Aaaaaaaaah ! L’Archipel des Frimas ! » Lui dis-je, d’une voix forte trahissant mon état d’ébriété et l’emprise des psychotropes sur mon esprit et mon cerveau. « Girdon te guide vers une mission ! Une mission fraternelle ! Une mission… Divine ! Par les poils du torse de l’Artisan ! Par la panse bedonnante du Ripailleur ! Les Frimas ! Tu ne dois pas perdre un instant ! Prépare-toi et va ! Et si tu m’en estime capable, ou l’estime nécessaire, je viendrais avec toi ! »