Honorer les dieux [Lünn]

7ième énnéade Favrius - 21:XI
Thaar - ville basse - Auberge du chat échaudé

Voilà un spectacle qui ne payait pas de mine ce jour-là. La soirée commençait à peine. Dans les tavernes, la foule commençait à s’amasser en prévision de la nuit tombante. On buvait un peu, mais rares étaient ceux qui à cette heure semblaient déjà ivres. La soirée ne faisait que commencer, même s'il régnait déja un certain brouhaha caractéristique. Mais ce qui attirait l’attention, dans l’auberge du chat échaudé, c’était un nain.
Il était ventripotent comme tous les siens. Une crinière rousse, et une barbe plus épaisse encore. Un nain en somme.

Mais ce nain-là, il n’avait pas l’accent de ces terres. Ni le teint. Ce nain-là, il venait du nord.
De son accent rude et d’une voix forte, il parlait avec les siens d’honorer un idole que Viliam ne connaissait pas. Mais qui l’intrigua assez. Et puis les nains semblaient chercher à rameuter un peu de monde, comme si ça faisait partie de leur singulier rituel.

D’un coup sec, Viliam qui jusque là menait sa petite vie tranquille entre lui et un peu d'alcool vint abattre sa propre chope à la table des nains et pris une chaise qui était libre. Alors les nains purent avoir en face d’eux un semi elfe qu’on aurait facilement pu prendre pour un humain s’il n’avait pas été si grand et que ses oreilles n’étaient pas un peu allongées derrière ses mèches de cheveux bruns. Son visage à la peau brunie par le soleil de la région était couvert d’une fine barbe, tandis que de légères rides formaient quelques creux au coin de sa bouche et de ses yeux alors qu’il souriait de bon cœur, d’un air joueur. On ne lui donnait pas plus d’une trentaine d’année maximum cependant, peut être même pouvaient-on juger qu’il se trouvait encore dans la fin de la deuxième moitié de sa vingtième décennie, mais allez savoir le chiffre exacte…avec le sang des immortels on ne savait jamais vraiment. Il ne semblait en tous les cas pas riche à en voir ses vêtements propres mais plutôt simples. Quoi que l’arme à sa hanche semblait de fort belle qualité. Seul détail véritablement un peu étrange sans doute, il portait un épais foulard blanc autour de son cou.

-Un dieu de ripaille et de fêtes ? Lança-t-il. Voilà qui semble vendeur ! Vous permettez ?

Quoi que demander la permission, après s'être installé...ça ne servait plus à grand chose.

Au fond, il savait bien qu’il ne s’agissait là que de fadaises. Il n’y avait que cinq dieux, et celui qu’on attribuait aux plaisirs et aux arts s’appelait Arcamenel. Et en profond Néérite, sa relation avec ce dieu était probablement aussi complexe et chaotique que l’être divin lui-même... Mais Viliam avait toujours été curieux des autres peuples de ce monde. Et il avait un peu bu aussi…ça…aidait.

-On en vois pas souvent des nains, et encore moins des…comme votre genre. Ça m'intrigue je doit dire.

A nouveau, il avait fallut reprendre la route. A nouveau, ce besoin irrépressible, cette sensation incroyable, cette envie impossible à étouffer, de reprendre la route et revoir le monde dans toute sa splendeur. Plus encore qu’une volonté de voyages, qu’une motivation futile, qu’un projet individuel, il s’agissait là d’un commandement : Lünn se savait investi d’une importante mission, donnée par le divin lui-même. Ce dernier lui commandait alors de rencontrer un maximum d’être vivants, qu’importe l’origine ou la race, et de leur enseigner alors les préceptes de la Ripaille et de la philosophie. Une mission de Girdon, que le prêtre s’empressait de réaliser dès que l’opportunité se présentait.

D’ordinaire, dans les cités sécurisées, Lünn vivait avec ses ouailles dans son char, incroyablement renforcé. Autour de ce véhicule, ils disposaient alors leur campement, notamment les cuisines, et un petit autel, réalisant alors des repas ouverts aux curieux, désireux, nécessiteux, qu’ils rendaient plus vivants encore à grands renforts de prêches !

Mais voyager depuis les plaines du Brissalion jusqu’à la cité de Thaar demandait une grande organisation, et surtout, une certaine quantité de provisions. Provisions qui, aujourd’hui, avaient grandement diminuer à force de banquets, de repas sur la route, et de dons divers. Il fallait donc refaire les stocks, et quelle cité permettait de faire venir des denrées Naines presque aussi facilement qu’au cœur même du Zagazorn ? Thaar ! A travers les Mille-Caves, bien évidemment !

Mais il fallait pouvoir continuer le prêche. Alors, en attendant, plutôt que de demander l’hospitalité exorbitante des Nains du Sud, Lünn désirait rester dans une taverne, là où il pourrait dispenser les savoirs et bonnes paroles de Girdon. Aussi lui et les siens s’étaient posés voilà quelques jours dans la taverne du « Chat échaudé » et, avec l’accord des tenanciers, tenaient de grands banquets la journée à leurs frais et avec leurs ressources ; et de grandes prêches le soir, au sein de la taverne, inondant celle-ci d’écus – car parler donnait soif.

« Eh beh teh ! » Commença alors Kongrim, qui se resservait à nouveau d’une bière comestible dans cette taverne. « C’te binouze est pô trop mauvaise pour un truc brassé dans c’coin trop chaud ! Mais elle fait plaisir ! J’crois quand même qu’j’serais bin’ heureux d’pouvoir reboire une d’nos bières l’plus fortes. Histoire d’vraiment ressentir l’alcool et l’houblon. »

« Ah ça ! Faut dire qu’nos brasseurs sont exceptionnels ! Mais rappelle-toi mon frère : on est ici pour goûter l’délices d’ce monde et répandre l’bonne parole d’la Ripaille ! »

« Voilà qu’est bin’ parlé mon Fils ! N’sommes là pour pouvoir répandre l’bonne parole ! Par Girdon ! Buvons et mangeons ! Et bénissons celles et ceux qui nous approchent ! »

Soudainement, comme si la chose avait été calculée par celui qui se présentait d’un coup d’un seul, un être apparaît. Le bruit de la chope de verre contre la table de bois, eut le mérite de faire sourciller Lünn qui, un instant durant, darda un regard interrogateur sur celui qui venait faire irruption. Surpris, Lünn ne put s’empêcher de laisser s’exprimer ses gênes du Zagazorn : une attitude froide, une austérité silencieuse et une manière de se montrer plus gros qu’il ne l’était. Mais, ce faisant, il vit – et lorsque l’autre prit la parole – rapidement qu’il ne s’agissait ni d’un danger, ni d’un intru. Il s’agissait d’un curieux !

« Bienvenue, mon Fils ! » Dit-il, le rouge de ses joues se remontant alors à mesure qu’un sourire étirait ses lèvres. « Un demi-dieu ! De la Ripaille, tout à fait ! Mais au-delà de cela, mon Fils, il s’agit de spiritualité ! D’apprendre ! De rencontrer ! De partage ! Oh oui  mon fils ! Poses toutes tes questions et surtout, met toi à l’aise ! » Il se tourne alors vers le tavernier et aubergiste qui, de là où il était, avait une bonne position pour pouvoir voir la table des Nains. « Maître aubergiste ! Dix pichets de bières, l’plus forte que vous avez ! Et avec cela : deux civets de lapins, trois canards laqués et six poulets bien rôtis ! » Il se retourna à nouveau vers le nouveau venu. « Que pouvons-nous pour vous ? »

-Spiritualité et partage hm ? Le vaani laissa échapper un bref rire. J’avoue que j’ai rarement vu la religion ainsi. Enfin, en tout cas, pas à coup de banquets et de litrons de bières. Chez moi on est plus du genre à partager...eh bien en silence on va dire.

D’ailleurs…ça voulait dire quoi exactement demi-dieu…Parlait-il de ces vaisseaux des dieux, dont on chantait les louanges et les exploits ? Le bandit n’en était pas certain. En tout cas, ce concept n’existait pas au sein de sa propre religion.

Pourtant, cette réflexion disparu derrière une gorgée d’alcool. Il avait par ailleurs haussé un sourcil à la commande d’une ampleur quelque peu exagérée. Tant que le nain payait pour lui-même…Viliam se conterait volontiers de sa propre choppe de son coté, il ne roulait pas sur l’or ces derniers temps.

-C’est quoi, alors, la bonne parole de votre "demi-dieu" ? Demanda-t-il, en appuyant un peu son dos contre le dossier de sa chaise. On voit beaucoup de pentiens, parfois des illethiens ou même des puysards par ici, mais des nains…ça c’est plutôt rare hors des Milles-caves. Je connais pas grand chose de là où vous venez, -parce que je suppose que vous venez du nord- à pars les légendes. Et j'ai jamais vu de nains venir prêcher leur religion. Pas que je cherche à me convertir, ajouta-t-il dans un nouveau rire, mais je suis curieux. 

Qui était-il ? Je remarque… Oui, je remarque les traits d’un semi-elfe, mais qui sont si fins que l’on pourrait l’identifier à un Humain sans aucun problème ! Impressionnant, ce que peuvent faire le croisement de gênes raciaux ! En tous les cas, il semble des plus intéressés par ce que nous avons à dire, prouver, montrer et faire partager. Cela me passionne, je dois dire ! Me voici investi d’une mission que je désire ardemment et que je recherche depuis tant de décennies !

« Ah ! Mais cela, c’est parce que bien des races et des clergés ont tendance à lire les saintes écritures sous un œil moralisateur et réprobateur ! » Dis-je, un sourire dans la voix alors qu’un petit rire m’anime et fait tressauter mes épaules. « Mais la religion ne devrait jamais être un carcan, une source d’éloignement ou de scission entre les Braises et les Souffles. Jamais ! »

Je m’apprêtais à poursuivre ma discussion, lorsqu’un serveur arrive avec le pas pressé. Il dépose alors cinq pichets avec un certain empressement : il fallait avouer que lesdits pichets étaient grands, profonds, et donc assez lourds. Un Humain ne devrait point avoir à soulever un tel poids à bout de bras… Mais ainsi allait la vie ! Il déposa le plateau avec tant d’ardeur, qu’un des pichets manqua presque de choir de l’autre côté de la tablée.

« Par les burnes d’Girdon ! Faites plusieurs voyages si c’pour pas réussir à porter tout ça ! N’Faudrait pas gâcher quoi ! » Dit alors Ödiin, un regard presque assassin et une rancœur dans la voix. « L’bière c’t’important ! »

« Allons, mon Fils ! » Dis-je, tapotant alors sa pogne un instant, avant de placer devant lui un pichet qu’il s’empressait déjà de boire à grandes goulées. « Point de rancœur ! Cet homme s’efforce de satisfaire nos commandes le plus rapidement possible et par Girdon ! Nous ne sommes que quatre, mais nous commandons pour douze ! » Dis-je, sortant alors de l’une de mes poches de soutane, quelques écus bien dorés. « Tenez mon brave ! Pour vos tracas ! Nous attendons la suite avec impatience ! »

Et, d’ailleurs, ce serveur n’était que le premier d’une longue suite. Un second apportait l’autre moitié des pichets ; un troisième apporta les deux civets ; un troisième apporta deux canards, qu’un quatrième vint compléter par un troisième et dernier canard commandé plus tôt. Ne manquerait plus que les six poulets que je sentais déjà finir de rôtir à la broche que je voyais tourner plus loin.

Le semi-Elfe face à moi ne semblait point choqué par cette râlerie de la part d’Ödiin. Il reposa alors d’autres questions qui emplirent mon cœur de joie. Quelle était cette parole, du « demi-dieu » ? Une question ô combien importante, belle, bonne, légitime… En plus de la curiosité globale ! Car il a su identifier notre origine du Nord ! Il est curieux… Ne cherche pas à se convertir… Et moi, nous, nous ne recherchons pas non plus cela. Mais j’ai beaucoup de choses à lui dire, ô oui !

« Girdon est le Sixième Fils, de ce que nous appelons la « Première Forge ». Il s’agit de la forge primordiale, dans laquelle notre Père, Mogar, aura forgé ses Premiers Fils, puis, nos ancêtres à tous les Nains. Notre Père est… Violent… Oh oui… Mais lorsqu’il vit que toute sa création lui était fidèle au possible, et que les Nains oeuvraient avec professionnalisme, passion… Lorsqu’il vit que nous étions si doués, si dévoués, il décida de permettre à ses enfants de bénéficier des arts de la Ripaille. Il envoya alors Girdon. Ce dernier apprit aux Nains l’art de l’agriculture, celui de la brasserie, celui de la viticulture, de l’élevage, de l’herboristerie, de la ripaille… Du bien vivre et du bien manger, mais pas que ! » Dis-je, prenant alors une ou deux immenses goulées d’une bière fade, qui dévala alors mon glissoir comme si ce n’était que de l’eau. « Dans sa grande mansuétude, Girdon offrit également l’herbe, la pipe et le tabac, et, combinés aux alcools et à la divine boustifaille, permit aux Nains de philosopher. L’esprit des Nains peut être… Etriqué, parfois. Nous n’acceptons pas les étrangers ; nous sommes aussi chauvins et racistes que les Drows veulent détruire le monde… Mais Girdon apprit à ses fidèles à dépasser cela afin d’apprendre, de partager, d’échanger… Bref, de s’ouvrir au monde, tant via les connaissances que par les expériences, les discussions et le voyage. »

-Certains pentiens ont en effet tendance à voir leur culte d’une manière disons restrictive. Ce qui est particulièrement paradoxal, puisque notre Mère se veut la garante du choix et de la liberté. Voir parfois dans le pire des cas ils l’utilisent comme une arme. Répondit-il à la première diatribe de son interlocuteur.

Lui-même avait connu ce pendant-là de la religion, lorsqu’il était enfant. Même en fréquentant désormais les culte vaanis, bien moins stricts, ces expériences douloureuses, dont il ne laissa pourtant rien paraitre sur son expression affable, ne quitteraient jamais vraiment son esprit.

-Mais fort heureusement, il ne s’agit pas de la majorité des pratiquants, pas dans cette région du monde du moins. Ajoutât-il sans marquer de pause. De joueur, le sourire du bandit se fit un peu plus doux. Il n’était pas un prêcheur, mais sa foi en Nééra était forte, probablement autant que celle du prêtre pour son demi dieu. Et, l’évoquer avait désormais quelque chose de familier, et de rassurant. Mais je vous l’assure maitre nain, le silence et la retenue dont font preuve les néérite, ceux dont j’ai l’habitude de fréquenter du moins, n’ont rien d’un carcan. Ou bien…Il pencha la tête. Il l’est comme peut l’être comme…une sorte d’étreinte. Il faut voir ça comme quelque chose d’apaisant plutôt que restrictif.

Ses doigts étaient machinalement venus jouer avec une petite broche à l’effigie d’un oiseau ouvrant grand ses ailes. Plutôt que de le restreindre, Viliam estimait que par bien des égards, sa foi avait été ce qui l’avait sauvé, et ce qui l’avait aidé à ne pas sombrer, des années durant.

-En un sens, Girdon semble être ce que nous est Arcam. Quoi que vous ne semblez pas vraiment le craindre, vous. Sans doute ne serez pas si dépaysés que ça ici. On ne manque pas de tout un tas de trucs à expérimenter ni de bonne bouffe. Plaisanta-t-il. En revanche pour ce qui est de philosopher...Je suis pas sûr que tout le monde y prenne le temps. On l'a pas toujours par ici, il faut d'abord trouver de quoi manger. Est-ce pareil dans votre nord  ou Girdon est-il tellement à l'honneur que n'importe quelle strate de la société est capable de s'offrir ce genre de pratiques ?

Il lorgnait un peu sur les quantité aberrantes de viande. Clairement, ici, peu de gens pouvaient se targuer de s'offrir pareil festin. Si telles étaient les recommandations du demi-dieu, il n'était pas si étonnant qu'il ne soit pas loué dans la basse-thaar.

Avoir autant parlé me donnait l’envie de boire plus que de raisons ! En plus de l’envie de m’humecter le glissoir, c’est surtout l’envie de partager et de communier. Car n’est-il point plus belle manière de communier qu’en parlant de Girdon et de ses projets pour ses fidèles, en buvant ses créations alcoolisées – cadeaux millénaires – et en mangeant comme un goinfre ? Celui qui nous a apprit à brasser, affiner, maturer, distiller les bières, liqueurs et vins ; qui nous a appris à produire fromages, viandes et autres légumineux ; ne peut qu’être heureux de nous voir le prêcher en rendant honneur à ses savoirs.

Ainsi, prenant la chopine que j’avais déjà commencé à boire, je la vide en quelques traits avec une fulgurance étonnante. La mousse plein la barbe, je passe le dos de ma pogne le long de ma bouche, avant d’offrir un rôt des plus tonitruants. Cela me fait rire, puis fait rire mes trois Fils qui m’accompagnent à leur tour dans un cul-sec mousseux et dégoulinant de bières jusqu’au sol, avant de roter à leur tour.

« Haaaa mes amis ! Que voilà belle expression de vos panses pleines et d’vos gosiers bien humectés ! Hehehe »

L’humour ! L’amour ! L’honneur ! L’appréciation des toutes les choses qui font que Girdon est sans aucun doute le meilleur demi-dieu de tout notre panthéon ! Après tout : grâce à lui, plus de guerres ! Plus de tensions ! Plus de difficultés ! Il suffit de boire et manger ensemble, pour pouvoir tout oublier ! Tout pardonner ! Haaa, le pouvoir de la boustifaille et de la philosophie !

Soudainement, je remarque un truc… Un regard. Le sang-mêlé face à moi regarde la nourriture et les boissons avec une sorte d’envie mêlée d’incompréhension et de faim naissante. La vie ici est chère… Je le comprends. Bien que cela ne nous touche point réellement, je comprends qu’ici, cela puisse empêcher bien des gens de manger à leur satiété. Mais tel Girdon nous l’enseigne : personne ne doit mourir de faim, ni même ressentir ne serait-ce qu’un soubresaut de faim, en présence des Fils et Filles de Girdon ! Si un prêtre laisse s’affamer une ouaille, sa faute n’en sera que plus grande !

« Voyons ! Voyons l’ami ! » Dis-je, poussant doucement devant lui une chopine pleine et une assiette vide, dans laquelle il lui suffira de mettre tous les aliments qu’il voudrait. « Mange ! Bois ! Par Girdon, tu ne mourras pas de faim avec nous ce soir ! » Lui dis-je, tapant finalement deux fois du plat de la main sur la table comme pour l’enjoindre de manger prestement afin de nous rejoindre. « Eh bien… Disons que par chez nous, la société ne fonctionne pas comme par ici. Bin’ sûr, il y a des pauvres… Enfin, des gens qui n’ont pô d’grandes finances… Mais par chez nous, l’parole est plus importante qu’l’or. C’qui fait qu’si quelqu’un s’engage par la parole, bin… Il aura à manger. Ou une arme… Ou… Quoi que ce soit, selon l’accord. Et puis, c’est de mon rôle, et celui de mes frères prêtres de Girdon, d’offrir le gîte et le couvert à ceux qui en ont besoin. Et ça, j’y met un point d’honneur, mon ami ! »

-Rassurez-vous. Viliam sourit et leva sa propre chope. J’ai de quoi me convenir pour le moment.

Il n'était d'habitude pas le dernier à apprécier un bon repas, ni à boire, parfois à l'excès. D'ailleurs son sang de semi elfe semblait lui offrir une nette résistance par rapport à de pures humain et parmis ses frères d'armes, il avait une bonne réputation de bon compagnon de beuverie lorsque le temps et l'humeur y était propice. Mais cette fois, ce n’était pas de l’envie qui animait ses prunelles lorsqu’elles se posaient sur la nourriture, mais bien des questions multiples et des réflexions qu'un prêtre qui se disait voué à la philosophie n'aurait sans doute pas boudé.

-Peut être devrions nous nous doter de plus des vôtres, si vous êtes tous aussi zélés. Malheureusement ici il y a...beaucoup à faire.

Se faire une mission divine de ne laisser personne mourir de faim ni de soif, le tout issus d’une société où l’honneur et la parole avait plus de valeur que l’or. Cela semblait tellement loin de la réalité du bandit. Il avait l’impression de réentendre les légendes que Rénalt lançait à qui voulait l’entendre lorsqu’ils étaient plus jeunes, celles des routes pavées d’or, et des individus dont la parole suffisait à faire et défaire les rois.

Ha ! Face à sa chopine pleine qu’il lève devant ma trogne, me rassurant alors quant au fait que sa panse serait bientôt pleine de bonnes choses. Toutefois, ma proposition n’est point fermée ni retirée !

« Eh bien soit ! » Je lève ma chope, l’avance vers lui en signe d’entente avant de la porter à mes lèvres pour enquiller quelques gorgées à grands renforts de goulées. « Mais saches que l’offre tient toujours mon ami ! »

Affamés, nous nous jetons sur la nourriture sans demander plus de choses à qui que ce soit. Plongeant dans les canards, légumineux et arrosant tout cela de sauces, nous nous mettons à manger avec envie ! Point de chichis, point d’habitudes ou de code bizarre, nous mangeons ! Non, non ! Nous bouffons ! Mais par Girdon, que cela est bon ! La sauce dégouline de nos doigts ; la viande est succulente et se coupe ô combien facilement ! Mais ses propos me poussent à lui parler, malgré la bouche pleine…

« Doter ? Pluche dchez nôchtres ? » Comprenant alors que je n’arrive point à parler, je passe le tout dans une grande rasade de bière. Vous doter de plus des nôtres ?! M’enfin, mon ami ! Vous ne pouvez point parler de nous comme l’on parle de bétail ! Et encore ! Je ne parle pas comme ça de mes bœufs à la maison ! Mais… Ah ! Je vous comprends… Ici, tout n’est que faux semblants, délinquance et autres projets autocentrés qui peuvent détruire le monde pour peu que l’auteur en obtienne quelques piécettes. Assurément, nous vivons dans deux mondes différents… »

-Oh je crois que vous vous méprenez. Le coin des yeux du bandit s’était creusé de quelques plis rieur, à nouveau. Peut-être que c’est la barrière de la langue, je ne connais pas la vôtre et je ne saurais pas me corriger. Mais non, je ne parlais pas d’_acheter_ vos camarades. Je mentionnais simplement que la vie serait plus facile si l’Itrhivaan était parcourus de prêtres ayant à cœur de bien parler et de bien manger et surtout que leur ouaille en fasse de même. Ça semble juste…Improbable dans un monde comme le mien. 

Mais du coin de l’œil, le semi elfe aperçu une silhouette, puis une seconde, qui ne lui plut guère. A telle point qu’il manqua de s’étrangler avec la gorgée d’alcool qu’il venait de porter à ses lèvres. Pourquoi les soldats du guet avaient-ils décidé de foutre les pieds ici et maintenant ? Râla-t-il intérieurement.

Mais plutôt que de chercher à fuir immédiatement, il fit plutôt mine de se décaler un peu, tournant presque dos aux intrus, de façon à ce que les deux idiots qui se déplaçaient un peu plus loin ne le remarquent pas aussi facilement. Avec un peu de chance ils venaient juste s’enivrer eux aussi, profitant de leur belle armure et de leurs insigne de coq pour ne pas payer leurs consommations et ils ne se rendraient même pas compte de sa présence dans l’établissement bondé. Quand aux trois nains, ils durent bien remarquer ce petit manège qui dû certainement les interloquer. Mais quitte à passer pour un homme au manières singulières, Viliam préférait éviter de se confronter à la garde alors qu'il était seul et pas des plus lucides. Il entendait d'ici les remontrances d'Esperanz si cette dernière avait put observer la scène, et ses interrogations quand à la capacité du bandit de ne pas finir par se faire tuer avec un tel comportement d'irresponsable. Mais aussitôt l'image lui vint qu'il la balaya mentalement.

-Qu’est-ce qu’on disait déjà ? Fit-il près une seconde à les surveiller du coin de l’œil. Il avait relancé la conversation avec un entrain redoublé et qui en devenait presque feint. Ah ouai, qu’on vivait pas dans le même monde. Une gorgée d’alcool supplémentaire l'interrompis tandis qu'elle commençait sérieusement à faire beaucoup, en comptant les quelques pintes précédentes qu’il avait bues seul,  Mais quitte à paraitre un peu trop arrogant, maitre nain, croyez bien que le profit personnel ne m’intéresse pas contrairement à mes compatriotes et que si je pouvait je le changerais ce monde. Savoir qu'il en existe d'autres meilleurs, ça donne un peu d'espoir.

« Une erreur de ma part oui, toutes mes excuses mon Fils… » Lui dis-je, admettant mon erreur dans un sourire contrit. « Mais je comprends… Nous vivons dans deux mondes différents, cela est avéré. Voilà pourquoi ma mission est de propager les dires, paroles et les enseignements de Girdon partout sur Miradelphia. Aussi suis-je heureux de te savoir aussi touché par tout cela. Puisse Girdon te bénir ! BARUK ! »

Par réflexe, comme si nous étions encore dans le Nord de ce monde, ce Baruk guttural introduit un coup de poing sur la tablée, suivi très vite par ceux de mes fidèles qui manquent presque de faire choir tout ce qui se trouvait dessus, tant les vibrations étaient fortes ! De lourds rires bien gras s’en suivent, alors que nous nous félicitons de louer ainsi notre demi-dieu, et nous replongeons dans la boustifaille qui se trouve devant nous. A pleins doigts, nous prenons la viande ; les légumes ; trempons dans la sauce et mangeons sans aucune once de manières, mais cela est ainsi que nous faisons ! Les fourchettes ne servent à rien ! A part faire des manières…

Le changement d’attitude de notre ami, toutefois, me fait réfléchir. D’un coup d’œil, je repère des gardes en armures que je ne reconnais point réellement. Même si j’en identifie la provenance… Ces gens sont là pour quelque chose en particulier, ou quelqu’un… Et l’on dirait que cela ne plaît point à notre ami du jour. Ou cela l’inquiète-t-il ? Dans tous les cas, cela ne me regarde absolument pas. Qu’importe ses péchés, je ne suis point prêtre d’Heidum le Fortuné. Ce n’est point de mon devoir de le juger.

« Ma fierté de Nain est touchée par vos paroles. Je ne sais point si mon monde est meilleur… Mais il est assurément différent. Sans doute le sommes-nous grâce à notre histoire millénaire, et aux enseignements des dieux qui sont les nôtres. Il m’apparaît difficile de juger deux mondes entre eux lorsqu’absolument tout les différencies. Néanmoins, je te remercie pour cet avis ! Je sais que les miens seraient fier d’entendre cela ! »

Viliam allait renchérir, mais un nouvelle éclat métallique détourna encore son regard et il savait que la brève interlude en était terminée.

Il maugréa pour lui-même alors qu’il croisait le regard d’abord placide puis circonspect d’un des soldats. Ils n’étaient sans doute pas là pour lui à l’origine, mais l’occasion était trop belle. A son air de benêt surpris, Viliam savait qu'il était dores et déjà repéré. L’homme laissa soudain ses cartes s’étaler sur sa table –révélant au passage une main bien misérable- et s’approcha soudain dans leur direction.

-Maitres nains ce fut un plaisir. Lança-t-il alors, comme si la conversation se terminait le plus naturellement du monde.

D’un trait, le bandit termina le contenu de sa propre chope, la frappa contre le bois graisseux et se leva. Il y eut un bref instant de flottement entre le guetteur et le bandit. L’un et l’autre se toisèrent à un mètre et demi de distance environs. Le premier semblait inquiet, cherchant à anticiper les mouvements du second qui étira simplement un sourire narquois.

Comme une bulle, le bref suspens éclata brusquement. En réalité, une seconde à peine s'écoula. Le guetteur fit un pas en avant, Viliam s’esquiva et d’un coup de pied magistral envoya l’épaisse table de victuaille et d’alcool emplafonner l’homme. Par chance –pour le fugitif en tout cas-, le soldat recula sous l'impact et bouscula un autre badaud qui protesta vivement en se levant à son tour. On eut dit que l'auberge du Chat échaudé n'attendait qu'une étincelle pour s'embraser. Ou bien quelques viandes rôties balancée au beau milieu...

-Désolé ! Le bandit lança aux nain deux petites pièces d'or et partit sans attendre pour profiter de l’embrasement de l’ambiance et de la distraction générale pour s’élancer à l’opposé des deux autres gardes. Fenêtre ou porte, la première sortie qu'il trouverait serait son salut