[Solo] Promesses d'avenir

Karfias, second mois de l'Été
An 21 du XIe Cycle

Le ciel gris devant les portes de la cité de Thanor annonce la pluie, une mousson froide était en approche malgré la saison douce. Les nouvelles s'étaient faites rares alors que de longs débats avaient lieu au sein de la capitale, quelques dawis étaient rentrés avant lui mais il y'avait fort a parier que nul n'avait fait pareille entrée.

Le bruit des pas des boucs du Zagazorn résonnent sur la pierre gelée de l'entrée de la forteresse engloutie alors que l'on sonna leur arrivée. Les quelques badauds chaudement couverts s'interrompirent dans leurs activités un court instant et se mirent à suivre les traineaux rafistolés à la va vite ; tous sont recouverts d'une épaisse fourrure et de neige fondue issue des hauts pics. Sur certains chariots moins lourds il n'y avait qu'un bélier pour tirer, preuve si il en fallait une que même les solides animaux des montagnes avaient soufferts.

Les roues qui n'étaient plus si droites firent un bruit de tous les enfers dès lors qu'elles quittèrent la chaussée pour rouler de nouveau sur un pavé lisse. Hjolgrim ordonna la halte du convoi qui venait d'entrer dans la cité derrière les lourdes protections. D'un dawi à l'autre, le mot circula que ceux chargés des nouvelles de la mine et surtout, du rapatriement des corps de leur semblable, étaient de retour. Oh il n'y avait pas toute la cité loin de là, mais voici bien assez de têtes barbues afin de porter témoignage et de répandre la nouvelle dans tout Thanor.

Un silence de mort pesant prit place alors que la première bruine tomba, se heurtant au contact du roc de Thanor. Les couvertures furent tirées une par une ; sous ces dernières, des visages, des frères de pioche, des fils, parfois des pères.

Hjolgrim s'éloigna de la cargaison afin d'enlever ses gants ainsi que son matériel le plus lourd. Tous les parents a l'arrière pleuraient silencieusement leurs morts, sans qu'aucune larme ne coule sur leur fier visage. Tous retenaient leurs larmes, la faiblesse n'avait plus sa place depuis longtemps en Thanor. Ce qui serait une honte, ce serait qu'ils soient morts pour rien. Le plus important, c'était qu'ils soient partis pour quelque chose de plus grand afin que leur honneur soit conté à tout jamais, et c'était bien évidemment au chef du clan de faire en sorte que cet instant traverse des temps immémoriaux afin que l'on chante des louanges aux défunts ; les légendes s'écrivent et jamais ne périssent, aujourd'hui était de ce jour ou l'on écrivait une légende.

Le chef de clan tapa brièvement sur sa pioche à l'aide d'un burin pour centraliser l'attention et monta en avant sur la première charrette, à la vue de tous, alors même que certaines mères tenaient la main froide de leur défunt enfant.

- Ci-gisent les défunts du clan Brokkgog, ci-gisent les enfants de Thanor, ci-gisent les enfants du Zagazorn.

Il marqua un silence, faisant un effort surhumain afin de ne pas faire d'abréviation douteuse ou parler dans un patois incompréhensible. Il avait longtemps écrit ce texte sur le chemin du retour et tenterait de s'exprimer le plus limpidement possible.

- Alors que nous arpentions les Hautes-Terres du Septentrions, avançant fièrement les uns aux côtés des autres, des sauvageons sont sortis de toute part prenant d'assaut le centre de la colonne. Ils n'étaient que des mineurs, des artisans ou des jeunes barbes pour certains, mais aucun d'entre eux n'a tressailli un seul instant. Ils ont tenu tête à des Berzerker sans faillir, sans reculer, défendant leur honneur et de leur sang la montagne de laquelle ils furent tirés.

Hjolgrim débuta le récit des différents combats, glorifiant chaque dawi à sa juste valeur et contant la façon dont il était tombé ; c'était de ces histoires que l'on raconteraient. Savoir qui avait défendu qui, qui avait foncé en criant ou qui d'autre avait protégé les bêtes contre plusieurs assaillants, chaque détail était d'une importance capitale. Après de longues minutes de tirades interminables rassasiant les morts d'honneur, il ne s'arrêta pas pour autant, criant tout fort ce que ses yeux et ceux de ses compagnons avaient vu. Cette fois-ci, la façade céda et il fit nettement moins d'effort ; les formalités étaient terminées.

- [...] Les derniers pas étaient durs, comme si nous avions perdus not'barbe en route, et d'vant nous la montagne de feu apparut, jaillissant le sang d'la terre dans laquelle s'trouvait des vers du magma. D'créatures géantes d'toute sorte a n'en plus finir. J'ai entendu dire d'mes esgourdes par quelques dawis ayant perdu leur fierté que l'père était r'venu. Mais moi j'vous le dit, qu'il soit maudit jusqu'à la fin des temps, car moi j'tais la montagne au commencement et j'ai senti la chaleur, c'est l'oeuvre du maudit père, et p'tet même que c'est ce cracheur d'feu qui a tout déréglé et détruit une partie d'la capitale.

Il s'arrêta alors que quelques regards s'échangèrent, peut être que la rumeur était déjà parvenue jusqu'ici, ou alors certains se questionnaient sur qui trahirait le fils pour le père qui leur avait tout pris. Beaucoup cependant étaient figés et se contentaient d'écouter tout en avalant une bière. Quelques cris fusèrent, maudissant le père.

- Mais l'bonne nouvelle moi j'vous le dit, c'est que nos frères sont morts et qu'sur le sommet de leur calvaire en haut d'la maudite montagne, le clan Brokkgog continue de piocher en c't'instant même avec nos meilleurs artisans, pis qu'on va faire un avant-poste sur lequel sera gravé le nom d'tous ceux qui sont tombés.

Hjolgrim se pencha lourdement et défit le crochet du chariot sur lequel il se tenait. Des pierres de souffre tombèrent, noires, jaunies, mélangées à de la terre volcanique. Pas une grande quantité, de quoi étudier le sol et prouver a Thanor ce qui attendait les dawis, la prochaine étape.

- Quand j'suis parti j'ai promis qu'on r'verrait des merveilles sortir des forges comme avant, qu'on s'vengerait du père.

Il laissa un blanc un court instant alors que certains artisans s'emparaient déjà de quelques pierres, les observant avec minutie avant de les faire circuler dans la foule présente.

ALORS ON VA AVANCER GRÂCE AU SACRIFICE DE NOS FRERES TOMBES, N'SALURONS LA OU ILS SONT TOMBES ET N'FERONS UNE STATUE EN LEUR HONNEUR. QUE TOUS CEUX D'MON CLAN S'RASSEMBLENT C'SOIR, QU'LES FORGERONS FASSENT CHAUFFER LES HAUTS FOURNEAUX ET QU'LES ELEVEURS PREPAR'BIEN LEUR TRANCHEE !

Sa voix venait de raisonner sur chaque pierre de la cité qui aurait tremblé si elles avaient pu le faire. Essoufflé après avoir beuglé comme un acharné, il reprit sa respiration.

ON PART A LA CONQUETE DE LA MONTAGNE ET ON VA RA'MNER DE L'AZUL SOUS LA BARBE DU MAUDIT PERE !

Il n'attendit pas de réaction et descendit d'un petit saut de la charrette sous les cris encourageants de ceux de son clan qui l'avaient accompagné dans la montagne. Ils étaient assez fous pour tenir parole et sans doute qu'ils allaient le faire au vu de la détermination dont ils faisaient preuves. Les plus vieux restèrent impassibles, sans doute car ils enviaient la fougue de la jeunesse ou bien leur innocence, saluant tout de même silencieusement le fait que les traditions perduraient de même que l'avancée des dawis dans la montagne.

La pluie voilait presque le paysage désormais, le vent balayait le parvis de la place et les monts alentours, la montagne pleurait ses enfants. Lentement, les corps furent déchargés un à un, les blessés qui n'étaient pas en urgence absolue se retirèrent également, trouvant toujours un frère dawi pour les aider à marcher jusqu'à l'intérieur des murs.

Hjolgrim rentra en dernier à dos de bélier, les bêtes devaient être soignées et prendre du repos. Les chariots restèrent au milieu des quelques courageux qui braveraient aujourd'hui la mousson afin d'aller porter le message du retour des défunts dans tous les bourgs alentours, afin que chacun puisse identifier et pleurer son proche lors de la cérémonie qui se tiendrait sous peu.

Karfias, second mois de l'Été
An 21 du XIe Cycle

La pluie s'en était allée, en même temps que la douleur des vivants envers les défunts.  La chaleur de la terre frappée par un soleil d'après mousson créait un paysage brumeux, ou quelques oiseaux chantaient a tue-tête tels les messagers d'un jour nouveau pour Thanor.

Dans les murs de la cité d'origine de Hjolgrim, de nombreux préparatifs avaient été faits toute la semaine. Les anciens du clan avaient été consultés, des plans avaient été dessinés, des projets posés, abandonnés pour certains, validés pour d'autres. Du fond d'une taverne jusque dans certaines allées mal éclairées de la fourmilière naine, des mains s'étaient serrées et des voix parfois, s'étaient disputées.

Un conseil interne au clan Brokkgog s'était rassemblé en ce jour.

- On va jamais atteind' l'avant poste avec c'matériel, faut élargir les passages.

Devant Hjolgrim, une carte du Zagazorn sur laquelle tous s'étaient échinés à grabouiller différentes propositions de route afin de faire le pont entre la plaine et l'avant poste. Il était évidemment hors de question de faire fondre le minerai du clan en dehors de Thanor afin de le rapatrier, c'était une question d'honneur.

Pendant dix minutes, un silence de mort vint s'imposer dans la pièce, aucun des dawis présent ne bougeait ni même ne levait sa choppe afin de s'en prendre une rasade ; dix cerveaux étaient présents ici et ils tournaient à plein régime. Au bout de ce qui sembla durer une éternité d'échanges de regards, Hjolgrim traça un doigt entre l'avant poste et la plaine, dans l'incompréhension générale.

- On va pas creuser là quand même ? demanda naïvement l'un des plus jeunes a siéger.

Tandis que certains fronçaient les sourcils, d'autres se mirent à rire grassement tout en tapant sur la table.

- On va voler, rétorqua Hjolgrim.

Le silence regagna la pièce aussi vite qu'il était parti, les regards s'échangèrent de nouveau. Voler ? Comment un nain pourrait-il voler sur pareille distance ? Quelle invention cocasse était à l'œuvre ici ?

- Voler ? demanda dans sa barbe riante son voisin.

Hjolgrim réfléchit et repositionna son doigt au tout premier avant-poste qu'ils avaient rénové sur le chemin.

- Voler. On v'mettre d'grands pilonnes là, pis on va attacher des cont'nants à des cables en fer et on v'faire passer l'azul par le ciel, pis on chargera tout ça sur la route et on f'ra des aller-retour.

L'ambiance se vit plus sérieuse tout à coup. Combien de temps cela allait-il prendre de construire une structure permettant de soutenir un cable tendu sur une telle distance ? Combien de piliers allait-il falloir jusqu'en haut ? Pouvaient-on se servir de la montagne et des falaises directement comme point d'ancrage ? Comment allaient-ils actionner un pareil mécanisme sans machine ? Cela prendrait-il moins de temps que de fabriquer un passage convenable pour laisser passer les bêtes ? Sans doute n'allaient-ils pas terraformer toute la montagne devenue a peine praticable.

- C'dangereux, on sait pas si l'azul s'ra exploitab' pendant l'rude hivers, on peut pas s'permettre de déneiger sur c'te distance. Faut pas réfléchir sur l'sol. Faut qu'en haut y minent, y mettent dans des containers et faut qu'ca arrive en bas.

Les dawis présent se mirent à boire et a remplir leur choppe ci et là, réfléchissant à cette hypothèse. Ce n'était pas quelque chose de jamais vu, ca avait du sens et c'était sans doute réalisable, mais les profits ne seraient pas immédiats si un tel projet venait à voir le jour. Le rendement en revanche serait a flux tendu.

- Pis a mi-chemin on r'fait un avant poste ou on fait l'tri entre les minerais, pis on achemine depuis cet endroit là jusqu'à Thanor.

Sur le papier, tout était forcément extrêmement facile, mais dans la réalisation il fallait voir si cela allait être possible. Bien évidemment, comme dans toute idée démocratique, celle ci avait le droit d'être contestée et elle le fût. Certains dawis prônaient l'approche traditionnelle avec des pioches, et un long débat d'une bonne heure s'ensuivit quant à savoir qui était le plus fou entre celui voulait piocher la montagne, celui voulant paver une route dans la montagne ou encore celui voulant tirer un cable trans-montagneux.

L'idée ne fut pas acceptée, mais fut tout de même soumise à l'approbation du Roi a condition que Hjolgrim puisse obtenir audience. Il proposerait ainsi tous les points de vu de chaque personne du clan et sera en charge de trancher. Le temps n'était pas à la division, et ignorer les autres afin de mettre en avant son idée coûterait cher au chef du clan.

Quelques heures s'étaient écoulées, assez pour que divers membres du clan qui s'étaient absentés revinrent les bras chargés de plans couverts de runes naines, un énorme casse tête à n'en plus finir issu du bureau des plus fous des inventeurs de Thanor. Hjolgrim ouvrit les plans un à un.

Plan numéro 1 : On élargit les passages difficiles et on surélève la chaussée, on ne pave que les endroits complexes d'accès et on laisse le va et viens faire le reste. Cela nécessitera de dégager les débris, ne règlera nullement les soucis liés à l'hiver ou aux avalanches potentielles dans certains passages, a moins de rediriger la route.

Plan numéro 2 : On creuse sous-terre sur une section donnée et on place un système de rail sous-terrain comme ceux utilisés dans les mines profondes, on utilise des chariots pour acheminer le métal. Cela prendra un temps hors norme vu qu'il faudra creuser, sans garantie de ne pas tomber sur des anciens passages oubliés. Il faudra aussi faire appel à la forgerune afin de fluidifier le trafic, et prévoir un aller-retour et un lieu de réception. La pente devra aussi être prise en compte.

Plan numéro 3 : On place des renforts à des points stratégiques de la montagne afin de faire passer le minerai par les airs via un câble trans-montagneux, ces renforts sont munis d'une ingénierie basique permettant aux câbles de coulisser. On utilise ensuite la forgerune afin de semi-automatiser le mécanisme, mais ça demandera des câbles avec un alliage dont seuls les nains ont le secret, des béliers afin de fluidifier le trafic, un entretiens irréprochable et surtout, plusieurs clans à la manœuvre.


Plan numéro 4 :

Plan 4:

Un fou rire s'empara de la salle lors de la présentation de ce quatrième plan aussi cocasse qu'imprévu. Hjolgrim observa attentivement ce plan qui lui avait été remis en balaya la pièce des yeux.

- Qui est donc l'buveur de grog qu'a fait c'plan foireux ? demanda t-il en ricanant dans sa barbe.

- C'le père qui s'fait bouter hors du volcan de rage après que t'aies ramené tous les minerais, lança Karum en riant.

Un rire généralisé accompagné de quelques "maudit soit-il" s'empara du conseil, un rire bienvenue tant la situation était sérieuse. Cela ne ressemblait habituellement pas au clan de se projeter dans de tels chantiers, mais vu que Hjolgrim s'était avancé quant au fait de la gestion du minerai au volcan, alors il fallait bien assumer les mots prononcés, pour l'honneur.

Dès lors que l'hilarité se calma, le mineur tapa un petit coup sur la table avec sa choppe pleine.

- Aucun aut' n'a de brillant'idée j'magine ?

Aucune réponse ne lui parvint. Sur les plans qu'il avait entre les mains, lui même ne comprenait pas le quart des références techniques qui s'y trouvaient. Après tout, ils avaient demandé l'aide des ingénieurs de la cité sur la faisabilité de tels projets et une chose était sûre, personne ne bougerait sans l'aval de Harald, même si ils avaient consenti à travailler de façon rudimentaire sur des plans de renforts, rails, cables ou mécanismes.

- Ren'yez ça aux savants qui font d'choses intelligentes, pis qu'ce soit prêt pour not' départ pour l'capitale.

C'était le mot de conclusion de ce rassemblement avant que les conversations ne se détendent. Le conseil du Clan Brokkgog dura une semaine complète.