Les promesses tenues [libre]

5ième énnéade de Favrius, 21:XI
Ardamir

Ardamir.
Ils étaient de retour après de longs jours de voyages, qu’Hêdirn avait passé dans un silence pensif qui ne lui ressemblait pas vraiment. Dans une sacoche délicate qu’il portait, il y avait, attendant leur heure, les objets de tant de désir et de questionnement depuis dix ans, et surtout depuis les quelques mois précédents.

L’avenir qu'ils représentaient désormais tangible, le Tamin dolan avait ressassé durant de longues heures ce que tout cela signifiait désormais pour lui, et pour le reste des elfes. Ce que deviendrait la forge elfique de demain. Irrémédiablement, ses pensées avaient aussi voguées au passé, et aux lignées de Toer Tamindal qui avaient pu, à leurs époques, vivre de tels moments. Qu’avaient-ils pensé, le jour où leurs mains s’étaient posées sur ces objets de légendes ? Avaient-ils eut le même genre d'interrogation ? Savaient-ils parfaitement vers quoi ils allaient ?

Hêdirn, lui, "seulement" Tamin Dolan en avait ressenti une puissante fierté qui l’avait habité tout le séjour dans le Lörn durant. Il avait accompli ce qu'aucun n'avait osé. Seul. Ses frères l'avaient regardés faire de loins, se cachant derrière lui, se protégeant de sa chute éventuelle. Mais plutôt que de se préserver ainsi d'un échec cuisant, ces elfes là venaient plutôt de manquer un jour qui serait plus tard notifié dans les récits et les chroniques. Un jour dont il était l'initateur.

La fierté de l'ardamiri rayonnait d'autant plus que lui ne marchait pas dans les pas de quelconques ancêtres. Il n'était pas un LasDanir, où il ne savait quel membre de noble famille, dont les exploit bordait les plus jeunes dès le berceau. Il n'était pas né un marteau entre ses main. Mieux, sa lignée et sa légende, il l’avait forgée de ses mains propres par son labeur seul et il n'y avait que son labeur pour couronner son exploit.

En réfléchissant à la fois au passé et à l’avenir, Hêdirn n’avait pas pu ne pas se remémorer la raison même pour laquelle il avait fait tout ce chemin : la destruction des outils. Cela, l’ardamiri s’était juré une chose : jamais plus ils ne seraient assujetti aux coups du sort. La forge elfique ne devrait plus péricliter. Car, bien qu'il se sente auréolé d'une certaine gloire, Hêdirn n'était pas un égoïste. Tout cela n'était pas seulement personnel. Le but était comme toujours, le bien commun.

Alors, dans un secret tout relatif, puisqu’il avait dû en informer les végétalistes qui avaient aidé l’arbre-forge à rugir une fois de plus, il s’était mis à l’ouvrage une deuxième fois, et une deuxième fois, il avait créé quelques outils d’acier véladrien. C’était ces objets-là, qu’il offrirait au regard des curieux qu’il savait déjà s’amonceler près des forges.

Les premiers, eux, resteraient sagement dans une autre sacoche, plus discrète, bien à l’abri. Plus tard, à l’abri des regards, il partirait et il les cacherait, son secret gardé par le roi seul, et un jour prochain, un Toer Tamindal, si ses camarades avaient l’outrage de ne pas le considérer lui comme digne successeur d’Halandarin.

Finalement, les immenses arbres de la cité au milles-voix se dessinèrent et Hêdirn, sortant de ses pensée, étira un sourire. Il était chez lui, triomphant.

Les murmures qui s’échangeaient au sein des forges étaient si nombreux qu’il émanait de l’immense tilleul un indistinct brouhaha. Les Tamin Dolan, tous ceux qui avaient pu se déplacer, s’étaient rejoint à Ardamir, car aujourd’hui – du moins c’est ce qu’il avait été annoncé – il serait offert une réponse à la question qui leur brûlait les lèvres à tous : Et maintenant ?

La surprise de la réussite d’Hêdirn n’était plus. Depuis longtemps déjà, les missives relatant de la bonne nouvelle – et quelle bonne nouvelle ! – avaient afflué depuis le Nord-Ouest. La forge véladrienne était à nouveau à la portée des Sylvains. Restait maintenant à savoir sous quelle forme. Que déciderait celui qui revenait avec de nouveaux outils ? Seraient-ils forcés de déjà choisir un nouveau Toer Tamindal ? Seraient-ils forcés, tous ces elfes ayant si longtemps rêvé de manier le métal légendaire ; tous ces elfes ayant pendant des siècles durant fait des provisions de pierre de Lune en attendant le jour où ils pourraient expérimenter les techniques dont ils n’ont pour la majorité jamais pu perfectionner rien d’autre que la théorie ; tous ces elfes oui, seraient-ils forcés d’en choisir un seul ? Un seul qui gagnerait le droit de réaliser leur rêve à tous ?

Et comment serait-il choisi ?

Quelque part, choisir Hêdirn était presque l’évidence. C’est après tout grâce à sa témérité qu’aujourd’hui ces questions se posaient. C’était lui qui ramenait la forge véladrienne au sein de l’Œuvre. Seulement, jamais le Toer Tamindal n’avait été l’Elfe dont les actions étaient les plus admirables. Au contraire. La lignée des Las’Danir, si elle n’avait pas créé de forgerons de si grand talent, aurait probablement été considérée comme faisant partie de la lie de ce monde. Tous jusqu’au dernier avaient été connus comme orgueilleux, difficiles, indiscret, imprudents et irrespectueux. Mais ils étaient tous sans conteste les meilleurs forgerons de leur temps.

Aucun des Tamin Dolan jusqu’ici n’avait rien fait qui puisse aisément justifier d’une telle distinction

Mais ces considérations, Cìryon était l’un des rares artistes présents à n’y porter que trop peu attention. Lui se contentait d’être heureux de voir un art si précieux rendu à ses inventeurs… tout en espérant que l’absence d’un Toer Tamindal lui donne l’occasion de jouer un peu avec le précieux métal tant que rien n’avait été décidé. Après tout, si les outils étaient entre les mains d’Hêdirn, ne suffisait-il pas de les lui demander ?

- Hêdirn !

Le Daranovan brise nonchalamment le silence de mort s’était abattu sur les forges de verre au moment de l’apparition de son collègue. Et, pareil à lui-même, se dirige vers celui qui revenait du Lörn pour passer un bras autour de ses épaules.

- Tu as une bonne nouvelle à nous annoncer paraît-il ! il sourit, taquin Allez ! Ne perdons pas de temps et dis-moi que je n’ai pas laissé mes soldats livrés à eux-mêmes pour rien !

Qu’il n’a pas abandonné ses soldats pour rien, et surtout, qu’il n’a pas passé des jours et des nuits à peaufiner ses moules et ses schémas sans raison. Cìryon n’en a absolument rien à faire de qui sera le prochain Toer Tamindal. Cìryon veut juste qu’on lui donne l’occasion de faire ce qu’il fait de mieux et de créer.

-Ah ! L’Ardamiri laissa échapper un rire franc et chaud comme il en avait l’habitude. J’ose espérer que tu ne regretteras pas ton sacrifice en effet.

Il arborait un sourire fier devant les airs impatients des uns et des autres autours de lui. Mais s’il appréciait quelque peu cet effet, lui aussi brûlait de contempler à nouveau ce qu’il transportait.
Avec douceur, il fait mine de se détacher de l’étreinte de son camarade, pour mieux embrasser la petite foule de maitres, d’apprentis et de tout elfes curieux.

Il posa son lourd sac sur une table, détacha la boucle qui fermait le tout avec une précaution presque religieuse. Puis, il vint se saisir des outils devenus presque familiers après tant de temps à les tenir dans ses mains, et les tendit au regard de la petite assemblée. Son regard revint chercher celui de Ciryon.

-Que dirions-nous de les essayer ? Lui lança-t-il d'un ton faussement innocent.

Quitter l'Anaëh a été un périple ardu dont il ne souhaitait revoir les couleurs, et l'extase le trouva dès que les cités de son peuple se révélèrent à son retour et celui de ses compagnons de voyage. Un voyage troublé par ses songes s'accumulant à chaque ennéade. Il se voyait heureux à la perspective de revoir son chez-soi, l'espoir de retrouver son atelier et marteler les frustrations internes dans son art. Pas un jour ne s'était passé sans que Gaedrath ne remue les schémas dans sa tête pour son dernier projet, si longtemps mis à l'écart pour de la politique. Cependant, un dernier arrêt était requit, une célébration, et un renouveau pour la forge sylvaine.

Gaedrath avait été témoin d'un morceau d'histoire s'écrire devant lui, alors que son confrère Hêdirn réclamait un héritage de leur art et ensuite revenir avec. Des outils longtemps perdu se voyaient à nouveau entre les mains des Talehdel, la forge sylvaine se trouvait à présent complet, similaire à la lame retrouvant sa poignée après une brisure. Un accomplissement dont il sera idolâtrer par les autres, un accomplissement dont il était juste d'être fier. Nul doute que Gaedrath était heureux de cet exploit et pour son compagnon, il avait réussi à réanimer ardemment les flammes de la forge sylvaine et permit ce renouveau afin d'accomplir des nouvelles choses pour leur art. Il avait accompli cela. Lui.

Tandis que Gaedrath, incertain, ne pouvait que regarder impuissant et sans mot Hêdirn réclamer toute la gloire. Lui, dont les doutes et l'incertitude de ses propres talents avaient tâché le potentiel derrière son rôle dans la récupération des outils. Nul doute que si Hêdirn ne serait resté en Ardamir, heureux de lui-même, ce serait lui qui reviendrait considéré comme un héro, les outils en main. Nul doute que ce serait lui qui aurait eu l'honneur de manier pour la première fois les outils et en forger quoi que ce soit. Mais il fut trop prudent, trop rongé par le doute et les craintes. Mais il était certain d'une chose, ce fût Hêdirn qui l'éclipsa.

Alors que le jour et le moment fastidieux s'approchait, Gaedrath traversait la cité d'une lenteur volontaire. Il débattait toujours dans son être s'il devait réellement rejoindre ses confrères, plutôt que les bassiner avec son attitude morose et devoir être de nouveau témoin des exploits d'Hêdirn, perçu avec grand respect et dignité. Il craignait pourtant si son absence ne serait pas reçu comme une déclaration, alors le Tamin Dolan fini par se résoudre à y aller.

Retardé par son doute, il trouva les forges de verre tandis que les forgerons se réunifièrent avec leur confrère Hêdirn au centre, toute l'attention posé sur lui, Gaedrath retint l'agace le poussant à rebrousser chemin. Et puis les outils se révélèrent devant ce rassemblement d'artisans, élégant dans leurs formes. Aucun égal dans ce monde, et il ne pût s'empêcher de pousser un soupir.

"Peut-être devriez-vous les utiliser devant nous tous, étant donné que vous avez déjà usé les outils." Gaedrath rejoignit ses collègues tout en s'exprimant à haute voix.

Il sourit à la vue de visages familiers, hochant la tête vers la direction de Cìryon dont il avait travaillé à ses côtés récemment. Mais les salutations furent brèves, car tous n'attendait qu'une chose.