Rebelote [libre]

7ième énnéade de Karfias, 21:XI

Naëlis

Le soleil déclinait lentement dans la fin de l’après-midi. C’était l’heure où la majorité des ouvriers, harassés par la fatigue d’une longue journée de labeur, abandonnait outils et chantier pour venir trouver un peu de réconfort dans l’ambiance chaude et bruyantes des tavernes.

Celle dans laquelle Viliam avait trouvé une chambre l’espace de quelques nuits ne dérogeait pas à la règle. En l’espace d’une heure à peine, la grande salle principale s’était remplie et animée d’une vie singulière. Si l'ambiance semblait légère, même animée ça et là que quelques chants typiques, le bandit de son côté broyait un peu du noir. S’il s’attendait à l’issue de l’audience qu’il avait obtenue avec le roi Naëlisien, elle n’en était pas moins décevante. Il fallait qu’il trouve une alternative, rapidement. Mais en attendant…Lui aussi trouva son réconfort dans l’alcool.

Un peu trop sans doute.

Dans un coin de l’établissement, il y avait un autre bougre qui clamait à tue-tête se trouver être imbattable aux cartes. Et il semblait bon, puisque les quelques curieux qui tentèrent leur chance n'y gagnèrent qu'une mine déconfite, voir effrayée pour certains. L'un deux une fois eut l'air de vouloir clamer sa victoire, mais au regard de son adversaire, il se ravisa étrangement. Au début Viliam n’avait fait qu’observer de loin, une partie de son esprit encore clair lui indiquant clairement que ce n’était pas une bonne idée. Quelques bières de trop eurent raison de cette partie lucide…Et voilà qu’il avait fini par défier l’homme qui faisait miroiter une sacré somme… Il connaissait plutôt bien le jeu qu'il proposait, un jeu typique de l'ithri'Vaan, mêlant bluff, chance et un peu d'arrogance.

Et… contre toutes attentes, il gagna.

S’il avait éclaté de rire à ce moment-là, son adversaire lui n’en revenait pas et se leva d’un coup pointant un doigt accusateur envers le thaari.

-Hé t’as triché !
-Du tout l’ami. Viliam leva ses mains après avoir récupéré ses gains calmement. Le hasard a simplement parlé.
-Tu parle. T'a rien gagné du tout mon gars, rend moi ça ou tu sortira pas d'ici. Tu sais pas a qui t'a affaire, tout le monde le sait ici, on me défie pas comme ça.

Évidemment, le type énervé, probablement aussi éméché que son adversaire sortit les poing…Mal lui en pris car il finit immédiatement avec la pointe d’une rapière entre les cotes et un regard noir le défiant d'agir. Mentalement, Viliam soupira. C’était à prévoir, ça finissait toujours comme ça. Maintenant l’entièreté de l’établissement observait l’altercation et il régnait un silence...dérangeant. Heureusement, cela sembla rapidement calmer le malheureux perdant, qui se renferma et finit par abandonner, préférant partir la queue entre les jambes plutôt que de risquer le conflit et l’arrivée de la garde. Non sans promettre une vengeance que le bandit était certain de ne jamais voir.

-Santé ! ne put-il s’empêcher de provoquer, levant sa chope de sa main libre.

Viliam se laissa ensuite lourdement retomber sur sa chaise qui grinça, faisant mine d’ignorer les regard alentours. Tout doucement, le brouhaha revint, preuve que l'incident était clos. Il lui faudrait probablement rapidement partir trouver un autre abris pour la nuit, les tenanciers n'appréciant probablement pas beaucoup cet éclat, qu'il s'était pourtant promis d'éviter mais pour l’instant, il noierait ce problème-là de la même façon que les précédents.

Finn tenait difficilement en place. On lui avait enfin confié sa première mission. Il devait aller porter la commande d’un client de son oncle, une épée longue qu’il tenait attachée sur son dos et qui ne l’avait pas quitté depuis qu’il était parti de la forge. Ce voyage l’obligeait à passer une nuit dans une auberge. Enfin, deux, en prenant compte du voyage de retour. Il avait souvent fait la route avec son oncle, mais cette fois, il était tout seul et le sentiment qu’il éprouvait en cet instant était tout simplement glorieux. Aujourd’hui, il était enfin un homme! Difficile à croire lorsqu’on le voyait. À 18 ans, il avait encore l’air d’un gamin à peine sorti des jupes de sa mère. L’impression était renforcée par le fait qu’il regardait partout, émerveillé comme s’il n’avait jamais posé les pieds ici alors qu’il connaissait très bien l’endroit. Lorsqu’il poussa la porte de la taverne, Finn ne put s’empêcher de sourire, un peu stupidement sans doute. Il souriait encore lorsqu’il paya pour un lit et encore plus lorsqu’on lui apporta son repas et la chope de bière qui l’accompagnait. Cette fois, il n’y avait personne pour lui dire de faire attention. La gorge sèche, il plongea son hésiter dans sa chope, la bière étant réputé pour être très bonne dans cet établissement.

Finn commençait à en ressentir les effets lorsqu’il fut témoin de l’escarmouche. Ça arrivait tellement souvent que les gens n’y prêtaient plus trop attention à moins que le ton ne lève vraiment et que les coups commencent à pleuvoir. En fait, Finn observait la scène depuis le début et il avait vu l’homme qui clamait être victime de la malhonnêteté de son partenaire de jeu échapper une carte qu’il gardait dissimulée sur lui. N’ayant pas pu la récupérer discrètement, il avait préféré faire le plus de bruit possible afin de détourner l’attention. Finn trouvait cela vraiment amusant. Il attendit que le mauvais perdant se soit éloigné pour se lever de son siège. Il ne s’attendait pas à ce que le monde tourne autant en se mettant debout. Il réussit tant bien que mal à se diriger à l’endroit où la carte était tombée, mais, déstabilisé par le poids de l’épée qu’il portait sur son dos, il trouva plus facile de finir le reste du trajet à quatre pattes. « Ah! » Il leva le bras, triomphant. Dans sa main, il tenait la carte. « J’ai vu l’autre type échapper la carte », expliqua-t-il à Vil qui n’avait probablement pas envie de l’écouter, mais qui allait le faire de toute façon. Finn se hissa sur le banc, là où le tricheur était installé un peu plus tôt. Il posa la carte sur la table, visiblement très fier de lui. « C’est lui le tricheur, pas vous. Il y a des gens vraiment malhonnêtes. » Il hoqueta, offrant son plus beau sourire d’ivrogne à Vil.

Finn:

Dans un coin de la salle, un peu isolés, se trouvent deux elfes visiblement plongés dans une longue discussion que bien peu d'oreilles indiscrètes pourraient entendre. Mais leurs propos ne concernent probablement qu'eux étant donné leurs attitudes respectives. L'un est assez robuste, tout du moins pour un elfe. Malgré sa cape, on voit que ses épaules sont dessinées et il se tient bien droit, tel un militaire. L'autre a une apparence que l'on qualifierait plus d'étrange qu'extravagante. Si ses traits ne permettent pas de savoir s'il s'agit d'un homme ou d'une femme, ses expressions et sa gestuelle mettent tout autant le doute. Ses longs cheveux blancs sont attachés en un chignon désinvolte. Il porte une tenue de voyage assez près du corps, si ce n'est une cape enroulée autour de ses épaules qui masque le haut de son buste.
Les deux êtres parlent sans se lasser, jusqu'à ce que le dispute éclate. L'elfe aux allures de soldat tourne alors la tête vers cette section de la salle tandis que son homologue ne cherche pas à récupérer son attention, comme s'il laissait sa nature s'exprimer. Même après que le calme soit revenu, il ne les quitte pas des yeux et il fait bien... Un petit jeune se mêle à l'histoire et le militaire voit celui qu'il accuse de tricherie devenir rouge tomate. Il lâche alors la main de son interlocuteur -qu'il serrait avec douceur- pour se lever et aller vers lui.

-C'est qui qu't'accuses de tricher gamin ?! J'vais t'apprendre, tu vas voir !!

Alors que le type ne se trouve qu'à deux pas du jeune homme, brandissant une choppe de bois avec laquelle il prévoit manifestement de le frapper, il se retrouve soudainement coupé dans son élan. En un instant, le voilà avec le bras tordu dans le dos, le visage plaqué contre le bois d'une poutre toute proche, incapable de bouger même s'il essaie malgré tout de lutter. Mais cela fait partie de la formation de tout soldat que de savoir maîtriser un homme en colère, quelque soit sa corpulence et sa détermination. Et l'archer ne flanche pas.

-Je crois qu'il est temps de trouver un endroit pour te calmer, l'ami. Lui annonce l'elfe qui, en chemin, a pris le temps de repousser sa cape derrière ses épaules afin d'affiche son uniforme et ses galons. Dire que j'étais même pas en service... Peste-t-il pour lui-même. Puis il se retourne vers l'androgyne qui l'a suivi de quelques pas.
-On se retrouve plus tard. Répond-il à son air désolé, souriant paisiblement afin de lui assurer que ce n'était rien. Même s'il est vrai qu'ils ne se sont pas vus depuis plusieurs mois, qui est-il pour lui reprocher de faire son devoir ?
-Que vas-tu faire ?
-Ce que je fais de mieux. Lui rétorque-t-il d'un ton mystérieux que son amant lui connaît si bien.

Le militaire hoche la tête en guise de réponse puis décolle l'homme de la poutre d'un geste vif et lui impose d'avancer vers la sortie tandis qu'un serveur leur ouvre la porte. Pendant ce temps, Andrea se retourne vers les deux "victimes" de l'importun, attardant plutôt son attention sur le tout jeune homme. Il lui sourit à lui aussi et lui parle de sa voix douce et légère.

-Tu devrais te montrer plus prudent. Tu vas bien ?

Se faisant, il tourne également son regard vers le second protagoniste de l'histoire, l'impliquant ainsi dans la discussion. Il ne doute pas que cet homme en a vu bien d'autres et que ce n'est as cette petite escarmouche qui l'a déstabilisé.

Viliam avait tendu sa main au gamin qui s’écroula soudain à quatre pattes non loin de lui, une carte dans ses mains. Bon décidément ça allait être de ces soir où rien ne se passait tranquillement…Ce n’était visiblement pas une tradition Thaarie.

Mais avant qu’il ne l’aide réellement, le jeune homme eut le malheur de provoquer de quelques mots mal placés le malheureux perdant précédent pas encore assez éloigné…qui se retrouva aussi vite maitrisé par un soldat visiblement présent en civil… Viliam laissa échapper une légère grimace en le voyant emmener le perturbateur au dehors. Le bandit n’appréciait que très peu se faire remarquer de soldats, même en terrain neutre... A force, c’était devenu un réflexe de survie que de se faire oublier des hommes d’armes… Baisser les armes à Naëlis n'était pas un comportement naturel, encore moins en provoquant à moitié un conflit.

Les bras croisés, son regard se détacha difficilement de la porte par lequel le duo avait disparu alors qu’un énième protagoniste s’approchait. C’était un elfe étrange, très androgyne. L’espace d’un instant, il lui fit penser à Sacha, un jeune garçon alchimiste rencontré quelques ennéades plus tôt et dont les manières féminines et masculines à la fois cachaient sans doutes quelques secrets. Cependant cet elfe-là ne semblait au premier abord pas avoir grand-chose à cacher. Il semblait même particulièrement à l’aise pour se mêler à la situation.

-Quitte à rester prudent, je ne sais pas si c’est judicieux de rester ici. Je crois qu’on a tous un peu trop attiré l’attention pour la soirée… Marmonna-t-il.

Viliam lorgna sur quelques silhouettes alentours, dont les regards s’étaient à nouveau tournés vers eux, moitié amusés moité agacé par l'agitation hostile qu'ils provoquaient. Ils allaient finir par se faire ficher dehors à continuer comme ça…

Dans son état actuel, Finn n’était plus en mesure de réagir au danger comme le ferait une personne normale. L’autre homme l’avait entendu, évidemment. Il n’était qu’à quelques mètres de là lorsqu’il déclara haut et fort que c’était un tricheur. Lorsqu’il revint vers lui en brandissant sa choppe comme d’une arme, le jeune homme se contenta de lever les yeux vers lui. Il y avait manifestement un délai entre ce que ses yeux voyaient et ce que son cerveau en tirait comme information. Il resta là, sans bouger, la bouche légèrement ouverte lorsqu’un homme s’interposa dans la conversation, évitant à Finn de recevoir un coup. Enfin, pas un homme. « Oh… un elfe ! » Fit-il remarquer sur un ton joyeux alors qu’il le regardait escorter le voyou à l’extérieur de la taverne. Apparemment, il n’avait toujours pas compris qu’il avait échappé de justesse à la catastrophe.

C’est alors qu’une autre personne s’approcha de leur table. Décidément, il était populaire ce soir. D’habitude, les gens ne lui prêtaient pas vraiment attention. De sa jeune vie, il n’avait jamais vu quelqu’un avec une apparence aussi singulière et il en avait vu des drôles de bonhommes. Il parlait d’une voix douce avec un sourire doux et Finn se retrouva complètement transi. « Vous êtes tellement jolie », dit-il, ignorant complètement la question que l’elfe lui avait posée. En même temps, pourquoi ça irait mal? Il avait encore l’épée qu’il devait livrer, personne ne l’avait frappé et la bière était bonne. Il hoqueta. D’ailleurs, son pichet de bière se trouvait encore à l’autre table. Il devrait peut-être essayer de le récupérer…

« Hey! Non… j’peux pas partir. J’ai payé pour dormir ici… et j’ai pas fini ma bière. »

Il se leva, décidé à aller la chercher, mais il retomba aussitôt assis. « Ça tourne… Pourquoi ça tourne autant? » Ils avaient attiré l’attention, mais là les autres clients voyaient à quel point le gamin était ivre, ce qui en fit ricaner quelques s’un. « Il est complètement bourré ce garçon! » S’exclama l’un d’eux, provoquant l’hilarité. « J’suis pas bourré », rétorqua Finn avant de se tourner sérieusement vers Vil. « C’est quoi bourré? »