[Politique Elfico-Naine] Le pacte d'il y a Six-Mille ans

4e ennéade de Favriüs
21e année du Onzième Cycle
Enclave Elfico-Naine du Lörn

Le jour était finalement venu. Comme la fois précédente, de manière à passer le moins de temps possible sur des routes devenues dangereuses, ils avaient voyagé en comité restreint. Cette fois cependant, votre suite était particulièrement sensible. D'autant plus sensible que - pris par le temps - tu n'en faisais pas partie. Un convoi fait d'un Tamin Dolan et de trois grands Végétalistes d’Ardamir n’était pas de ceux que l’on pouvait se permettre de perdre aux caprices de l’Œuvre. Seulement, sachant ce que vous vous apprêtiez à faire, il avait été rapidement décidé que le risque en valait la chandelle.

C’est à tire d'ailes, que tu les avais rattrapé. Et c'est avec Sû, à quelques minutes près de leur arrivée, que tu avais fait la tienne. Vos visages déjà flanqués d’un air solennel vous aviez traversé le campement. Et comme il l’avait été convenu lors de l’entrevue du mois précédent, plutôt que de vous présenter sous la grande tente, vous en aviez gagné la pointe Nord-Est. Là vous aviez attendu les Dawis avec qui ce moment devait être partagé. Vous les aviez salué, le coeur enflé par une émotion entre crainte et excitation. Puis l’instant était venu.

Les visages des elfes se tournèrent vers le Tamin Dolan, qui s’avança de quelques pas. Les trois végétalistes reculèrent, tandis que tu t’avançais pour dépasser le forgeron. Ainsi un cercle fut tracé autour d’Hêdirn, dont la tâche commençait maintenant. La main du forgeron se saisit de la graine, fille de l’Arbre-Forge de sa Cité natale, et l’enfonça dans la glaise.

Vous quatre, mages commencez votre danse. Les Ardamiris tissent, étreignent la vie elle-même de leur doigts, touchent de leur esprit le minuscule bourgeon encore enfermé dans sa coque. Ils dessinent, ils lui dessinent un futur proche, un futur qui ne devrait pas être le sien avant des décennies, des siècles peut-être, mais qu’ils peuvent – s’il l’accepte – lui offrir. Les Chants résonnent, et l’un des trois Ardamiris leur offre de sa propre voix, de sa véritable voix, celle que tous peuvent entendre, une mélodie en écho. Le cantique du sorcier prend possession de l’espace, réduit au silence le reste du monde, et captive, de bien des manières, toutes les oreilles tendues.
Bientôt les résidents de l’enclave se trouvent presque forcés d’abandonner leurs tâches. Car devant un instant historique, lutter contre la curiosité est bien trop difficile. Les regards se portent vers vous, vers ce moment, vers ce pacte vivant, vers le futur symbole de votre entente. Et quand tous les yeux admirent l’à-venir, le sortilège du végétaliste se scelle.

Ton esprit s’accroche à la pulse, l’éther flamboie autour de toi comme un millier de flammèches au vent, comme une nuée de pétales dans la tempête. Ton sceptre tourne entre tes mains, de toute tes forces tu tires à toi la Trame, de toutes tes forces tu alignes ensemble les pulsations de ton monde. Et l’écaille de dragon d’Or au bout de ton sceptre répond à ton coeur. Et les écailles dans ton dos répondent à ton effort. Et la seconde peau qu’est ta nouvelle armure, née de ces écailles, brille avec elles. Et tu frappes la terre de ton sceptre, en tant que la dernière pièce du puzzle.

Tu accroches au tressage ses derniers fils, et alloues tes forces en conduit à leur rituel. Ta puissance vient s’offrir à la minutie des trois d’Ardamir. Et à vous quatre, vous arrachez le bourgeon du sol. La graine devient jeune pousse, la jeune pousse devient arbrisseau, l’arbrisseau devient arbre, l’arbre de vient monument. Le Cœur du Tilleul rougeoie puissamment.

Aux forgerons maintenant, d’en user à bon escient.

La tenue du moment:

C’était le genre d’instant qu’Hêdirn savait n’avoir l’opportunité de vivre qu’une seule fois dans sa vie, aussi longue fut et sera-t-elle.

Pourtant longuement préparé à ses instants, qu’il avait par ailleurs lui-même provoqué, il avait tout de même eu un léger vertige lorsque la graine revint dans ses mains, mesurant soudain réellement l’ampleur de l’évènement. Aujourd’hui, plus que conjectures et pourparlers, ils étaient réellement, physiquement en train de modeler l’avenir. Cette petite graine minuscule dans ses mains épaisses, elle représentait tout un pan de l’avenir de deux peuples. Tout ce qu’adviendrait désormais les cités elfiques, alors que petit à petit, une graine après l’autre, elles reprenaient possession de leur passé.

Et puis il y avait autre chose de plus personnelle, presque intime, pour l’ardamiri. Une part de son sang était noss et ce rituel, cet acte de donner la vie à un nouvel être tiré de l’arbre maitre de sa cité n’en devenait que plus profond encore. La symphonie battait à ses oreilles avec une ampleur rare lorsqu’il plia les genoux. Il laissa passer une seconde, laissant dans les airs une prière muette et déposa le minuscule début d’arbre au sol.

Ensuite, sous les chants de ses compagnons, il recula d’un pas, observant la pousse devenir l’arbrisseau, puis l’arbrisseau devenir arbre. Et les rêves, devenir réalité tangibles.
Les chants des elfes finirent par se taire, bien que ceux des arbres, eux continuaient à chanter leurs espoirs et le joie pour cette vie nouvelle.

Alors, le Tamin Dolan se tourna vers son compatriote Ondur, attendant qu'il s'avance à son tour et pour qu’ensembles ils forgent leur nouvelle entente.

Tenue d'apparat:

L’enclave allait devenir ma nouvelle demeure. Ce n’était pas possible autrement. Y rester je veux bien. Ne pas y rester, je le souhaite encore plus. Mais ces allers-retours allaient vite me prendre la caboche. Cependant il le fallait, c’était comme ça. Au moins, j’avais une chambre, un endroit aménagé pour moi, les nains y étaient bien accueillis. Et malgré tout, les elgis n’étaient pas si insupportables. La dernière fois, ils ne s’étaient pas si mal tenus pendant le repas. Ils avaient mangé goulument, bien bu, sans se plaindre. Puis le calme était revenu, et tout le monde était reparti. Nous nous étions accordés pour se rejoindre dans la 4ème énnéade de Favrius, afin de se réunir autour d’une forge.

Mais je pense que je n’avais pas bien compris la “forge”. Le terme elgis m’était familier. Il était connu que les elfes ne forgeaient pas dans la pierre et le charbon, la nature morte. Mais bien dans le vivant, dans un arbre, capable de faire monter la température de ses alcôves aussi fortement qu’une forge de village. Je n’en avais jamais vu de mes propres yeux, et les elgis avaient promis d’en faire pousser un, à une vitesse surnaturelle. Leurs capacités magiques allaient sûrement faire leur travail, afin de cette forge soit conçue le plus vite possible, que les outils soient forgés le plus rapidement possible afin que tout le monde rentre chez soi.

En parlant d’outils, c’était ma responsabilité de les apporter. De les retrouver, déjà. Mon clan n’en avait pas. C’était sans compter la communauté de forgerons et mon aura, ma réputation. C’est ainsi que j’avais rassemblé les outils véladriens, protégés par une pochette en cuir, dans un sac fermé. Je n’avais pas envie de les perdre, de me les faire voler. Ces outils étaient inestimables à mes yeux. Et le semblait encore plus aux yeux des elfes.

C’est ainsi que je retrouvais mon confrère d’artisanat (dont la relation se limitait bien à la pratique de la forge) afin de commencer ce qui semblait être un rituel. Hêdrin, qui était son nom, s’avança au centre, et planta la graine fermement dans le sol. Puis les chants commencèrent. Même sans comprendre le sens, ou le but de ces paroles, ces vocalises étaient tellement puissantes dans leur effet qu’elles suscitaient la curiosité. Pouvaient même hypnotiser. Bientôt, ce fut tout un public qui s’avança, d’un oeil curieux et effrayé.

Le Roi des elgis, munis d’une sorte de sceptre d’or, frappa la terre. Il semblait illuminé par le soleil. Ce fut comme un signal pour la plante, qui pointa hors de la terre. Puis tout se déroula hors du temps. La petite pousse grandit, comme si le temps avançait pour elle seule. Elle poussait harmonieusement, sans se précipiter. Les années s’écoulaient pour elle, tandis que pour nous, ce n’étaient que des instants. Les chants des elgis continuaient leur sorcellerie.

Puis le silence se fit. La plante, désormais arbre au tronc solide, étendait des branches de part et d’autres du cercle précédemment tracé. A travers le tronc pouvait être perçu des reflets rouges, dans des alcôves. L’arbre nourrissait déjà son feu intérieur, à peine réveillé.

Puis je remarquais qu’Hêdrin me regardait. Il était temps pour moi de m’avancer, et d’apporter ce que j’avais promis d’apporter.Muni de la besace en cuir, je m’avançais alors vers l’arbre. On pouvait y ressentir la chaleur d’une forge, presque surnaturelle. Mais je ne reculais point. Voyant que toute la procession précédente s’était réalisée dans un certain silence et un certain respect, je ne voulais pas me faire remarquer, au milieu de cette foule. Je me contentai d’ouvrir la pochette et de me munir des pinces d’acier véladriens. En les révélant à la lumière, elles prirent un éclat bleuté. Je les tendais alors à l’artisan elgi, pour qu’il s’en saisisse.

La voix de l’Elfe ne résonne plus, mais il n’est pas encore temps pour la magie de s’éteindre. Au centre de votre cercle, l’Anedhel et le Dawi se tendent la main. Liés par la forge, les deux peuples s’unissent à nouveau. Alors il est temps que la forge rugisse.

Des volutes d’éther comme des flammèches en perpétuelle floraison continuent de danser autour de toi, et celui des Trois dont le cantique s’était élevé ferme les poings. Il les porte droit devant lui. Puis ses paumes s’ouvrent. Ses lèvres se séparent, et la vieille langue, celle qui n’existe plus que dans votre théâtre et vos anciens livres s’en échappe.

- Notre Flamme l’embrase pour qu’y soit façonné notre Sang. Notre Sang y brûle pour que vivre notre Art.

Et en réponse à ces mots le cœur du jeune tilleul gronde. À la surface de son écorce un peu du blanc s’arrache pour être soufflé par le vent. L’immense arbrisseau rougeoie comme s’il était Ancien. Il jubile de posséder – l’espace d’un instant – ce pouvoir qui n’est pas le sien. Dans sa joie il rit, et son rire n’est autre que ce craquement si familier à ceux qui connaissent les Grandes Forges.

La fraîcheur d’automne disparaît soudainement, chassée par la fournaise mugissant au sein de l’écorce. Le four, dans sa plus primaire expression, était prêt. À Hêdirn maintenant, l’honneur de plonger dans les flammes le fruit de la Forge Ondur, qu’à partir de son noyau la Forge Anedhelle reprenne racine.

Finalement, Hêdirn se vit remettre les précieux outils. Là, à nouveau, il laissa un instant passer, fixant le métal bleuit entre ses mains. 780 ans. Cela faisait 780 ans qu’il rêvait de ce moment. 780 ans que le forgeron nourrissait l’ambition de tenir cet acier légendaire. Aujourd’hui, voilà qui était fait. Maintenant il fallait se montrer digne.

-Puisse Bain Aran guider ma main. Souffla-t-il.

On avait déjà apporté une enclume et les quelques lingots d’acier véladrien requis pour l’exercice. Hêdirn roula des épaules, déposa les précieux objet à l’exception d’une paire de pince et se saisit du métal.

Il y avait une certaine solennité dans ses gestes lorsqu’il plongea une première fois le tout dans la fournaise intense du jeune arbre forge. Il pouvait sentir le feu presque lécher ses poings protégés par d’épais gants de cuirs et cette sensation, plutôt que de l’effrayer, sembla le ragaillardir davantage. Ses yeux d’or brillaient avec autant d’intensité que les flammes de l’arbre devant lui.

Dès lors où il s’était attelé à sa tâche, rien n’exista plus autour de lui et tout son être sembla se dévouer à la seule et unique tâche de sa délicate création. En peu de temps, il se mis à suer à grosses gouttes, mais il tint bon, maintenant ses pinces au creux des flammes.

De longues minutes s’écoulèrent avant que le lingot ne prenne une vive couleur blanche, signe qu’il atteignait la température de fonte requise. Alors, il le sortit du four, le déposa sur l’enclume et après l’épreuve d’endurance commença le travail de force.

D’un rythme tranquille, le Tamin Dolan frappa sur le morceau incandescent. Dans le petit camp résonna alors les coups de marteau réguliers. Le métal s’aplatit, puis plia sous les outils du forgeron, qui prenait tout son temps pour découvrir le matériau et ses propriétés. Rares –quoi qu’indispensables- furent les pauses que l’Ardamiri s’autorisa et ce fut finalement à la nuit presque tombante, après une longue journée d'intense -mais ô combien gratifiant- labeur qu’enfin, il plongeait deux nouveau objets dans un bac d’eau froide.

Alors, sur l’enclume, il finit par déposer une paire de pince et un marteau fait du même acier.

De reflets bleu-vert d’une infime luisance, les deux objets n’étaient pas gravés, ni rehaussés de matières précieuses, mais à eux seul, ils étaient malgré tout dotés d’une beauté simple, discrète mais qu’on ne pouvait ignorer en les observant. La tête du marteau notamment, était délicatement damassé en motifs semblables à quelques feuilles soigneusement alignées. De part et d’autres, on pouvait aussi entrapercevoir des cornes entrelacés dans le lierre. Les mêmes motifs à la fois simples et complexes se retrouvaient sur les manches des pinces. C'était là des outils voués à servir certes, mais à l'image de l'artisanat elfique, l'Ardamir en avait fait de véritables pièces d'arts. Les première pièces de l'art véladrien qui venait tout juste de renaitre.

Dans l'idée:

La cérémonie elfique n’était point encore achevée. L’un des elgis entonna ce qui semblait une phrase, dans une langue qui ne résonnait point à mes oreilles comme quelque chose de connu, que j’avais entendu un jour. L’arbre gronda en réponse, et une chaleur se diffusa brusquement. Le grondement ne cessa point. On aurait dit que quelque chose s’y consumait. Du carburant infini. Pourtant, à travers son épaisse tronc, il ne semblait pas se brûler lui même afin d’alimenter ce feu. Pas d’odeur de charbon, de calciné ou de brûlé. Mais la même chaleur d’un immense feu dans une cheminée de pierre.

Ce n’était pas à moi d’y toucher en premier. Mon travail avait été ainsi réalisé. Ils avaient apporté le feu, j’avais apporté le fer. L’artisan elgi se saisit du reste des outils, fixant l’éclat bleuté des pinces, qui rayonnaient encore plus au fur et à mesure qu’elles se rapprochaient de la lumière de la forge. Il se saisit alors, avec les pinces, des précieux lingots qui avaient été apporté, et plongea le tout au coeur de l’arbre. Le jeune arbre, dans un élan d’enthousiasme qu’il était difficile de donner à un végétal, sembla gronder, comme pour se réchauffer encore plus. Dans ma poche, je me saisis de mes modestes gantelets, noircis par le charbon et les braises minérales. L’elgi aurait peut être besoin d’aide. Il n’en eut pas besoin. Pourtant, la chaleur semblait écrasante. Ma barbe commença à se mouiller de sueur, et des gouttes dégoulinaient à l’endroit où elle avait brûlé. L’artisan forgeron sortait alors le lingot et commença à le façonner. Comme beaucoup, j’aurai pu partir, vaquer à mes occupations. Mais lesquelles? Ma seule utilité était d’être ici, hypnotisé par le bruit incessant du métal. Je découvrais également ce métal que je n’avais jamais façonné, comment l’autre le façonnait.

Le soleil continua sa course autour de nous, et lorsque la journée toucha à sa fin, l’oeuvre fut réalisée. Je me retenais de les saisir, et je me contentais de détailler la finesse de ces nouveaux outils, que j’avais pourtant vu naître coup après coup. Le style des outils était bien différent des dawis. Il était étrange, mais teinté d’une certaine beauté, d’un certain respect. Encore une fois, je fus tenter de les saisir, de les manier. Mais je ne m’y autorisais pas. Je respectais l’oeuvre et le maître de cette œuvre, qui devait lui même juger sa création.