Animal blessé [PV Lynn]

Quelque part non loin du lac Uraal se trouve une maison sylvaine installée au sommet d'un arbre. Cachée par la végétation dense, seul un sentier chaotique à peine visible témoigne du passage régulier de rares souffles qui osent s'aventurer aussi loin des villes. Le pisteur remarquera parfois des traces d'animaux mêlées à de rares traces d'elfes, signes d'une activité Noss dans la région.

L'habitation qui part du sol vers le sommet du gardien ancestral est composée en grande majorité de bois d'arbres déjà morts, certaines planches comportent parfois des nœuds noircis, la preuve qu'elles ont été débitées après un incendie.

Le soleil perçait déjà au travers des cimes des arbres en cette fin de matinée. Les oiseaux chantaient a tue-tête leur hymne depuis bien longtemps. Certaines fleurs sont déjà ouvertes, s'étant fermées afin de passer la nuit. Ici, aucune pollution sonore ne vient transgresser la symphonie des alentours, celle-ci est calme, appaisée, chaque chose semble être plus ou moins en harmonie.

Assise sur l'une des rembardes du second étage, l'Alchimiste semble être occupée a observer minutieusement un flacon de verre contenant une substance a peu près translucide. Cette dernière contient pas mal d'impuretés en l'état. Son regard est contrarié et elle est pour l'instant peu concentrée sur son environnement. La symphonie change légèrement, et ce qu'elle prend alors pour quelque chose de normal est finalement l'arrivée d'une étrangère a la forêt, mais elle le remarque si tard que ses yeux ont déjà perçu l'invitée avant son instinct, ce qui était chose rare. Elle n'avait pas eu le temps de discuter plus en avant avec Lynn, mais de par le fait qu'elle parvienne à la surprendre en forêt en disait déjà beaucoup.

- Voici donc la chasseuse venant chercher sa proie, bien moins néfaste pour le chant que bon nombre des citadins, m'aurais-tu caché tes talents ?

Illynora ne regarde plus vraiment dans la direction de Lynn, sans doute car cette dernière a remarqué qu'il ne s'agissait pas d'un danger.

- J'imagine que je ne t'apprendrais pas non plus à monter aux arbres ?

L'ascension n'était pas difficile, bien que l'on pouvait passer par plusieurs chemins afin d'arriver jusqu'a elle. Soit par la voie normale, soit par un peu d'agilité bien dosée, tout dépendait de l'humeurs de ceux étant habitués à évoluer au sein de la forêt profonde.

On trouve en cet endroit les animaux les plus communs et innofensifs de la forêt, et spécifiquement - chose nouvelle d'ailleurs - une petite invasion de mulots qui prospèrent et sautent parfois des hautes herbes.

Rien ne semblait perturber la concentration de l'elfe a ce moment précis, elle entendait aux bruits sous elle que son invitée avait décidé d'emprunter un chemin des plus atypiques. Elles n'étaient pas l'exception loin de là, mais le citadin commun mettrait plus de temps à faire la même chose, avec peut-être davantage d'hésitation quant aux prises à emprunter.

Partiellement surprise, elle redescend le flacon de l'horizon afin de se retourner, se concentrant sur Lynn qui venait de s'asseoir non-loin d'elle.

- C'est drôle, tu as fait le parcours inverse du miens, déclara t-elle d'une voix douce, que fais une nomade dans la cité de pierre ?

Pour fréquenter différentes Noss, l'alchimiste voyait clair. Elle n'était pas la seule à montrer autant d'aisance, les soldats, les archers, bien des membres de la garde royale ou d'autres plus agiles pouvaient prétendre en faire autant. Mais il y'avait quelque chose de plus quand on avait évolué en forêt ; Un nomade était à la forêt ce qu'un virtuose était à la musique : Doué et un peu plus.

- Bien peu de ceux qui parviennent jusqu'ici seuls me dérangent, Lynn.

Venir ici, il fallait le vouloir. Soit c'était une urgence et dans ce cas elle répondait à un devoir sans rechigner, soit c'était pour le commerce ou enfin, pour simplement discuter. Pour cette dernière option, il fallait vraiment être appréciée pour qu'un citadin puisse faire une demi journée de marche dans la forêt dense tout ça pour parler de la pluie et du beau temps. C'était l'avantage de vivre perdue au milieu de nulle part, on ne venait que rarement pour des balivernes.

Illynora ne s'attarda que peu sur le spectacle qui s'offrait à elle mais assez pour vérifier l'état de santé de l'oiseau d'un coup d'oeil. Pas de blessure, pas de choses bizarres, pas de problème donc.

- Absolument pas, j'ai bien peu de tolérance face à la nécromancie. Je suis en vie alors c'est une consolation comme une autre, mais cela aurait pû être évité avec un peu moins d'amateurisme. Une telle démonstration de force brute n'est que l'aveux d'une piètre préparation.

Ce genre de magie et de violence n'étaient à ses yeux qu'utilisées a cause d'une série de fautes grossières imputables à plusieurs personnes. Peut-être même à elle même pour avoir cédé quant au fait de dormir dans cette ville étrange dont la nature était si distordue.

- Et toi ?

Illynora lui retourne la question en souriant brièvement - une scène rare dans la cité - avant de se diriger vers un placard du second étage d'ou elle sortit une corbeille de fruits qu'elle vint déposer au milieu de la table, poussant au passage du dos de la main quelques fioles identiques à celle qu'elle tenait en main.

Elle fit un geste à Lynn afin de lui proposer de s'asseoir et d'avaler quelque chose.

- Je serai ravie de t'accueillir plusieurs jours si tu as besoin de repos, mais pas de hurlement de terreur.

Ses reflets blonds brillèrent légèrement au soleil alors qu'elle leva l'index.

- Ni de joie. Ni d'aucune sorte d'ailleurs.

Elle sourit simplement avant de s'appuyer dos à la rambarde, bras croisés.

Illynora ne remarqua pas le visage de Lynn, trop occupée à scruter sa fiole. Cette dernière se décida cependant à arrêter temporairement cette petite expérience au moment ou l'elfe s'asseoit à table. L'alchimiste fit alors de même et déposa le contenant.

Coudes posés sur la table, la tête entre ses mains elle écoute attentivement Lynn, l'air fatiguée et à la fois intrigué.

- Nous avons tous eu des expériences marquantes au cours de notre vie, ne t'excuses donc pas pour ça.

Illynora venait de taper au hasard, mais le chant ne l'avait que peu affecté au moment ou Lynn avait fait sa crise et par le fait, elle trouvait cela fort étonnant que seule elle avait été affectée. Cela cachait sans doute quelque chose, et par déduction logique L'ermite avait supposé avec affirmation la seule chose probable qui lui venait en tête, sans en avoir de preuve néanmoins.

En dehors de la nature sauvage suivant son cours, le chant des oiseaux - qu'ils soient de proie ou butineurs - ainsi que le vent faisant frémir les branches des arbres qui répondaient par le bruit de leurs feuilles froissées, aucun autre son ne pouvait être perçu. Le chant ici n'est pas aussi fort que par endroits, mais il appelle à une certaine communion avec lui. Les fruits sont des fruits, et si elle est habituée à ceux poussant dans la forêt dense - que ce soit des baies, des noix ou d'autres produits plus propres à la forêt d'Anaëh - alors elle ne trouvera rien de surprenant dans ces derniers.

- Quelques jours seulement ? demanda t-elle en souriant c'est ce que je me suis dit quand j'ai quitté les cités, et depuis je me sens mal rien qu'a naviguer au sein de la foule.

Elle s'interrompit puis s'adossa dans sa chaise, quittant sa posture attentive l'espace d'un instant. Elle observa le poignet de son invitée sans trop commenter, préférant ne pas lui faire remémorer cet évènement, surtout si elle se sent responsable.

- C'est comme si tu passais plusieurs jours en harmonie, et que d'un coup tu te retrouvais au centre d'un essaim bourdonnant, en emulsion constante. Je trouve que c'est très désagrable.

A bien y regarder, elle avait l'air moins encline a embêter le monde quand elle était dans son élément en commité restreint. Peut-être que malgré son caractère inné, Illynora était moins tendue dans son petit univers, ce qui n'avait pas grand chose d'étonnant avec le recul.

- Je te ne forcerai pas la main, mais si tu as envie de parler je suis toute ouïe, d'ailleurs, je n'ai jamais entendu parler de ta Noss pour une raison qui m'échappe.

Soit elle venait d'une autre partie de l'Anaëh, soit elle était éteinte au choix. A moins qu'elle ne soit particulièrement discrète ? C'était chose rare quand on fréquentait quelques Noss de ne pas au moins entendre des noms prononcés dans les conversations.

- Et si tu ressens la symphonie, je suis d'autant plus curieuse de connaître la raison qui t'aurais poussée à rejoindre les cités plutôt que de t'en éloigner. Moi qui y baigne je puis te certifier que cela me serait douloureux de dormir trop de fois d'affilé dans ce genre de civilisation.

De toute la conversation, Illynora n'avait fait aucune remarque sur le visage de Lynn, sans doute afin de la faire se sentir à l'aise. Malgré tout elle l'observe silencieusement à la recherche de la raison potentielle la forçant à le dissimuler. Avait-elle des dents de tigre ? Une bouche en forme de grenouille ou était-elle difforme ? Autant de questions de fond qu'elle se posait en parcourant ses traits.

Voyant le sourire de Lynn s'afficher sur son visage, Illynora arrêta de la dévisager puis baissa le regard et les oreilles l'espace d'un instant. La voir si heureuse d'un rien lui rappelait son innocence qu'elle avait dès l'instant ou elle avait commencé à ramener ses premiers fruits de la cueillette ou effectué ses premiers échanges avec les Noss alentours. C'était à la fois touchant et naïf.

Autours de Lynn a cet étage outre la table centrale, l'on découvre notamment quelques étagères sans porte qui peuvent laisser voir leur contenu. Des fruits secs, des aromates suspendus au bout de cordelettes sont séchés pour être utilisés tout au long de l'année, divers bocaux contenant des poudres que l'on devine être des additifs alimentaires divers, des mortiers a destination de la cuisine avec leur pilon en bois, des couverts divers et variés tous en bois gobelets inclus, mais aussi des jarres en terre cuite scellées dont le contenant est inconnu. Sans doute des mélanges de miels et baies, ou encore de la salaison selon ce qu'il y'avait de plus commun dans les habitations des gens d'Anaëh. Enfin, on trouve de l'eau dans des tonnelets de petite quantité, fermés mais dont le robinet laisse comprendre qu'il s'agit là d'un breuvage.

La table est centrale à cette pièce qui ne comporte aucun métal, chaque meuble parfois mal dégrossi semble pourtant étudié pour s'emboiter sans se défaire par une astucieuse découpe. A certains endroits, les meubles sont directement découpés dans le bois lui même, faisant partie intégrante de la structure de la pièce, un exercice très difficile sans faire usage de magie, ce qui laissant entrevoir les capacités d'Illynora.

- Si cela est ton souhait je ne suis personne pour m'y opposer, tu es invitée en ces lieux et tu peux y rester autant de temps que tu le désireras, a chaque fois que tu le désireras.

Illynora de par sa mère ne connaissait que trop bien les enjeux des soldats royaux et autres corps d'armés spécialisés, et donc comprenait qu'on puisse vouloir y rester malgré un état psychologique parfois branlant. Au final, personne n'était irréprochable, le plus important était de surmonter ses propres démons afin qu'ils ne se mettent jamais en travers du chemin que l'on s'était établi.

- Par les Dieux certainement pas, dit-elle en laissant échapper un rire cristallin, j'ai fait les renforts et les soutiens en modifiant la structure de l'arbre par endroits, et des amis sont venus m'aider. J'ai dû beaucoup travailler afin de pouvoir m'insaller ici à long terme, et j'ai passé des nuits seules à dormir sur le sol d'une habitation à peine construite en me demandant ce que je fichais ici.

Passer d'une vie citadine à une vie sauvage sans eau a des lieux ni confort était un sacré changement. Elle n'avait pas passé que des jours heureux loin de là, son mode de vie n'était pas de tout repos ni même aisé, quand bien même cela semblait être le cas de l'extérieur. Se laver, boire, manger, se chauffer, éviter les créatures, chasser quand cela était nécessaire, travailler, toutes ces choses ne dépendaient pas de la communauté ici, même partiellement.

Elle souffla du nez face à sa vision de la vie en société, il fallait avouer qu'elle n'avait pas tort. Illynora était persuadé que l'on était de facto plus dangereux en évoluant librement dans la nature qu'en formant des communautés. Malgré tout, son mode de vie était également sédentaire car elle avait besoin d'un endroit ou se poser pour pouvoir poursuivre ses études.

- Réprimer cette partie de toi ?

L'oreille d'Illynora avait été attentive, pour autant elle s'était levé de table entre temps, afin de prendre un gobelet en bois et un tonnelet d'eau. L'eau en question n'était pas l'eau du lac ni l'eau des rivières mais de l'eau issue de la sève des arbres par magie puis purifiée. Elle est trouble et possède un gout de sève, mais est en l'occurence parfaitement potable. Dans des régions plus tempérées de Miradelphia, le bouleau peut donner un liquide potable et hydratant en cas de pépin, mais ce dernier nécessitait des périodes de neige ou de froid et ne poussait donc que rarement en Anaëh ou du moins il ne s'était pas encore adapté au climat local.

- Désolée je n'ai pas l'eau courante, mais je te rassure c'est issu de la nature.

En précisant cela, elle s'évitait ainsi que cette dernière ne rechigne à boire, quoi que si elle était issue d'une tribu de nomade, elle était sans doute coutumière des méthodes alternatives afin de trouver de l'eau car l'eau stagnante même en bocal ne pouvait pas se garder plus d'une ou deux énnéade. Elle en servit un plein gobelet à Lynn, ayant la contenance d'un verre de table classique. Illynora fit un signe de la main afin de l'inviter à se resservir si nécessaire.

- Je sais que c'est facile à dire mais je crois que tu devrais t'accepter telle que tu es et épouser pleinement ton passé. Regarde moi par exemple, j'ai toujours été une emmerdeuse notoire, un esprit libre, et je ne pense pas un jour m'en être cachée. Je fais ce que j'ai envie de faire quand j'en ai envie.

Il était naïf de s'imaginer que cela n'apportait pas son lot d'obligations diverses et variées - a commencer la rudesse de son train de vie - mais au final dans les faits, elle obtenait souvent ce qu'elle voulait.

- Je pense que la vie est un échange équivalent, pour obtenir quelque chose tu dois abandonner quelque chose de valeur équivalente. Souvent c'est du temps passé à te priver ce que tu aimes faire pour nourrir une ambition plus grande, parfois ce sont des proches, des modes de vie, du confort. Mais ce qui vaut le moins la peine d'être abandonné c'est une partie de toi.

Illynora se gratta le cou alors que ses oreilles restent à l'affût de la conversation en cours.

- Je crois que c'est mieux de t'accepter telle que tu es et aller dans le bon sens que te réprimer toi-même pour obtenir quelque chose que ton vrai toi ne voudrait pas. Enfin, c'est compliqué à dire mais je pense que tu comprends.

Illynora laissa entendre un bref rire sous la forme d'un raclement nasal dès lors qu'elle vit Lynn tester la solidité de l'endroit en appuyant son pied sur le sol. C'était une façon de faire millénaire d'avant les cités, et même si ce dernier n'avait pas été créé pendant cet âge ancien avec tout le savoir faire des elfes d'alors, il était assez conforme tout de même de par la mémoire de leur peuple et de leur agilité quant à travailler en nature. Ce n'était pas à toute épreuve non plus, mais assez tout de même afin d'accueillir des invités dans des circonstances normales.

- Je n'ai pas fait grand chose, merci pour eux tout de même.

Observant d'abord Lynn dans les yeux par politesse, elle décida cependant de regarder la table dès lors qu'elle sentit celle-ci perturbée. Au lieu de rester bêtement à regarder dans le vide et créer une gêne dans la conversation, elle s'empara de la fiole qu'elle avait posée précédemment afin de la ranger avec les autres. Au milieu de la scène, un oiseau vint se poser sur la rambarde désormais innocupée, d'une petite taille, ce dernier bougeait vivement la tête de gauche à droite tout en sautillant sur le bois. Il ne resta cependant guère bien longtemps et s'envola au moment ou un second volatile de même espèce vint le taquiner.

- Je comprend, tu as tes raisons après tout et rien n'est jamais aussi simple. J'ai connu ce sentiment de tristesse et cette déchirure quand mon frère est tombé, ma priorité à été de m'isoler.

Ce n'était sans doute pas comparable à ce que Lynn avait pu ressentir, mais elle en avait eu une petite idée néanmoins. L'alchimiste une fois la fiole remise à sa place s'empara de quelques herbes aromatiques qu'elle déposa sur le comptoir d'un espace dédié aux préparations avant de se rasseoir. Elle occulta partiellement les excuses de Lynn afin de ne pas se répéter sur le fait qu'elle n'avait pas à le faire, ce qui serait redondant ; elle ne laissa pour autant pas totalement cela sous silence.

- Et donc maintenant qu'il y'a une évolution et que tu te considère de nouveau comme un danger au point de supplier des excuses, tu comptes faire quoi ? Car j'imagine que te sentir faillible ne fera que te pousser dans un cercle vicieux, de par ta place au sein de l'armée royale. Si tu commences à douter de toi, cela risquerait de ne faire qu'empirer les choses.

Elle appliquait l'adage qui disait que pour sortir d'une impasse il fallait poser des questions. Lynn avait donné des faits, cohérents et implacables. Quant au futur, Illynora n'était personne pour lui imposer quoi faire ou lui donner une piste comportementale toute faite.

Illynora abandonna son expression sérieuse afin de laisser s'afficher un sourire sur son visage, elle entrouvrit la bouche et se contenta de hocher la tête une unique fois en la penchant légèrement, s'interdisant ainsi de parler immédiatement mais affichant une compréhension vis à vis des sentiments de Lynn.

Elle ne se s’éternisa pas sur le sujet, jugeant stérile de poursuivre la conversation sur cette lancée ou son hôte serait confrontée à ses démons sans même avoir de solution à lui apporter. Plutôt que de se focaliser sur le doute, elle recentra la conversation.

- Ca tombe bien j'aime beaucoup le silence pour travailler et je préfère les actes aux paroles.

L'elfe laissa échapper une toux des suites d'un léger enrouement de sa voix.

- D'ailleurs j'ai quelques solutions à mettre en place, j'ai récupéré quelques ingrédients il n'y a pas longtemps et cela va m'occuper une bonne partie du temps.

Illynora se retourne et se dirige vers la rambarde de la maison suspendue. Elle observe la nature en contrebas tout en s'appuyant le menton sur la paume de sa main, son coude étant reposé sur le bois de la barrière.

- Je suis collante la nuit, ça ne te gêne pas ? Je bouge beaucoup et je m'agrippe à tout ce qui passe. J'ai coutume de dormir en tenant un petit sac de plumes dans les bras donc je ne te garantis pas que mon subconscient ne te considère pas comme tel.

C'était là le propre de bien des gens. Chacun dormait comme il pouvait et une partie de ces personnes s'accrochait à tout ce qui vivait dans un lit ; c'était son cas.

Illynora réfléchissait en fond à sa préparation, toujours dans sa position pensive. N'ayant pas les capacités seule de poursuivre ses travaux concernant les évènements touchant les rongeurs et l'indisponibilité de la Noss à contacter, elle s'était rabattue sur les usages potentiels du venin et glandes de Toxeurove. Dans l'absolu, elle souhaitait faire un produit aérosol qui permettrait de potentiellement se dégager de situations délicates. Au vu de la difficulté d'obtention, elle allait devoir garder jalousement ses préparations.

Au vu de la condition de Lynn actuellement, l'envoyer seule quelque part à la recherche d'ingrédients même moyennement dangereux serait d'une irresponsabilité crasse. Si l'archère se sentait apte à le faire, Illynora ne se sentait pas apte à prendre la responsabilité de l'y contraindre.

Le regard de l'elfe est perdu sur le sol en contrebas, ses pensées toujours perdues sur différents sujets alchimiques. Elle tire la moue et ses oreilles bougent selon le déroulement de ces brèves pensées, qu'elles soient intéressantes ou vouées à l'échec.

- Je ne pense pas avoir besoin d'aide, la majorité de mes ingrédients proviennent de services rendus à droite à gauche, je tente de mettre la main sur ce que je peux en tentant de me rendre utile. Je n'ose te mettre davantage en danger. Par contre, si tu as une idée sur comment transformer un venin en aérosol tout en gardant une partie de ses propriétés venimeuses, je suis partante.

Elle se doutait que son invitée n'aurait pas la réponse, mais comme elle ne connaissait pas son passé, peut-être celle-ci la surprendrait agréablement, bien qu'elle n'en attende rien initialement. Face à sa réplique, elle afficha un large sourire qu'elle garda pour elle même bien que ses oreilles trahissent l'amusement du petit jeu qu'elle était en train de mener.

- Par chance je ne suis pas fragile, je ne me réveillerai pas couverte de contusions, de plus veiller sur une amie doublée d'une patiente me semble être tout à fait dans mes cordes.

Illynora avait délibérément choisi le mot "amie", sans doute parce qu'elle jugeait peut être à tort que frôler la mort en compagnie de quelqu'un faisait de cette personne une amie, peut-être aussi afin de donner une chute plus spectaculaire à la suite de sa tirade qu'elle prononça dans la foulée.

- Ou alors peut-être est-ce pour t'étouffer avant que ta fine bouche n'émette le moindre son qui pourrait nous conduire à une mort certaine.

Le ton de sa voix tremblotte légèrement alors qu'elle se voulait initialement sérieuse, cela trahi inévitablement le fait qu'elle est sur le point de rire mais produit un effort afin de ne pas le faire. La remarque sur sa bouche est de nouveau voulue, car elle trouve drôle d'y faire allusion alors qu'elle est de base toujours masquée ; elle n'attend pas de réaction particulière mais titille l'animal afin de voir si il s'apprête à mordre ou à lécher.

Le coup de coude la tira de ses pensées égoïstes alors que son visage fait désormais face à Lynn, souriant.

- Oublier une solitude que j'ai tant désirée ? Je serai une piètre ermite si tel était le cas. Je l'aime plus que tout au monde. A moins que je ne souhaite m'oublier tout court ?

Elle emploie le même ton joueur que Lynn, avec cependant cette fois-ci un sourire différent. Lèvres pincées, bref mouvement des oreilles, léger sourire, il ne fait aucun doute qu'elle ne rigole pas tout à fait, sans trahir cependant si cela cache une intention altruiste ou égoïste.

L'elfe afficha un large sourire dès lors qu'elle entendit le dernier mot de la phrase de Lynn, elle rétorqua d'ailleurs immédiatement.

- Pourquoi pas ? Après tout je pourrais toujours tester les résultats sur toi. Tu veux que je t'apprenne ?

D'habitude, Illynora testait les choses directement sur elle-même, le pouvoir de régénération de leur peuple leur permettait de multiples essais. On lui avait toujours appris que le propre de l'Alchimiste cherchant à détecter des poisons ou a en fabriquer était de les essayer d'abord à dose infime pour en voir les effets, ou quand cela s'avérait impossible, d'au moins les reconnaître. Elle s'était mutilée un nombre incalculable de fois dans son apprentissage de la magie de la vie, mais avait toujours fini par modifier des préparations alchimiques.

- C'est très facile finalement de tester les choses sur soi-même ou sur les autres elfes, a partir du moment ou les effets sont vraiment gênants ou constatables, il suffit de quintupler la concentration. Je te montrerai si tu veux.

Quelqu'un ne pratiquant pas la magie parlerait sans doute de dosage, mais concernant les plantes elle pouvait sans problème concentrer un poison, dans la limite bien évidemment de ce qu'il pouvait offrir comme effets. Illynora semblait être de bonne humeur dans le sens ou elle partageait sans problème les expressions faciales de Lynn et ses mouvements d'oreilles sont plutôt positifs. Cela ressemblerait presque à une soirée tout à fait classique entre filles.

- Si tu me met au défi, je ne peux que le relever.

L'alchimiste changea de posture face à la dernière réaction de Lynn, elle pencha légèrement la tête, curieuse de savoir ce qu'elle avait bien provoquer pour obtenir cette suite de réactions. Elle n'était pas dans sa tête et ainsi, elle ne décodait pas vraiment avec exactitude les sentiments ou gênes de son amie, mais avait bien compris qu'elle avait obtenu une réaction. Si Lynn avait buté sur le mot "Patiente", elle, venait de buter sur le mot "Besoin".

- On a tous besoin de quelqu'un d'autre, mais quelque part tu as raison, je n'ai besoin de personne, je me suis isolée de moi-même. Ou peut-être bien que j'ai été forcée à le faire pour être heureuse, mais au fond...

Sa bouche s'affaissa légèrement alors qu'elle s'approche de l'archère.

Celle-ci était plutôt taiseuse habituellement, ses réactions était militaires, coordonnées, elle était à la fois fragile, voulait paraître forte, elle était faillible et on pouvait également se reposer sur elle. L'alchimiste plissa légèrement les yeux, cherchant à mettre le doigt sur qui elle était exactement et surtout si elle n'était pas tout ça à la fois. Illynora ne comprenait pas vraiment ce sentiment particulier qui l'avait envahi à l'instant, dans le sens ou elle n'avait jamais imaginé un jour le ressentir envers une semblable. Était-ce de la pitié ? De l'affection ? De la curiosité ? De la compassion mal placée ?

Cela ressemblait à une sorte d'instinct maternel, elle avait vraiment envie de l'aider mais cela ne s'arrêtait pas là, elle avait envie de s'assurer qu'elle aille mieux. Elle était comme n'importe quelle "patiente", comme une "amie" en quelque sorte, mais désormais elle se demandait si il n'y avait pas "un petit peu plus de quelque chose d'autre". Lynn n'était pas une petite chose fragile et pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de la considérer comme tel intérieurement.

Désormais a un mètre d'elle, elle haussa les sourcils lentement, entrouvrit la bouche pour articuler d'une voix un peu plus basse que d'habitude, ce qui ressemblerait à un chuchotement aux oreilles d'un elfe et inaudible pour bien d'autres espèces. Elle se pencha légèrement afin d'être à portée de l'oreille de l'elfe, passant sa main gauche dans ses longs cheveux afin de les replacer derrière son oreille. Ce fut bref, telle une petite brise.

- Ce n'est pas de "besoin" dont il s'agit.

Elle n'en dit pas davantage, sans doute car cela briserait le jeu des sous-entendus qu'elles avaient menées jusqu'à présent.

Peut-être avait-elle envie de se livrer à elle afin de rompre la solitude, envie de la connaître, envie de la découvrir, ou peut être était-ce l'envie de graviter autours ou même de l'envie à l’infinitif. L'ambiance globale de leur conversation donnait déjà une réponse orientée que Lynn serait la seule à pouvoir deviner.

Pour ne pas laisser la conversation dans un malaise palpable, elle changea immédiatement le sujet. Il était inutile de trop s'attarder sur cet échange.

- Tu veux manger quoi ? Tu veux qu'on sorte chasser ?

La voix cassée de Lynn fit serrer les lèvres d'Illynora l'espace d'un instant, retenant un rire. Si les oreilles de son amie sont droites comme le seraient un petit animal alerte à toute chose se produisant, les siennes sont nettement en arrière en guise de culpabilité et d'amusement, mais sont trop hautes pour être identifiées comme une soumission complète ou de la honte ; c'était un plaisir et une situation pleinement assumée.

Son regard suivit les gestes de l'archère avec une grande attention alors qu'elle sortit des œufs. L'Alchimiste fût touchée dans le sens ou elle avait pensé à apporter ses propres provisions. Elle haussa légèrement les sourcils la bouche toujours serrée, se forçant à ne pas sourire ; elle ne souhaitait pas que les gens s'habituent à la voir aussi vulnérable, car après tout elle avait mis plusieurs dizaines d'années à se remettre de sa dernière déception.

- Très bien, dans ce cas c'est toi qui t'y colle. J'ai tout ce qu'il te faut dans la cuisine.

Salaison, herbes aromatiques, quelques fruits et légumes, il n'y avait pas une quantité astronomique de nourriture mais un peu de tout, selon les arrivages de saison, selon les Noss qui passaient, selon ce qu'elle-même récupérait. Quand elle chassait seul, elle se contentait de lapins, oiseaux ou même baies et fruits quand elle ne souhaitait pas prélever ou contrôler les populations animales. On ne mourrait pas de faim, sans que ce soit l’opulence.

Illynora leva un doigt.

- Je dois expérimenter quelque chose de relativement dangereux au dessus en attendant, mais rassures-toi, pour te remercier je te ferais manger moi-même si tu veux.

L'Alchimiste avait appris quelque chose d'important lors de ses cours avec son père et dans les conversations en général, c'était que les phrases en hors-sujet étaient celles que l'on retenait le plus et qui étaient le plus marquantes. Les oreilles d'Illynora sont droites et son expression sérieuse, bien que l'on puisse deviner aux légers mouvements de ses oreilles qu'elle n'est pas étrangère à tant de sérieux et qu'elle se force sans doute à l'être.

- Je t'entendrai de l'étage, si il te faut quoi que ce soit demande !

Sa voix était très légèrement plus forte et assurée, signant qu'elle était sûre de ce qu'elle avançait. Elle recula de deux pas, faisant face à Lynn, puis se retourna complètement, faisant virevolter ses cheveux avant de disparaître après s'être accrochée rapidement à la corde qui séparait les deux étages.

Elle n'était plus là mais parla plus fort pour être entendue du dessus.

- Et si tu casses un truc je t'attache et je met une souris dans ta tunique.