D'un soldat à un autre [Lynn]

Dans la cité, un messager avait fait son bout de chemin pour transmettre une missive de la part du Mainyth de l'armée royale en personne. Le nom de son destinataire écrit clairement, l’écriture quelque peu hâtive caractéristique d'un elfe appliqué mais bien peu versé dans l'art de la calligraphie, ne laissait de toute façon pas grand doute sur son auteur. Elle était brève cette missive et ne disait pas grand chose. Aegden n'était pas du genre à beaucoup s'épancher à l'écrit, Lynn le pardonnerait.

Lynn,
Je sais que ce genre de missives sonnent toujours un peu trop officielles. Pardonne-moi, c’est simplement le moyen le plus simple de te contacter avec nos ennéades chargées. J’aimerais entre autre te parler d’une potentielle nouvelle intervention dans les jours à venir. Retrouvons-nous demain en milieu de journée près de l’Amphithéâtre.Nous y serons plus à l'aise qu'enfermé dans un bureau.

Aegden Orian

 

Et c’est donc à cette place qu’il attendait l’archère à l'heure prévue . Perdu dans ses pensées comme souvent il ressassait les derniers évènements des derniers mois et plus récemment  la missive venue tout droit d’Eteniril. Ce n’était peut-être rien de grave, une fausse inquiétude qui se réglerait bientôt mais Aegden avait de légers doute... Ni les militaires ni le protecteur ne se permettraient de demander de l’aide à la légère de cette façon. Peut être Lynn aurait-elle une idée sur la question.

Les flèches sifflèrent pour finir sur un bruit mat au contact de leur cible. L’entraînement se déroulait tranquillement, bien que les jeunes recrues étaient molles aujourd’hui. Malgré les encouragements de Lynn, ils ne semblaient pas enthousiastes. Et puis, leurs tirs étaient imprécis, à part une qui semblait être née pour ça, mais qui s’ennuyait visiblement.

L’elfe soupira, et s’exclama pour la énième fois.

« Allez, on se bouge un peu ! Et on s’applique ! »

Le soleil haut dans le ciel rayonnait sur son armure qu’elle avait astiqué quelques heures plus tôt. Elle ne devrait plus tarder, si elle ne voulait pas être en retard. Elle fit un signe à la jeune talentueuse de se rapprocher.

« Anora, viens par ici. Je vais devoir m’absenter pour le reste de la journée. Prends en charge cette bande de mous et veille à ce qu’ils terminent les exercices d’aujourd’hui. Oh, et dis leur qu’on se retrouve ici demain à l’aube pour un entraînement encore plus difficile. Et ils ont intérêt à être en forme ! »

Il ne lui fallut que quelques minutes pour quitter le terrain d’entraînement et partir en direction de l’amphithéâtre. Sur le chemin, Lynn acheta une grappe de raisins qu’elle mangea sous son masque, et termina avant même d’arriver dans le quartier. Elle repéra celui qui l’attendait assez facilement à sa longue tignasse rousse. Elle s’amusa à se dire qu’en cas de mission furtive, Aegden n’était certainement pas le premier choix.

L’archère arriva à sa hauteur. Il avait l’air pensif et en plein réflexion, aussi décida-t-elle de ne pas trop le surprendre. Elle s’exclama d’une voix enjouée :

« Bien le bonjour, Aegden ! Me voici comme convenu, tu voulais me parler ? »

Ses yeux s’illuminaient en le revoyant. Lynn appréciait sa compagnie, et les quelques missions qu’ils avaient faites ensemble récemment les avait quelque peu rapprochés. Elle se disait qu’il fallait impérativement retrouver Sinieth ce mois-ci. Elle n’avait pas pris le temps de la contacter après leur partage de chambre à Naélis, mais elle aurait aimé garder contact avec la demi-elfe.

-Bonjour Lynn. Aegden salua sa camarde, s’extirpant de ses pensées.

Il l’avait vue approcher, il ne parut donc pas surpris lorsqu’elle l’interpela. Il avait l'air légèrement préoccupé mais offrait tout de même un fin sourire à la soldate, tandis qu'il se relevait pour lui faire face décemment.

-Je voulais te parler, oui. Ses oreilles s’agitèrent l’espace d’un seconde. Il chercha comment aborder le sujet. C’est un peu abrupt. Je viens de recevoir un message d’Eteniril, visiblement ils ont besoin d’aide urgente. Quelques-uns des leurs ont disparus.

Aegden soupira. Pour rien au monde il n’échangerait cette vie mais il ne pouvait s’empêcher d’avoir la sensation de n’avoir pas une minute à lui ces derniers temps. Quand ce n’était pas l’armée, c’était sa famille, et quand ce n’était pas sa famille, c’était Anaëh qui semblait avoir décidé de le faire s’attacher à des créatures qu’il ne savait même pas réelles…

-J’aimerais te demander de participer à leur recherche, Lynn. Tu es une bonne archère et j’ai besoin de soldats en qui je peux avoir confiance là-bas. Seulement...je t’en ai beaucoup demandé ces derniers temps.

Certes il n’était pas son chef lors des évènements de naëlis mais il ne pouvait ignorer qu’elle avait combattu à ses côté tout de même. Elle lui avait rendu un immense service en acceptant sa compagne alors étrangère à ses côtés. Il l’avait embarqué dans une mésaventure improductive il y avait encore quelques ennéades. Maintenant il lui demandait de l’accompagner en Eteniril sans qu’ils ne sachent ce qui en ressortirait.

-Si tu as besoin de temps pour y réfléchir, je ne pars que dans quelques jours. Le reste des effectifs est déjà décidé.

Eteneril. Lynn n’avait jamais mis les pieds dans ce territoire d’Anaëh. À dire vrai, elle ne connaissait que peu de choses du pays elfique. La plus grande partie de sa vie s’était déroulée ici même, dans cette ville. Depuis qu’elle avait endossé l’uniforme royal, il lui était arrivé de devoir se déplacer, mais rarement loin. Pendant ces 80 années, ses missions l’avaient amenée à l’ouest, en Ardamir, mais aussi bien plus loin, à Naélis. Toutefois, elle pas eu l’occasion de découvrir l’est du royaume.

Ainsi donc, ils avaient besoin d’aide. Des disparitions, avait-il dit. Lynn réfléchit un petit moment. Elle appréciait qu’Aegden lui demande son avis et n’use pas de son autorité. Après tout, elle n’était qu’un soldat parmi tant d’autres, et devait obéir aux ordres lorsque ceux-ci étaient prononcés. Mais cette fois encore, personne ne l’obligeait. La culture elfique était ainsi, la volonté de chacun était respectée autant que possible.

« Des disparitions... » dit-elle à voix basse. « Peut-on s’asseoir pour parler de tout ça ? L’entraînement était fastidieux aujourd’hui, je suis épuisée. »

Elle s’installa à ses côtés et reprit un peu plus sereinement.

« Je ne connais pas du tout Eteneril, mais je crois savoir que c’est une grande forêt, n’est-ce pas ? Ont-ils une idée de ce qui pourrait provoquer de telles disparitions ? »

Sans indice aucun, les recherches seraient bien difficiles. Et puis, il leur faudrait bien une ennéade pour rejoindre la ville. Tout porterait à croire que les disparus n’auraient que peu de chances d’avoir la vie sauve une fois là-bas, et les traces de leur absence seraient effacées.

« S’ils souhaitent retrouver leurs frères et sœurs, nous ne pourrons probablement pas les aider... Mais tu le sais déjà, je présume. Notre mission n’est pas de les retrouver, mais bien de faire en sorte qu’aucun ne disparaisse de nouveau... »

Elle réfléchissait à haute voix, d’un ton inquiet. Ses oreilles s’affaissèrent. Quelle sorte de danger pouvait provoquer la disparition de plusieurs Taledhels ?

Si Aegden laissa Lynn s’asseoir, lui resta debout. Il était visiblement de ces elfes incapables de rester en place plus de quelques minutes. Ses oreilles presque tombantes et son soupir laissèrent cependant présager de son humeur songeuse.

-Le plus surprenant est là, Lynn. Ils me l’ont bien fait comprendre, ils n’ont aucune idée de ce qui se passe. Il secoua la tête. Je compte demander des précisions une fois sur place mais le message que j’ai reçu laisse penser qu’ils n’ont pas plus d’indice que nous à l’heure actuelle.

Machinalement, le soldat se mit à faire quelques pas, réfléchissant lui aussi à voix haute.

-Même si les chances sont mince, je préfère garder l’espoir de les retrouver en vie.

C’était peut-être naïf de sa part mais s’il y avait la moindre chance de ne pas se retrouver avec la mort de 5 elfes sur les bras, il s’y accrocherait. C’était bien là le seul avantage à n’avoir rien du tout : les issues positives avaient encore une chance d’exister.

-Mais tu n’as pas tort sur un point. Quand bien même on ne les retrouve pas, on doit savoir ce qui se trame là-bas. J'aimerais que tout ça reste entre nous mais je ne me fait pas d'illusion, les rumeurs courent vite. Il grimaça. J'aimerais désamorcer ça rapidement. Laissez des elfes avoir peur n'est jamais bon.

Lynn se prit la tête dans les mains et ses oreilles s’affaissèrent. Elle se massa lentement les paupières tout en réfléchissant. Ce ne serait pas une mission simple, mais depuis qu’elle avait rejoint le corps de l’armée royale, elle en avait l’habitude. Il était loin, le temps où elle faisait partie de la milice de la cité. Elle ne regrettait pas sa décision, mais il fallait être honnête, son travail n’avait plus rien à voir avec ce qu’elle avait connu auparavant, mise à part lorsqu’elle devait utiliser ses armes.

« J’espère que nous ne nous jetons pas dans la gueule du loup… Mais tu as raison de garder espoir. Après tout, qui sait ce que nous trouverons, une fois là-bas ? »

Elle soupira et se fendit d’un sourire triste.

« En tout cas, tu n’as rien à craindre, tu connais ma discrétion ! Je ne vais pas aller crier sur tous les toits le but de notre mission. La rumeur ne devrait pas se propager jusqu’ici, en tout cas pas à cause de nous. »

En effet, les nouvelles allaient vite. Peut-être certains Etenirils avaient une correspondance avec quelqu’un d’Alëandir, et partager la disparition d’un proche pouvait être la source d’une fuite possible. Et Aegden avait raison, des disparitions inexpliquées pouvaient déclencher un début de panique. Il fallait agir vite et sans faire trop de bruit. Lynn vit passer une mère et son fils dans les bras, et elle repensa à Sinieth et son status aujourd’hui. Elle se mordit la lèvre sous son masque. Le commandant allait encore devoir s’éloigner pour une durée indéterminée de sa bien-aimée. Prendre la décision de partir n’avait pas dû être facile.

« Ça ira, toi et Sinieth ? Elle ne doit pas apprécier de te voir courir dans tout le royaume, avec toujours l’éventualité que tu puisses ne pas revenir… À sa place, je serais probablement furieuse ! »

-Sinieth n’est pas en colère. Elle sait pourquoi je fait ça.

Aegden soupira, ne s’attendant pas à la question de l’archère mais surtout parce qu’au final,elle sonnait juste. La  chose n’était certainement pas des plus simple pour l’ancienne vaanie. Aegden était conscient qu’il ne la plaçait pas dans la plus confortable des situations avec ses obligations. Le soldat passa une main dans ses mèches rousses, l’air un peu embêté. Finalement, il finit par cesser son manège et vint s’assoir à coté de Lynn. Il s'en voulait de causer du tourment à la femme qu'il aimait.

- On savait tous les deux dans quoi on s’engageait en décidant de vivre ensemble. Je ne serais jamais capable de rester sagement chez moi en sachant que d’autres prennent des risques pour Anaëh. Ses oreilles se plaquèrent contre son crâne. Crois-moi, laisser derrière moi la femme de ma vie enceinte de trois mois ne me fait pas plaisir.

Mais avait-il d’autre choix s’il voulait voir et savoir grandir son fils en toute quiétude ? Il lui fallait contribuer à forger le monde qu’arpenterait un jour cet enfant. Désormais, Aegden comprenait mieux ce qui avait dû occuper les pensées de son propre géniteur. La culpabilité se mêlait à la sensation de ne pas avoir d’autre choix. C'était son devoir, de soldat comme de père.

-Au final je devrais me contenter de savoir qu’elle ne sera pas toute seule. Et le bébé ne devrait pas arriver avant la fin du mois au plus tôt, je serais rentré et à ses côtés quand il sera temps.

En tout cas il l’espérait de toute ses forces. C’était une peur qu’ils avaient tous les deux et qui ne quittait jamais l’esprit du commandant durant ses absences loin de la capitale. Il ne voulait rater la naissance de son premier enfant pour rien au monde.

-Et toi Lynn ? S’enquit-il à son tour. Comment est-ce que tu vis tout ça… Naëlis, puis toutes ces missions çà et là ? Le rythme de ces derniers mois n'est pas le plus calme qui soit...

En tant que membre de l’armée royale, son avis comptait pour le Mainyth. Il avait besoin de savoir ce que ses hommes pensaient.