En terre inconnue [SOLO]

Après les courts échanges au large d’Holimion, les trois navires faisaient maintenant route en direction du port, à une allure lente, laissant qu’une voile les porter paisiblement. Le boutre mécan, à la coque noircie et reconnaissable des deux autres, était escorté, se tenant au centre des deux bateaux elfiques. Puis à quelques mètres du rivage, l’un des bâtiments vira de bord afin d’atteindre un second pont, laissant alors la place qui lui était destinée aux mécans. Sur le pont du “Second Souffle” les pirates manoeuvraient les voiles et la barre afin d’approcher le plus délicatement possible, puis ils jetèrent alors les cordes aux poteaux s’aidant de ces dernières pour se rapprocher encore plus afin de faire basculer la rampe.

Toujours à son bord, pendant les derniers instants des manœuvres, Caleb remarqua les miliciens elfes arriver à leur niveau, formant alors une ligne défensive devant le navire étranger. Devant cet accueil, le capitaine sourit en comprenant la méfiance que ses hôtes pouvaient avoir à son encontre, puis il pivota en direction de ses officiers. “J’veux pas d’soucis ici… P’t’êt’ que nos gars pourront boire, mais si l’un d’eux fait l’moind’ vague, vous l’ram’nez à bord et j’m’en chargerai personnellement… Et puis surtout, surtout…” Il leva son index en fixant les deux marins qui lui faisaient face, son regard en disait long sur l’importance de cette dernière directive. “On n’porte pas l’premier coup. Bien clair ? Faites passer l’mots au aut’.” Quand les deux officiers se retournèrent pour disperser les ordres, le Rokvenha en fit de même, s’approchant du bastingage sur lequel il s'accoudait. Son regard se porta sur les elfes armés en contrebas et il chercha parmi eux son traducteur, bien que pour lui les elfes se ressemblaient pas mal, il ne le reconnut pas et grimaça. Son intérêt se porta alors en direction de la cité elfique et des quelques curieux déjà regroupés pour voir ces inconnus aux origines étrangères.

Un bref instant, il se laissa porter par les différents sons ambiants, la langue, bien que compréhensible pour lui, mais qui semblait lui être un plaisir à l’écoute. Il ferma les yeux et prit une grande respiration avant de les rouvrir, pour s’apercevoir encore une fois qu’il ne rêvait pas. Son sourire ne le quitta pas, pas même quand il entendit une voix l’appeler d’en bas. “Rokvenha !” L’Elfe était descendu lui aussi de son navire et s’était frayé un chemin entre les soldats pour s’approcher du boutre. “Suivez-moi” Il l’invita alors d’un signe de la main, tandis que dans le même instant il donna l’ordre aux miliciens d’éloigner les civils.

Descendant alors la rampe, suivi d’abord par ses officiers, puis ses premiers hommes, il s’arrêta subitement à mi-hauteur et glissa un regard derrière lui. Ne voulant pas causer d’impair auprès des Elfes, il interpella le traducteur. “Et m’gars ? Ils doivent rester là ou ils peuvent poser aussi l’pieds à terre ? Z’en faites pas ils f’ront pas d’grabuges… Juste boire quelques coups héhé !” L’Elfe chargé alors de la sécurité, secoua la tête. “Juste tes seconds pour l’instant. On verra pour les autres après.” Une grimace se dessina alors sur le visage du capitaine, qui ne chercha pas à discuter. Il se tourna une nouvelle fois en direction de Rocaille cette fois-ci. “Reste avec l’reste, on r’vient avec Croqueuse.” Les hommes ne manquèrent pas de marquer leur déception, on entendit quelques jurons voler et seul un coup de sifflet de la part du Maître d'Équipage ramena le silence.
Caleb descendit finalement accompagné uniquement de la sang-mêlé. A leur ceinture étaient bien visibles leurs lames qui pendaient. Ils n’avaient eu aucune intention de les dissimuler à la vue des elfes. Comme si se balader ainsi leur avait toujours été une habitude.

Alors que le groupe approcha d’une arche, semblant être l’entrée de la cité, l’officier en charge désigna les armes d’un geste du bout du nez. “Pas d’armes dans la cité.” Au même instant un garde approcha des deux étrangers, semblant attendre qu’ils lui donnent les armes demandées. Étrangement docile, Caleb n’opposa aucune résistance et détacha sa lame courbée qu’il tendit par le pommeau, lame pointée vers le bas, au milicien. Croqueuse quant à elle, sembla hésiter et un regard jeté par l’arrière de son capitaine la fait changer rapidement d’avis “Fais le.” Tout en retirant l’arme à sa ceinture, la jeune femme siffla entre ses dents. “T’fais une connerie l’Rok, là…” Elle donna alors sa dague à son tour et un rire en provenance de l’homme permit de faire comprendre que tout était finalement en ordre.

Ils reprirent alors leur chemin en direction d’une caserne. En route, Caleb laissa son regard se porter sur l’architecture locale, les habitants et leur manière de vivre. C’était irréel pour lui et il aurait souhaité s’y aventurer davantage, mais sa vue se bloqua alors qu’il pénétra entre dans le bâtiment. Reportant son attention devant lui, il vit que le traducteur fit s’activer un second soldat et ce dernier déroula une large carte de miradelphia, cette fois-ci complète. Le mécan plongea son regard dessus et pencha la tête, puis le traducteur reprit la parole. “Alors… On va commencer par le plus simple. D’où venez-vous ?” La question arracha un sourire au Rokvenha qui s’avança alors et, scrutant la carte, reconnut ce qui semblait être méca. La tâche était mal placée par rapport aux côtes péninsulaires et le point d’interrogation dessus ne manqua pas de l’amuser. Il planta son index dessus alors. “D’ici, d’Méca.” Bien entendu, il se garda bien de corriger la position exacte de l’île. L’Elfe hocha alors et poursuivit. “Et du coup, expliquez-moi comment vous êtes finalement arrivés ici.” Le mécan garda son sourire et se redressa alors. “Ca vous paraît’ fou.” Il fit alors glisser son index sur la carte, vers le sud-ouest de la tâche représentant Méca. “Nous aut’, on a découvert d’la Brume comme la vôt’ à c’t’endroit là d’l’Eris. Avec m’gars on a décidé d’s’y rend’ pour voir c’qui s’y tramait et d’y jeter un coup d’oeil… Une fois d’dans, on voyait pas à plus d’cinq mèt’ d’vant nous… J’vous passe l’détails mais on a erré d’la sorte pendant une dizaine d’jours. Puis finalement…” Il se redressa et regarda l’Elfe, son visage marqua son sérieux bien que ses propos pouvaient être déments il avait bel et bien l’air sincère. “Quand on a r’vu l’grand jour et qu’on a quitté l’brume on était sur vos eaux.”

Devant lui, l’Elfe se saisit de son menton et prit le temps de réfléchir un instant, avant de regarder attentivement les deux marins face à lui. “Une idée du type de magie à l'œuvre au sein des brumes ?” Il fronça les sourcils et ne laissa pas le temps aux pirates de répondre avant d’ajouter “Et certains que vous n’avez pas été affectés par votre traversée ?” Le mécan se gratta la joue devant la question de l'Elfe, comme s'il réfléchissait, puis il haussa les épaules. "J'vais pas vous mentir, j'y connais rien à l'magie moi, mais j'ai un d'mes gars qu'en fait et lui il m'a dit clairement qu'c'était ... Bouleversé, aye c'est l'mot ! Il a r'fusé d'utiliser sa magie d'peur d'faire une connerie, mais j'sais pas pourquoi, j'sais pas c'que ça veut dire, j'voulais juste pas risquer d'couler en plein brouillard." Il fixa encore l'Elfe un instant, l'air à côté de la plaque. "P't'êt' qu'vous pourrez lui en toucher deux mots, 'fin.. S'il parle... Il est un peu avare d'paroles c'gars là." Il offrit un léger sourire comme s'il souhaitait se faire pardonner son manque de connaissance à ce sujet. Son regard se reporta alors sur la carte. "Par cont'... Juste avant d'poursuiv, j'répondrai à toutes vos questions et aut', mais... Nous aut' on sait pas du tout où ça s'trouve l'Homion... L'Holinon... 'fin, cette cité et vos eaux... Vous pouvez m'le montrer ? Car à Méca, on a pas d'cartes aussi fournies... J'crois qu'même qu'on a pas l'moitié d'tout ça." Il laissa un rire assez bref. L’Elfe pointa du doigt l’île d’Holimion sur la carte. “ici. La Brume vous a transporté de l’autre côté du monde connu.” Il s’enfonça alors dans le dossier de son siège “Ce serait possible de faire venir votre mage ici pour s’entretenir avec lui ?”
En voyant la position du doigt de l'Elfe sur la carte, son souffle s'arrêta. Cette fois-ci, c'était avéré, lui qui ne voulait pas y croire, bien que les preuves étaient flagrantes. "D'l'aut' côté..." Il tourna alors la tête vers sa Seconde comme s'il avait besoin d'être rassuré à cet instant, devant cette annonce. Cette dernière, elle aussi était devenue bien pâle en réalisant ce qu'ils venaient de faire et tous deux ne savaient quoi se dire. Il revint alors à l'Elfe et alors que de nombreuses questions semblaient lui brûler les lèvres, le traducteur prit les devants. Hésitant dans sa réponse, non pas dans la demande en elle-même, mais comme s'il était encore marqué par les révélations. "Heu... bah ... Aye, aye... J'dois aller l'chercher ? Vous y allez vous ? Ca s'passe comment ?" Il se passa une main sur le visage, se massant les paupières en cherchant à digérer le tout. « Allons-y vous et moi. Je vous accompagne. » Répondit-il subitement, se redressant.

Le Rokvenha suivit alors l'Elfe en direction de la sortie, avant de franchir la porte il jeta un rapide coup d'œil en arrière pour voir sa Seconde, alors seule avec deux miliciens. La jeune femme lui offrit un discret sourire et un signe de tête en guise de réponse et il quitta alors la pièce. De nouveau à l'extérieur, il en profita pour observer davantage, continuant de marcher en suivant son guide. Après quelques pas, ils retournèrent sur le port et au boutre mécan. Rapidement connu par un des hommes qui faisait le guet, ce dernier appela le reste de la troupe, s'attendant à une bonne nouvelle de la part de son capitaine. Restant en bas du navire, le Rokvenha haussa la voix. "Naye, j'sais c'que vous attendez, mais pas encore ! Va m'chercher L'Bulle et dis lui d'pas m'faire attend'." Le marin opina et disparut. Quelques instants après, un second homme, assez maigre d'apparence passa la tête par-dessus le bastingage aussi. "Ah l'Bulle descend ! On a b'soin d'toi avec les Elfes !" Le mage paru une seconde surprit et fit le tour pour descendre par la rampe et se placer aux côtés de son capitaine. Le regard de La Bulle resta cependant accroché à l'Elfe qu'il dévisagea sans une once de discrétion. "T'auras tout l'temps d'le mater ... Ils veulent parler d'la Brume et surtout d'magie, donc t'auras ton moment t'en fais pas." Finalement, le petit groupe reprit alors la route en direction de la caserne et y pénétra sans perdre de temps.
Le traducteur reprit alors sa place et fit face au groupe. « Je vais réitérer ma question de tout à l'heure donc... » le regard de l'Elfe oscille entre les trois pirates présents face à lui « Avez-vous remarqué un construct éthéré particulier au sein des brumes, et avez-vous la sensation que votre intégrité physique a été atteinte lors de la traversée ? »

Après la question reposée, les trois mécans se regardèrent et leur attention s'arrêta sur La Bulle, un homme de petite taille à l'allure athlétique et vive, dont le regard paraissait blasé naturellement. Le capitaine lui fit un signe de tête et ce dernier, présenté comme un "mage" par les siens prit la parole. "Et bien..." Il s'éclaircit alors la voix et observa les elfes un instant, étrangement - ou alors ne le montrait-il pas - il ne semblait pas curieux ou intimidé par la présence de ces êtres aux longues oreilles. Il s'exprima à son tour en Olyan, parlant tout aussi lentement pour être bien compris de ses interlocuteurs. "Pour vous rassurer d'abord, non... Aucun membre d'l'équipage n'a eu d'soucis pendant et après la traversée, si on passe les effets classiques d'une errance à l'aveugle et vers l'inconnue, mais rien à voir..." Il balaya de sa main l'air devant lui. Le Rokvenha regarda la Bulle en haussant les sourcils, c'était une des rares fois où il voyait cet homme aussi bavard. "Pour c'qui est d'la partie éthérée... Très franchement, nous n'avons pas grand chose à vous dire. La trame à l'intérieur d'la brume y est bouleversée, à tel point qu'je n'ai pas risqué d'user d'ma magie... C'qui m'a le plus marqué est sans nul doute ce silence pesant et cette effroyable sensation d'êt' observé sans réellement en connaître la source, mais ça..." Il se détourna vers son Capitaine et le pointa de son index. "L'Rokvenha est celui qui navigue avec les Wagyls, alors peut-être que nous avons eu la preuve d'la bénédiction dont il dispose pour n'avoir eu aucun soucis à naviguer en ces eaux." Il fixa alors l'Elfe, une moue au visage. "J'suis désolé d'pas pouvoir vous en dire plus, je n'suis pas dans l'étude d'la nature magique."
« Je vois... » l'elfe répond, prenant des notes dans sa propre langue et les passant à ses congénères. « Dans ce cas... » il se lève, et fait signe du bout du nez aux autres soldats « Je vous laisse rentrer dans vos quartiers... » les soldats se positionnent pour raccompagner leurs invités surprise « Nous apporterons à votre équipage de quoi dîner. » son visage se décore d'un sourire affable « Et nous vous invitons à rester vous reposer quelques jours. Nos médecins s'assureront que rien ne vous soit arrivé, et nous vous donnerons de quoi confortablement faire votre chemin retour. »

A ces mots, les trois mécans se regardèrent un instant, se rassurant eux-même d'avoir bien entendu et compris les paroles de l'Elfe, puis un sourire vint éclairer leurs visages. Le Rokvenha s'approcha alors et inclina la tête en signe de respect, un geste qui marqua tout autant l'étonnement de sa Seconde que l'offre de des hôtes. "J'vous r'mercie..." Il sembla chercher ses mots. "Elfe ?" Visiblement, il ne voulait pas être insolent dans sa phrase. "Nous aut' on f'ra pas d'vagues et on r'prendra la mer dès qu'possible et si d'aventures vous souhaitez en savoir plus sur l'Brume ou même tenter l'coup d'y passer... J'suis vot' homme héhé." Finalement, les trois corsaires suivirent de près les soldats avant de regagner leur boutre.
Une fois à bord, après quelques secondes, une clameur monta du pont et vint secouer les abords du port. Les mécans semblèrent heureux de la nouvelle et leurs Souffles se réchauffaient pour pouvoir prendre un peu de repos.

Plus tard dans la soirée, les Elfes purent entendre des chants, de la musique festive et des rires aux éclats en provenance du navire. Les marins semblèrent fêter à leur manière, sans pour autant outrepasser les ordres elfiques.