A la conquête de mon dû | Part. I

Le brouhaha inhérent à ce genre d'événement emplissait la citadelle depuis l'aurore. Partout, les serviteurs, cuisiniers et intendants s'agitaient et se mouvaient comme une multitude de fourmis travailleuses. Tu guettais tout cela depuis le balcon de tes appartements, profitant de la fraîche brise d'automne. Encore vêtu de ta chemise de nuit, tu dégustais des fruits et des pâtisseries dans une certaine émulation intérieure. A l'autre bout de la pièce, un de tes gens se pressa pour t'apporter un jus de fruits pressés. Tu parlas sèchement.

_ Quand arriveront les chariots ?
_ Ils sont arrivés hier votre seigneurie.
_ Parfait. Tout est en état ? Vous avez pu vérifier ?
_ Bien sûr, le chevalier d’Heucville s’est personnellement chargé du transport des cadeaux le long de la Route d’Or. Le voyage fut calme.
_ Alors tout est prêt pour le grand jour. Lassez moi seul. Je vous rejoins dans une heure et nous pourrons rejoindre les convives.

Le mariage réunissant un grand nom du royaume et une obscure Maison nordienne était sur le point de commencer. Plusieurs jours de festivités organisés dans une des plus belles cités de Péninsule et d’innombrables mets tous plus savoureux les uns que les autres. Ne souhaitant pas emmener cadeaux et decorum sur tes navires au regard de leur but, ceux-ci sont arrivés par voie terrestre le long de la Route d’Or sous bonne garde. Quittant les vêtements donnés par l’héritière quelques jours plus tôt, tu te prélasses dans un bain chaud avant de revêtir des atours convenus pour l’événement. Mais avant de quitter tes appartements, quelque chose d’important devait être amorcé. La chambre de l’amiral n’était pas bien loin et tu le fis quérir sous prétexte d’organiser le départ de la flotte. Quand le petit homme passa le pas de la porte, tu l’accueillis d’un hochement de tête.

_ Il est grand temps que je reprenne ce qui me revient de droit.
_ Qu’est ce donc messire de Laval ?
_ Je parle de feu notre comté, amiral. Il y a trop longtemps que je tolère cet usurpateur qui a avorté la vie de mon neveu.
_ Le temps du deuil est révolu. Vos sujets se souviendront de la légitimité de votre Maison et des années de prospérité que vous nous avez apporté. Devons-nous craindre une guerre ?
_ Préparons-nous au pire et espérons le meilleur. Je vais écrire à Prudence. Nous nous sommes fréquentés en de bons termes autrefois et je gage qu’elle préfèrera me compter comme ami plutôt que comme ennemi, à l’image de son père.
_ Et si elle ignore votre missive ?
_ Je marcherai sur Missède avec les armées de Chiard, de Léliande et d’Ethin.
_ Sont-il derrière vous ?
_ Mon oncle est un homme de parole et une alliance de sang nous lie. Je gage qu’il répondra à mon appel. La sœur de feu Ernest était également la tante de Maël. Si elle ne prend pas les armes à mes côtés, je suis certain qu’elle boudera l’appel à l’aide de l’usurpateur.
_ Et Ybaen ?
_ Cela fait des siècles que nous entretenons de bonnes relations. Pour quelle raison se battraient-ils pour un homme bafouant les plus anciennes lois de transmission ? Il ne s’agit pas de la conquête d’une terre étrangère. Il s’agit de renouer avec la succession de sang. S’il refuse de reconnaître cette vérité, je ne puis m’inquiéter car la loi du Roy est à mon côté.
_ Quelle stratégie adopter alors ?
_ Partez sur-le-champs informer mon épouse et le chevalier d’Heucville. Mobilisez la soldatesque et attendez que la marquise me réponde. Chiard sera prévenu et tandis que la flotte repartira, je m’élancerai à cheval pour quérir d’Ethin. Je confie à Linaëlle la responsabilité de convaincre son oncle de nous envoyer un contingent.
_ Cela sera fait.
_ Je compte sur votre persuasion. Je suis déterminé à rétablir ma Maison dans son bon droit. Quel qu’en soit le coût.

L’amiral s’inclina, tu le congédias et quelques minutes plus tard résonnèrent les sabots dans la cour de la citadelle. L’homme de la mer chevaucha à travers la ville accompagné de quatre chevaliers en direction de la Route d’Or et tandis qu’ils disparurent derrière les remparts, tu te drappas dans ton plus beau sourire pour rejoindre les festivités.

Malgré la tombée du jour, la troupe ne cessa sa traversée des terres royales. Toutes les trois heures, les chevaux furent arrêtés pour quelques dizaines de minutes de repos avant de reprendre la direction du Missédois. Par sécurité, vous quittez la Route d’Or après la traversée du Garnaad et chevauchez à travers champs en direction de Beaurivages. Ce n’est qu’arrivé aux pieds du donjon rouge que tu t’accordas quelques heures de sommeil. Seulement six heures passèrent et l’excitation te tira des songes. Cette journée signera le commencement des opérations et tu ne pouvais entamer ton coup sans en prévenir ton plus fidèle et puissant vassal : Clarence de Beaurivgaes. Ton arrivée n’avait rien d’un secret et tu attendis ton hôte dans un cabinet de travail à l’écart des allées et venues de la foule, dans une aile calme. Deux fenêtres opposées de part et d’autre de la pièce permettait à la fois d’admirer le littoral et deviner les collines agraires à l’extérieur de la cité. Au loin, deux manoirs se faisant face dont l’un disposant visiblement d’un haras et le second de vergers. Les pas du maître des lieux raisonnèrent dans le couloir et tu te levas pour l’accueillir.

_ Bonjour Clarence. Heureux de vous revoir, avez-vous reçu mes indications ?
_ Bonjour Sire. Toute la seigneurie s’est mobilisée, votre épouse a rejoint Léliande et Lancrais pour quérir votre cousine et votre oncle. Nous avons réuni tous nos hommes à Chiard mais la flotte n’est pas encore arrivée. Quelles sont les nouvelles de Son Excellence ?
_ Prudence de Langehack reconnait la justesse de notre combat. Nous pouvons marcher sur Missède de bon droit. Je vais écrire à Ethin et Ybaen, informerai la marquise de ma présence ici et attendre son retour. Nous verrons si cette marche se fera avec ou sans elle à nos côtés.
_ Je vois que la Fortune vous sourit, tâchons de poursuivre dans cette voie.

Vous lancez des idées de missive les unes après les autres jusqu’à tenir le bon verbe. Une fois satisfait des dizaines de brouillons jonchant le sol, tu te saisis d’un énième vélin pour y coucher les mots qui scelleront le destin d’Archibald de Mairzac. Tour à tour, Ethin, Ybaen et Langehack furent brossés dans le sens du poil et les vassaux, sommés de demeurer sourd à un éventuel appel à l’aide de l’usurpateur. Demander de rejoindre l’ost pourrait s’avérer risquer, leur laisser croire que tu es suffisamment confiant pour menacer Missède avec tes seules troupes devraient les maintenir dans une certaine docilité.

De Sa Seigneurie Gaël de Laval,
Seigneur de Chiard,

A Sa Seigneurie d’Ethin,

Septième jour de la sixième ennéade de Favriüs de la Vingt-et-unième année du XIe Cycle.

Chère Dame d’Ethin, ma soeur,

J’espère que ces mots vous trouveront dans le meilleur de votre forme, ils portent en eux une requête à laquelle je vous sais favorable. Voilà quelques mois, nous avons tous deux perdu un parent en la personne de Maël. Nos relations ont toujours été cordiales et prudes mais je sais l’attachement que vous portiez à cet enfant qui fut le lien entre les Maisons d’Ernest et de Cécilie. Si jadis le mariage unissait nos Maisons, je puis dire aujourd’hui que le deuil renforce ce lien entre ceux qui restent. Nos proches n’aspiraient qu’à l’affection entre nos familles, aujourd’hui je vous implore de vous souvenir de ce lien. Un usurpateur a profité d’un tragique événement pour bafouer les lois les plus élémentaires du Royaume. Demeurez sourde à ses suppliques et placez votre confiance en votre frère pour rendre justice à Maël.

Puissiez-vous demeurer vigoureuse à l’approche du froid,
Sa Seigneurie Gaël de Laval

De Sa Seigneurie Gaël de Laval,
Seigneur de Chiard,

A Sa Seigneurie d’Ybaen,

Septième jour de la sixième ennéade de Favriüs de la Vingt-et-unième année du XIe Cycle.

Cher Sire d’Ybaen,

J’espère que ces mots vous trouveront dans le meilleur de votre forme, ils portent en eux une requête à laquelle je vous sais favorable. Voilà des siècles que nos familles se disputent le trône du Missédois et de cette concurrence est née un profond respect entre les trois Maisons fondatrices. Nos racines remontent à la Conquête, notre sang est pur et notre foi est grande, la présence d’un usurpateur issu de la basse noblesse urbaine à la tête de Missède est un affront impardonnable à nos Maisons. Profitant d’un tragique événement, il bafoua les lois du Royaume et s’empara de la couronne sur le corps encore chaud de mon neveu. Mon Seigneur, nous avons su rester à notre place lorsque votre ancêtre régnait sur Missède car sa légitimité était entière. Je vous saurais gré d’honorer ces lois qui ont fait ce que nous sommes. Demeurez sourd aux appels de l’usurpateur et maintenez votre ost entre vos murailles.

Puissiez-vous demeurer vigoureux à l’approche du froid,
Sa Seigneurie Gaël de Laval

Quant à Prudence, tu lui exprimas tes remerciements pour son soutien et l’informa de ton tout récent retour à Chiard, attendant ses indications pour rejoindre Missède sans créer de heurts sur le chemin tout comme à sa cour. Connaissant bien les jeux de pouvoir dans ce palais, tu préfères tenir informée ta suzeraine de tout mouvement pour ne pas commettre l’irréparable et la mettre dans l’embarras... Les vipères langecines sont le pire poison dans ce pays.

Il ne fallut pas bien longtemps aux protagonistes de ce coup d’Etat pour faire parler d’eux. Les deux maisons composants la baronnie firent part de leur entière coopération par la non-intervention de leurs hommes dans cette marche qui s’annonce. La dame d’Ethin, liée par le mariage à ta maison et au précédent baron ne fut pas bien difficile à convaincre. Dans ton cas comme pour le sien, le décès d’un neveu est une tragédie et la montée d’un inconnu sur le trône missédois, une offense. Si sa milice restait dans sa caserne, une troupe d’une cinquantaine de chevaliers se serait pressée à Chiard pour participer à la punition de l’usurpateur et partageant la volonté de réaliser une enquête sur les causes du décès de Maël. Toute aide se voulait bonne à prendre car nul ne savait à quoi s’attendre une fois devant les murs de la ville.

Ybaen resta fidèle à elle-même depuis la fin de la guerre civile et confirma sa neutralité factuelle tout en soulignant son soutien moral aux actions se profilant. Il n’en fallait pas plus pour être certain que tes deux futurs vassaux demeureraient obéissants à l’avenir. Son Excellence confirma sa venue à la tête d’une délégation, confiante sur l’abdication de l’usurpateur. Elle annonça un millier d’hommes se joignant aux tiens et à la délégation ethinoise. Ensemble, une force de près de trois mille hommes, une marquise et un désaveu vassalique devraient suffire à faire plier le plus téméraire des seigneurs.

Moins d’une ennéade après ton arrivée à Beaurivages, Prudence de Langehack accompagnée de Linaëlle et de son oncle approchèrent des murs de Chiard. Comme espéré, Léliande et Lancrais répondirent présents et la colonne hétéroclite se joignit aux levées rivegeoises pour marcher sur Missède. Au sixième jour de la septième ennéade de Favriüs de la Vingt-et-unième année du XIe Cycle, tu lanças ton armée sur la route pavée menant à Missède. La faible distance entre les deux villes fut rapidement réduite à quelques lieues. Au sommet d’un vallons agricole, l’avant-garde aperçut les faubourgs de la ville-capitale. Nulle armée ne s’était présentée à vous jusqu’à ce que vous posiez le pied devant les portes de Missède.