[Haut-Conseil] Avant que l'hiver n'arrive.

8ème jour, 1ère ennéade de Bàrkios.
Second mois de l'Automne | Année XXI | XI Cycle.
Thanor – Salle du Haut-Conseil.

Harald ne prit point beaucoup de temps après son retour de la montagne de feu. Quelques jours, à peine plus. Il dormit, le premier jour. Epuisé autant physiquement que mentalement, meurtri en son cœur, il avait besoin de repos… On s’était inquiété de ne point le voir se mouvoir durant une journée et une nuit entière, mais les guérisseurs runistes mobilisés furent sans appels : Harald était tout simplement épuisé et meurtri, et avait besoin de temps pour pouvoir se relever – métaphoriquement et physiquement – et reprendre son rôle de souverain.

La mort de Braähm avait été une tragédie pour Harald. L’ancien ami avait beau avoir tout fait pour toujours outrepasser le Roi ; se refuser à le suivre, à l’écouter et à lui obéir ; le mettre dans une telle position politique et religieuse qu’il n’avait plus eu le choix que de sévir, une bonne fois pour toute. Puis Ararün… Fier officier général de Kirgan, capable et doué… Sa mort était une tragédie pour le Zagazorn, et pour Kirgan également. Perdre un tel officier expérimenté était toujours abominable… Mais lui aussi avait forcé la main de Harald. Et il ne pouvait point faire deux poids deux mesures.

Remis sur pied en partie grâce à la bienveillance de ses enfants, Baldwin et Hilda, Harald se remit au travail. L’hiver allait arriver, et les neiges, les vents et les tempêtes empêcheraient bientôt tout mouvement militaire. Ce n’était encore pas cette année que l’ont verrait la reprise de la Nérania… Ni celle d’aucun autre territoire. Mais il fallait tout de même se préparer. Alors, Harald se rendit à Thanor, qui devait avoir reçu la missive royale à la fin de l’ennéade précédente. Un Haut-Conseil allait avoir lieu… Et Harald y assisterait en personne.

Lorsqu’il arriva à Thanor, la cité était en liesse. On l’accueillit, on échangea quelques gratitudes et autres témoignages, puis, on se dirigea vers le palais et la salle du Haut-Conseil. Harald y siégea dans les premiers, et attendit. Les membres du Haut-Conseil venaient parfois de loin, où étaient occupés à l’extérieur de la cité et devaient revenir rapidement... Alors, il attendit que tous arrivent, en buvant une pinte généreusement offerte par les Nains de Thanor.

L’automne était une saison inquiétante pour un éleveur. Plus que l’hiver. Tout se jouait maintenant pour l’hiver. Selon qu’il était doux ou bien froid, les bêtes allaient plus ou moins s’en sortir. Il fallait préparer les étables afin qu’elles soient bien remplies, chaudes, et ne soient pas dangereuses pour les petits. Les adolescents eux, allaient être plus difficiles à confiner, et allaient sûrement nous causer quelques soucis et des gouttes de sueur supplémentaire. Tous les soirs le ballet incessants des troupeaux, à regrouper et à rentrer, de plus en plus tôt, suivant le soleil. Nous avions été chanceux toutefois, car les dieux n’avaient pas envoyés trop de pluie qui détrempaient nos sols. Juste assez pour ne pas les laisser mourir et garder l’herbe relativement verte. Mais le vent qui soufflait du Nord allait apporter son lot de froid et de complications, je le sentais.

L’hiver n’était désormais plus ma préoccupation. Plus depuis la réception d’une missive, destinée aux membres du Haut Conseil, arrivée il y a quelques jours. Un Conseil spécial allait se tenir avec le retour de l’expédition du volcan. Cette missive apportait son lot de mauvaises nouvelles, aussi sombres que les ailes du corbeau qui l’avait amené. Nous avions perdu de vaillants nains, qui avaient perdu l’esprit, et qui nous ont également poussé à rentrer en guerre avec des espèces de semi-dieux nains vivant au beau milieu de la lave. C’est ce que disait la missive du moins. Maintenant, il fallait se préparer, et mettre en branle tous les clans à l’unisson, afin qu’au printemps prochain, les troupes soient prêtes à se rendre vers le Nord à nouveau, afin de récupérer nos terres.

J’avais gardé la missive sur moi de peur que, laissée en vrac sur mon bureau, quelqu’un de trop jeune et fougueux tombe dessus et épouvante le Clan avec des histoires de nains impossibles à affronter. J’avais simplement expliqué aux miens que l’expédition était revenue après avoir rencontré ces fameux nains de feu, et que notre Roi tenait à récupérer nos terres, quite à affronter ces créatures. J’avais également annoncé la mort de Braähm le Fou et Ararun, en regrettant la disparition de ces nains, qui avaient accomplis de grandes œuvres avant de perdre l’esprit et de devenir des fanatiques de Mogar. Ces deux personnages étant très peu connus de notre Clan, nous étions plutôt focalisés sur l’effort de guerre et sur nos capacités à fournir montures diverses et variées ainsi que nourriture. Principalement viande, mais le lait servirait également à réaliser du fromage. J’étais admiratif de notre motivation, mais j’avais suffisamment grogné pour me faire comprendre. C’était le Haut Conseil qui allait décider de notre stratégie, et pas le clan Barbedrue individuellement.

En cette fin d’ennéade, j’avais donc pris la route vers Thanor, accompagné de quelques anciens du Clan et compagnons, sur des montures d’apparât, à la vision des nains bien entendu. Le cliquetis du métal qui s’entrechoquait témoignait des muscles de ces bêtes sous une armure d’acier. Leurs cornes brillantes et leur obéissance au point de trotter à l’unisson ne pouvait pas laisser indifférent. Certes, elles n’avaient pas le poil brillant ni les sabots propres, mais cela ne comptait pas pour moi. Pas plus que ma tenue, qui était assez simple, la plus rudimentaire de tous les membres du Conseil. J’essayais de rentrer dans ce rôle politique tant bien que mal, avec mon style.

Une fois arrivé, je m’attendais à trouver déjà quelques nains autour de la table. Mais en poussant la porte, mon regard se posa en premier lieu sur le Groman Rik, qui nous avait fait l’honneur du déplacement.

“Baruk membres du Conseil. Baruk Groman Rik! Que ta voix et tes conseils nous guident durant les temps sombres à venir!”

Je m’installais, saisissant une chope encore remplie. Je bus la moitié d’une traite, assoiffé après ce trajet. D’un revers de manche, je m’essuyais la barbe humide. L’impatience se faisait sentir. Nous étions pratiquement au complet.

Seul – ou presque – dans cette immense salle du conseil, Harald eut le temps de contempler le silence. Le silence d’une pièce, le silence d’un manque de vie dans cet endroit où, dans quelques heures, se déclameront discours et prises de positions concernant l’avenir de quelques projets. Le silence, face au bruit assourdissant de sa caboche pleine de pensées bourdonnantes. Pourtant, il se savait en endroit sûr : Thanor, tout comme Lante, s’était toujours montrée prompt à répondre aux ordres et appels de la couronne depuis le Voile. Mais, pourtant… Harald n’était point tranquille.

La météo ne faisait qu’empirer ces derniers jours, et le manteau neigeux grandissant, s’épaississant, arrivait bien tôt dans les plaines du Brissalion qui, d’ordinaire, ne se paraient du blanc neigeux qu’en plein cœur de l’hiver, et non aussi tôt en Automne. Les vents, eux aussi, se levaient de plus en plus souvent, de plus en plus forts… Nul doute que son voyage entreprit depuis Kirgan jusqu’à Almis en passant par les cités de Thanor et de Lante allait s’en trouver ralenti, et autrement moins facile.

Lorsqu’enfin arrivèrent les membres du Haut-Conseil, Harald avait presque terminé sa bière. Tous les saluèrent, lui offrirent soutien, salut et respect. Bien-sûr, il rendit tout cela, se levant, donnant l’accolade, offrant quelques mots et autres témoignages respectueux. De seconde en seconde, Harald se sentit de plus en plus à sa place, et de plus en plus satisfait. Sa confiance en lui revint… Et, alors qu’entrait enfin Glumtol, Harald commença ce conseil en prenant la parole.

« Amis et fiers conseillers, je suis heureux de vous voir toutes et tous aujourd’hui, heureux et en pleine santé. Vos joues rougeaudes trahissent la froideur ambiante, mais vos cœurs chauds suffisent à emplir cette pièce d’une chaleur qui réchauffe ma Braise-Vie. » Commençait-il, débutant alors ce conseil comme il avait déjà eu l’habitude de le faire depuis le début de son règne lors des derniers conseils auxquels il avait participé. Remerciant d’ailleurs Glumtol d’un geste du visage – une inclinaison respectueuse – il continua bien vite, ne laissant point son audience perdre son attention. « Je sais que ma missive vous aura tous trouvé, et donc, que vous savez déjà ce qu’il s’est produit là-haut, sur la montagne de feu. J’ai ordonné l’exécution de Braähm, le Fou, et d’Ararün, le Traître. L’un, pour avoir une nouvelle fois désobéi à mes ordres, avoir bafoué mon autorité, et avoir fait preuve une nouvelle de sa dévotion envers le Père, traître à ses enfants ; l’autre, pour avoir rejoint le premier dans ses idées fanatisées, le défendant au tout dernier moment. L’honneur me dictait jusqu’ici de laisser à Braähm la vie sauve, et de lui laisser aussi une place pour s’exprimer, car il était un ami, et un Dawi vertueux. Là-haut, l’honneur me commanda toute autre chose… Et ainsi ordonnais-je l’exécution des deux traîtres, et exécutais-je moi-même la sentence. Vous le savez… Vous l’avez lu… Mais ne point vous laisser l’opportunité de m’en parler aujourd’hui aurait été déshonorant pour vous et moi. Alors, si vous en ressentez le besoin, nous pourrons en parler. » Dit-il, laissant un court silence à l’issue de son récapitulatif avant de finir sa chope d’un cul-sec un peu trop court à son goût. A peine avait-il eut de quoi humecter cette bière qu’il appréciait. « Vous l’avez également lu : là-haut se trouvent des Nains de feu et de cendre. De ce que j’en ai moi-même miré, ce sont d’anciens fanatiques du Père, tués dans les rangs de Dun Eyr, sauvés par le feu d’un béhémoth des temps jadis, des temps d’avant le Père même… Et qui sont devenus ses serviteurs. D’un seul gardien, j’en ai miré ensuite une dizaine, tous la pogne coupée et remplacée par une arme de lave et de flammes. Là où ma barbe commençait à brûler, eux pouvaient se mouvoir sans ressentir quelconque morsure que ce soit… Et s’ils ne se montrèrent violent qu’envers l’effronté… Ils n’en demeurent pas moins une menace pour notre peuple. Une menace qu’il nous faut prendre en compte, car non loin se trouve Almis, la Perle du Nord. Nous ne pouvons pas laisser la cité souffrir d’une telle menace, et devons des à présent l’aider, anticiper… Aussi ai-je ordonné que les armées Lantaises et Thanoriennes se préparent, fassent l’appel, s’équipent, et que nos scellerunes exercent leur art dans nos armes et armures afin de permettre à nos soldats de disposer de la magie contre ceux qui sont aidés par des êtres presque divins. Je suis à votre disposition, si vous avez des questions, ou des besoins… Ou bien des idées. »

Nous attendions la Voix de Thanor, qui ne nous avait pas fait attendre. En tout cas, il était arrivé après moi. C’est alors qu’Harald pris la parole, rappelant une nouvelle fois le contenu de sa missive funeste. Comme un défi, il laissa un court silence, mais personne ne prit la parole. A quoi bon? Tout le monde tenait à sa caboche sur le reste de son corps. Il avait très bien signifié le destin de ceux qui iraient contre son avis. Désormais, le contredire serait complétement fou. Autant se jeter du haut d’une montagne. Mais s’il avait décidé de venir au Haut Conseil, c’est qu’il ne souhaitait pas gouverner seul malgré tout.

Il reprit la parole sur les fameux nains de feu, qui piqua la curiosité de l’Assemblée. Et leur appellation n’était pas une métaphore. Le Groman-Rik les décrivait bien comme étant des nains disparus, à qui la vie avait été insufflée de nouveau par un autre être surpuissant. Ainsi donc ces êtres vivants au milieu des flammes avaient le potentiel de nous être belliqueux, pour avoir renié le Père par exemple.

Je restais circonspect, comme le reste de l’Assemblée. J’étais loin de l’ambiance au milieu de mon Clan, pleine de liesse et de courage. Ici, le doute et la réflexion l’emportait. Je n’hésitais pas à l’exprimer.

“Comment comptes-tu les arrêter? S’ils sont tels que tu les décris, vivant au sein d’un feu plus fort que nos forges, ils brûleront champs et bêtes sans se retourner. Il nous faudrait l’aide de cette météo, menaçant pourtant mon Clan, pour les ralentir.”

Harald savait qu’en reparlant de ce qui se trouvait dans sa missive, il replacerait les craintes et les peurs des conseillers au premier plan de cette discussion. Mais quel souverain ne pouvait point laisser l’opportunité à celles et ceux qui font l’honneur d’une nation, de poser leurs questions, exprimer leurs craintes, et demander ce qui pouvait être fait ? Un mauvais souverain, sans doute… Et Harald, bien qu’autoritaire et sans doute aujourd’hui moins bien vu qu’au jour de l’Althinkalan, demeurait un souverain qui gouvernait avec les représentants de son peuple. Thanor était une cité importante qui possédait certains des cerveaux les plus éminents du royaume tout entier, et les emprunter, parfois, pouvait permettre d’obtenir d’autres idées, d’autres points de vue, et des solutions à certaines problématiques qu’Harald seul n’aurait pu obtenir entre les murs de son bureau.

« Nos runes peuvent produire un froid plus glacé qu’un blizzard. Elles peuvent protéger un porteur, et réduire les affres du feu ; rajouter à une lame un pouvoir glacial… Nous aurons besoin de l’aide de nos runistes pour geler nos adversaires, leur terre, et anéantir leur avantage brûlant. Nous devons nous y préparer… Et l’hiver arrive, et tous les signes indiquent qu’il sera froid et tempétueux, ce qui devrait nous protéger. Nous nous préparerons. Il n’est pas question de retourner là-haut, dans le Nord, pour l’instant. Uniquement de nous préparer et d’éviter de nous faire surprendre. »

A dire vrai, Harald aurait souhaité avoir d’ores-et-déjà des idées, et des propositions de la part des conseillers. Et il en eut une de la part de Glumtol… Qui n’allait point dans le sens pensé et prévu. Sceller Almis ? L’évacuer une bonne fois pour toute ? Encore une fois, Glumtol apportait un point de vue économique, et strictement économique. Rapatrier les ressources, les soldats, et économiser les finances des deux villes… Pourquoi ? L’honneur ne commandait-il point de garder et défendre ce qui appartenait aux Nains de droit ? Raisonner en rentrées et sorties, en coûts et dépenses, était un raisonnement faux et déshonorant… Les Nains étaient bien plus fiers que cela… Et bien plus honorables également. Pourquoi s’entêter à vouloir reprendre les territoires perdus si c’est pour abandonner une cité toute entière ? La seule chose qui pourrait faire pencher la balance en cette faveur, est la présence – bien que détruire – de l’ancien Grand Temple de Mogar… Etant donné les réminiscences de velléités Mogarites dernièrement, enterrer la cité qui, des millénaires durant, représentait le cœur ésotérique Mogarite pouvait être une excellente idée… D’un point de vue politique. Mais, à l’heure d’aujourd’hui, Harald n’était point prêt à un tel sacrifice. Après tout… Almis méritait de survivre, et aider la cité est un grand honneur.

« Abandonner la Perle de l’Est n’est pas discutable, mon ami. Ce n’est point une solution, à mon sens, mais un nouveau problème qui ne se pose pourtant point à nos caboches. De plus, raisonner en coûts et dépenses n’est point une habitude de notre peuple, surtout lorsqu’il s’agit de notre fierté, de notre territoire, de notre peuple justement. Quant au Béhémoth… Nous aviserons en temps et en heure. Je n’ai ordonné qu’une préparation, point une offensive. Il n’est pas encore l’heure de l’offensive… »

Visiblement il existait un dawi autour de cette table qui ne tenait pas à sa caboche. Et c’était le dernier arrivé, Glumtol. Mais j’avais l’habitude. Et il avait raison d’avoir des réserves. Tout miser sur des runes et de la magie, alors que nous sommes avant tout une force de la nature, je ne trouvais pas qu’on misait sur notre survie. J’avais envie de grommeler que nous n’étions pas des elgis. Mais Glumtol et Harald continuaient de débattre sur Almis. Je gardais l’oreille tendue. Je n’étais pas vraiment dans un camp ni dans l’autre.

Abandonner une cité, que nous avions mis tant d’énergie à reconquérir, il en était hors de question. Mais aller à la guerre contre des choses que nous ne pouvions pas combattre, il en était hors de question aussi. Je soupirais. Pourquoi les montagnes voulaient-elles notre mort? Devions nous encore et encore prouver notre droit et notre honneur à vivre dans le Zagazorn?

Mais Glumtol, toujours aussi déterminé et investi dans ses idées, manqua un détail dans la réponse d’Harald qui me suffit à prendre ma décision. Il avait bien répété, et deux fois, que cela n’était pas une offensive. Juste une simple préparation. Se préparer à se défendre paraissait beaucoup plus raisonnable, bien que toujours un peu fou.

“Nous sommes bien ici pour discuter ami Glumtol, ne te méprends pas. J’suis moi aussi assez peu convaincu d’aller abattre des créatures ayant le soutien de choses plus anciennes que les dieux eux-mêmes. Mais ici il n’est point question d’une offensive, Harald?”

J’attendais un signe de sa part, une quelconque confirmation, avant de continuer.

“Attaquer est une chose. Se défendre en est une autre, beaucoup plus importante à mes yeux. C’est bien le devoir, l’honneur et la fierté qui nous de ne pas reculer devant l’ennemi! Nous pouvons point nous laisser chasser s’ils v’naient nous chatouiller le joufflu. Les user, si cela reste possible, tenir un siège, nous pouvons nous y préparer.”

Toutefois je concluais par une mise en garde, tout en caressant ma barbe rousse.

“Mais en l’état, nous préparer à une offensive n’est point possible. Ou du moins, il faut d’mander à des runistes l’état de leurs magies, que nos montures puissent résister aux flammes!”

Les mots de la Voix de Thanor étaient forts de sens, acérés dans leur constitution car aussi effilés qu’une lame et aussi durs qu’un roc. Il n’avait donc point tort, d’une certaine manière, mais point tout à fait raison non plus. Encore une fois, Glumtol montrait les qualités mais aussi les défauts qui avaient fait de lui le parfait prétendant au poste de Voix de Thanor, sur les toutes dernières années.

Il était doté d’un sens aigu de l’analyse dans tous ses aspects. Grand mineur de fond, thane dévoué et maître de cérémonies festives à la réputation aussi sulfureuse que passionnée, Glumtol était sans aucun doute l’être parfait pour tout ceci, à une condition près : ce n’était point un militaire. Et s’il possédait en effet un sens stratégique de l’économie, des finances et du développement, c’était autrement moins le cas en matière de tactiques militaires et de stratégies guerrières. C’est pour cela que la cité portuaire s’était dotée – comme la cité militaire de Lante – d’une Première Hache, et pas des moindres : Valya Brise-Etoile. C’était sans doute à elle de prendre en charge ce genre d’idées et de débats, mais pour l’heure, Glumtol semblait s’en charger.

Toutefois, une partie des mots de Glumtol piqua la curiosité et l’orgueil de Harald. Des mots que la Voix de Thanor avait sans doute choisi avec précision : interdit d’interdire de penser ? Pourquoi ? Quand ? Comment ? L’attitude de Glumtol avait changé… Et Harald semblait savoir pourquoi : la mort de Braähm et d’Ararün, décidée par Harald et exécutée par lui-même. Harald comprit : si les Conseillers semblaient comprendre le pourquoi de ces exécutions, ils ne toléraient point – ou s’inquiétaient – de la manière dont cela fut fait. Et alors, Harald passait pour un Roi tyran.

Comprenant alors qu’il manoeuvrait sur des marges autrement plus étroites qu’auparavant, le Roi se redressa sur son assise et expira, tel un grondement profond. A la question de Gorin sur le fait que tout ceci n’était point une offensive, Harald eut un mouvement d’approbation.

« Glumtol… » Reprit Harald, sa voix grondante car il parlait alors à voix presque basse comme si l’air semblait sortir de ses entrailles et non de ses poumons. « Je reconnais bien là ta manière de parler, et ta façon de tout remettre en question, et de bousculer l’ordre établi. Mais ne t’y trompes pas : je ne suis pas un tyran. Je ne l’ai jamais été, et je ne le serais jamais. Je ne serais toutefois pas un faiblard, ni un couard, ni un pisse-lait mou du joufflu. Mon rôle est, entre autres, de décider quand cela s’impose. Et pour ce qui est de la sécurité du royaume, cela est de mon rôle tout entier. Si, demain, nous devions nous trouver à la tête de nos troupes, c’est moi qui en déciderais des missions et des ordres. Mais si, demain encore, c’est au fond d’une mine, ou dans les entrailles du Septentrion que nous devions nous trouver, c’est toi, qui serais alors le maître des décisions. Car je ne suis point mineur, et n’ait point ton vécu. Ce qui est alors ton cas, en ce qui concerne la guerre. » Dit-il, conscient qu’il se faisait toutefois plus sévère que les autres fois, et que l’orgueil de la Voix pourrait être titiller une seconde fois. « Non, je ne suis pas venu pour préparer une offensive, car l’hiver arrive et il sera froid, dangereux et violent. Je ne suis pas non plus venu pour exiger, sans entendre. Je suis venu pour vous exposer la situation telle qu’elle existe, sans détours ni mensonges, et recevoir vos conseils. » Rajoutait-il, avant d’écouter les dires de Gorin, puis de répondre à son tour. « La défense doit se préparer en avance, mes amis. Les runistes savent ce qu’ils ont à faire, et leur magie est puissante. Nous avons toujours pu compter sur leurs runes gravées pour renforcer nos armées au besoin, et cela ne cessera point demain. Nous devons nous préparer… Car, tant que la météo sera de notre côté – et le froid hivernal et les tempêtes de neige à venir vont en ce sens – nous serons en sécurité. Mais nous ne pouvons rester là à attendre en espérant que rien n’arrive. » Dit-il, prenant une gorgée de bière pour s’humecter le gosier avant de reprendre ses paroles. « Pour l’heure, l’abandon d’Almis n’est point imaginable. J’étais moi-même présent lors des trois offensives qui eurent lieu autour de la cité : contre les Grobis et Kobolds puis contre les fanatiques de Dun Eyr. J’ai failli y perdre la vie, transpercé par une lance. Souvenez-vous : au sortir du Voile, Lante et Thanor évoluaient presque sans échanges, se méfiant l’une de l’autre, jusqu’à-ce qu’Hardrek Poing-de-Fer ne nous réunisse sous la bannière du royaume. La cité d’Almis et les offensives successives, et la coopération qu’elle nous demande pour la protéger et la maintenir en vie, sont le terreau de notre réunification. Une réunification encore jeune, qui ne date que de treize années. Nous ne pouvons abandonner la cité comme cela, et certainement pas pour des considérations économiques en premier lieu. La protection des vies des Almiens est importante, oh oui… Mais sceller la ville n’est encore point imaginable mon ami. Cela serait une offense à ceux qui furent tués pour la reprendre… Feu Alaric Œil-Tempête, précédente Voix de Thanor, y aura laissé sa vie, lui aussi. Nous devons juste nous préparer… Uniquement nous préparer. Et, s’il le faut, sceller la zone où se trouvent les Nains de feu, et ne plus y retourner. Le Septentrion est grand, nous pourrions reconquérir l’Ouest de ces montagnes à défaut d’aller vers l’Est de celles-ci. »

Semblant là de toutes ces palabres, Harald se redressa et émit une sorte de soupir grondant. Les nains n’étaient pas fait pour palabrer longtemps. Du moins, pas le ventre vide. A ce rythme, j’imposerai que les Haut Conseils se déroulent durant des déjeuners copieux, avec des produits locaux. Il répondit tout d’abord à la Voix, d’un ton plutôt grave, qui pouvait sonner comme une mise en garde. Toutefois, ses dires n’étaient pas en accord avec cette impression. Ces paroles, c’était toujours le bon vieux Harald, qui faisait peut être ressortir son coté militaire que nous, les artisans, nous avions peu.

Puis à la suite de mes paroles, il tenta aussi de répondre à mes critiques sur l’offensive, en soulignant à juste titre que l’hiver était notre allié en ce moment. Mais il ne me fera pas croire que les runes sont les seuls éléments dont nous aurions besoin. Les nains sont comme les bêtes, ils ont besoin de confiance, d’avoir confiance, pour suivre et se libérer. Et je ne suis pas sûr qu’un si faible argument soit suffisant.

Enfin, le Groman Rik enterra l’idée d’abandonner Almis, qui n’était de toute façon pas l’idée du Conseil tout entier, en rappelant qu’elle était le symbole de notre union. Je pris moi aussi une gorgée de ma chope, peu animé par ces débats. Après tout, Harald avait déjà donné toutes les raisons pour me faire dire que mes conseils ne seraient pas d’une grande aide. Je n’avais pas le vécu de la guerre. Mais je ne le prenais pas mal. Je ne voulais pas avoir ce vécu. Le plus proche que je suis des armées, c’est à travers mes bêtes et leur entraînement, avant de les envoyer comme monture de combat. Et c’était ce pour quoi j’étais fait.

“Si tu dis que cela est important, je te crois Groman Rik. Mais dans ce cas, je ne sais pas ce que tu recherches en convoquant le Conseil. Nous sommes tous de métier différent pour une bonne raison: une cité a besoin de tous les métiers pour prospérer. Ici, il n’est question que de guerre et de stratégie de préparation. J’nai point ta connaissance et ta caboche pour estimer tout cela. Je me contente de ce que je sais, envoyer des béliers aux armées, mais je ne suis point sûr que c’est c’que tu cherches comme conseil.”

« Votre confiance m’honore, conseillers. Et votre force de caractère est telle les racines d’une montagne : calme, invisible et pourtant si fondamentale aux plus beaux édifices. »

Harald était soulagé d’entendre les mots des principaux conseillers. Oh, il n’en doute point : il devrait s’entretenir bientôt avec l’Ongaraz et devrait s’attendre à encore bien plus de questions, mais aussi, d’hypothèses et autres propositions. S’il ne doute point un instant que la Première Hache sera d’une discussion intéressante, les mots du Maître Eleveur n’étaient point dénués d’importance. D’ailleurs… Harald arqua un sourcil : alors que lui prenait certains propos pour une forme d’ingérence militaire par des Nains non formés aux métiers des armes, son ton autoritaire et ferme avait fermé la porte à un Nain qui, en réalité, ne cherchait qu’à se rendre utile dans son propre domaine. Le sourcil arqué se transforma ensuite en une moue de sollicitude et un soupir profond.

« Tu as raison Gorin. Ce qui vit là-haut est sans doute une menace, et celle-ci accapare mon esprit. Je suis venu ici en quête de conseils, sur ce que la ville pouvait offrir face à un tel défi, et sur la manière de coordonner tout cela. Ces conseils étaient purement militaires… Et j’en ai sous-estimé l’importance du regard extérieur. L’importance de l’éleveur, du forgeron et du mineur… Une erreur presque naïve, indigne d’un Roi. Mais je l’ai faite… Je te dois, Gorin, et à toi aussi, Glumtol, des excuses pour ce carcan militaire qui m’aura fait vous manquer de respect aujourd’hui. En tant que Roi, je suis en capacité de vous commander ces choses… Car vous m’avez voté, jadis, et j’ai été revoté voilà peu face aux injonctions de Braähm. Mais ce n’est pas le Roi que je veux être : l’autorité ne doit être utilisée qu’en cas de dernier recours, comme ce fut le cas là-haut. Merci… De m’avoir remit le cerveau dans ma foutue caboche. »

Et, pour couronner cette prise de conscience, il leva sa pinte et inclina la tête, avant de vider d’un trait les quelques centilitres qu’on aura versé dedans tout à l’heure. Ce conseil, finalement, aura été de bon augure.

« Empruntez les caboches de vos runistes. Ceux-ci travaillent avec l’armée depuis des lustres. Et… Vous qui connaissez maintenant très bien Almis après toutes ces années à aider la ville face aux dangers qu’elle encourt, conseillez la Première Hache, et nos armées, sur la défense de la cité. Car il ne s’agit que de défendre, pour l’instant. »

Il lui fallait se rendre à Lante, maintenant.