(HAUT CONSEIL) Le retour de l'enfant du pays

Milieu de la 1ère ennéade de Favrius – Premier mois du Printemps.
18ème année du XIème cycle.
Thanor – Cité Naine.

Ainsi, l’hiver avait laissé place au printemps. Les neiges bloquant les cols des montagnes du Nord fondaient un peu plus à mesure que les jours se réchauffaient, et les terres du Sud se paraient de nouveau de jeunes pousses d’arbres, de buissons et de plantes. Les premiers bourgeons naissaient sur les branches nues des arbres, eux qui furent si consciencieusement entretenus par les clans de chasseurs et de cueilleurs du Zagazorn. Les clans agriculteurs, eux, surveillaient l’état de la terre et le dégel afin de préparer les premières semailles. L’on fêtait le renouveau après un hiver rude, si commun aux hivers du Nord. Girdon, le Ripailleur, allait être honoré par de somptueux banquets réalisés dans les cités et les places fortes Naines, ou entre clans, comme le voulait la coutume.

L’expédition menée par Braähm, thane du clan Main-Ferme, et par Thordril, jeune forgeron prometteur du célèbre clan Hargrund, continuait son bonhomme de chemin, bien que les nouvelles provenant d’eux, se faisaient plus rares. Rien d’inquiétant pour le moment, mais Harald, souverain du Zagazorn, suivait les choses avec grande attention.

D’ailleurs, sa venue à Thanor s’expliquait par un autre projet, tout aussi important. Glumtol Barbe-De-Fer, avait réalisé durant le dernier mois, une mission de la plus haute importance : sécuriser la route entre Kirgan et Molgrunn, et s’occuper des défenses de l’antique cité. S’en revenant à Kirgan, il avait expliqué à Harald l’étendue des travaux, la construction des deux forts dont l’un fut nommé en l’honneur du soixante-huitième Grand-Roi du Zagazorn fraichement élu. Molgrunn, allait bénéficier d’améliorations de grande ampleur, et d’un agrandissement de la Grandsalle des Scriberunes, ainsi que la construction d’une tour du conseil des Archirunistes.

Et enfin, Harald avait levé le bannissement des Almiens. Dix ans durant, ceux qui levèrent leurs haches contre la couronne reformée, lors du siège d’Almis, avaient été bannis de la Perle du Nord, s’ils prêtaient serment à la couronne. Ce qui ployèrent le genou, prêtèrent serment, et firent tout ce qui était demandé pour être digne du royaume, durant cette décennie, furent autorisés à retourner à Almis. Ainsi, la Perle du Nord bénéficierait bientôt de l’afflux de cette force vive, qui, à n’en pointer douter, serait un bon augure pour ladite cité, qui aura tant souffert par le passé.

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Harald arriva donc, en ce milieu d’ennéade, en grande pompe. Précédé par deux cognards en armure dorée, montés sur des béliers de guerre, le souverain portait son armure traditionnelle, faite de plaques de plate d’un noir de jais, surmonté d’épaulettes couleur dorée, et ceinturé d’une jupette couleur or. Derrière lui, couvrant sa selle en cuir et une partie de l’arrière train de sa monture, flottait aux vents sa grande cape couleur rouge carmin, avec les emblèmes du royaume du Zagazorn. Toutefois, la couronne de Hardrek, faite d’or et incrustée de rubis, d’émeraudes, et de diamants, remplaçait son traditionnel heaume de plate. Ainsi visible, les rayons du Zarrat resplendissaient sur le métal doré de la couronne, lui rendant une aura guerrière doublée d’une allure presque divine. Le restant de la colonne royal, lui, arriva dans le fracas des pas des Béliers.

Ils entrèrent dans Thanor qui, informée de la visite du Roi, et ayant pu le voir arriver loin, avaient ouvert ses grandes et épaisses portes menant à l’intérieur de la montagne. Thanor était un des multiples joyaux du Zagazorn. Elle était la seule cité Naine à bénéficiait d’un port à l’intérieur de la montagne. Cette prouesse architecturale et technologique, émerveille quiconque le visite pour la première fois, et coupe le souffle de chaque marin qui en franchit la ligne. Tout comme Lante, Thanor bénéficiait d’une Enclave commerciale où les Humains, les Elfes et les Sangs-Mêlés, étaient autorisés à se rendre, à loger et à commercer. Mais, tout comme Lante, le cœur de la ville était interdit aux non-Nains.

La venue du Roi, la première pour Harald en tant que nouveau souverain – le sol de la cité ayant été maintes fois foulé par les nombreux souverains qui firent l’histoire du Zagazorn – avait bousculé la vie quotidienne de la cité portuaire troglodyte. L’Enclave fut cernée par une garnison de garde trois fois plus nombreuse que la normale, tout comme le port fut encadré par moultes guerriers, et serveur d’armes de sièges et de jets. Chaque commerçant non Nain, fut contrôlé, leurs autorisations de foule-sol, de commerce et de séjours, étant vérifiées. Autrefois, certains auraient été tout bonnement renvoyés manu-militari, car ayant oubliés leurs autorisations, ou étant à quelques jours de la fin de leur temps de séjour. Mais l’assouplissement des mesures migratoires et commerciales, permit aux commerçants approchant de la fin de leurs périodes de séjour, de bénéficié de toute la prise en charge des Nains, lesquels firent ce qu’ils avaient à faire pour pouvoir mettre à jour les statuts des presque retardataires.

Harald, pour sa première journée à Thanor, avait visité le port de la ville, ainsi que l’Enclave, le quartier des forges, le Cénotaphe d’Alaric Œil-Tempête, et la Grandloge de la Mine et du Métal, organisée sous l’impulsion de Harald. Le but de cette Grandloge était de donner une position centrale, une organisation officielle, au savoir cycléen des forgerons et mineurs de Thanor. De la même manière que la Grandsalle des Scriberunes agit comme édifice central du savoir runique en Zagazorn, la Grandloge de la Mine et du Métal, se veut être le pilier central du savoir Nain. Bien qu’il ne s’agisse que d’une construction pour quelque chose qui existait déjà, en somme.

Le soir, Harald fut invité à se rendre dans l’une des auberges de la ville. Désireux de rester proche de son peuple, Harald refusa d’être logé par le Haut-Conseil dans une des chambres du palais de Thanor, et il loua plusieurs des chambres d’une auberge qu’il connaissait déjà, et qui avait la réputation d’être appréciée par Glumtol lui-même. En soit, savoir qu’une taverne est appréciée par Glumtol, c’est un gage de qualité !

Il y passa la soirée et la nuit, avec sa suite, avant de prendre la direction du Palais de Thanor et de la salle du Haut-Conseil, qu’il ne tarderait point à atteindre.

Salle du conseil de Thanor telle qu'illustrée par Morek Tête-De-Fer

Les tours et les détours de la cité troglodyte, charmèrent sans commune mesure le souverain du Zagazorn. Harald, fier de voir cette cité si forte, si développée, si vivante, s’était arrêté un instant sur un petit promontoire, afin de scruter l’horizon rocailleux. Creusée ainsi sous la montagne, de grandes portions de la cité étaient dégagées sur des centaines de mètres, avant qu’un flanc de montagne, préservé pour son côté porteur, ne bloque la vue et la vie qui se trouvait derrière. Car les Nains, non contents de creuser la roche, savaient aussi la préserver de sorte que jamais le toit de roche ne s’effondre. De la même manière qu’une maison est construite au-dessus du sol, et que certaines de ses murs sont dits « porteurs », des pans entiers de montagne sont sauvegardés et sculptés, de sorte à soutenir la montagne.

Mais entre chaque portion porteuse, se trouve de véritables quartiers visibles depuis les hauteurs de certains bâtiments et autres constructions. On y entend alors les coups de marteaux des forgerons sur leurs enclumes, les bruits des haches et des boucliers des gardes et guerriers à l’entrainement, les cris des commerçants, des crieurs et autres vendeurs parfois ambulants. Une vie foisonnante, qui ferait presque oublier le Voile et l’Ire destructrice de Mogar, pourtant encore si proche dans la mémoire des Dawis.

Puis, Harald, vêtu de sa fidèle armure qu’il ne quitte presque jamais – sinon à Kirgan lorsqu’il demeure dans son bureau – avait reprit la direction du palais du conseil. Deux gardes royaux vinrent se mettre en faction face aux gardes de la cité, non pas par manque de confiance, non. Harald avait confiance en la solidité des cognards de Thanor. Il s’agissait plutôt là de la marque d’un souverain. Les gardes royaux, reconnaissables à leurs armures dorées, et leurs hallebardes portant les étendards royaux, indiquaient simplement la présence du Grand-Roi dans la salle du Haut-Conseil.

Il descendit la branche droite de l’immense escalier, lequel était fait de deux branches : une droite et une gauche, descendant dans en suivant la trajectoire d’un demi-cercle, et permettant de rejoindre l’immense salle du conseil, et la grande table de granit qui s’y trouvait. Se sachant légèrement en retard – la faute à une soirée bien dodue et arrosée la veille – il prit toutefois le temps de saluer toute la tablée d’un geste du poing frappant son plastron, avant de s’asseoir là où se trouvaient les runes indiquant son nom.

Et c’est là qu’une question lui vint : fallait-il qu’il ouvre lui-même ce conseil ? La réponse fut double, et dichotomique : oui, et non. Oui, car il était le Grand-Roi, l’autorité suprême du pouvoir Nain, la figure politique, diplomatique, martiale et judiciaire de tout le Zagazorn. Son autorité, de fait, surpassait celle de tous les membres du Haut-Conseil, qui, en plus, ne possédait point de voix. Non toutefois, car ce n’était point lui qui était le commanditaire de cette réunion du Haut-Conseil. Ce n’était point sa voix qui avait fait venir les membres du Haut-Conseil, et ce n’était point lui qui avait rédigé l’ordre du jour : c’était Glumtol, thane du clan Barbe-De-Fer, et membre du Haut-Conseil.

Alors, il prit simplement place, et avisant Glumtol, lui indiqua d’un geste de la main – tout en gardant sa mine sévère si connue maintenant – que la suite de la réunion – ou plutôt son commencement – ne dépendait que de lui, et de lui seul.

L’étonnement de Glumtol n’échappa à Harald, lorsque ce dernier laissa au premier, la responsabilité d’ouvrir la séance. Sa stupeur, toutefois, s’effondra bien vite alors qu’il usa d’un stratagème simple pour focaliser son esprit, avant de commencer son travail : quelques raclements de gorges, et le voici qui commence.

Suivant le discours, Harald gratifie Gorin d’un signe de la tête, un signe approbateur, lui souhaitant la bienvenue. Puis, ce signe de tête alla à l’intention de Glumtol qui, officiellement, le gratifia des remerciements de Thanor toute entière. Cela faisait encore peu de temps qu’il avait été élu souverain du Zagazorn, et c’était la première fois qu’il se présentait à Thanor, en tant que Roi. Mais même malgré ce caractère unique, Harald savait pertinemment l’honneur qu’il offrait à la cité et aux membres de ce conseil, rien que par sa royale présence.

Puis, vint la suite de la diatribe de Glumtol. Morek Tête-De-Fer, dernière voix de Thanor, était décédé voilà bien des années. Sa mort, ô combien tragique pour le Zagazorn tout entier, fut le fait du dragon noir, disparu dans les montagnes du Septentrion. Depuis, personne n’avait présidé le conseil, et personne n’avait offert sa voix pour devenir celle de Thanor. Glumtol avait donc raison, dans ses propos, et il avait raison dans son entreprise : les temps changeaient pour les Nains, et Thanor devaient avoir une nouvelle voix.

Gorin n’eut que quelques mots à l’intention de Glumtol, mais ses mots furent aussi acérés et précis que le pointeau du cordonnier. Harald ne connaissait pas Gorin avant ce jour, mais il semblait l’apprécier déjà : il était analytique, il était franc, et sa voix semblait fiable. Un Nain digne d’honneur.

Devant le silence de l’assemblée, Harald prit la parole. Il se leva à son tour, irradiant Glumtol de son regard, avant de le balader sur toute l’assemblée :

- Honorables membres du Haut-Conseil de Thanor, si vous me le permettez, je souhaite recommander Glumtol Barbe-De-Fer, au poste de Voix de Thanor. Il a prouvé à maintes reprises maintenant, qu’il était le digne successeur de ceux qui furent jadis, les premières voix de ce noble conseil. Ses travaux au cœur de la cité, sont connus de tous, y compris de vous-même. Mais bien plus que ses travaux ici, ce sont ses travaux pour le Zagazorn tout entier qui font de lui, un Nain fait d’honneur et de courage. Je l’ai investi d’une mission royale, mission qui l’a conduit à sécuriser toute la route entre Kirgan et la nouvelle cité de Molgrunn, à créer deux forts militaires, à améliorer les défenses de Molgrunn, et à recréer une Grandsalle des Scriberunes, ainsi qu’une toute nouvelle tour des Archirunistes. Il a réussi cette mission, des plus difficiles, et s’est montré parfaitement à la hauteur. Sa mission royale est un succès. Il est le plus qualifié pour être la nouvelle voix de Thanor. Je soutien Glumtol Barbe-De-Fer.

Puis, il se rassoit, et regarde tour à tour les membres du Haut-Conseil.

Le silence, brisé par le renouveau du discours de Glumtol, fut de nouveau abattu sur le conseil, avant d’être à nouveau brisé par la sagacité du Barbedrue.

Harald regarda alors le Haut-Conseiller et maître éleveur, d’un regard à la fois dur et interrogateur. Deux facettes se heurtèrent en lui. La première, fut la facette militaire, martiale, Lantaise. Gorin était un Haut-Conseiller, et en cette qualité, il avait toute – ou presque – autorité sur la cité de Thanor, et surtout, il avait la maîtrise et l’expertise la plus probante et la plus reconnue, quant aux différents élevages de Thanor. Et de ce que Harald avait entendu de Gorin, il était un excellent éleveur. Aussi, Gorin était âgé d’une décennie de plus, par rapport à Harald, et donc, possédait d’autant plus un droit, une responsabilité de parole et même de critique. Toutefois, Harald était un militaire, et un Roi, et en cette qualité, il tolérait difficilement les critiques, les remarques et le sarcasme.
La seconde facette, était la facette souveraine. Harald, tout comme Glumtol, Gorin, et les autres, se souvenait de l’époque d’avant Voile. A cette époque, Thanor n’était dirigé que par une entité, tout comme Lante et Almis, et cette entité possédait un conseil, mais répondait aux ordres de la grande couronne. Le royaume du Zagazorn était alors un véritable royaume, un vrai pouvoir central, puissant, rayonnant, omniprésent. Une monarchie aux propensions communautaires, grâce, notamment, à cette notion d’honneur qui passait au-dessus de tout. Aujourd’hui, Thanor possède un Haut-Conseil, qui possède une grande indépendance – sans doute un peu trop – et qui pourrait, si le conseil le désirait, contrecarrer toute ou partie d’une politique royale, chose que Harald ne voulait surtout pas voir arriver.

Aussi avait-il affirmé une politique forte lors de l’Althinkalan. Aussi avait-il été rude, et ferme, face aux remarques de Glumtol, tout en l’investissant d’une mission dangereuse, prenante, demandant des sacrifices pour l’ursidé devant quitter sa taverne, mais qui lui offrit alors une place d’honneur, qui lui permettait d’obtenir la reconnaissance, et l’accession à cette responsabilité de Voix de Thanor.

Harald avait donc besoin que Glumtol devienne Voix, car il avait lui aussi ses propres projets politiques. Il ne voulait pas retirer aux Nains, leur indépendance gagnée malgré le Voile, mais il voulait aussi réaffirmer le pouvoir royal partout, y compris au conseil. Il ne procéderait point à sa dissolution, ça non. Mais il prévoyait de créer un véritable conseil royal, dans lequel siégeraient les dirigeants des cités, et de grands stratèges réputés. Ce conseil lui permettrait donc d’affirmer son pouvoir directement sur les échelons locaux de la politique Naine. Mais ces choses prendraient du temps.

- Maître Barbedrue, prenez autant de tonnelets qu’il vous plaira. Mon intervention n’avait pour unique but, qu’une proposition, que je vous soumets. Glumtol souleva le caillou, c’est moi qui le jette dans la mare. Mais votre voix est prépondérante. Aussi, je vous prie, prononcez-vous. Et si vous et vos pairs êtes tous pour cette élection, alors, l’histoire aura été écrite, et l’honneur aura été conséquent.