Reforgé [Aëlann]

Aegden soupira légèrement, en ouvrant et fermant machinalement sa main droite. Il y avait encore quelques ennéades, ce simple geste même lui avait encore été impossible, au minimum bien douloureux. Porte la Peste, de sa magie sacrilège avait broyé les os de son bras, réduisant à néant toute possibilité de l’utiliser.

Si sur le moment, Aegden avait eu bien des choses à penser pour s’en soucier autrement que de la douleur, lorsqu’il avait retrouvé la paix des murs de sa cité, le contrecoup de cette bataille l’avait finalement gagné. Pour le soldat qu’il était, même forcé par le roi à prendre un temps de repos, perdre la possibilité de tenir son arme ne serait que par entrainement et habitude avait été difficile. Il ne pouvait ni combattre, ni danser comme il avait l’habitude de le faire en tant de paix. C’était là deux pans de sa vie qu’il lui avait été difficile d’accepter de mettre aussi brutalement de côté. On ne se refaisait pas si simplement.

Durant ce long mois de flottement, il avait voué toute son attention à sa famille qui n’en avait que trop besoin. Son fils avait attendu longtemps son père et n’avait pas caché son bouleversement de le voir blessé, même si ce n’était au final pas si grave. Le petit elfe grandissait vite, et l’innocence qui le rendait aveugle aux préoccupations de ses parents commencerait doucement à s’effacer. Aegden s’en inquiétait, conscient d’autant plus qu’il y avait eu un instant durant le combat contre le nécromant durant lequel son esprit s’était résigné à ne pas revenir.

Alors il avait fait en sorte de compenser tout cela, et durant toutes ces ennéades, bienq ue tout ne fut pas toujours simple il lui sembla qu’Elben oubliait peu à peu son absence, bien heureux de profiter autant de son ada.. Sa femme quand à elle, eut le loisir elle aussi, de prendre du repos et non seulement de retrouver l'elfe qu'elle avait épousé, mais de se permettre d'enfin se délester de certain de ses tâche de mère seule. Aussi la petite famille sembla profiter d'une nouvelle brise, neuve et bienvenue.

Et dans un même temps, le commandant avait reçu l’aide des guérisseurs de la cité qui s’étaient efforcé de soigner ses blessures physiques autant que morale. Un mois plus tard, son habileté presque retrouvée, il levait le nez vers les frondaisons, perdu dans ses pensée et attendait l'elfe qui s'était fait mission de l'y aider, sous les branches du jardin de la Mère.

-Aïa, frère Aëlann.

Il l’avait accueilli avec tranquillité, hochant la tête en signe de salut. L’elfe ne l’avait pas surpris et il n’était pas du genre à s’effrayer facilement. Le guérisseur lui demanda rapidement des nouvelles et le soldat eut presque l’air d’un enfant qu’on grondait, l’espace d’une seconde. Ça pouvait paraitre amusant de la part d’un elfe habitué à bien plus intimidant que le frêle prêtre. Mais Aegden avait, comme tout elfe, une profonde déférence pour ceux qui empruntaient les voies de la religion.

-Autant que possible avec la charge d’un enfant en bas âge ?

Répondit-il avec l’ombre d’un sourire contrit alors que le guérisseur attendait certainement une autre réponse. Certes, une fois ou deux il avait bien été obligé de forcer un peu. Comment refuser à son fils le secours de ses bras après une frayeur, ou l’utilisation de tel ou tel objet en l’absence de sa femme… ?

-J’ai été sage je te l'assure. Ajouta-t-il avec douceur. Ni combat, ni exercice. Il pencha la tête sur le côté. Ce qui je dois bien l’avouer me tarde de reprendre l’entrainement. Je n’aime pas me sentir inutile.

Bien entendu, il ne se considérait pas comme indispensable. Sans lui, l’armée royale fonctionnait toujours et même efficacement. Son second faisait pour cela un travail plus que formidable qui l’avait d’autant plus aidé à lâcher prise pour ne se consacrer plus qu’à sa famille. Mais malgré tout, les elfes étaient ainsi, ils avaient une place dans leur société et y contribuaient pleinement, dans un échange mutuel de compétence et de savoir diverses. Ne pas remplir ses devoir le faisait sentir comme un poids pour cette société. Il reprendrait bientôt certaines de ses fonctions qui ne demandaient pas d'effort physique, mais ce n'était pas vraiment assez.

-D’autant que j’ ai l’impression d’avoir retrouvé un peu de force. Il ferma doucement son poing, comme pour illustrer -sans brusquerie- son propos.

-Crois moi. Je suis effectivement bien conscient de la dangerosité de dépasser ses limites. Répondit-il au guérisseur. Combien de fois je me suis vu répéter le même genre de chose aux recrues de l’armée qui pense qu’ils prouveront leur talent dans l’excès de zèle. Rit-il doucement à ces multiples souvenirs bénins. Mais, il haussa une épaule. Que veut-tu… L’exercice me manque simplement.

Et cela, le prêtre devait sans doute le comprendre aussi, de son propre vécu. Sans doute aurait-il, lui, eut hâte de recommencer à aider ses ouailles si quelque chose l'en avait soudain privé.

Quant à la partie...disons...peu ragoutante des remarques de l’elfe, elle lui rappelait de trop frais et trop déplaisants souvenirs pour en rajouter plus. Aussi accueilli-t-il avec joie la proposition suivante de l’arpenteur.

-Je te suis. Fit-il avec bonne volonté. La force revient mais l’adresse…il grimaça en guise de conclusion. Pas encore. Ma main tremble encore parfois si je veux tenir un objet trop longtemps, ce qui en tant que lancier n’est pas sans me déplaire. Lorsque tu me donnera l'autorisation de retrouver mes armes, il me faudra encore du temps pour compenser ce que j'ai perdu. Il grogna ensuite pour lui-même. Mille fois damné soit le Souffle du nécromancien.

-Mon cou et ma mâchoire ça va. Autant que faire ce peut.

Il y portait deux fines cicatrices qui traversaient sa joue droite et dont l’une longeait dangereusement sa jugulaire. Mais ces blessures-là étaient anciennes aussi le guérisseur n’aurait nul besoin de s’en inquiéter. Il songea d’ailleurs qu’il pourrait certainement les faire effacer si l’envie lui en prenait. Mais d’un autre côté, vingt ans avaient passé et elles faisaient partie de lui. Il y était habitué.

A vrai dire, le plus gros de ses pensées était tourné vers les déclarations sans ambages du guérisseur. Son état d'aujourd’hui était un petit miracle. Le soldat s’effrayait d’imaginer un monde où retrouver l’usage entier de sa main n’aurait pas été possible. Qu’aurait-il fait, forcé de quitter les armes… ? D’abandonner 300 ans de vie et de dévotion.

Il n’avait pas la réponse à cette question.

-Pour le reste. Ajouta-t-il en mettant alors de côté cette interrogation glaçante. Tout va bien. Comme je te l’ai dit ma force revient à défaut de la précision. La douleur à disparue aussi. Quand je force trop, mes muscles me le font savoir par quelques crampes mais c’est tout. C'est ce qui s'est passé il y a deux jours, quand j'ai porté mon fils dans mes bras un peu trop longtemps. Mais une fois que je l'ai posé et cessé, c'est allé mieux. Je dois dire que je ne remercierais jamais assez ce que tu as fait Frère Aëlann. Lui adressa-t-il avec sincérité. J'ignore où je serait sans ta magie et tes soins.

-Je passerais le message à mon épouse. Rit-il doucement à son premier conseil. Pour le reste, je l’admets, tu as sans doute raison.

Il étira une moue un peu amusée devant la remarque du guérisseur à son encontre concernant le fait qu’il n’aurait sans doute pas pu s’empêcher de tenter de reprendre le combat autrement. Le considérait-il dont si têtu … ? Enfin, peut être qu’il n’avait pas si tort au fond. Dans le pire des cas, il aurait toujours eut ses jambes pour danser...

-Mais effectivement, Un fin sourire. Ce cas ne se présente pas et je compte bien de mon côté récupérer mon adresse et mettre cet épisode derrière moi.  Sans doute n'est il pas nécessaire de s'y attarder.

D’ailleurs, il avait obéi sans broncher au guérisseur et se retrouvait désormais à sa merci, perché sur la table d’examen et observant les gestes du prêtre. Curieux, ses oreilles s'étaient un peu haussée en attendant de constater l'office de l'elfe.

-Et promis, Il ajouta, même avec "mon caractère", j’écoute tes conseils. Jusque là, ils ont porté leurs fruits.

-Le tricot ? Il haussa un sourcil. J’ignore où tu vas chercher ça. Rit-il.

Mais il réfléchit un instant aux paroles du médecin alors que celui-ci s’attelait à sa tâche. Cela lui laissait d’ailleurs toujours une sensation un peu étrange.

-Je suis danseur avant d’être soldat. Répondit-il à sa question. Mais même si contrairement au combat, je peux théoriquement me passer de mon bras, ça voudrait dire réapprendre. Et jusqu'à peu le moindre soubresaut dans mon épaule était trop douloureux pour rendre l'expérience envisageable. Donc ça aussi je l’ai mis de côté. Un bref soupir. Au final je crois que ça me manque encore d’avantage. Mais loins de plonger à nouveau dans ce genre de regret il continua. Mais si tu tiens tant à ce que j’utilise mes mains…

Il pencha la tête. Soudain il grimaça alors que ses doigts eurent un sursaut involontaire.

-Ah. Grimaça-t-il car cela vint avec un bref picotement. Mais Le médecin reprit aussitôt le contrôle et Aegden le fil de ses pensées. Si tu tiens tant à ce que je me serve de mes mains…. Autrefois, il y a…bien des années, ma mère m’a appris à jouer de la harpe.

Un bref sourire effleura ses lèvres au souvenir de la douce musicienne pinçant les cordes de son instrument, son fils attentif sur les genoux.

-Peut-être cela me ferait-il du bien de retrouver cette sensation. Et peut être Elben apprécierait-il. Il a vraiment besoin de voir que je suis là et que tout va bien ces derniers temps.

Puis Aëlann lui demanda ce qu’il pensait de ses soins. Le soldat se permit alors quelques gestes lents, ouvrant et fermant sa main…Testant avec précaution l’amplitude possible de ses mouvements. Il sourit en constatant les nets progrès.

-Ma main répond, le geste n’est pas tout à fait fluide mais je n’ai plus l’impression de contrôler celle d’un étranger.

-Ah. Eh bien si tu m’autorise à reprendre la danse, crois-moi je ne protesterais pas. Sourit-il. Je ferais attention c’est promis. Pour le reste, tout va bien. Ma vie ne s’est pas arrêté pour autant. Fit-il. Tout au plus aura-t-elle ralentie… Même si le roi nous à demandé de laisser nos armes et nos insignes de côté le temps qu’il nous faudra, il ne nous a pas interdit de rester en contact avec nos institutions respectives. J’ai gardé contact avec mes camarades et mes amis. Il leva un doigt de sa main gauche. Et je tiens à souligner que certains adeptes d’Arcamenel n’ont pas été les derniers à chercher à me voir à leur coté malgré toutes les contrindications des sages guérisseurs. Rit-il. Enfin je suppose qu’eux aussi seront satisfait de savoir que les choses avancent pour le mieux. Pour Elben… Il pencha la tête. Ça a été plus dur.

Le petit garçon n’avait su retenir ses larmes, de joie mais aussi de trouble lorsqu’il avait enfin retrouvé son père, le jour ils ils étaient rentré à la capitale. L’elfe ne put empêcher un soupir. Il avait dû passer de longues minutes à le rassurer, et de longs jours supplémentaire à lui montrer que blessé ou non, son ada était là, allait bien et veillait toujours sur lui.

-Il a fini par comprendre que ce n’était pas si grave. Et bien entendu j’ai passé sur les détails trop sordides pour son âge. L’enfant n’avait de toute façon pas besoin de savoir ce qu’il s’était réellement passé, face au nécromant. Certaines choses étaient suffisamment difficiles pour des adultes entrainés, alors un enfant d'à peine 3 années... Mais…Oui je crois que ça l’a quand même perturbé au début. Il avait peur que je reparte j’imagine. Ou que je perde totalement mon bras. Ajouta-t-il en se rappelant que l'enfant lui avait, une fois, posé la question, de sa petite voix fluette et ses yeux clairs grand ouverts fixés avec inquiétude sur lui. Il est encore trop jeune pour que je puisse l'emmener avec moi sur une piste de danse, et encore pire pour un terrain d'entrainement. Alors, je me dit que la musique est  sans doute un bon moyen de nous rapprocher un peu tout les deux...Supposa-t-il, les yeux baissés vers le sol, l'air pensif.