Saignante sauterie - Ranadath

5ème jours de la 3ème ennéade de Barkios d’Automne, an 21 du XIème cycle
Fosses de Gilgamek, Thaar

La nuit était bien avancée maintenant, c’était là l’heure des chacals et des drapiers déchirés, un instant ténu ou le pouilleux et le prospère partageaient un point commun : aucuns des deux n’auraient souhaité se trouver dans quelques venelles sombres sans une bonne dose d’acier.  C’était là l’heure des liesses aux sombres échos, du faste sans fard, de la débauche lancinante et grasse ; à cette heure-ci,  même le simple pouvait prendre la forme d’un être aux pulsions sourdes et a l’avidité dévastatrice, n’écoutant plus que son simple instinct. Ozkun appréciait cette heure, elle était la sienne, celle des moments vrais, de fraternité sans gêne, ou toutes, absolument toutes les choses étaient possibles.
Vautré dans un enchevêtrement de coussins, d’édredons et de fessiers féminins, Sa Pansité appréciait le présent en dégustant quelques galettes de froment fines et pliées qu’on avait fourré d’une farce à la viande avant de les plonger dans l’huile. Un délice gras qui ruisselait sur sa barbe et son ventre proéminent. Il était la assis sur le champ de la victoire après une journée bien remplie à s’être affairé à la tâche. N’ayant pas quitté sa mansarde runique jusqu’aux premiers rayons de l’astre, il s’était penché sur la réalisation de quelques breloques qui lui seraient bientôt, plus qu’utile. Mais cette fabrication demandait du temps et de l’énergie, demain serait un autre jour tout aussi rempli.

Pour  l’instant, seul sa panse l’était. Une jeune esclave lui massait la périphérie des bourrelets gauche et droit avec une crème faite à base de safaga, un arbre du désert aux vertus curatives. La donze avait les mains lestes et savait s’y prendre mais Ozkun n’entretenait à son égard qu’une pâle attention ; elle n’était à ses yeux, pas plus utile que le guéridon qui supportait son plat de galettes frites.  Son attention se concentrait plutôt aval, sur le spectacle qui se déroulait ici, dans cette ambiance folle et fantasque qu’était les Fosses de Gilgamek. Profitant d’une volée de sang qui aspergea la plèbe au premier rang, le Magnifique transmit un signe de la main au patron des lieux qui surplombait la scène. L’handicapé ne lui rendit aucuns saluts, aucuns signes, sauf sa trogne tordue à l’aspect peu ragoutant. Qu’il pouvait haïr ce nain, à lui seul, Gilgamek représentait tout ce qu’il n’était pas. Les commodités faites il se concentra sur le dernier combat de la soirée, celui opposant le champion en titre de la dernière ennéade, Varim Kushkim, un fameux manieur de gourdins aussi haut que large mais particulièrement tenace. Il affrontait un hybride, un inconnu à la grâce plutôt féline mais qui possédait dans le regard, un je ne sais quoi de dangereux. Ozkun se pencha alors en direction d’un de ses serviteurs.

« Quand il aura gagné, fait monter l’hybride, j’aimerais m’entretenir avec lui. »
« Mais Maître…et s’il perd ? »
«  C’est un tueur,  regarde bien, l’un est un vieux molosse ayant courut toute sa vie après des os, l’autre est un chacal ne s'étant nourri que de sang et de chaire. Quand il aura gagné, fait le monter. Et parie un once contre Kushkim, non deux. »

Uriz, voit et entend tout, même dans les plus profondes entrailles de ce monde. Le Père des Batailles lui-même s’est battu pour sa survie et regagner sa liberté au cœur de la plus grande montagne. Rien n’échappe à Son regard, surtout quand le sang est versé en Son nom et Sa gloire.
Comme un symbole, Ranadath se tient au centre d’une arène creusée dans des cavernes troglodytes et doit lui aussi se battre pour sa Flamme. Devant lui, se tient un homme de grande stature et aux épaules larges.

L’Hybride, le souffle haletant, est comme à son habitude vêtu de son simple pantalon de cuir et de sa broche argentée qui retient son catogan décoiffé. Son torse dénudé laisse à la vue de tous une peau claire, marquée d’innombrables cicatrices de tailles et de formes diverses ; Des blessures d’armes, des scarifications à la gloire de son panthéon et des tatouages aux symboliques éldéenne.
Varim, quant à lui, porte une armure renforcée en cuir et un heaume attique surplombé d’une crinière sombre. Le guerrier est armé d’une lourde masse hérissée de nombreuses pointes épaisses et rouillées.

Les deux combattants s’observent de loin, aucun d’eux ne souhaite se jeter en premier et risquer ainsi de s’offrir à son adversaire. Il faut dire que Varim est plutôt frais, lui qui n’a pas combattu de la soirée, à la différence de Ranadath qui en est maintenant à son cinquième combat.
Le “Champion de la Fosse” en titre est le vainqueur du tournoi de l’ennéade passée, organisé par Sa Pancité, Ozkun le Magnifique, figure majeure des Durgazdawi.
Quant au “Gadish”, lui est simplement là à la demande d’un étrange individu qui est venu à sa rencontre quelques heures plus tôt, l’invitant alors à participer à des combats de gladiateurs. L’homme n’a pas eu besoin de faire miroiter une quelconque récompense pour convaincre celui qui parcourt l’Itrhi’Vaan à la recherche d’arènes, de sensation et de sang.

L’observation se poursuit alors pendant un bref instant et subitement, Varim lève sa masse en direction de la foule qui répond par des cris d’acclamations. Le colosse mortel s’avance alors et même avec la distance qui les sépare, Ranadath entend son souffle lourd semblable à un bœuf.
Le voyant approcher, l’Hybride se met à son tour en position et comme lors des précédents combats effectue prend une garde étrange, les avant-bras masquent son visage et ses poings fermés sont orientés vers l’avant. Agile et paré à bondir, il sautille d’un pied à l’autre en attendant de pouvoir frapper.

Durant tous les combats, l’Ilythiiri n’a pas eu besoin d’en appeler à sa magie, non pas que ses adversaires n’étaient pas suffisamment bons, mais bien comme s’il souhaitait de lui-même se risquer à les affronter à la manière d’un pugiliste. Il a eu quelques difficultés, mais sa vitesse et sa force, ainsi que son expérience ont eu raison de tous ses adversaires jusque-là. Peut-être que Varim - et le drow l’espère au fond de sa Flamme - sera alors à la hauteur et le forcera à user des grands moyens.

Le Champion de la Fosse s’avance et alors une fois à distance de son arme à deux mains, vient la faire tourner au-dessus de sa tête avant de lourdement l’abattre contre le sol. Rien de bien méchant, ni d’inattendu pour Ranadath qui esquive sans mal la première frappe du colosse qui rit alors grassement à la surprise de son opposant. Retirant la lourde tête de métal du sable au sol, le Champion actuel continue de faire tournoyer sa masse et cette fois-ci les mouvements prennent de la vitesse et de l’ampleur. Le mortel avance dangereusement et profite de sa force et du poids de son arme pour continuer de la faire prendre de la vitesse. La prochaine promet d’être rapide et mortelle.

Ranadath porte toute son attention sur lui, mais alors qu’il est concentré sur la tête de la masse, il se retrouve pris dans une feinte de frappe orchestré par Varim qui, profitant alors se rapproche de l’hybride pour lui asséner un coup de pied dans le thorax. Le fils d’Uriz chute et roule sur le côté, une de ses mains vient se placer aux niveaux de ses côtes suite à l’impact et il grimace en sentant que quelques-unes doivent être au minium fissurées. Toujours sous les rires gras de Varim, qui approche encore pour réduire l’écart, Ranadath encore à genoux bondit, non pas vers l’avant mais sur le côté, s’appuyant d’une main sur le sol pour y prendre appui. Son corps effectue une rotation et sa jambe droite s’élance vers le genoux du mortel. Surpris à son tour, Varim n’est pas aussi agile et rapide et l’impact sur la rotule vient le faire chuter dans un craquement sonore et significatif.

Profitant alors de ce court répit, Gadish se redresse à la hâte et ne laisse pas de temps à son adversaire d’en faire de même. Il se rue à son encontre et en quelques enjambés se retrouve dans son espace vitale. Varim n’a le temps que de placer la hampe de sa masse pour parer une frappe qui prenait la directement de sa gorge. Le Champion roule à son tour sous l’impact du coup et tente tant bien que mal de se redresser avec son genoux brisé. Ranadaht tourne autour de lui, comme un prédateur qui semble vouloir prendre un plaisir sadique en cet instant, c’est même étrange pour les quelques connaisseurs des combats d’arènes que ce gladiateur ne profite pas de la faiblesse de son adversaire pour écourter le combat.

Varim hurle de rage et immobile, restant plus ou moins une jambe, enchaîne les coups circulaires de son arme. Ranadath patient et à bonne distance ne semble pas vouloir se risquer à s’approcher. Peu à peu, le Champion s'essouffle et c’est à cet instant que frappe l’eldéen. La masse marque tout juste un mouvement vers le bas que Ranadath s’avance avec toute sa vitesse et son agilité dans la direction de Varim, feintant le passage sur la gauche pour finalement passer sur sa droite, se retrouvant sur son flanc et presque son dos. L’homme à terre n’a pas le temps de se retourner et ne peut que sentir les frappes chirurgicales qui viennent se loger successivement dans son flanc, sa nuque et sa tempe. Puis il s’écrase, inerte, la tête contre le sable chaud de l’arène de Gilgamek.

D’abord silencieuse, la foule exulte alors en comprenant qu’il ne se relèvera pas et scande alors le nom de “Gadish” entendu quelques heures plus tôt. Ranadath lui, détache finalement son regard du défunt et comme si tout ceci n’était rien de plus qu’une banalité, se dirige vers la sortie de l’arène.

*****

Ranadath a tout juste le temps de récupérer ses affaires qu’un homme vient le chercher et l’invite alors à le suivre, ne lui laissant pas forcément le choix, sans pour autant lui manquer de respect. Le servant, envoyé par le gérant des lieux, Gilgamek, prétend que Sa Pancité Ozkun le Magnifique souhaite le rencontrer. Curieux et surprit, il suit alors l’handicapité jusqu’à la loge de cet individu puissant.

Il se tient alors dans la loge qui surplombe l’arène. Silencieux, ses quelques affaires sont récupérées par un servant qui les place dans un endroit sûr dans l’attente du départ. Toujours le torse dénudé, il est invité alors à se rhabiller rapidement avant qu’Ozkun s’adresse à lui.

« Ô, voici notre héros de l’instant, approche, approche, tu es ici en lieu familier, en lieu amis. Moi et et mes gens vois-tu, nous avons longuement et dans une haleine retenu, observer ta gestuelle, ton tact et ton art sur le parterre rougeoyant, pour sûr, voici un être fait d’une autre trempe, d’un autre métal : en te voyant ainsi, on ne pourrait penser à rien d’autre qu’une lame d’acier la ou tous ceux qui donnent à manger au scorpion aujourd’hui, n’étaient faits que de cuivres et de laitons. Approche donc, vient t’assoir et te mouvoir avec nous sur les traversins. Qu’on lui apporte à boire et à manger à sa faim ; qu’on lui serve le nectar et l’ambroisie, qu’on lui accorde la belle place du moment, car il ne sera pas dit, qu’ici aux Fosses, on ne lésine sur le bien être des étoiles fugaces qui peuplent nos arènes. Ah, et pourtant, il m’en fut donner de rencontrer, ici même oui, mais bien ils étaient bien pu à sembler de ta trempe. Oh, poussez vous donc malotru, rangez vos hooks et vos gros culs, laissez donc place à notre bon amis, voila, installe toi. Alors, cette liqueur, ou est-elle ? Par les bourses du Fortuné, il semblerait que même nos laquais se trouvent espanté par ton spectacle bel amis ; les voici qui s’affolent comme folle nuée pamphile, à peine plus efficace qu’un manchot à la nage. Vois-tu donc le pouvoir que tu dégages ? Et s’il n’y avait que ça, mire donc sur le guéridon à droite, voici la somme que tu viens de me faire empocher, vois-tu ? Il y a la de quoi nourrir l’ensemble des bas-quartier pendant une ennéade pleine et peut être même la suivante, alors comprend bon bretteur, que tu es se soir, ici chez toi, invité par moi et uniquement moi, Ozkun le Magnifique, à ton dirais-je, presque service. »

Et le Grand Nabab des Dunes se fendit d’une feignante flatteuse de la tête en direction des pavés. Il avait le regard aguicheur et la voix chantante, dégoulinant d’or et de gras, on aurait put le prendre pour quelques golems mystique tout droit venu des tréfonds de la croyance naine. A dire vrai, il était difficile pour l’ensemble des convives de résister au charme d’Ozkun actuellement, comme si dans l’air se jouait quelques mélopées venu de l’ether ; pourtant, rien de distinguable de cet acabit, pour celui ou celle sachant manier l’art de la magie. Sa tirade terminé, il piqua à nouveau quelques rabes avant de finir par s’échapper dans les molletonnés. L’hybride avait reçu une place attitrée, prêt de l’esgourde mais trop proche des autres participants à la liesse de la loge ; Ozkun l’avait gardé prêt de lui mais loin de ses amis. D’une voix bien moins fanfaronne, il se permit quelques confessions.

« Alors, Gadish, on dit beaucoup de chose sur toi dans les venelles, mais vois-tu, j’apprécie personnellement les choses qu’on ne dit pas. Rare sont les êtres de ta condition, plus rare encore ceux qui s’offrent quelques vadrouille avec la mort sur les sables des lices. Épanche ma curiosité, es tu un des rejetons Doebs du Bae’d ? »

Le gras nain s’en enfourna une supplémentaire dans les bajoues, il parlait de trois quart à son hôte, comme s’il redoutait de trop le regarder. Cet être l’intriguait réellement, bien qu’il vienne de prêcher le faux pour viser le vrai : si un tel combattant avait fait ses armes dans les Seigneuries Morcelées, il aurait déjà entendu parler de lui. Hors, rare étaient les êtres fameux d’on le Magnifique n’avait connaissance sur ces terres.

La tunique enfin enfilée, dissimulant par la même occasion son torse musclé et marqué de ces innombrables balafres et autres tatouages à la vue de tous, il porte finalement son attention vers celui qui s’adresse à lui. Ozkun le Magnifique, dit « Sa Pancité ». Durgazdawi à l’influence et au pouvoir aussi large que l’est sa bedaine et son appétit. Le riche nain se lance dans une longue tirade élogieuse à l’égard de Ranadath et l’invite par la même occasion à s’installer à ses côtés, à profiter des mets et des boissons exquis alors proposés sur la table.

D’un pas lent, l’hybride s’avance et vient s’asseoir à l’endroit indiqué. Il écoute Ozkun, mais son attention se porte sur les différentes personnalités autour de lui. Les louanges ne semblent pas l’intéresser car son visage sévère au naturel n’esquisse aucun rictus de politesse.
Un servant lui apporte un gobelet et instinctivement, le gladiateur le porte à ses narines pour en humer les effluves. Aucun poison ne saurait le terrasser, sa nature d’immortelle lui permettant d’en être immunisé, mais l’instinct est plus fort que tout à cet instant. Buvant alors quelques gorgées bien méritées, le libérant de la sécheresse de sa gorge, il ne quitte toujours pas les présents autour de lui. Ses yeux bicolores scrutent le moindre mouvement tel un prédateur prêt à agir. Un guerrier, une arme, voilà ce qu’est Ranadath, même dans ces moments de détente, il ne baisse pas sa garde.

Finalement, reposant le récipient sur la table basse, il finit par figer son regard sur le beau-parleur. Son attitude détaché et froide semble juger avec un certain mépris Ozkun, bien que l’on pourrait simplement croire que ces traits fins et androgyne lui donnent simplement un air angélique et supérieur de nature.
Aux dernières paroles du dawi, Ranadath fronce quelque peu les sourcils, agacé ou contrarié de s’entendre associé aux rejetons Doebs – vermine tout aussi méprisables que le reste qui n’est pas eldéen – Le surnom employé, cependant, ne semble pas être l’origine de son mécontentement. Après un court silence, qui pèse comme une éternité où l’on pourrait penser que l’hybride est muet, il s’exprime finalement, tout en piochant un fruit dans une assiette devant lui.
Son accent ne trompe personne, son olyan n’est pas parfait et il sonne comme une lame glacée et mortelle aux oreilles des convives. C’est un guerrier du Puy, un fier fils d’Uriz.

« Merci pour votre… invitation. » Commence-t-il alors en portant l’aliment à sa bouche aux lèvres roses et minces. Il finit d’avaler puis reprend. « Je n’ai rien à voir avec ceux-là. Que le Vengeur m’en préserve. Nau. »

Un silence retombe un bref instant sur les sofas et il porte son attention aux bourses de souverains présentées plus tôt par le riche nain. « Où est ma part ? » L’Hybride semble avare de paroles ou du moins, peu habitués – ou simplement enclin – à discuter de la sorte et en pareille compagnie.

« Ne soyez donc pas si hâtif, Maître Bretteur, l’or viendra à point nommé et il vous faudra plus qu’une besace pour le transporter. »

Ozkun avait presque psalmodié ces mots, prenant ostensiblement la tangente en vouvoyant le combattant comme s’il cherchait à flatter son égo. Bien sur il n’en était rien, le nain se comportait comme il en avait l’habitude, en maître de son vase clos. A le voir ainsi réagir, il savait avoir touché juste ; le gladiateur à la trogne placide et au comportement proche de celui d’une pierre n’était en rien un de ces noirauds baignés par le sable depuis l’enfance. Non, celui-ci provenait d’un endroit bien plus sombre et plus caillouteux, un endroit ou la lave réchauffait les cœurs et ou la suie marquait les esprits. D’instinct, le Magnifique en tira un sentiment mitigé, appréciant autant qu’il abhorrait ces êtres venus de l’Elda. L’expérience lui avait apprit qu’il n’était jamais bon de trop fricoter avec les sombres ; ces derniers partageaient des desseins étranger aux règles qui gouvernaient Thaar et sa région, leurs conditions d’immortels les rendaient souvent difficile à comprendre et à anticiper, sans parler de leurs fanatiques dévotions à des causes spécifiques : ils évoluaient simplement dans des sphères différentes.

« Prend donc un instant pour te détendre Gadish et fait moi l’honneur de me révéler ton nom et ton lignage, il est rare que se couche sur mes édredons, des êtres de ta prestance : vous n’êtes pas nombreux à parcourir le monde et crois donc, que j’apprécie ta présence. Regarde autour de toi, il scande le surnom qu’on t’affubla dans un quartier pauvre de la ville, alors que, nous le savons tout les deux, tu possèdes savoirs, pouvoirs et palmarès supérieur à ce bizarre diminutif. »

L’hybride qui se trouvait à coté de lui disposait de ce qu’Ozkun qualifierait de : guéridon dorée enfoncé dans le fondement. Hors, le nain était un spécialiste du déridage situationnel et il avait choisit de faire de son hôte, sa cible de la soirée. Sous les palabres du Magnifique, se cachait en fait une vérité plus sommaire, usant toujours des mots avec précision, le nain en savait plus qu’il ne le disait sur la condition de son invité.

« Sache qu’en plus de l’or, le combat que tu viens de remporter, t’ouvrira d’autres portes que celle d’un misérable cloaque des bas quartiers. Mais si tu le permets, je dispose d’une proposition qui t’apportera plus de gloire et par effet de levier, bien plus d’or. Bien sur, il faudrait pour cela que nous soyons plus proche, il est inconvenant à Thaar, de lier quelques contrats entres parfaits inconnus. »

Le nain bedonnant l’invite à être patient, cherchant à le garder à ses côtés encore un temps. Peut-être cherche-t-il à se montrer aux côtés de l’hybride qui depuis son arrivée attise l’attention des curieux dans toutes les strates de la citée vaanie. Bien, qu’à cela ne tienne, Ranadath réajuste sa position sur le sofa, restant droit et prêt à bondir, ses mains posées sur ses genoux. Le regard de l’étranger se pose encore sur les convives puis à nouveau sur Ozkun, placide et à l’écoute.

Les interactions sociales ne sont pas un domaine dans lequel le gladiateur excelle, mais il se retrouve bien souvent dans ce genre de situation à Thaar et commence à comprendre la nécessité des liens et des connaissances. En ce cas, il se prête alors au jeu de son hôte. Sa main aux doigts fins et agiles se glisse lentement en direction d’une nouvelle coupe dont il s’empare et avant de le porter à ses lèvres reprend.

« En ce cas, je serai patient, Ozkun. » L’idée de repartir de cet endroit cette fois ci avec la somme due semble suffire à lui intimer la patience. Cependant les mots et les belles paroles du Magnifique ne trouve toujours pas preneur dans la Flamme de l’hybride qui soit comprend les entourloupes de ces riches personnes, soit, n’en a simplement que faire.

« Je suis Ranadath. » Souffle-t-il alors après avoir porté la coupe à ses lèvres. « Mon lignage importe peu, comme vous le devinez aisément je ne suis pas en mesure de parler au nom de mon paternel, ni même d’user de son nom. » Sa nature d’esclave, bien qu’étrangement libre et chanceux par rapport à l’ordinaire, s’impose d’elle-même quand on connait la société eldéenne et leur sévérité quant à la perfection de leurs progénitures. Il n’évoque pas sa mère, comme à son habitude, car cette dernière ne trouve aucune place légitime dans son esprit.

« Je ne peux leur en vouloir de me nommer ainsi. » En faisant référence au surnom alors donné dans les bas-quartiers, « Gadish » où le Bizarre. Il l’énonce là encore comme une évidence implacable bien conscient de sa nature différente. Enfin, il s’empare à nouveau d’un met, cette fois-ci étrange et inconnu de ses habitudes, sa curiosité frappant en ce moment et lorsqu’il le porte vers sa bouche, dans un geste lent et grâcieux, ses yeux semblent étinceler d’un intérêt non feint.

Ozkun vient de lui faire part des suites et des possibles ententes futures qui lui apporteront or, gloire et renommée. Il suspend son mouvement et se redresse, tournant alors sa tête dans la direction du Durgazdawi. Il inspire une fois et décide de se lancer. « Si vous vous le demandez, je suis ici exactement pour ce que vous venez de voir. Mon père m’a demandé de venir en ces terres pour parfaire mon entraînement et me mettre, comme le souhaite Le Créature, à l’épreuve afin de m’élever. Je ne sais pas ce que vous espérez de moi, Ozkun, mais je ne suis rien d’autre qu’une arme qui n’est entre les mains de quiconque si ce n’est de l’Elda et de Ses plans, cependant… Si vous me permettez de réaliser mes desseins, sachez que je saurai vous en être reconnaissant. »

«  Je préfère les choses ainsi, tu ne l’admettras pas, mais je pense qu’au fond, toi aussi. Soit donc la bienvenue parmi nous, Ranadath. »

Ainsi, il était donc bien né de l’union d’un noirelfe et d’un elfe des bois ; les carabistouilleries de ce type n’étaient d’aucunes utilités à Ozkun, elles lui passaient tout simplement au dessus du râble. Mais, chez le gladiateur, il existait un potentiel bien supérieur à ce simple fruit issu d’une profanation inter race.  Quelque chose de lattant, présent en lui et que le Magnifique pensait avoir deviné juste. C’était manifestement un être qu’on avait pouponné à même l’acier, formé et forgé dans un seul but, celui de manier une lame. Il avait entendu les rumeurs qu’il savait juste au sujet de sa capacité à manier l’ether : encore un point particulièrement entêtant. Le Magnifique avait passé une vie entière à manier l’art des calculs et des investissements, surtout des bons investissements ; et ce Ranadath entrait manifestement dans la catégorie adéquate.

«  On ma conté nombreuses choses au sujet des manières de faire en Elda, bien que, ta condition ne semble pas défavorable, j’imagine qu’il te faut encore prouver et cela sans relâche pour continuer prouver, jours après jours de tes capacités. Voici donc une bien belle manière de faire, si tu veux mon avis et j’estime que tu le veux, rien qu’une bonne tape sur l’épaule ou un rebondissement sur les genoux n’auraient pu arranger  dans une enfance plus normal. Mais la réalité est toute autre, comme moult chose en ce monde et il me semble que tu t’y adaptes avec le brio d’une Braise sachant ce qu’elle souhaite. Je respecte cela et ne suis pas ici pour te donner autre chose que quelques bons conseils, ton dût, et peut être t’ouvrir d’autres portes. »

D’un agile signe de la main, il reçut l’attention du chef de ses janissaires, le belliqueux Taskyr. Un quidam aurait prit la démonstration pour un simple appel, un initié lui savait de quoi il en retournait. Le sicaire distribua quelques ordres et un larbin au pied leste se mit en route. Ozkun trempa goulument les lèvres dans un mélange aussi liquoreux qu’aromatique ; véritable bénédiction des dieux, le nain avait bien sûr remarqué que l’hybride appréciait lui aussi le vin proposé.

« Si ce soir tu as gagné l’estime des lanistes présents ainsi que les hourras de la foule, il sera organisé dans un mois maintenant, un tout autre combat. Vois tu, dans les cachots des Fosses se tapie un adversaire que n’a pour l’instant connu aucunes défaites. Nous le gardons sous bonne garde et nous l’exposons en réalité, très peu. Non pas qu’il manque de panache, mais l’opération est sujette à risque, de nombreux gardiens y ont déjà laissé plus que leurs barbes. Serais-tu celui alors, qui mettra à bas Grobadum ? Ô le spectacle serait prestigieux, je l’imagine déjà ici, l’hybride contre le monstre, le monstre contre le monstre. Après cela, plus aucunes vaanis n’ignorera ton nom, crois moi. »

Il en dévoilait précisément peu sur l’identité du combattant, une manœuvre calculé.

Dire que Sa Pancité ne sait pas captiver et tenir en haleine ses interlocuteurs serait mentir. Tout le long de sa palabre, Ranadath l’écoute, attentivement et concentré. La brève exposition de la vie de l’hybride ne semble là encore trouver preneur ou un quelconque intérêt, non, c’est qui suit cette analyse.

Etude de son cas qui, n’est pas si éloigné de la vérité. Jamais l’hybride n’a eu un quelconque signe d’affection ou même de reconnaissance de la part de son paternel. Outre le fait qu’au Puy c’était monnaie courante, sa nature d’être imparfait venait y ajouter une couche de dégoût aux yeux de son géniteur. La progéniture elle-même en est consciente et semble haïr une part d’elle-même. Une haine dictée par son éducation qui ne s’avère être que violence. Si Ranadath n’est pas mort à la naissance, comme le sont habituellement les difformes de son genre, il ne le doit qu’à l’immoralité d’un individu qui a cherché à tirer profit de sa nature, cherchant à en faire une arme docile et loyale au Puy.

Mais ce n’est pas le moment de ressasser le passé et Ranadath renvoie le tableau dressé par Ozkun d’un simplement son de gorge gutturale en signe de mécontentement. Non, il est plutôt l’heure de parler de la suite. Un monstre est gardé sous la fosse, invaincu et mortel d’après les dires du Nain. Peu à peu, l’étincelle de curiosité se change en une lueur d’intérêt et il se tourne même dans la direction du Magnifique, laissant son buste finalement faire face à celui qui lui parle.

« Gro…badum » S’essaye l’Hybride comme pour mémoriser le nom dans une langue qui lui semble totalement inconnue et impossible à prononcer correctement. « Qu’est-ce comme créature ? Combien de Braises a-t-elle ôté ? Et… » Mille et une question semble soudainement délier sa langue, mais il se retient, redevient silencieux, ne voulant pas brusquer son hôte. Il inspire alors une fois et opine. « Je combattrait cette bête, le Père m’est témoin en ce jour, moi Ranadath, je la terrasserai. »

La perspective d’un combat aussi enivrant semble faire bondir son palpitant. L’adrénaline vient subitement frapper à ses tempes, il voudrait combattre, là maintenant. Son corps entier se raidit et l’arme mortelle ainsi forgé par le Vatna et prête à frapper.

« Grobadum . » précisa t-il en forçant sur le khuzdul

Comme toujours, les mots avaient une importance et celui la, n’était pas le plus anodin. L’explication arriverait bien assez vite. Forcé de constater que l’attitude de l’hybride c’était métamorphosé quand on lui avait promis une curée fameuse devant bon public, le nain s’égosilla en chapelet de petit rictus qu’il réussit à camoufler dans la mastication de quelques mets. Sachant que  la veine était flairée, il n’allait point se priver de ménager son effet. Sous le masque impassible et les regards sans vie, Ranadath restait un être de chair doté de quelques aspirations ; ces dernières étaient juste plus éloignées du trio classique que la plupart des mortels cherchaient à atteindre : santé, repos, bombance. Il ne pouvait l’en blâmer, lui-même ambitionné a bien autre chose qu’on foyer saint, une nuit de sommeil ou un ventre plein – quoique, lui retirer la bectance était en fait complètement exclu. Callant son imposant postérieur plus confortablement, il continua sur le ton de la confidence, le regard toujours braqué à l’avant.

« Vois tu Ranadath, il existe bien peu d’être comme celui-ci et je m’en vais te narrer son histoire. Voici bientôt vingt et un an que les terres du Grand Royaume nain furent frappées par un terrible malheur, on raconte que, dans les sous sols d’une antique cité, des masses de goblinoïdes surgirent pour éventrer les bonnes braises dans leur sommeil. Ceci aurait put s’arrêter la, terrible malédiction divine se contenant aux frontières d’un peuple lointain. Mais voici maintenant sept années, ces mêmes engeances décidèrent de quitter leurs repaires et le peuple des montagnes alla jusqu’à parler de migration gobeline. Durant ces temps, on vit moult miracle et moult bataille. Mon Maître alors du moment, Salfaryl Sang-d’Argent, réussi à faire importer quelques rares spécimens par nos canaux commerciaux. Parmi eux, un lui couta bien plus que les autres. »

Dans l’agitation et la liesse de l’alcôve, un nain patibulaire se fraya un chemin aussi discrètement que possible, il déposa un coffre minuscule sur la droite d’ Ozkun avant de repartir prendre place à son poste de garde.

« Un colosse de prêt de trois mètres de haut, sans poils, à la peau grisâtre tirant sur le vert. Un amas de muscles de tendons atrocement muté. S’il fut surement par le passé, un être chétif comme les autres, quelques abjectes sorcelleries se déchainèrent à son encontre et le modelèrent pour en faire ce qu’il est aujourd’hui. Grobadum. Le transporter ainsi que le garder ici ne fut pas une mince affaire, il tua de nombreux gardiens et tout ses opposants dans les Fosses, mais le jeu en valut la chandelle : il contribua a la réputation de l’endroit et aujourd’hui, les marmots des bas quartiers jouent entre eux la nuit à se faire peur,  à qui s’approchera le plus prêt de la meurtrière qui donne sur la rue en appelant son nom. On m’a même rapporté que certaines matrones l’utilisent comme un épouvantail pour dresser les récalcitrants, hors se monstre existe bel et bien. Tu seras son adversaire si tu le souhaites, terrasse le et ton nom raisonnera jusqu’au Ba’ed. Meurt et tu feras les affaires de ton géniteur. Sommes nous toujours d'accord ? »

Toujours face au bedonnant Durgazdawi, Ranadath est immobile. Figé dans sa concentration et son attention qu’il porte au récit évoqué par Ozkun au sujet de cette créature. La statue immortelle semble presque angélique en cet instant, de part ses traits fins et androgynes, il en dégage une impression d’œuvre sculptée, au visage grâcieux et aux traits froids comme le marbre.

A mesure que Le Magnifique décrit en détail ce qu’est Grobadum le gladiateur laisse son imagination tenter de le conceptualiser dans son propre esprit. Une bête féroce, énorme, à la musculature impressionnante et à la soif de violence et de sang débordante. Une créature en provenance du grand nord, elle aussi durement forgée et taillée à même la solide roche des plus profondes entrailles des monts du Septentrion.
Un frisson parcourt alors l’échine de l’eldéen, un frisson d’excitation et non de peur. Il pourrait presque esquisser un sourire devant cette image au sein de son esprit, mais il n’en fait rien. Il brise son immobilité en secouant ses épaules comme frappé par un quelconque courant d’air froid, un picotement d’adrénaline, puis finit par se replacer correctement sur les coussins confortables.

L’idée de combattre une telle monstruosité l’enchante. Bien que son visage soit toujours sévère et dur, le guerrier semble néanmoins se détendre en cet instant comme s’il venait d’octroyer à Ozkun un semblant d’intérêt et de confiance. Son corps se détend, ses muscles se décrispent un à un, son air de prédateur aux aguets s’efface peu à peu, mais il reste tout de même attentif à son environnement, ne pouvant se résoudre à baisser complétement sa garde. Ses oreilles vont et viennent dans différentes direction, tournant de quelques centimètres à chaque fois, ses yeux hétérochromes font de même continuant de se poser sur les présents autour de la table, mais aussi sur chaque individu qui passe devant son champ de vision.

S’emparant à nouveau de son verre de vin, qu’il n’avait pas fini, il le lève en direction de son hôte. « Je combattrait. Il n’est pas de combat qu’un guerrier refuse quand il s’avère être aussi intéressant et prometteur. Le Père nous pousse au mérite et à l’exploit, et vous Ozkun, vous m’offrez la possibilité de m’attire Son regard. Je ne peux qu’accepter. Et si je meurs, ce ne sont pas les affaires de mon paternel que je ferai, mais les miennes. Je mourrai au combat, avec mérite et honneur, voilà tout. » Finit-il comme pour corriger sans méchanceté le riche vaani.
Enfin, comme pour sceller cet accord verbal, il boit à nouveau quelques gorgées de cette délicieuse boisson, mais quelque chose semble l’interpeller. Retirant le verre de ses lèvres, il questionne alors le ventripotent marchand. « Avec tout ça, j’ai presque oublié de vous demander, qu’attendez-vous en retour de moi ? »

Il n’est pas totalement dupe, ni complètement ignorant des principes fondamentaux des affaires. Ozkun semble lui faire une offre, fort appréciable, mais il se doute qu’elle n’est pas faite de bon cœur par simple générosité.

«  Du spectacle, uniquement du spectacle. Voila tout ce que j’attends de toi Ranadath. »

Point totalement vrai mais surtout, point totalement faux. Car de cette simple affirmation découlait en réalité une cascade d’autres tenants et aboutissants qui remplirait les poches déjà bien large du Grand Nabab des Dunes. Plus l’instant serait intense, plus la foule serait emporté par la liesse du moment présent. Alors elle dépenserait sans compter pour assoiffer sa soif de sang sur l’instant présent ; mais plus que cela, elle parierait et les paris, étaient là réel manne sur laquelle Ozkun comptait bien se renflouer. Par un habile jeu de propagande, on ferait monter les côtes en faveur du goblinoïde, appuyant sur le caractère invaincu de la bête et sa terrible force. Partout allait être colporter qu’un inconnu à l’apparence androgyne se prétendait assez puissant pour le renverser. On jouerait alors sur ce contrat durant des jours et des jours au point ou, le soir venu, aucunes des bonnes braises présentes n’oseraient dépenser un seul souverain sur le protagoniste venu de nul part. Ostensiblement, les parieurs Durgazdawi mettrait en avant l’immense somme que l’Intendant des Pavés aurait misé sur Grobadum ; secrètement, on tairait bien sûr avec la ferveur d’une tombe, la somme dix fois plus importante qu’il aurait engagé sur l’hybride. Car Ranadath gagnerait ce combat, avec ou sans aide.

Une bien belle histoire d’on Ozkun pouvait déjà voir le récit s’écrire de ses yeux éveillés. Le jour-J, s’il fallait donner quelques coups de pouces aux destins, alors les choses seraient faites en sorte que rien ne viennent entacher ce parfait scénario. De ces élucubrations bien sûr, Sa Pansité n’en pipa mot ; les détails de ce genre n’étaient pas l’apanage des combattants tel que le sang-mêlé, eux ne cherchaient que la gloire des combats et le fracas des armes.

«  Le combat sera organisé aux premiers jours de l’hiver, ici même. Nous ferons parader sur les sables quelques autres bretteurs pour aguicher la foule en attendant que commence le réel combat de cette divine soirée. Quand sera venu l’instant, libre à toi d’user de tout tes artifices pour t’en sortir, Grobadum ne sera d’aucune pitié te concernant, rien ni personne ne pourra convaincre ce fléau de retenir ses coups. Il nous faudra même tripler la somme des belluaires qui accepteront de le mener au combat et bien qu’il existe une sente lui étant uniquement réservée. Ne fais preuve d’aucune retenue Ranadath, il en va te ta survie. »

Ses conseils n’en étaient pas réellement, Ozkun doutait que Ranadath ne connaisse même le sens du mot pitié et du mot retenu. Comment pouvait-il en être autrement pour un rejeton du Vatna élevé au lait sanglant de la mamelle d’une nation qui l’était tout autant. Le Magnifique prit un instant pour admirer le admirer le coffre qu’on lui avait déposé. Déverrouillant le battant, il tourna alors de trois quart l’écrin en direction de son hôte. Il contenait une chevalière à l’encolure large finement ciselé, un anneau fait d’un or pur dans lequel on pouvait apercevoir griffé, un rubis rougeoyant et veiné d’obsidienne.

«  Voici ton dû Ranadath. Cet anneau en plus de valoir une fortune, t’ouvrira les portes des lanistes de la cité. Il démontre au reste du monde ton statut de champion des Fosses. Porte le mais use en avec parcimonie, il m’attristerait de te voir blesser durant un mauvais entrainement avant l’instant fatidique. Enfin, tu seras défrayé, le fil de tes armes remis à neuf par nos plus talentueux forgerons et une armure te sera confectionné selon tes souhaits. Cela n’est que le premier pas d’une fortune qui sera, incommensurable si tu bats la bête qui s’agite sous-la-terre. »

Comme pour souligner son propos, on put entendre un lointain grognement venu des tréfonds du monde. Dans le brouhaha du moment, on aurait put croire aux cris sourds de quelques alcooliques, mais Ozkun et Ranadath n’était pas dupe ; quelque chose avait répondu à l’appel.

Du spectacle, voilà tout ce qu’attend en retour l’influente personnalité qui lui fait face. Impossible de le croire sur parole, même s’il n’exprime aucune demande à ce sujet, Ranadath se doute que l’imposant nain cherche à y gagner quelque chose de cette situation. Alors quoi ? Aucunement les services et l’expertise martiale du gladiateur -autrement que dans l’arène – pas de petit mot glissé en douce à son encontre au Puy pour espérer s’attirer les faveurs des Ilythiiris, impossible de le savoir pour l’heure.

L’hybride termine son verre et le repose lentement sur la table basse devant lui. Son assise dans le canapé confortable s’enfonce peu à peu, il semble prendre confiance et se détend à mesure que la discussion se poursuit. Peut-être que les effluves présentes et qui lui sont inconnues aident un peu à se sentir bien, il ne saurait le dire. Quoi qu’il en soit, quand Ozkun finalise l’organisation du combat, Ranadath opine simplement.
Le conseil, bien que fait dans un but louable, fait cligner plusieurs fois le gladiateur. Ne pas se retenir, comme s’il en était coutumier. Non, l’arme qu’il est ne combat que pour tuer son opposant, rares sont ceux qui survivent lorsqu’il se décide à entrer dans l’arène – ou quand il marche sur le champ de bataille au sein d’un cheptel -. Il n’est pas adepte de la retenue de ses coups, de ses assauts, il frappe pour tuer uniquement.

D’un signe de la main, intimant l’arrêt à Ozkun. Il brise son silence. « N’ayez crainte, je n’ai pas pour habitude de me… retenir. Le Créateur ne nous apprend qu’a dominer et terrasser les obstacles qui nous font face, voyez dans ce combat une façon de lui rendre louange et de montrer ainsi ma dévotion. Grobadum connaitre la fureur d’un fils d’Uriz, rassurez-vous, les spectateurs seront ravis. » Il tente d’apaiser les quelques doutes dont Ozkun peut-être assaillit. Du spectacle, il y en aura ce jour-là et chacun des spectateurs et parieurs en auront pour leur argent.

Le geste du Dugarzdawi l’interpelle, son regard acéré se porte sur le petit coffre et il découvre finalement ce qu’il contient. Une bague, finement ouvragée. Voilà donc sa récompense pour ce tournoi. Une expiration franche s’échappe de ses narines, lui qui s’attendait à quelques souverains sonnants et trébuchants afin de rembourser les frais qu’engage son paternel. Sa main délicate se tend vers le bijou et il s’en empare. Ses doigts fins font tourner l’anneau entre son index et son pouce, il le détaille avec attention et convoitise. Ozkun sait-il ce que représente une bague dans la société eldéenne ? A-t-il fait ce choix en connaissance de cause ? L’esclave obtenant ainsi une bague, à la manière des grands officiers militaires, voilà donc un bien beau symbole.

Délicatement, il le glisse à son index droit. Cette bague lui ouvre, d’après les dires de sa Pancité, les portes des lanistes de Thaar. Encore une fois, ce n’est pas ce qui l’intéresse, mais il s’en contentera et trouvera de quoi rentabiliser cette récompense. Il observe le bijou qui maintenant orne son doigt et tend l’oreille, toujours attentif à ce que lui offre encore le nain.

Des services de maîtres forgerons, pour ses armes et une armure. Pour la première fois de la rencontre, Ranadath laisse échapper un court rire, comme une douce moquerie, bien que directement, il se tait à nouveau. Son regard se tourne de biais et il observe son interlocuteur. « Je n’ai pas besoin de ces services. Mes armes ne sont pas de nature à devoir être remises à neuf et je combats sans armure. Car tels sont les conditions de mon père. Voyez-vous un grand guerrier se cacher derrière une solide armure et ainsi se penser méritant aux devants de la mort ? » Son sourcil se dresse légèrement. « Je ne peux accepter cette offre, Ozkun, Un simple bas de cuir sera suffisant, comme vous l’avez constaté durant mes combats. » C’est donc par choix et par conviction que Ranadath foule le sable de l’arène pieds-nus et torse dénudé, montrant ainsi à tous ses marques. De cette manière, il estime ne pas se cacher des coups et des blessures qu’il porte fièrement à la vue de tous comme des gages de son mérite et dévotion.

« Je serai présent le jour du combat. J’attends votre convocation pour préciser la date. » Enfin, il se lève, récupère ses quelques affaires et s’éloigne vers la sortie, la bague toujours accrochée à son index.

« Grand seigneur que voici, très bien Ranadath, nous te confectionnerons un bas de cuir et nous te défrayerons : la valeur d’une armure et de nos services de forgerons en pièces clinquantes et trébuchantes. Il ne sera pas dit que les champions des Fosses soient lésés. »

Une armée de laquais se mit alors en branle, sachant que les dires du Magnifique n’était en réalité que des ordres qui leurs étaient adressés. Un fin reluqueur était déjà entrain de prendre les mesures de l’hybride au jugé, un compte-denier de bas étage lui, transformait déjà la conversion en somme et transmettait le taux applicable à un coursier qui se chargerait de fendre les ruelles en direction du Ziggurat ou il récupèrerait l’or. Ô bien sûr, Ozkun tapait ici dans sa caissette personnel, ce qui, il l’imaginait, avait de quoi faire enrager l’infirme Maître des lieux. Mais le Magnifique trouvait la chose plus qu’amusante : Gilgamek n’était qu’un difforme sans cœur et sans le sous, il ne devait sa position qu’à un curieux coup du sort qui l’avait vu se faire empoisonner ; le Sang d’Argent l’avait alors prit en pitié et lui avait offert les clés de sa propre cage dorée. On pouvait targuer Ozkun d’être un arriviste ambitieux, mais ce laniste à demi mort n’était rien d’autre qu’une tique à qui on avait confié bien trop d’importance. Faisant fit de ses considérations internes, il décida d’une dernière remarque à son hôte.

« Il te faudra patienter encore un peu, prend le temps de suivre Gursham afin qu’il puisse prendre les côtes de l’ouvrage que nous te réservons, en suite, il te faudra te rendre au Ziggurat pour récupérer or et vêtement, présente toi sur ton simple nom avec l’anneau comme preuve. Enfin, nous nous reverrons aux premiers jours de l’hiver. Maintenant va, Ranadath, je ne te retiendrais pas plus longtemps. »

Derrière les faux-fuyants de circonstance, Ozkun congédiait tout bonnement le gladiateur avec quelques formes trempées dans la mélasse. Il était temps pour le Magnifique de se reposer réellement avant l’harassante journée qui l’attendait au lendemain. Discutailler lui avait ouvert l’appétit et il n’allait donc point s’en priver. Il restait encore assez d’heure dans la nuit pour profiter de quelques flâneries amplement méritées.

Tandis qu’il regardait l’hybride s’éloigné dans la foule bariolée qui s’agitait encore, Ozkun se permit un instant de vérité. Dévoilant un sourire qui dévoila bien plus que ses crocs, il jubila de l’intense moment vécu. Ranadath ne représentait pour lui qu’un des multiples jouets d’on il aimait faire acquisition, car le bretteur venait de récolter bien plus qu’un peu de cuir et d’or. A son doigt maintenant, un anneau qui fouillerait bientôt les fondements de sa conscience en quête de quelques sentiments désagréables à attiser. Une duperie prenant court sur le long terme qui transformerait le placide rejeton en un être sanguin et terrifiant le temps d’un moment. De quoi saper quelques plans savamment construit ou mieux encore, semer la zizanie chez quelques descendants du Vatna.

Ô pour sûr, les jours à venir seraient splendides.