Le sang sur le Sable [Ranadath]

7ième énnéade de favrius, 21:XI
Thaar - basse ville

S’il y avait un endroit où Viliam ne voulait pas être, c’était bien les alentours de la petite arène de combat. Bon, en vérité il y avait aussi le marché aux esclaves, les rues des bordels, les Soieries…Donc en fait non, il y avait pas mal d’endroit de Thaar dans lequel le bandit détestait foutre les pieds. Mais celui-ci figurait bien fièrement dans la liste malgré tout, relativement haut placé.

Ce n’était pas les sablons, plutôt un vieux quartier miteux au sein duquel on avait empilé des pierres pour faire vaguement office d’arène. Il y avait foule, car d’ici quelques ennéades un évènement plutôt important se préparait. Bien entendu c’était illégal, et bien entendu…ça n’en attirait que plus de monde.

Depuis bien quinze, vingt minutes, le chef de l’Aile blanche serrait ses poings a en faire pâlir ses phalanges. Comme le marché aux esclaves, ici il y avait les riches, et il y avait ceux qu’on jetait au milieu, comme des bouts de viande déstiné à être bouffé par le reste. Il y avait des hommes, des femmes, et même parfois des enfants. Tous forcé de se battre pour quelques sous. Parfois ils avaient la chance d'en gagner une partie. En général le peu de gain que leur maigre survie leur octroyait, leur maitre le leur arrachait aussitôt, dans de grand éclat de joie et de rire.

L’endroit puait le sang et la peur au point qu’il n’y avait que l’habitude pour empêcher le bandit de fuir ou de déclencher une rixe. Il était seul car on avait besoin de ses camarades ailleurs, et il cherchait à rester le plus discret possible. Peut-être aurait-il dû demander à Ren de l’accompagner mais il ne l’avait pas fait.

Ici, il était censé retrouver un contact en qui il n’avait pas forcément confiance, mais qui, s’il s’avérait tenir sa parole, lui fournirait de précieuses indications concernant certains membres corrompus du guet. Ceux qui laissaient passer de telles infamies. S’ils les faisaient tomber, ces combats cesseraient. Les bandits n’étaient pas naïfs : à peine fermé, une autre ouvrirait. Mais c’était un bref répit dont il pourrait se servir pour creuser plus loin, et peut être atteindre quelques cibles plus influentes. Et c’était un bref répit qui laisserait peut-être une chance à quelques vies de s’en sortir.

Mais loin de trouver son homme, Viliam ne pouvait s’empêcher de fixer le corps meurtrit et déformé de violence, d’un esclave jeune, beaucoup trop jeune, qu’on évacuait sans plus de remord du sable imbibé de sang qui laissait une macabre trainée derrière lui. Son adversaire victorieux, s’apprêtait probablement à enchainer les victimes comme le plus simple passetemps qui soit.

-J’ai une tête à savoir ça ? Le bandit gronda à l’hybride qui venait de le bousculer, l'arrachant sans le savoir au spectacle macabre dans lequel son regard s'était plongé.

Mais il s’aperçut tout seul que oui…Il avait exactement la même dégaine que n’importe qui ici et ce n’était pas étonnant qu’on le pense aussi intéressé que le reste par la personne au pouvoir ici.

-Non je l’ignore. Il répondit avec un peu moins d’agressivité, mais un soupir.

Soudain, il prit le temps de mieux observer son interlocuteur. Ni vraiment un elfe, ni vraiment un drow, ses yeux et ses cheveux bicolores lui donnaient un air étrange. Quand à ses vêtements et surtout son accent…

-Vous êtes pas d’ici. Fit-il remarquer. Qu’est-ce qui peux bien valoir la peine de venir jusque dans ce trou à rat ? Demanda-t-il presque plus pour lui-même que pour son interlocuteur.

Pas l'argent à en constater la richesse de ses vêtements...Alors quoi ?

Un rire froid sortit de sa gorge. Il secoua un peu la tête.

-Nan. Nan je combat pas dans ce trou nan.

Son regard osa aller chercher de nouveau l’enceinte, derrière l’hybride. Le sang sur le sol n’avait pas été nettoyé, mais le cadavre du malheureux avait disparu. Une épaisse femme avait défié le champion autoproclamé de l’arène. L’espace d’un cours instant, son expression rappela au bandit les air gaillard d’Azralith quelques mois en arrière. Il se demandait où elle était, aujourd’hui…

Mais aussi rapidement que la pensée était venue, il la chassa et revint sur son interlocuteur qui arborait un air méprisant. C’était étrange, Viliam brulait à la fois de lui faire ravaler son regard suffisant et en même temps à l’enjoindre de s’en aller, et de chercher à sauver sa vie plutôt que de plonger dans ce bain de sang vain.

-Je sais pas ce qu’y t’y pousse mon gars. Finit-il par se décider à lancer, sachant pertinemment que ça ne servait à rien. Il y avait une certaine tristesse dans l’éclat de ses yeux sombres. Mais si tu veux te faire de l’argent, y a bien mieux qu’ici.

C'était un pur inconnu. Un inconnu venu ici dans un but précis et qui ne souffrirait pas qu'on chercher à l'en détourner. Alors pourquoi il essayait? Viliam n'en savait rien. Un dernier espoir désabusé sans doute. Il attendait bien à un refus, et le bandit haussait dores et déjà mentalement les épaules. Il insisterait pas, ferait ce pour quoi il était venu et puis il partirait, loin de cette misère.

Il pivote son buste pour voir à son tour ce qui capte l’attention de son interlocuteur et remarque lui aussi les tâches de sang sur le sable de l’arène. Un court soupire s’échappe de ses narines comme pour marquer une brève tristesse à l'encontre de celui ou celle qui venait de périr à cet endroit. Reportant son attention sur l’homme devant lui, il reprend aussitôt son air naturellement détaché et dédaigneux.

Les propos de Viliam surprennent Ranadath qui penche alors la tête et ne cache pas son expression changeante vers un intérêt non dissimulé. “Je ne cherche ni or, ni gloire.” Il marque une courte pause, l’air de réfléchir à ses prochains mots. “Je fais ça de mon plein gré, à la demande de mon Ilharn*. Néanmoins, sa demande ne concerne que les combats de gladiateurs. Pour le reste, ta proposition m’intéresse, je t’écoute, parle.”

Il change alors sa position, libérant les mains de derrière son dos en les ramenant sur son torse, croisant ainsi les bras devant lui. “Tu dis ne pas combattre dans ce trou, mais alors dans quelle autre arène fais-tu tes combats ?” La curiosité de Ranadath envers Viliam est évidente et il poursuit alors. “Mon Père m’a dit de commencer ici, afin de gravir peu à peu les échelons, je serai curieux de savoir dans quelle enceinte et à quel niveau tu te situes.”

Un instant, Viliam peut imaginer un sourire franc se dessiner aux coins de ses lèvres comme une tentative maladroite d’un geste avenant et sympathique qui disparaît aussitôt derrière son masque froid.

Traduction:

-Tu es là de ton plein grès…mais à la demande d’un autre. Viliam souligna la contradiction d’un rictus. Sacré père que tu as là au passage.

Il secoua la tête. L’homme l’intriguait. Il n’était pas d’ici c’était certain. Et il n’avait sans doute pas vraiment compris ses paroles.

-Quand je te dit que je combattait pas dans ce trou. Le bandit leva un doigt. Ça veut dire que je ne suis pas un combattant d’arène. Et personne ne devrait l’être de cette façon. Si tu tiens tant à te battre, tu as d’autre choix. Un haussement d’épaule. Du mercenariat, ou garde du corps quelconque, j’en sais rien. Mais des choix qui ne demandent pas de massacrer des gosses et des miséreux. Il ajouta : et qui implique pas que tu te fasse massacrer ou bazardé à ton tour quand on aura trouvé plus intéressant. Parce que crois-moi l'ami. Dès que tu fera plus assez de public, tu finira comme le reste.

Ce n'était pas une menace dans le ton de sa voix. C'était un constat, froid et net. De ce milieux, la gloire n'existait pas bien longtemps avant que la loi de l'argent ne l'arrache aussi brutalement qu'elle était venue.

-Pourquoi ?

Les yeux du bandit reflétaient le trouble que les paroles paradoxales de l’autre lui causait.

-Tu ne cherche ni gloire ni or. Tu ne veux pas te battre contre ces gens. Mais parce qu’on t’as dit de venir risquer ta peau dans ce trou, tu t’y plonge. Pourquoi ?

Il lui rappelait Yssabel. La prostituée n’était rien de plus qu’un bel objet, balloté au grès des envies des autres. Sa vie ne se résumerait qu’à satisfaire ses maitres, pieds et poings liés, jusqu’à ce qu’on s’en débarrasse ou qu’on l’oublie. Pourtant lorsque le choix lui avait été offert. Qu’enfin, elle avait eut entre les mains sa liberté, et l’opportunité d’une vie au grès de ses propres désirs, elle avait renoncé. Elle avait fait demi-tour, et avait récupéré ses chaines, et sa vie. Longtemps Viliam avait cherché à comprendre la raison d’un tel choix qui ne lui avait nullement semblé motivé par une quelconque peur. Mais c’était resté un mystère.

Cet homme-là semblait agir de la même sorte. Nulle chaine à ses poignets. Nul fouet pour le forcer. Nul chaperon pour le contraindre. Il semblait  seul et même doté d’une relative liberté de mouvements. Et pourtant…Pourtant il ne fuyait pas, et acceptait volontiers de mettre sa vie en jeu, pour l’envie d’un autre.

Viliam ne comprenait pas. Plutôt que de se détourner, il cherchait à saisir cette réponse qui lui filait entre les doigts.

Ranadath se répète la question dans ses pensées, ses sourcils se froncent et son nez se plisse. Il ne s’est jamais demandé dans quel but il agissait ainsi et on lui demandait maintenant de se justifier de ces actes. Un court silence s’installe alors dans la discussion et l’hybride détourne le regard dans le vague, semblant réfléchir sincèrement.

Depuis toujours il exécutait chacun des ordres de son père dans le but de le servir convenablement et d’être à ses yeux un fils modèle. Depuis toujours il avait agit par la volonté de son maître sans se poser la moindre question quant à ces actes.

Ses yeux toujours tournaient dans le vide, il répond alors. “Car c’est ainsi.” Puis il revient à lui et à Viliam, reposant son attention devant lui. “Mon père désire faire de moi un guerrier émérite et pour se faire, il me faut combattre partout où il est possible.” Sa voix est forte, sa posture montre qu’il est convaincu de ses propos. “Je vis sous le regard du Créateur et pour lui rendre honneur je me dois de lutter. Il en est ainsi.” Sa main droite s’ouvre, paume vers le haut comme s’il présentait quelque chose. “Il y a les forts d’un côté…” Sa main gauche fait ensuite de même. “Puis les faibles.” Son poing gauche se referme ensuite. “Comme nous l’apprend l’Eda Vengeur, la Guerre forge les méritants et purge la faiblesse de ce monde, c’est pour cette raison que je combat… Ni l’or, ni la gloire, ni même la satisfaction m’importe, seulement le combat et l’adversité.” Il sourit alors, d’un air presque enfantin et naïf, à l’opposé de son discours digne d’une propagande religieuse bien apprise.

Viliam ne répondit pas de suite. Un commentaire lui brulait les lèvres devant les explications de l'hybride: Piètre mérite et piètre méritant que voilà, pensait-il. Piètre religion que celle d’un Père dont le regard sur ses enfants ne se portait que dans la violence et le sang. L’homme récitait une belle leçon sans se rendre compte de son aberration. Mais le bandit se garda de le faire remarquer. Les puysards n'étaient sont pas réputés pour apprécier la remise en question de leurs précieux dogmes. Même si son interlocuteur ne semblait pas aussi assoiffé de sang que l’autre puysarde d’il y avait quelques mois, Viliam ne tenait pas à le provoquer.

-Alors va t’en te battre et mourir grand guerrier. Renonça-t-il alors avec un reniflement qui souligna toute l’ironie de son ton.

Il avait fait un pas en arrière, tandis que rabattant sa capuche un peu plus en avant, l’ombre sur ses traits n’effaça pas la moue déçue qui étirait ses lèvres. Et il ajouta la suite sans plus aucune ironie.

-On ne se reverra sans doute jamais. Mais je te souhaite de trouver la reconnaissance que tu as l'air de tellement chercher.

Aussi terriblement vaine semblait-elle être.

L’Hybride fixe un instant l’homme devant lui, qui semble exprimer une certaine déception incompréhensible. Quand il rabat sa capuche sur son visage, Ranadath hoche la tête, comprenant qu’il s’agit là de la fin de leur discussion. Il ne relève en rien l’ironie des derniers propos de Viliam ni même ce qu’il interprète comme une pique sarcastique.

Ne sachant pas comment les us et coutumes des hommes de ces terres terminent les discussions, il reste un instant silencieux, semblant à la recherche de ses mots, puis dans un signe de tête rétorque. “Puisses-tu réussir ce que tu entreprends”. Il hausse les épaules, c’était une marque qui lui semblait correcte, après tout, Viliam lui avait souhaité de combattre et de périr en guerrier, alors peut-être qu’il s’agissait là de la bonne formule à employer.

Lentement, à son tour, il se détache et se remet à la recherche de la personne souhaitée. Au loin, il remarque un individu bedonnant, qui beugle quelques ordres à de pauvres ouvriers maladroits. La tenue et la gestuelle ne laisse aucun doute, il semble être le dirigeant de ces lieux. Ranadath avance alors dans sa direction pour se présenter à lui.