Se réchauffer les entrailles [Viliam]

Vérimios, premier mois d'hiver, quatrième jour de la seconde ennéade
An 21 du XIe Cycle

Je logeai avec Ballast dans une des auberges du port. Nous allions devoir rester quelques temps à Thaar, pour affaire. Oui parce que ces longs mois à voguer sur les flots à la poursuite d’une chimère avait bien puisé dans nos réserves, même si nous rapportions quelques beaux articles à proposer à la revente. C’était Galérand qui allait s’en occuper, tandis que le Bosco et le capitaine de leur côté cherchaient à trouver de nouveaux frets à transporter sur le continent.

Nos cales étaient vides, et c’était le moment de les remplir, de toutes les façons possibles. Alors pourquoi pas aussi embarquer quelques passagers ? Le Vol d’or savait parfaitement faire la transition entre navire pirate ou marchand, tant que chacun y trouvait son compte.

Personnellement, ça ne m’ennuyait pas de devoir rester un peu dans cette cité cosmopolite, parce que si ici il faisait un froid de canard, ce devait être pire à Meca. Ce n’est pas tant que je le craignais, mais là tout de même, il faisait exceptionnellement froid, alors que nous nous trouvions au sud du continent !
Je n’osai imaginer ce que ça devait être en Zagazorn. J’eus alors une pensée affectueuse pour ce brave Gormünd Barbe-Braise qui nous avait si bien reçu, et une autre pour sa cuisine si savoureuse. Je soupirai, tirant sur le col de mon manteau, pour m’engouffrer l’instant suivant, accompagnée par une bourrasque humide et glacée, dans la taverne où nous avions rendez-vous avec Ballast.

Il avait eu à faire de son côté, mais s’était refusé à m’en dire plus avant son rendez-vous. Je l’apprendrai bien assez tôt, m’avait-il glissé d’un ton plein de mystère. Les autres pour une fois, étaient chacun occupés à leurs propres affaires, à ou celles du Vol d’or. J’étais donc seule pour une fois, avisant rapidement une table de libre, pour m’y installer dans un soupir d’aise.

Le feu flambait haut dans l’âtre, réchauffant de sa chaleur toute la taverne, autant que le brouhaha des conversations mais aussi quelques odeurs de mangeaille, ce qui me fit faire la moue. Je n’avais plus rien mangé depuis la veille alors autant dire que ces alléchants fumets éveillèrent mon appétit. Je fouillai à l’intérieur de mon manteau, soupesant ma bourse. Ce devrait être suffisant pour manger et boire.
Très vite, je retirai mon manteau le laissant sur le côté, pour défaire d’un tour de cou, mon précieux foulard rouge. Mon chapeau rejoignit le banc à côté de moi et je m’ébrouai de satisfaction, laissant la chaleur réchauffer mes membres, gardant pour le moment mon pourpoint brodé que je me contentai d’ouvrir pour me mettre à l’aise.

Bon en revanche si je crevai la dalle, j’allais devoir attendre sur mon mestre pour prendre commande, si je n’voulais pas me faire fustiger par l’aveugle.
En attendant je pouvais toujours commander à boire. Je regardai autour de moi, levant le bras pour héler le tavernier.

-Putain que ça caille.
-J’espère que ça durera pas. Si ça dure je pense que je te retrouve en bloc de glace vivant. L'idée me plait pas.

Les deux amis trinquèrent avec entrain leur deux choppes. Si on exceptait leurs lourds vêtements semblables et encore humides du temps peu clément au dehors, ils semblaient physiquement aussi différents qu’on pouvait l’être, tout les deux. Le premier à avoir grommelé, non sans malgré tout un sourire joueur sur les lèvres était certainement un sang mêlé, si on y prêtait l’œil. La peau brunie par le soleil, les cheveux et les yeux aussi sombres que son vis-à-vis avait la peau laiteuse et les cheveux d’un blond chaud. Il y avait une élégance indéniable dans les gestes de ce dernier, même lorsqu’il porta sa boisson à ses lèvres.

Soudain il se figea et son compagnon haussa un sourcil.

-Ben quoi?
-A qui elle fait des grands signes comme ça ? Gloussa-t-il.

Car la pauvre pirate un peu plus loins ne semblait pas avoir été vue du tavernier qu’elle avait voulu héler. Comme d’un réflexe, Ren, car c’était le nom du bandit élégant, leva la main  pour lui répondre avec un grand sourire. Son ami se retourna une seconde, histoire de comprendre de qui l'autre parlait. Il pouffa mine de rien et, retrouvant le regard de son ami lui lança :

-T’es con Ren....

Ren ressemble à ça :

Le temps passait et je n’étais toujours pas servie ! Nom d’un poulpe visqueux ! J’étais connue pour être de bonne composition, en tout cas la plupart du temps, mais ma patience elle, avait des limites ! Et mon gosier commençait drôlement à s’assécher d’autant plus que j’avais besoin de quelque chose de costaud pour aider à faire remonter ma température.

Je donnais donc sa dernière chance au tavernier pour venir enfin me servir, lui adressant un nouveau signe. Et si cette fois encore il s’avisait de m’ignorer, il allait voir de quel bois je me chauffe ! Enfin un autre bois qui brûlait actuellement dans sa cheminée !

Et ça ne manqua pas ! Une fois de plus son regard glissa sur moi comme si j’avais été invisible, pour aller s’égarer à trois tables plus loin. Au même moment, je vis un gars me faire signe, puis rigoler avec son voisin de table.

Allons donc, c’était ma fête ce soir ? Mon regard se plissa, jaugea les deux pasquins , et je décidai d’agir. M’emparant de mon manteau et de mon chapeau, je bougeai jusqu’à la table des deux rigolos, pour les jauger d’un regard acéré.
- Hé bien je vois que vous au moins, on vous a servi !

Mes narines se pincèrent et j’ajoutai railleuse :
- Et je m’interroge sur la raison qui vous amuse tant ? De voir qu’on laisse une respectable dame se languir de voir un jour sa soif étanchée, ou est-ce autre chose ?

Je m’installai à leur table, sans autre forme de procès.
- Alors dites-moi ? Et peut-être saurais-je me montrer magnanime et ne pas créer d’esclandre parce que dans cette taverne, de toute évidence, on est prêt à cracher sur de quelques souverains.

Pourtant là tout de suite, ça me démangeait de jouer à Pierre qui rit, Jean qui claque. Soit avec ces deux-là, suivant ce qu’ils allaient me répondre, soit avec le tavernier qui semblait m’ignorer éhontément. Je pouvais peut-être trouver le moyen qu’il se souvienne de moi.

- N'y voyez pas de méchanceté de notre part. C'est Viliam qui était intervenu, un sourire amusé mais non moqueur sur les lèvres. Mon ami n'a pu se résoudre à vous laisser ainsi à saluer dans le vide.

Ils s'échangèrent un regard empli de malice, mais à nouveau, il n'y avait nulle méchanceté ou moquerie envers la pirate. En revanche il était clair que ces deux-là partageaient une franche complicité et que la situation les amusait. D'ailleurs, c'est le blondinet qui continua.

- Allons, si vous voulez rester à notre table, peut être aurez-vous plus de chance. Je vous compenserai volontiers la piètre image que vous vous êtes fait de nous si ce n'est que cela.

Le tout fut accompagné d'un sourire des plus charmant. Devant ce spectacle qu'il connaissait bien,Viliam ne put s'empêcher de rire à demi, derrière la chope à laquelle il prit une nouvelle gorgée. Ren ne pouvait s'empêcher ce genre de petit jeu dès qu'une jolie femme - ou bien un bel homme- lui plaisait. Et celle-ci, à la chevelure et au cœur de flamme semblait être à son goût. Il fallait par contre espérer que la demoiselle avait quelques traits d’humour derrière sa contrariété ou l'élégant bandit risquait de s'y brûler.

D’ailleurs, pour ne pas arranger la vexation de la pauvre pirate, Ren avait à peine levé sa main que le tavernier semblait l’avoir aperçu et approchait.

Saluer dans le vide. Je me renfrognais un instant, marmonnant :
- Je ne le saluai pas, j’essayai d’attirer son attention. En vain de toute évidence.

Je soupirai en m’installant plus confortablement, déposant mes affaires à mes côtés.
- Mais peut-être que la raison pour laquelle il m’ignore sciemment est seulement dû à son ignorance. Et l’ignorance est le plus grand mal des imbéciles, n’est-ce pas ?

C’était en tout cas, ce que me disait souvent Ballast. Et ces deux-là n’en étaient pas, si j’en jugeai par les échanges de regards complices et au ton de la voix du gars aux cheveux sombres. Ils étaient juste là pour se détendre, et apparemment ce n’était pas à mes dépends, pas vraiment.

Mais je pouvais bien leur pardonner au vu de l’invitation qu’on m’adressât. Je les jaugeai tour à tour, et acceptai.
- Je devrai peut-être encore apprendre de l’art et de la manière dont on se fait servir dans cette cité, même si je suis loin d’en être à mon premier voyage. Mais vous-deux, vous avez l’air plus au fait des us et coutumes de la région, les flattais-je en les dévisageant tour à tour.

Je leur demandai, curieuse :
- Vous semblez bien connaître les lieux, ou peut-être que je me trompe ?
Je me présentai alors.
- Je me nomme Deejarah.

Et du coin de l’œil je surveillai le tavernier qui daigna enfin s’approcher.
- Ahh vous voilà ! tonnais-je avec force, et entrain, étirant un sourire affecté sur mon visage. Mes amis me vantaient justement la grande qualité de votre rhum. J’aimerai en juger par moi-même, si toutefois vous daigniez me servir. Histoire que je puisse comparer avec ceux que j’ai pu goûter à travers de nombreux ports.

J’adressai un bref sourire à mes compagnons de tablée improvisés.

- Vous semblez bien connaître les lieux, ou peut-être que je me trompe ? Je me nomme Deejarah.
-Moi c’est Ren. Le blond répondit.
-Viliam. Fit le second.Effectivement on peut dire qu’on connaît bien la région ouai...

Aucun de deux ne semblait particulièrement dérangé de donner leurs noms. Ils avaient l'habitude de ne pas vraiment cacher ce petit bout de leur identité, même si le reste ils ne le criaient pas sur tout les toits. De toute façon dans ce genre d'endroit, appeler la garde n'était clairement pas la chose à faire si l'on ne voulait soit même pas d'ennuis.

Finalement, la jeune femme eut enfin ce qu’elle voulait alors que le tavernier s’approchait d’eux. Les deux amis se firent silencieux en écoutant simplement l’échange avec le même éclat joueur dans leurs regards.

L'homme opina finalement du chef devant la commande de la pirate, avant de tourner le dos, histoire d’aller chercher cette commande fissa.

-Alors comme ça vous êtes pas du coin, vous ? Souleva Viliam en premier. Il se balançait machinalement avec sa chaise en fixant la nouvelle venue. Il était sincèrement curieux d’en entendre d’avantage sur cette voyageuse. Vous avez dû en voir des trucs exotiques. L’invita-t-il à parler. Après tout c'était elle qui s'était invitée à leur table...

- Enchantée, répondis-je avec un sourire.

Donc ouais, ces deux-là connaissaient bien le coin. J’aurai pu le parier. Même si ça ne me disait pas ce qu’ils faisaient dans la vie, mais peut-être aurais-je l’occasion de le leur demander dans un instant.
Pour le moment j’avais soif et le tavernier se ramena enfin pour prendre ma commande. Mieux valait tard que jamais hein ? Mais je décidai d’oublier l’incident, si toutefois il daignât cette fois me servir rapidement, et ouais j’avais commandé son meilleur rhum sur un ton quelque peu ostentatoire histoire de lui faire comprendre qu’il ne pourrait pas m’ignorer une fois de plus. Sans quoi, je ne serai plus d’aussi bonne composition !

Oui enfin en attendant, y’avait ces deux gus là qui fanfaronnaient joyeusement, et qui voulaient savoir si j’avais vu des trucs exotiques. Mon sourire s’étira. J’ignorai s’ils étaient encore dans la dérision ou non au vu de la question, mais je décidai d’en rire :
- Exotique ? ce n’est pas vraiment le mot que j’aurai choisi. Mais après, tout dépend de ce que vous entendez par exotique. Qu’est-ce qui peut l’être pour vous ? Le fait de risquer de se faire manger par des drows, ouuu peut-être plus le fait de partager sa table avec un groupe de nains affamés ? Ouu de frôler la mort en affrontant moult tempêtes ? Tenez, même cet endroit est exotique, ne serait-ce qu’à cause de la lenteur de son tavernier.
- Et puis Thaar sous la neige, ce n’est pas souvent que ça arrive, de quoi donner de l’exotisme à votre vie, ne trouvez-vous pas ? Fis-je goguenarde.

Je repris enfin plus sérieusement.
- Avez-vous déjà vu en Ithri’vaan climat aussi glacial ? J’ai été hum quelques temps absentes, mais de mémoire de mon mestre il n’avait jamais vu ça avant.

Quoique voir était un grand mot étant donné sa cécité ! haha... bon il foutait quoi ce tavernier ? Je repris la conversation :
- Et comme vous avez l’air bien au courant, peut-être pourriez-vous m’informer des dernières nouvelles concernant la ville ? Que se passe-t-il d’intéressant en ce moment hm ? Oh je vous rassure, je ne pose point la question par simple curiosité, mais ça me permettra plus tard d’alimenter celle de mon mestre. Il aime bien être au courant de ce qui peut se passer un peu partout. Et il a besoin quelque peu que je lui remonte le moral en lui racontant les derniers potins du coin.

-Vous savez pour nous Thaaris, l’exotisme prend pas mal de formes. On est pas des voyageurs.

Viliam répondit avec nonchalance. Sa chope vide, il choisit plutôt que de la remplir à nouveau d’allumer un fin rouleau de feuille séchée, qui laissa alors échapper une odeur de tabac et d’herbes à fumer. En revanche, il n’avait cessé de de balancer sur sa chaise.

-Quand à ce qu’il se passe à Thaar…

-On dit que les grands princes d’en haut peinent de plus en plus à maintenir leur autorité sur la foule. C’était Ren qui avait renchérit, un éclat toujours joueur à son ami. Depuis que certains révolutionnaires se sont mit en tête de plus courber l’échine… Leurs idées de justice plaisent et avec l’hiver qui vient, ça risque d’être la goutte d’eau de trop. Qui sait ?

Elle avait demandé ce qu'il se passait à Thaar...C'était l'occasion d'en rajouter une couche.

Non, ce n’étaient pas des voyageurs mais avec un sourire malicieux j’ajoutais.
- Mais je suis sûre que ce n’est pas l’aventure qui vous fait peur... du reste, comment s’amuse-t-on à Thaar, hormis passer ses soirées dans les tavernes du port ? Quelles sont les dernières activités à la mode quand on a plein d’énergie à revendre ? y’a-t-il quelques tournois épiques à aller admirer, si ce n’est y participer ? Quelques fêtes vaanies dans lesquelles s’inviter ? Non ?

Je les regardai tour à tour, parce quelque chose me disait que dans ces deux têtes-là, les idées pour s’encanailler, ne devaient pas manquer.
- Un mariage ? Une cérémonie ? Rien ?

Je soupirai, songeant avec émoi à ces longues soirées passées en taverne qui s’étaient terminées en belles échauffourées.  C’était le bon vieux temps mais qui sait, si on savait encore pratiquer ici de telles activités ? Quoique le sport devait être plus connu à Méca où nul ne risquait d’alerter la garde.

Et tant qu’il était question d’actualités, j’en profitai pour demander les dernières nouvelles, ou si vous préférez, les dernières rumeurs concernant la ville, sûre que ces deux-là devaient en savoir un rayon sur la question. Mais je ne m’attendais certainement pas à ça !
Mes yeux s’arrondirent de surprise, avant de répéter :
- Une révolution ? Carrément ?

Je les dévisageai, me demandant s’ils cherchaient seulement à s’amuser à mes dépends où s’il y avait une once de vérité dans ces propos. De toute façon, comme nous étions voués à rester quelques temps à quai, je songeai que nous serions rapidement fixés. Si l’ambiance devait être à la rébellion, les signes ne devraient pas manquer.
Mais dans un sursaut de raisonnement, je finis quand même par répliquer, le rire aux lèvres.
- Vous croyez vraiment que ces grands-princes vont laisser ce parfum de rébellion s’entêter ? Il leur suffira de distribuer quelques souverains pour l’étouffer et puis... qui sait si ce n’est pas justement là une de leurs lubies de nantis pour créer un peu d’animation, eux qui s’ennuient si facilement !

Oui, malgré ma curiosité, j’avais quelques doutes sur la viabilité d’un tel « projet ».  

-Oh je ne pense pas non. Viliam rit et souffla un peu de fumée. Ces gens-là ne sont pas des nantis et il ne s’agit pas d’un jeu. Quant à l’argent. Un haussement d’épaule. Eh bien si il y a tentative d’étouffer quelque chose à coup d’argent, c’est bien que ça inquiète non ?

Les deux hommes conservaient leur espièglerie et parlaient comme si le sujet était léger. Ren buvait, Viliam fumait tout les deux nonchalents. Pourtant, ils savaient tous les deux qu’au fond il n’en était rien et ce que Viliam avait dit n’était pas anodin  pour eux: Tout cela n’était pas un jeu.

-Enfin, nous verrons bien ce qu’il en est. Mais je doute que l’argent soit la seule motivation et la seule clée pour éteindre la colère qui gronde.

 La question était posée. Comment s’amusait-on en Ithri’vaan ? Dans cette ville aussi cosmopolite qu’extravagante de Thaar ? Que faisaient ses habitants pour se divertir, hormis bien sûr, boire et profiter des diverses tavernes ou autres lupanars. Même si je n’étais pas ici pour ça, mais j’avais bien le droit à un peu de divertissement avant de reprendre les affaires !

Mais ma question resta sans réponse, me laissant perplexe, étant donné que j’étais sûre d’avoir face à moi deux hédonistes chevronnés. Quoique peut-être ne souhaitaient-ils pas partager leurs tuyaux avec moi. Oui après l’attitude du tavernier, je ne devais pas m’en formaliser.

Ou peut-être simplement que la question ne devait pas être posée. Il fallait sans-doute connaître les réseaux des plaisirs d’Arcam pour avoir ses entrées, oui peut-être. Ce qui faisait finalement beaucoup de peut-être et de curiosité insatisfaite. Mais je n’insistai pas, oubliant le sujet du divertissement pour passer à celui de la rébellion.

Une nouvelle quand même fort surprenante, parce que je savais quel pouvoir l’argent avait. Et Viliam assura qu’il ne pouvait s’agir d’une de ces lubies de nantis. Et que pour lui la menace était donc réelle, enfin menace ou ...autre chose ? Je fronçais les sourcils, observant les attitudes de l’un ou de l’autre, sachant que je n’allais pas me fier autant à l’un qu’à l’autre. En tout cas, il avait l’air très sûr de lui, lui et son pote, peut-être un peu trop.

Mais tout ça n’était pas mes affaires, même si j’allais assurément en parler à Ballast, me demandant ce qu’il aurait à en dire. Alors je n’insistais.
- Oui vous avez sans doute raison, leur répondis-je dans un soupir. Espérons dans ce cas que Thaar trouve d’autres clés pour calmer la colère de son peuple parce que les révoltes ne font jamais le beurre des marchands.

Et le nôtre pas la même occasion. Nous étions liés à eux par la force des choses et si les marchands ne faisaient plus des affaires, nous non plus.
C’est là que je sentis ce vent coulis, changement infime dans l’air, et signature de Ballast. Je sus qu’il était arrivé avant même de lever le nez pour le voir debout à l’entrée de la taverne, ses deux mains appuyées sur son bâton, concentré.
- Oh la personne que j’attendais est arrivée. Veuillez me pardonner messires, je vais devoir vous laisser. Mais peut-être à une prochaine qui sait ?
J’embarquai ma chopine de rhum, pour les saluer d’un dernier « bon vent » !

Et retrouver Ballast dont l’expression semblait bien soucieuse. Apparemment sa pêche aux informations n’avait pas été fructueuse. Mais j’allais vite découvrir que je me trompais.

Comme déçu en voyant que la jeune femme s'éloignait déjà, Ren eut une petite moue discrète, que la pirate ne vit surement pas. Viliam, connaissant trop bien l'homme le remarqua et cela le fit rire à demi.

-Bon vent. Qui sait si nos chemin nous ferons nous recroiser l’aventurière. Fit-il, de bon cœur et sans méchanceté. Imité par le second qui répéta le "bon vent" avec peut être moins d'entrain. Avant que le bandit ne lève son verre une dernière fois, portant un toast à cet échange improbable. Il eut un sourire malicieux pour son ami. La prochaine foi Ren...

Mais alors que le beau blond se replongeait le nez dans sa propre chope, l’air -faussement bien sûr- grognon, son compagnon de beuverie fit mine de se relever à nouveau.

-Tu va où ? Lui lança-t-il alors, surpris.
-T’as perdu. Il lui offrit une tape sur l'épaule. Moi aussi j’ai envie de jouer maintenant.

Un grand sourire, avant qu’il ne parte tranquillement aborder un autre homme d'allure élégante qui était appuyé au comptoir mais qui semblait bien seul pour l'instant.