La naissance d'un murmure [PV Aegden&Illynora]

5e ennéade de Verimios
21e année du Onzième Cycle
Appartements Royaux
Fin de soirée

Tes doigts glissent affectueusement à travers les boucles de la tignasse blonde, mais il semblerait que ce soir, toute l’affection du monde ne saurait convaincre Hràvion de fermer l’œil. L’enfant te regarde, ses paupières clignant lentement, perdu quelque part entre éveil et sommeil. Peux-tu vraiment t’en étonner ? De tes deux fils il a toujours été le plus perceptif, et voilà que ce soir, son empathie lui jouait des tours.

- Tout va bien Ada ?

- Comme d’habitude melninya. tu lui caresses la joue Rien que Ada ne puisse pas gérer.

- Tu es sûr ?

- Oui j’en suis sûr.

- Je peux avoir un câlin ?

- Bien sûr !

Tu prends ton fils dans tes bras, et lui poses la tête contre ton cœur. De la pulpe des doigts, tu lui masses le crâne, sachant exactement ce qui s’en vient. Tu es rentré à Alëandir anxieux, et tu leur as annoncé devoir repartir peiné. À leur jeune âge, tes enfants ne savent déjà que trop bien le poids que pèse le Royaume sur tes épaules, et Hràvion en particulier sait reconnaître lorsqu’il te devient difficile à porter. Alors le pauvre s’inquiète pour toi sans vraiment comprendre ni les comment ni les pourquoi, et impuissant face à tes ennuis, n’est jamais que capable de les surmonter à sa façon.

- Ça va aller… tu berces doucement l’enfant qui s’endort Ça va aller…

Les poings de Hràvion se délient. Sa respiration se fait plus profonde. Il dort déjà profondément. Tu le rends à son lit, conscient qu’il s’en remettra. Il s’en remet toujours. Rassurer un enfant n’est pas plus difficile que garder espoir. Tu paierais cher cependant, pour que lorsqu’elle rentre au soir, ton pectoral trempé des larmes de ton fils ne soit pas ce qui apprenne à ton épouse que les enfants sont couchés.

- Combien de temps ?

- Quelques minutes à peine.

- La Mère soit louée. Kaëlistravaë soupire On a évité le pire.

Au cœur d’une époque aussi tumultueuse, la routine du couchant pourrait sembler désuète, futile même, mais il y a un apaisement dans l’habitude qu’aucun mot ne saurait pourvoir. L’odeur familière du ragoût des jours de spleen. Un baiser échangé au coin du feu. Puis l’attente. L’attente de l’inévitable temps des règlements de compte.

La tenue du soir:

Convoquée en tant que témoin dans une affaire qu'elle n'appréciait guère, Illynora se présenta au trône blanc avec une élégance inhabituelle pour elle. Revêtue d'une longue robe blanche teintée de vert, sa tenue mettait en valeur son regard d'émeraude. Quelques bijoux discrets ornaient son cou délicat, tandis qu'une haute queue de cheval, attachée par un papillon incrusté de substance verte luminescente, témoignait de son effort pour paraître crédible plutôt que fidèle à elle-même. Cet effort colossal ne passerait sûrement pas inaperçu, car pour être présente ce jour-là dans une telle tenue, elle avait dû arriver la veille.

Sa mère, stupéfaite par cet intérêt soudain pour la bienséance, lui avait même demandé si elle comptait se marier. Mais non, il n'en était rien. Illynora était simplement venue voir Artiön sur convocation, ce qui, aux yeux de sa mère, paraissait encore plus suspect. Qu'avait donc en tête cette fille sauvage ? Elle-même n'aurait su le dire, tant le mystère était insondable.

Lentement, elle s'avança dans la pièce principale, pieds nus et sans un bruit. Silencieuse, elle fit un signe de tête au personnel pour prévenir le Roi de son arrivée. Aujourd'hui, aucune souris, aucun rat, aucune autre créature des profondeurs de la forêt ne l'accompagnait.

-Adaa où tu va ?!

Le petit bout d’elfe se tenait bien droit sur le perron de la porte de sa maison, ses minuscules poings fermés contre ses hanches. Son expression se faisait une telle parodie de la mine boudeuse de son père que celui-ci ne put s’empêcher d’en rire avec surprise lorsque l’appel l’avait fait se retourner.

-Elben, tu devrais dormir à cette heure-ci…
-Oui mais je voulais pas que tu partes.

La mine de l’enfant s’était bien vite changé. Ses grands yeux clairs, brillants, devenant presque implorants et ses joues prenant une vive teinte pivoine. Alors le soldat rebroussa chemin pour plier les genoux à la hauteur du gamin. Il l'observa un instant, constatant à nouveau à quel point la ressemblance avec sa mère était aussi troublante sur ses traits que ses expressions, elles, lui rappelaient les siennes. L'enfant avait visiblement l'air particulièrement contrarié. Assez pour se glisser hors de son lit, et s'aventurer jusqu'à la porte de sa maison qu'il avait réussit à ouvrir tout seul. Ce n'était pourtant pas dans le tempérament du petit garçon sage ce genre de bêtises.

-Je ne m’en vais pas vraiment petite étoile. Il caressa doucement les cheveux de l’enfant. J’ai un souci à régler en ville, mais je serais rentré avant même que tu ne t’en rendes compte.
-Promis ? Promis promis ?
-Promis.
-Reste encore.
L’enfant se jeta dans ses bras et il sentit ses petit poing s'accrocher à ses vêtement.

Palais royal, plus tard dans la même soirée

Il aurait dû arriver plus tôt, probablement dix ou vingt minutes déja, malgré le rythme empressé de ses pas à travers les rues endormies de la cité. Que l’Aran lui pardonne, après tout il savait ce que c’était d’avoir des enfants…

Malheureusement, la soirée serait vouée à un sujet bien moins joyeux et ils n'auraient sans doute pas vraiment l'esprit à s'échanger des conseil parentaux ce soir là. Il fallait des réponses concernant les évènements de Malereg, des explications, et le soldat était toujours plongé dans ces pensées bien loin de son foyer lorsqu’il frappa à la porte des appartements royaux. 

Avant qu'on n'ouvre, Aegden laissa échapper un bref soupir. Cela faisait quelques jours qu'il attendait cet instant tout en le redoutant profondément.

Vos enfants dorment à poings fermés. Le bouillon abandonne ses derniers volutes de fumée à la brise faufilée par une fenêtre entrouverte. Le clappement du cristal contre la fonte te laisse entendre que Kaëlistravaë se sera occupée de couvrir le repas avant qu’il n’ait trop refroidi. Toi, tu te contentes de fixer la porte de vos appartements jusqu’à ce que Souffle qui vive n’en approche.

Tu comptes ses pas au fur et à mesure qu’elle approche. Tu la chronomètre aux battements de son cœur, si bien qu’à peine arrive-t-elle à votre porte que déjà tu la lui ouvres. Les courtoisies sont bien fades, et les sourires habituellement espiègles que l’alchimiste et toi aviez pris l’habitude d’échanger au détour de presque fraternels quolibets avaient laissé place à une morne formalité. Elle est bien habillée ce soir. Et tu apprécies le geste. Tu le lui fais remarquer avec un sourire, qui – dans d’autres conditions – aurait certainement été un éclat de rire autrement, après lui avoir fait remarquer qu’à pareille heure, il ne fallait pas qu’elle s’attende à ce que tu lui rendes la pareille. Mais le cœur n’y est pas. Elle qui l’a vue, elle qui l’a vécue, saura peut-être la lire sur ton visage, la même gêne, teintée de colère, dont tu t’étais paru à la suite des événements de Rindanim.

Tu reprends contenance, le temps de mettre en place le décor. Quatre bols de ragoût de gibier – dont un privé des morceaux de viande dont tu sais Aegden peu friand – posés sur une table de salon. Quatre tasses d’une infusion chaudes à l’odeur sucrée mais discrète, pour les accompagner. Un pain de méroca déjà coupé en quignons, et quatre verres de cristal vides destinés à accueillir petit à petit le contenu d’une grande carafe d’eau fraîche.

Tu entends frapper à la porte, et tu te surprends toi-même de ta réaction. Ton regard est allé à ton épouse, puis à Illynora, et le temps d’échanger quelques battements de paupières, tu avais ravalé ta colère. Rien n’est de sa faute. Aegden fait de son mieux. Mais quelque chose en toi lui en veut tout de même. Tu aurais aimé pouvoir compter sur lui comme tu aurais pu compter sur Norne, Cìryon, Maltlin, ou même Daenor, pour comprendre sans que tu n’aies rien à dire. Mais cette fois, il te faudrait t’expliquer.

- Aegden. tu le salues, poing contre le coeur, après lui avoir ouvert la porte, puis lui indiques l’intérieur Entre, installe-toi.

- Mainyth Kaëlistravaë lui offre une courte révérence avant de le guider vers sa place Par ici.

Vous vous asseyez et le silence s’installe comme une chape de plomb. Et parce que tu es à la fois hôte et accusé, tu inspires, sachant que nul n’est mieux placé que toi pour ouvrir le bal.

- Ne passons pas par quatre chemins. tu tends une paume en direction de l’alchimiste Aegden, voici Illynora. Elle faisait partie de la fameuse expédition à Rindanim. Je n’ai pas osé demander sa présence à Lynn. Elle n’a définitivement pas bien vécu les événements, alors quoi qu’elle ait à en dire, si elle doit en reparler, je préfère qu’elle le fasse dans le confort de mon absence.

Le fait que d’entre tous, ce ne soit pas Lynn l’origine de la clameur, quand c’était elle qui avait le plus ouvertement fait démonstration de son dégoût, était d’ailleurs l’un des grands piliers de ton exaspération. Si même elle avait su voir les intentions derrière l’acte, pourquoi les responsables de cette situation n’étaient-ils pas capables ne serait-ce que d’en former l’idée ?

- Tu as des questions. J’ai des réponses. Illynora servira de témoin et complètera selon son point de vue.

La porte, accueillante avant même qu’on ne prévienne Artiön, s'ouvrait sur un monde où chaque détail comptait. Comme à son habitude, il était affûté, prêt à tout. Une musique silencieuse résonnait entre eux, une mélodie invisible mais parfaitement comprise. Le sujet n'était pas le préféré d'Illynora. Elle s'occupait de Lynn, en convalescence chez elle, et connaissait bien son état de santé. Lynn avait besoin de rester éloignée de toute négativité.

Le visage d'Illynora était sérieux et préoccupé, pourtant dépourvu d'animosité envers le Roi. Quelques courtoisies échangées, des sourires formels, et un silence lourd. Il n'était pas nécessaire d'être devin pour percevoir la tension qui régnait, bien différente de leurs habitudes de longue date. L'atmosphère était si épaisse qu'on aurait pu la couper au couteau, présageant que la réunion ne serait guère une partie de plaisir.

Quand Aegden entra dans la pièce, Illynora était déjà là, non pas assise à la table, mais adossée au mur, légèrement à gauche. Elle attendait que tous soient présents avant de commencer à boire ou à se sustenter, par pure politesse.

Guidée vers sa place, Illynora s'installa en face d'Aegden, créant ainsi une configuration triangulaire, avec le Roi au sommet. Une parfaite égalité de positionnement. Elle patiente afin de savoir comment Kaëlistravaë décidera de se positionner.

Un simple mouvement de tête en direction d'Aegden puis Kaëlistravaë suffirait à lancer les point de départ de l'affaire. Illynora, ne souhaitant pas parasiter la conversation, se retira dans un silence respectueux.

Il ne s’attendait pas à la présence d’une quatrième personne et il s’en montra surpris l’espace d’une seconde. Malgré tout, il la salua avec la même politesse. Il connaissait son nom, mais ne l’avait vraiment jamais côtoyé. Il ignorait aussi que Lynn avait fait partie de toute cette histoire et s’attrista de savoir que l’elfe à la santé mentale déjà fragile était bouleversée.

En revanche, il eut un discret et bref sourire en observant les plats disposés sur la table, notant l’attention du roi à ne pas lui servir du gibier – met qu’il n’appréciait effectivement guère-. C’était un petit geste, mais un geste apprécié malgré tout.

-Inutile de déranger Lynn. Répondit-il doucement. C’est ton point de vue qui m’importe Artiön. Il ne put empêcher un rictus amer étirer ses lèvres. Ses doigts étaient machinalement venus pianoter sur le rebord de la table. Contrairement à l’intendant Fiiriel, je te sais capable de discuter en bonne intelligence. De ses mots, il te pense incapable de remise en question, voir incapable de déposer la couronne, si il fallait en arriver là. J'ignore si il a peur à ce point, ou si il voit je ne sait qu'elle opportunité, mais il se prépare dores et déjà à un conflit. C'est pour ça qu'il m'avait fait venir, pour savoir si je serait de son coté ou du tient. - Et comme je te l'ai mentionné, je ne te cache pas mon agacement et mon dégout de voir des vies utilisés comme prétexte de cette façon. Mais passons, ce sujet viendra sans doute ensuite.- Nous ne nous connaissons pas depuis tant d'années que ça, mais je te connais suffisamment pour savoir que tu n'est pas l'elfe qu'il m'a décrit, Artiön. J’aimerais que tu m’explique ce qui est arrivé là-bas. J’ai aussi entendu la version d’un éclaireur avec vous ce jour. Il était…plus réticent que l’intendant à te condamner. Et j'ai cru comprendre dans sa façon de parler de tout ça que tu n'avais pas eut le choix. Aegden laissa passer une seconde.  Mais tout de même, j’aimerais comprendre et entendre de tes mots exactes. On me parle de Baar'ane, d'arbre maitre devenu fou, de nécromancie... Je ne peux pas juste balayer tout ça du revers de la main, même si je le pouvais en tant qu’ami, en tant que Mainyth j’ai besoin de comprendre ce qui se passe là bas. Et ce à quoi nous devons nous attendre.

Tu bois une gorgée de thé, et plutôt que d’être réchauffés par le breuvage tes traits se parent d’un glacial flegme que peu peuvent se targuer avoir vu arborer. Seule demeure une légère étincelle dans ton regard, une étincelle et un léger frisson de paupière que ton épouse saura lire comme un rire retenu. Un rire des pires sortes. Parce qu’elle est belle, l’ironie du moment. Il est beau, il est magnifique, un grand esprit touché par les larmes d’eau précieuse du Bain Aran, celui qui, sous couvert d’agir contre un « Nécromant » se prépare en pensées à mettre le Royaume à feu et à sang, dans une guerre qu’il – pour couronner le tout – aurait lancé en usant du nom de Frères disparus comme s’ils ne s’agissait là que de bienvenus pions à sa disposition. Qu'il te craigne le Maleregeois, car il en faudrait beaucoup, au jour où tu viendrais le voir, pour te convaincre que ce n'est là qu'une Sainte peur qui l'a motivé.


- Je revenais d'une entrevue avec les Ondur, dans le Lörn. tu racontes d'un ton monocorde En arrivant, j'ai été informé par le régent que le Protectorat avait connu une vague de disparitions au cours des trois derniers jours. Les activités des Ornedhels avaient récemment semblé étrange aux éclaireurs alors bien sûr c'était là les premières suspicions d'Enimë. tu ne te donne même pas la peine de rouler des yeux C'est pour ça qu'il a fait appel aux Aigles. Et puisque j'ai ça tu présentes tes tatouages des mains qui m'accorde un peu de crédit chez les clans, il a profité que je sois de passage pour me demander mon aide.


Enimë ne valait probablement pas beaucoup mieux que Fiiriel. Loin de réfléchir à la bonne santé de son territoire, et impossible de considérer en son propre nom autre chose que la simple annihilation des clans, il envoyait un sauvage gérer d'autres sauvages. Ni plus ni moins. S'il se tenait à carreau, c'était par peur du Trône plus que par volonté de bien faire. Mais au moins lui se tenait à carreau.


- Lynn faisait partie des Aigles dépêchés. logique au vu de son ascendence Et Illynora a été mandatée pour son expérience des maux touchant la Sylve depuis la Lune de Sang. tu jettes un rapide coup d'oeil en direction de l'alchimiste avant de reprendre Bref, on était en mission, et puisque jusqu'à nouvel ordre les Ornedhels de l'Epine Dorée étaient les plus à même de nous fournir des informations sur les récents événements, on a décidé de prendre la direction de Rindanim dans l'espoir d'y croiser un de leur campements. tu te permets un soupir Malheureusement, tout ce qu'on y a trouvé c'est du vide et un Acouphène.


Un Acouphène, pas exactement. Le silence plutôt. C'était le silence surtout le plus étrange entre les murs de l'ancienne Rindanim. Les Chants ne s'étaient pas envolés en discordances avant le dernier moment.


- On a posé notre camp. L'état de Lynn s'est dégradé pendant la nuit, et au moment où elle est tombée au plus mal, la Sylve s'est réveillée, s'est retournée contre nous et l'a capturée. On a dû la poursuivre jusqu'à l'Arbre-Maître de la Cité pour la libérer, sauf que le Sanctuaire était un véritable champ de bataille. Des cadavres de bêtes partout, quelques cadavres d'elfes, et à côté, des créatures végétales qui ont probablement pris leur forme après leur avoir sucé la moëlle. Autant dire qu'on a dû partir immédiatement au combat pour espérer ne pas perdre Lynn avant qu'Illynora ne puisse faire quelque chose pour l'Arbre, et se battre de plus belle quand il a fallu lui ouvrir un passage. l'agacement finit par percer au travers de la façade On arrivait à bout, on était déjà passé plusieurs fois beaucoup trop près de l'autre côté du Voile, alors oui, j'ai fait ce qu'aurait fait n'importe quel autre mage de guerre et j'ai utilisé les ressources à ma disposition pour protéger nos vies. Un élémentaliste aurait pu faire du petit bois de nos agresseurs et on ne lui aurait rien reproché, sauf que malheureusement, je ne suis pas un élémentaliste, alors j'ai relevé les cadavres qui nous entouraient pour avoir des bras en plus. tu soupires et lèves les bras au ciel avant de laisser lourdement tes mains retomber sur la table Lynn m'en a presque voulu de ne pas l'avoir laissé mourir et Unqua m'a ouvertement fait savoir son dégoût, et non, je n'y ai pas non plus trouvé le moindre plaisir, bien au contraire, c'est pour cette raison que je ne m'en vais pas chanter sur les toits mes exploits du Sanctuaires de Rindanim. tu avales agressivement une nouvelle gorgée de thé Et c'est par volonté de les rendre à la nature après m'être aussi grossièrement servi d'eux que j'ai détruit les cadavres ensuite. Peut-être que je n'aurais pas dû. Il y avait effectivement des corps portant les armures des Baar'Ane parmi les cadavres elfiques. On aurait peut-être pu en apprendre un peu plus en les observant mieux. Je dois bien l'accorder à Unqua. Mais sur le moment, j'étais juste nauséeux et épuisé, alors je n'ai pas réfléchi. C'est tout.


L'émoi s'étant emparé de ton visage retombe d'un coup, remplacé par les signes d'une lourde fatigue, psychologique plus qu'elle n'était physique. Au jour le jour tu souris, parce qu'il n'y a rien en ce monde que tu aimes plus que ton peuple. Quel que soit l'effort nécessaire, tu le ferais avec la plus grande des joies pour eux. Mais la Couronne pèse. La Couronne et les décisions qu'elle implique pèsent lourd, et ça, il n'y a jamais que Kaëlistravaë qui le voit au jour le jour.


- Si tu veux tout savoir, je n'aime pas le fait d'avoir eu à me résoudre à la Nécromancie, mais je n'en ai pas honte. tu lèves le menton Et s'il faut recommencer, je le referai. Parce que je trouverais absolument stupide de ne pas me servir d'un Art que j'ai mis des siècles à perfectionner lorsqu'il pourrait me servir à sauver des vies autrement condamnées. tes narines se plissent Si c'est ça qui doit faire de moi un monstre quand d'autres se permettent ouvertement de se déclarer prêts à verser le sang et à risquer des vies pour des broutilles...

- Elnoruì... ton épouse t'interrompt, d'une voix douce mais autoritaire ...tu en as assez dit. Du calme.

En l'état, Illynora se contente humblement de boire son thé, écoutant les arguments du côté du Commandant ainsi que du côté d'Artiön. Elle ne coupe pas la parole ni ne prend parti durant toute le déroulé du fil des évènements, mais prend néanmoins la parole quand c'est à son tour de la prendre.

Au moment ou le dernier mot d'Artiön conclut son intervention, elle soupire silencieusement, ses oreilles bougeant légèrement. Elle avait pu écouter, comprendre et se remémorer les détails de cette journée et c'est donc pour cette raison que sa réponse s'en trouva sans doute plus construite et posée qu'a l'accoutumée.

- Avant toute chose, je tenais à dire que je n'ai rien à rajouter aux faits qui ont été présentés et je confirme qu'ils se sont passés de cette exacte façon, sauf sur un unique point.

Elle se tourne directement vers Artiön car cette remarque ne concerne que lui et non pas le Commandant.

- Lynn n'est pas déçue de tes actions mais d'elle-même car elle se sent responsable de ce qui s'est passé, et même si l'usage de la nécromancie n'a guère amélioré sa condition il se trouve qu'elle n'en est pas la cause initiale. Elle est d'ailleurs en ce moment même sous traitement pour ça grâce à un élixir très particulier. Ainsi je te serai gré de ne pas t'accuser de tous les maux possibles, ta position te l'impose sûrement mais ton esprit ne peut l'endurer.

Ses oreilles se penchent légèrement plus en avant alors que sa tête se tourne en direction d'Aegden, signant ainsi une contrariété dissimulée mais aussi un angle d'attaque plus agressif qu'Artiön ; Illynora n'était reliée à aucune autorité réelle et donc n'avait strictement aucune raison de tenir sa langue.

- Pour en revenir au problème, Mainyth et avec tout le respect que je vous doit, vous êtes bien la dernière personne de laquelle je pensais entendre une telle morale sur la valeur de la vie.

Le vouvoiement est sciemment utilisé afin de mettre une distance, prouvant sa contrariété avant même que son argumentaire ne soit développé. Elle ne montre aucun manque de respect ou aucune animosité cependant, se contentant de rester distante.

- Dans un premier temps et croyez-moi bien que je déteste au plus haut point l'usage de ce genre de magie, de par ma profession mais aussi mon choix de vivre en harmonie avec la nature qui démontre des actes dans mes convictions. Il me semble cependant tout à fait étonnant que vous soyez à même de dispenser des jugements alors même que l'activité principale de l'armée est de verser le sang. Tout comme la question principale n'est pas le sang versé mais pourquoi il est versé, il me semble adéquat de rappeler que cette magie a été usitée défensivement pour répondre à une menace et non agressivement afin de causer un chaos quelconque. Elle marque une courte pause. Dans ces conditions, il est je pense tout à fait envisageable de pardonner cette utilisation ponctuelle et dans ce contexte, sans risquer que cela ait un impact sur nos mœurs ou notre culture, que j'ai d'ailleurs décidé de respecter de la façon la plus traditionnelle qu'il soit.

Car il n'était bien évidemment pas question que ce genre d'actes deviennent communs ou tolérés. Elle dépose ses mains de part et d'autre de sa coupe de thé, parfaitement à plat.

- Dans un second temps, il est surprenant que vous ayez eu vent de nos péripéties par la bouche d'un autre et que vous ayez porté autant d'intérêt à ce qu'il aurait bien pu gloser, car pendant un instant il m'a semblé que vous y portiez un crédit tout particulier ce que je trouve assez regrettable. J'en viens à me demander l'intérêt caché de cette confidence.

Malgré son effort irréprochable d'avoir été parfaitement vêtue et présentable, le côté rebelle de l'Alchimiste de par lequel elle brillait en Alëandir ne pouvait jamais être vraiment retenu sans revenir au galop. Au moins la politesse et le respect dû étaient tous deux de mise.

- Enfin, pour conclure mon intervention, sachez que je reste contrariée d'avoir enduré les effets d'une telle magie, mais je suis assez satisfaite que ma vie ait été sauve, ainsi que celle de Lynn et des éclaireurs, raison pour laquelle ils sont peu enclins à se plaindre. En cette situation je souhaiterai entendre ce que vous auriez fait, Mainyth ?

Illynora ne change pas d'expression ni de posture, mais se renfonce légèrement sur son assise afin de signer la fin de sa prise de parole. Croire qu'elle avait pardonner à Artiön cet acte serait de la folie, mais croire qu'elle lui en voulait encore l'était tout autant.

A vrai dire si au début elle était outrée, le recul et surtout le fait qu'il ait participé à la sauvegarde d'un Ëala avait aidé à légèrement élargir son horizon au point de mettre cette problématique dans la case "Je vais le lui rappeler pour lui faire payer mais je ne lui en veut pas tant que ça au final". Une case qu'Artiön subissait d'ailleurs assez régulièrement.

Un dernier geste de la tête en direction d'Aegden, d'Artiön et de Kaëlistravaë termine la scène.

-"Avec tout le respect que je vous dois", Heri. Le ton était pinçant, alors qu’une lueur d’agacement brillait dans ses prunelles. De petites fossettes s'étaient creusées sur ses joues tandis qu'il serrait les mâchoires. Je ne vous permets pas de décider de ma vision de la vie et de ma capacité à juger de la situation. Vous avez une vision étriquée de l’armée auquel cas je vous rappellerais au moins que le sang versé est le nôtre avant tout. Pendant vos combats en Rindanim, le mien était en Aduram, devant le pire nécromant que cette terre ait porté, à trancher la gorge d’ami déjà tombés, alors ne me demandez pas ce que j’aurais fait à votre place Illynora, j’ai eu suffisamment de temps pour y réfléchir. Quand à ce que vous appelez intérêt caché, heri, croyez-vous sincèrement qu’il aurait été de bon ton d’avoir cette conversation en public ? Ou de ne pas l’avoir du tout ?  Eh bien laissons Malereg déclarer une guerre parce que je n’aurais pas pris la peine de chercher à faire désescalader le problème dans ce cas ! Puisque vous semblez investie d’une bien plus grande sagesse, persifla-t-il, écoutons le conseil d’Heri Illynora.

Il stoppa sa diatribe par un souffle, forçant ainsi son humeur à s’apaiser. C’était inutile d’en arriver à un tel conflit. Ce n’était pas le but.

-J’ai du mal Artiön. Finit-il par ajouter, après quelques secondes de lourd silence, d’un ton qui, s’il était naturellement porteur de la tension du soldat, se voulait le plus calme qu’il puisse. Je comprends que tu n’aies pas eu le choix, mais j’ai bien trop vu à quoi ça pouvait ressembler pour ne pas m’en dégouter. Il secoua la tête. C’est stupide à tes yeux et tant pis, mais un jour c’est ce que j’ai fini par me dire en Aduram. Plutôt disparaitre pour de bon que risquer d’être relevé. Ce n’est pas ainsi que je voudrais servir l’œuvre. Un nouveau silence passa, dans une gorgée d’eau, car le soldat cherchait les bons mots, lui qui ne maitrisait pas autant que l’Aran l’art de la bonne parole. Est-ce que ça fait de toi un monstre ? Non pas à mes yeux. Fit-il en soutenant son regard. Simplement un Roi, un soldat et un elfe, qui va probablement trop loin pour son propre bien. Un fin sourire triste étira un instant ses lèvres. Il n’était pas aveugle, et malgré les mots durs, et le soubresaut de fierté du Daranovan, il voyait bien qu’il était bouleversé. Aegden n’aimait pas être responsable de ces instants difficiles même s'il n’avait pas le choix. Mais là-dessus… qui suis-je pour te juger ?... 

-J’ai...du mal à accepter ton point de vue. Et c’est probablement quelque chose que j’aurais du mal à oublier, je ne te mentirais pas. Mais tu es mon roi et j’ai suffisamment combattu à tes cotés pour savoir que ce que tu fais, tu le fais pour l’œuvre, comme nous tous. En ça, j’ai confiance en toi, comme j'avais confiance lorsque je t’ai suivi à Thaar et à Naëlis alors que pour l’un comme pour l’autre, je n’étais pas particulièrement enchanté. Un nouveau silence, avant de reprendre. Mais de l'autre coté, j'aurais aimé que tu ai confiance en retour, pour m'informer au moins du danger qui pèse sur la région. Je n'aurais pas eut besoin des détails, j'ai largement conscience de l'épreuve que je t'impose ce soir, mais si je doit diriger l'armée, autant savoir dans quoi elle s'engage. Je suis inquiet non pas seulement pour ce qui te concerne, mais pour tout le reste de ton récit, d’autant plus par ta confirmation de ce qui se passe autour de nous. Je suis inquiet de la violence de l’œuvre qui a l’air d’aller crescendo depuis ces dernières années. Qu’est-ce que des noss de Quatrième-Saisons faisaient si loin de leurs terres, en a tu une idée ? Les cadavres étaient-ils l’œuvre de cet arbre maitre? Risque-t-il de poser problème à nouveau ? Je doute à l’heure actuelle qu’il soit de bon ton d’envoyer des troupes en épine dorée. Tant que l’intendant ne sera pas calmé de sa paranoïa il n’y verra qu’une ingérence.

Plus que dans son soutien, il y avait quelque chose de réconfortant à constater qu’Illynora puisse être plus désagréable encore avec d’autres qu’elle ne l’est avec toi. Tu es bien conscient, malgré la colère, qu’Aegden essaie de faire au mieux. Il ne mérite pas réellement qu’après que tu aies été aussi sec, quelqu’un d’autre continue de l’accabler… mais peux-tu en toute âme et conscience dire ne pas y trouver une certaine satisfaction ? Peu de choses en ce monde apaisent autant le cœur que d’être justifié dans son émoi par un autre. Et cela d’autant plus quand on est habitué à vivre la position inverse, et à être le roc sur lequel d’autres s’appuient.

Tout était dit maintenant. La conscience finalement claire, tu avais réussi à entendre le reste des mots du Mainyth sous de meilleurs auspices. Il l’avait fallu pour que tu comprennes où était réellement le point de chagrin de ton ami. Et là encore vous séparait une fondamentale différence en la manière dont vous avait conditionné l’enfance. Tu découvrais aujourd’hui qu’Aegden et toi n’aviez pas du tout le même rapport au secret.

- Tu me poses des questions auxquelles je n’ai pas les réponses. tu hausses légèrement les épaules Hiril Lôthren seule sait si l’arbre fera une nouvelle colère. Et le reste ne sont jamais que des suppositions. Je ne sais pas plus que toi ce que les Baar’Ane peuvent bien chercher hors de leurs territoires et toutes les enquêtes faites en ce sens sont pour l’instant inconclusives. inconclusives et inquiétantes Alors tant que l’enquête continue, tout ce que je peux recommander c’est de redoubler d’attention et de protéger nos voyageurs pour éviter qu’ils ne disparaissent eux aussi.

L’enquête. Des suppositions. Inconclusives. Autant de mots qui sonnaient sans nul doute aux oreilles du Mainyth comme autant d’ongles crissant sur le tableau de ses incertitudes. Car c’était une enquête à laquelle il n’avait pas pris part. Des suppositions qui ne lui avaient pas été partagées. Et des conclusions donc auxquelles il n’avait pas pu ajouter les siennes.

- Ce n’est pas parce que je ne te fais pas confiance que je ne t’en dis pas plus. tes sourcils se froncent Je trouverais simplement malavisé de mêler à une enquête sur des Acouphènes un elfe aussi récemment revenu d’Aduram. le cas de Lynn avait prouvé que la moindre fragilité trop ancrée pouvait vite devenir dangereuse Rassure-toi. Tu sais tout ce qu’il te faut pour faire correctement ton travail. Pour le reste, je t’en ai déjà bien trop dit. S’épancher en conjectures en dehors des cercles directement concernés par les investigations, ce serait prendre des risques qui n’en valent pas la peine, et forcer au secret des Elfes qui n’ont aucun pouvoir sur la suite des événements. tu soupires Surtout que je te connais Aegden. Maintenant le simple fait que tu saches qu’une enquête à laquelle tu ne participes pas est menée va t’empêcher de dire avec pleine conviction que tu fais tout ce que tu peux pour le bien de l’Œuvre. Sauf que moins tu y crois, moins ceux à qui tu le dis y croiront, et moins ils y croiront, plus ils se poseront des questions, et plus ils se poseront des questions, moins ils se sentiront en sécurité. tu ouvres une main en sa direction, t’attendant à ce qu’il use de cela pour justifier de complètement l’inclure Et alternativement, t’intégrer tant qu’on ne sait pas mieux ce à quoi on a affaire n’est pas non plus raisonnable.

Tu balances la tête de gauche à droite, le regard bas et quelque peu dépité face à la situation. Sans parler des suites de vos investigations, quelque chose clochait dans la manière dont Aegden avait été renseigné.

- Je trouve étrange par contre que tu n’aies pas été mis au courant des événements de Rindanim. Pas nécessairement dans leurs détails, mais au moins de l’état des lieux des ruines. tu lèves un sourcil Rien de tout ça n’est secret.

Illynora reste de marbre a première vue en écoutant le début de réponse du commandant, bien que le mouvement régulier de ses oreilles puisse permettre de décoder que certains passages lui font grincer des dents. Il est assez évident qu'elle prend sur elle afin de laisser parler tous les partis même si elle est tentée d'intervenir ponctuellement.

A la fin de la prise de parole la concernant, elle ne put s'empêcher d'écarquiller le regard et d'afficher un air amusé. Elle prit le temps de la réflexion afin de mettre les formes tout en écoutant Artiön d'une oreille distraite, dont quelques points énoncés semblent la conforter, et finalement quand le tour de table s'achève, elle reprend la parole, décidée à ne pas lâcher le morceau.

- Veuillez me pardonner,Mainyth, mais je n'ai guère enduré plusieurs jours de préparation afin de vous écouter conter vos exploits grandiloquents ou assister à un empilement d'arguments émotionnels, autoritaires, personnels ou méprisants à mon encontre. Quant à la confiance que vous jugez vous être dû, vous la devez aussi en ne venant pas avec un jugement déjà arrêté.

Le fait qu'Artiön ait été plutôt déconfit de l'entrevue en début de rencontre avait déjà planté l'idée qu'il y avait un parti pris, sans cela elle n'aurait pas été appelée en tant que témoin garant de neutralité.

La plus grande surprise de l'Alchimiste est qu'au final ce soit Artiön de par sa franchise qui se soit automatiquement mis en position de neutralité, la mettant de facto dans une position moins neutre si elle ne voulait pas répéter bêtement ce qu'il disait et subir la conversation.

- Si je suis présente, c'est avant tout afin de me porter garante de l'exactitude des faits avancés, si votre émotion sans doute justifiée vous empêche de considérer ces faits, c'est que vous pensez qu'a la place du Roi, vous auriez fait mieux que lui. Ainsi ma question devait être complexe au point ou elle est restée incomprise ou balayée par mépris de par votre non réponse mais passons.

Elle s'arrête un bref instant ; elle aurait pu insister sur cette question mais ne souhaitait pas que la conversation ne stagne.

- Je n'ai rien à rajouter si ce n'est qu'il me semblait jusqu'ici évident que le Commandant de l'Armée Royale se devait de briefer son Roi sur la réalité du terrain et non l'inverse. Ce qui est encore plus fabuleux c'est que vous avez été briefé par une autorité tierce avant même de vous en rendre compte.

Elle ne rebondit pas sur le reste de la conversation vu que les positions géo-politiques plus complexes ne sont pas de son ressort.

En l'absence de Kaëlistravaë il ne fait aucun doute qu'Illynora serait déjà partie de cette entrevue qu'elle jugeait grotesque, mais elle décidait de ne pas faire affront à l'attention qu'elle avait mise dans les mets destinés à accueillir cette tablée et décida d'en profiter ; de plus, elle se devait de voir Artiön en privé à la fin de cette réunion pour l'informer de l'évolution de ses recherches et l'enquérir de quelques détails sans importance.

Malgré tout, elle recule légèrement sa chaise de quelques centimètres sous couvert de se placer convenablement à table ; ses pieds se déplacent vers la gauche de sa chaise, afin de se présenter de côté face à Aegden, donnant la possibilité à ses jambes de bouger librement. Elle entame le ragoût sans quitter les protagonistes des yeux.

-Bien. Si vous n’avez rien à ajouter, tenez-en vous là en effet, cela vaut mieux.

Rien de plus que ces quelques mots secs. Ni mots, ni regard supplémentaire envers l’impertinente. La qualité discutable de son argumentaire parlait pour lui-même et Aegden avait autre soucis en tête.
La pointe de ses oreilles s’affaissa un peu, tandis qu’il se recentra sur les réponses de l’Aran.

-J’ignore aussi pourquoi je n’ai rien su si ce n’est pas totalement un secret. Répondit-il sur un ton plus doux. Je suppose qu’on a pas jugé bon de m’en informer tant que je n’étais pas complètement rétablit. Au bout du compte j’étais encore incapable de bouger mes doigts il y a à peine un mois, donc savoir ce qu’il se passait à l’autre bout du pays n’était pas vraiment ma priorité. Un claquement de langue et un air agacé vint prendre la relève sur la réflexion l'espace d'une phrase. Je suppose que ça, si tu n'en sait pas plus, je devrais le voir avec mes propres subordonnés de toute façon. Je ne suis pas un grand adepte des surprises et celle là n'était clairement pas la bienvenue.

S’il avait cessé depuis un moment de tambouriner sur la table, les doigts de sa main – dont l’habileté lui avait été désormais retrouvée- s’étaient désormais mis plus silencieusement à jouer avec la bague qu’il portait au pouce.

-C’est pour ça que je suis allé à Malereg. Si j’avais su que les elfes disparus n’avaient pas été retrouvés, je ne me serais pas jugé meilleur que ton équipée. J'y suis allé aveugle et j'ai foncé bêtement dans ce qui n'était rien d'autre qu'un piège. Un nouveau rictus empli d'amertume. J’espère simplement que ce quiproquo n’aura pas ajouté plus d’eau au moulin de l’intendant qu’il ne semble en avoir apporté lui-même. Un soupir. Que compte tu faire à ce propos ? Il me semble évident qu'il ne sera pas aussi facile à calmer que des elfes qui te connaissent et te font confiance.

- Je te remercie de ta sollicitude, Illynora.

Prononcés juste après la sèche réplique d’Aegden, les mots de ton épouse sonnent comme du miel mais tranchent comme une hallebarde. L’expression affable du doux visage de Kaëlistravaë et son timbre cottoneux rendent difficile d’accueillir ses interventions avec violence, mais la Dame a connu les sphères politiques très jeune. Poigne de fer dans un gant de velours, ses doux mots ne sonnent pas moins comme un ordre.

L’incendie des débuts de conversation semble avoir consommé tout son carburant. Le temps des déflagrations accusatrices, qu’il s’agisse d’Aegden ou de toi, s’en est apparemment mouru. Ne restait plus qu’à s’essayer à prévoir la suite. La suite serait certainement la part la plus importante. Car de la suite dépendrait ton futur, et avec, la direction que prendrait celui de tout Anaëh.

- Je n’ai pas beaucoup d’autre solution que d’aller à sa rencontre. Ne serait-ce que pour comprendre ce dont il en retourne. tu te saisis de la carafe d’eau et verse machinalement un verre à chaque personne Avec un peu de chance, que je vienne à sa rencontre de mon propre chef le rassurera et toute cette histoire pourra être incombée à un bête instant de paranoïa. tes épaules s’abaissent et tu te penches en avant Quant au pire, ça me permettra d’en apprendre un peu plus sur les motivations d’un Elfe dangereux avant d’avoir à rendre la Couronne.

De ce qu’a pu te rapporter indirectement Aegden, c’est sans nul doute ce qui t’inquiètes le plus pour l’heure. Tu as besoin de savoir si les idées que se fait le Commandant sur les volontés de l’Intendant ne sont que cela – des idées – ou si tu te trouves véritablement face à un elfe dont le tout premier réflexe aura été de menacer la guerre civile. Si tel est le cas, alors tu douterais fort « qu’éloigner un Nécromant du Trône » soit sa principale motivation. Et tu doutes fort qu’il soit bon de laisser le Maleregeois nourrir l’idée d’une occasion de réinstaurer le Trône d’Ébène.

- Elnoruì ! Es-tu certain que ce soit raisonnable ? le front de Kaëlistravaë se plisse légèrement Si ce qu’a rapporté Aegden est exact, je doute fort que l’Intendant de Malereg te porte dans son cœur. Qui sait donc ce qui pourrait se passer si tu te livres à lui de telle manière ? Et quant au Trône… sa voix légère s’assombrit quelques peu ...tu ne peux définitivement pas considérer l’abandonner maintenant ! Tu viens de terminer ta première décade. La vie du Royaume vient à peine de s’aligner sur la pulsation de ton règne. Que tu partes mettrait en péril tous les projets encore non-aboutis en cours et condamnerait nos Cités à une nouvelle période de réajustement et d’instabilité.

- Sauf qu’à moins qu’il ne se ravise, l’alternative serait de forcer les Taledhels a choisir de se ranger ou pas sous l’égide d’un « Nécromant ». tu roules des yeux, trouvant à la fois ridicule et détestable le fait qu’il ait suffit d’une accusation en six siècles pour que l’Intendant te redéfinisse entièrement Je n’ai pas envie d’imposer aux miens ce genre de scission. Et ne t’inquiète pas. tu souris en direction de ton épouse Même s’il cherchait à se débarrasser de moi, je doute fort qu’il ait la complicité de Malereg entière, et encore moins du reste d’Anaëh. En tentant quoi que ce soit il s’enterrerait lui-même.

-Je crains qu’il n’ait raison, Heri Kaëlis. Si l’Aran ne fait pas mine d’aller au-devant des reproches qui lui sont faites, le trône d’ébène n’y verra surement là qu’une justification supplémentaire à ses craintes. Fiiriel a peur, mais j'ose espérer qu'il n'en sera pas encore au point de s'en prendre à un elfe sans forme de procès, si vous me passez l'expression.

Il avait de la peine et de l’admiration pour la reine. S’il ne trouvait pas sa position confortable, alors que devait-elle en dire, elle, épouse et figure du royaume en même temps ? Depuis les dix dernières années du règne de son époux, il l’avait toujours vue faire face à tout, la tête haute et digne. Aujourd’hui elle se tenait aux côtés de son mari, accusé et responsable d’un lourd égarement et pourtant elle le soutenait toujours sans broncher. Son inquiétude était plus que légitime et sans doute même aurait-elle eut droit à l’exprimer avec moins de calme qu’elle n’en conservait.

-Quand à une scission du royaume, nous ne pouvons pas nous le permettre en effet. Surtout pas maintenant. Je n’aime en revanche pas non plus l’idée de te voir déposer la couronne Artiön, parce que si on devait en arriver là, je ne suis pas certain, comme le fait remarquer Kaëlis, que ça signe pour autant une meilleure stabilité des cités. Espérons que nous n’en arriveront pas à ce point.

Les actes du Roi étaient graves, et son manque de repentance lui joueraient certainement défaveur. Aegden n'appréciait pas cela et il lui avait déjà fait savoir. Mais de là à risquer l'équilibre entier des cités, non, pour le commandant, cela lui semblait trop lourde punition, et surtout une punition qu'ils risquaient tous de payer.

- Espérons. tu laisses échapper dans un souffle Mais vu comme les choses sont parties, je doute fort avoir d’autre option.

À moins que l’intendant de Malereg ne change soudainement son sabre d’épaule, tenter de tenir ton règne serait invariablement synonyme d’indues tensions. Mieux valait encore que l’Anaëh connaisse quelques années d’incertitude durant les tâtonnements d’un nouveau régent. À terme vous prendriez une nouvelle direction, et le peuple Taledhel continuerait simplement pour la majorité de glisser à travers l’existence comme si rien n’avait changé. Jusqu’à ce que se soulèvent les prochaines des véritables embûches de ce nouveau Cycle, et là ton remplaçant pourrait véritablement faire ses preuves.

- Puisse le prochain Aran savoir faire preuve de courage.

Tu ne t’en cacheras pas. Il n’est aucun Elfe parmi les sphères évoluant autour du Trône que tu n’imagines véritablement capable de reprendre le flambeau. Non pas qu’ils soient piètres gestionnaires ou ignorants des problématiques pesant sur la forêt, mais parce que peu d’Elfes possèdent la même combinaison d’ambition, d’audace et de bienveillante empathie que toi. Et dans un monde qui se fait à la fois de plus en plus grand et de plus en plus petit, tu es fermement convaincu que c’est de cela qu’a besoin votre Royaume, plus que de la presque pontifiante rigidité dans laquelle se complaisent bien trop de vos porte-parole.

- Mangez, avant que ça ne refroidisse.

Tu arrives finalement à te fendre d’un sourire. Las et désolé, mais d’un sourire tout de même. Tu as trahi tes idéaux à Rindanim pour le bien des tiens. Déposer la Couronne ne serait pas bien différent, en cela tu trouves réconfort.

Le conseil d'Artiön n'avait guère été attendu vu que l'elfe a déjà achevé de déjeuner, plus vite elle disparaissait et mieux elle se porterait. Elle s'était contentée du strict minimum gracieusement offert et ses mains n'avaient pas été piocher hors de son plat afin de se resservir de quoi que ce soit ; le savoir vivre élémentaire à une tablée officielle.

- Bien, vu que le sujet de fond a été traité j'aimerai si possible aborder un point central avec toi Artiön.

Illynora avait depuis son départ d'Alëandir un autre sens des priorités, elle n'était ni du côté des uns ni du côté des autres, mais principalement du côté de ceux l'ayant soutenu dans ses préoccupations.

- Concernant l'évolution de la flore de la région, il semblerait que toutes les plantes de l'espèce primaire que nous avions identifiée aient fini par s'adapter de la même façon, et je pense au vu du retour de quelques Noss que cette tendance s'est généralisée dans toute la Sylve.

L'elfe prend une pause afin de boire un verre d'eau.

- La mauvaise nouvelle est que je n'ai toujours pas pu trouver d'antidote abordable et spécifique a ce cas, la bonne nouvelle est que les mammifère consommant une quantité non négligeable de végétation ont déjà vu leur organisme s'adapter et ils n'ont pas souffert tant que ça de ce changement.

Pour un poids lourd du règne animal exclusivement végétarien, le poison était en si petite quantité qu'il avait au mieux un inconfort digestif le temps d'une selle. Elle ne rentre pas dans les détails au milieu d'un repas, mais c'était la conclusion évidente.

- Avec plus d'études sur la proposition de continuer à exposer les plus faibles à une dose minime de la toxine, on parvient à des résultats encourageants ces deniers temps. Je pense qu'a ce rythme il sera tout à fait possible qu'un jeune souffle puisse s'immuniser définitivement au bout de plusieurs hivers a condition qu'il n'y ait aucun autre changement supplémentaire.

Elle continue d'exposer la problématique et la solution, prenant le temps afin qu'Artiön ait tous les éléments à sa connaissance.

- Certains insectes qui s'en prenaient à ces plantes ont appris à les éviter, et les pollinisateurs ne semblent pas affectés, par mutualisme ou par nécessité de reproduction de ces granulés. Quoi qu'il advienne j'ai bon espoir de protéger les plus petits animaux herbivores, qui eux n'ont pas cette capacité d'adaptation. Plusieurs générations risquent de disparaître en l'état avant que leur organisme ne s'adapte, et j'aimerai éviter un déséquilibre même minime.

Les rongeurs et autres petits mammifères disparaissaient, et bientôt les oiseaux de proie iraient plus profondément dans la Sylve ou se rapprocheraient des villes, de même que les carnivores, et c'est comme ça qu'un déséquilibre changeait une région, en rendant certains itinéraires moins sûr et d'autres plus sûr. Un accident arrivait vite dans ces conditions.

- J'ai pour projet d'attirer ces derniers avec de la nourriture et des hormones ou en diluant dans des points d'eau une petite quantité de la toxine et j'ai bien peur que cela ne prenne un temps non négligeable. As-tu une alternative ?

La situation totalement exposée et la question posée, elle n'avait plus qu'a espérer qu'il sortirait une astuce de son sac pour accélérer le processus. Peut-être en communiquant sur le sujet avec d'autres alchimistes, peut-être en collaborant avec d'autres régions afin d'accélérer le soin de la Sylve. Artiön avait le bras plus long qu'elle.

Tu te sers une tranche de pain de méroca, que tu trempes chichement dans le bouillon. Rassérénante perspective que celle d’un changement de sujet. Pour cette fois, la grossièreté d’Illynora se prouverait salvatrice. Si l’on t’avait dit que tu trouverais relaxant de discuter l’évolution d’un « mal » transformant des essences originellement inoffensives en des versions vénéneuses d’elles-mêmes, il y a quelques années encore, tu n’y aurais jamais cru. Pourtant voilà que tu y étais.

- Pas toute la Sylve déjà. tu fais remarquer entre deux bouchées De ce que j’ai pu en voir durant mes voyages, les régions hors du Cœur semblent encore intactes.

Pour combien de temps tu ne le sais pas, mais au moins leur subsistance garantissait une source durables d’individus de référence durant les suites de votre entreprise. En plus de la promesse de graines non-altérées pour peu que la Symphonie retrouve son Chant premier et cesse de les affecter.

- En ce qui nous concerne, pas grand-chose à craindre pour nos enfants. tu souris J’ai réussi à convaincre les cuisiniers de la Cité d’utiliser les essences vénéneuses en petites quantités dans leurs plats. Les dispensaires ont eu à gérer quelques cas d’intoxication mineurs chez des enfants en bas âge, mais de notre côté, la grande majorité de la population a rapidement bâti une résistance.

- Ils pensent d’ailleurs lentement en augmenter les proportions jusqu’à pouvoir se permettre de préparer un plat qui en soit quasi exclusivement composé d’ici quelques années. ton épouse, en tant que régulière des dispensaire, ajoute Le phénomène, s’il continue de prendre de l’ampleur ne devrait donc pas directement nous toucher.

- Je fais aussi confiance aux insectes pour vite s’adapter, mais le cas des petits herbivores est plus compliqué. tu réfléchis un instant, avalant quelques bouts de gibier avant que tes yeux ne s’ouvrent grand Mais l’hiver pourrait jouer en notre faveur. Beaucoup d’animaux habituellement actifs toute l’année hibernent en ce moment. La forêt du Coeur n’est pas faite pour des températures pareilles. Les abris sont moins nombreux et les animaux s’y regroupent en très grandes quantités. tu pinces les lèvres En identifiant les niches et les abreuvoirs les plus fréquentés, ton idée pourrait fonctionner. Certes, elle serait toujours relativement chronophage, mais le reste de l’hibernation permettrait aux organismes les plus fragiles de plus facilement se faire à la toxine, et d’ici à ce que reprenne la saison de reproduction, leurs premières défenses seraient bâties. tu baisses les yeux Je doute qu’on puisse faire sans perdre une partie des premières générations, mais heureusement ce sont des animaux qui se reproduisent vite.

Illynora hoche la tête tout du long, prenant en considération le point de vu d'Artiön. Elle fût légèrement surprise que ce dernier ait pris les devant en proposant de lui même des doses plus faibles de cette toxine à ses propres enfants, elle n'était pas tout à fait sûr de savoir si cela était fascinant ou terrifiant.

- C'est fâcheux et rassurant à la fois, car cela veut dire que certaines parties de la Sylve vont devoir être traitées en décalé. Je demanderai aux rares Noss qui passent non loin de bien vouloir disséminer en avance les appâts sur leur lieux de passage. Avec un peu de chance on pourrait garder certaines parties totalement saines.

Pour la première fois du repas, un sourire en coin lui fût arraché par Kaëlistravaë.

- Je ne suis pas sûre que l'objectif soit de leur faire brouter la totalité des plantes toxiques de la région.

Elle n'avait pas anticipé le fait qu'on ne pouvait faire des repas composés uniquement de ces plantes, son objectif primaire avait toujours été d'immuniser les gens et les animaux et de faire un rappel de temps à autre, non pas de leur faire consommer un menu toxique.

Elle hocha la tête a l'idée d'Artiön à propos de l'hibernation ; c'était du génie comme à son habitude, et la solution à une partie des problèmes.

- Il ne me reste plus qu'a mettre des appâts autours des terriers pour qu'ils se goinfrent à leur réveil. Je peux déjà commencer afin qu'ils fassent leurs dernières réserves, avec un peu de chance ils pourront se nourrir entre chaque réveil pour ceux qui hibernent en plusieurs fois et continuer de s'immuniser sans que l'on n'intervienne de trop.

Quant au reste, les points d'eaux seront amplement suffisant. Après avoir tordu sa bouche en coin, Illynora se lève.

- Bien, je ne souhaite pas vous fausser compagnie mais je dois m'arrêter au quartier des fontaines pour me rafraichir et reprendre la route aux premières lueurs de l'aube.