Le pouvoir ne se donne pas il se prend | Adriano

Le dîner allait se terminer. Le dessert préparait le départ du Duc, s’en allant certainement vers d’autres devoirs, ceux qui incombent à tous les dirigeants de ce monde. Combien de missives devait-il lire ? Combien devait-il écrire ? Qui l’attendait, aussi tard dans la soirée, pour une quelconque urgence ? Est-ce que d’autres créatures avaient montré le bout de leurs groins dans la brume hivernale, dans cette étrange malédiction qu’est l’Afflux ? Tant de questions, tant de possibilités qui pourraient faire de cette soirée une catastrophe au final…

Sans doute Diane devait-elle le ressentir. Car soudainement, ses propos, toujours élogieux, se firent soudainement très sérieux. Elle admirait Adriano, elle le pardonnait, mais elle pouvait aussi très sérieusement dire qu’à l’avenir, elle désirait être un rouage des différentes stratégies du Duché. Elle voulait allier sa foi, sa bonté et sa gentillesse, à la force abrupte, brutale et cruelle d’un Duc adepte des arts martiaux. Là où les gens devraient mourir, Adriano aurait la main ; là où des vies pourraient être sauvées, où la bonté pouvait privilégier, où l’individu pouvait être priorisé, alors, Diane – et Catarina – devraient être écoutées par le Duc, qui composerait alors avec leurs idées et leurs initiatives.

La chose qui prit Adriano de cours, fut la position de Diane quant à la notion de sacrifice. A son jeu âge, et malgré les médire, les calculs et la méchanceté de sa propre famille, elle savait déjà que les sacrifices étaient parfois nécessaires. Elle savait que, parfois, il fallait penser à l’après, à plus grand, à d’autres choses, que seulement la survivance de chacun. Ce soir, d’ailleurs, elle avait sans doute fait le plus grand sacrifice de sa vie… Sacrifier sa mère et sa tante, pour qu’elle puisse survivre à son tour, et que la descendance engendrée entre elle et Adriano puisse vivre sans la menace de Margot et Octavia au-dessus de leurs crânes. Ce faisant, Diane venait de jouer au jeu de dupes et de calculs, et venait, très certainement, de faire la capitalisation de sa vie… Sincèrement impressionné, Adriano arqua un sourcil interrogateur et une moue curieuse qu’il ne contrôla aucunement. S’il avait manipulé la jeune femme ce soir, il venait de se rendre compte que, d’une certaine manière, elle le lui avait permis.

« Je vous formerais à votre rôle à venir, dès demain. Vous m’accompagnerez à mes conseils et réunions, et m’aiderez à rendre la justice. Quand nous serons mariés… Alors, vous m’aiderais dans les combats que notre dynastie devra mener. Vous serez le gant de velours par-dessus ma main de fer. J’espère pouvoir vous satisfaire à propos de votre avenir, et vous rassurer ma Dame. »

Il laissa la réponse à Diane, et plaça ses couverts de côté. Le repas était terminé, et il allait laisser Diane tranquille pour la soirée.

Diane avait beau être trop jeune et trop naïve pour affronter ce monde, elle apprenait vite et d’autant plus vite en présence du Duc et de la bienveillante Catarina. Lors de son arrivée, elle avait perçu les regards sur elle et sa famille, dont certains étaient hostiles et par son discours, le Cortes di Alcacio l’avait mise sous sa protection et fait taire les mauvaises langues. La disparition prochaine de Margot et Octavia terminerait le travail et son union avec Adriano fusionnerait les deux lignées pour de bon. Elle avait parfaitement conscience que ce sacrifice était nécessaire pour la stabilité et la paix du duché. Ce sacrifice elle aurait été incapable de le faire à peine quelques heures plus tôt, mais maintenant, elle était convaincu qu’elle faisait le bon choix, pour elle et pour Soltariel. Or, des choix, des sacrifices, en tant que duchesse, elle devrait en faire, c’était là le lot de ceux qui ont la chance de naître au sommet du pouvoir ou d’épouser un homme qui l’est. Elle aurait pu naître puissante, mais ça n’avait pas été le cas, cependant, son devoir avait toujours été celui de ces aïeules les plus dévouées : œuvrer pour le bien de la péninsule. Désormais, elle le pouvait. Son exil était terminé. Elle était de nouveau chez elle. Mais contrairement à sa mère, elle ne mettrait pas le duché à feu et à sang pour prendre les rênes. Cela faisait bien trop longtemps que la famille di Soltariel et à fortiori Soltarii-Beronti n’avait point assuré la prospérité de la cité et de ces terres bénies par Neera.

Si Adriano n’avait pas voulu lui octroyer d’autre rôle que poule pondeuse, elle s’en serait contentée, mais ses louages pour Catarina et ses paroles concernant tant la place que l'éducation de sa promise étaient claires. Il voulait qu’elle participe. Cela aussi elle l’avait appris en observant le duc et sa fille, leurs attributions et leur façon de fonctionner. Or, si elle devait avoir un rôle ici, elle voulait, sans pour autant prendre sa place, qu’il soit proche de ce que Catarina faisait, parce que cela lui correspondait. Sans doute avait-elle d’ailleurs beaucoup à apprendre de la jeune femme et elle espérait qu’elles pourraient être amies, parce que se prétendre sa belle-mère n’aurait pas le moindre sens. Elle avait compris et appris bien des choses depuis son arrivée, elle avait compris les mensonges de sa famille et s’en était libérée pour tracer son propre chemin. Elle avait compris qu’il serait semé d'embûches, mais également qu’Adriano pouvait la protéger bien mieux que ne le ferait Margot et peut-être même l’aimer.

La brune aux yeux céruléens devait bien se l’avouer, elle avait fait des calculs et les résultats étaient qu’elle prenait moins de risques à accepter de servir docilement le Cortes di Alcacio que de comploter avec sa mère. Évidemment dans tous calculs il y avait une marge d’erreur, mais oui, si elle faisait ce choix en premier lieu pour Adriano, Catarina et le duché, elle le faisait aussi pour elle. D'une part pour rester en vie et même, avec un peu de chance, s’assurer un avenir et d'autre part pour rentrer chez-elle, enfin, après 14 années d’errances loin de là où son devoir l’appelait. Elle n’avait rien prémédité, elle s’était contentée d’écouter le Duc et de suivre ce que son cœur lui dictait, c’est ainsi qu’elle fonctionnait toujours, mais instinctivement elle avait bel et bien pris en compte de multiples paramètres. Elle avait toujours eu foi en son instinct de survie et des années à vivre au milieu des comploteuses l’avait développée, probablement plus que de raison. Elle hocha la tête lorsque son promis lui adressa un regard inquisiteur avant d’annoncer ce qui devait se construire entre eux désormais. Elle buvait ses paroles comme elle le faisait dépit le début, et peut-être que s’il lui avait menti de A à Z elle les aurait bues également, ou peut-être pas, car il l’avait manipulée, mais il l’avait fait avec des vérités.

Elle sourit et fit oui de la tête lorsqu’il dit espérer la satisfaire et la rassurer. C'était le cas.

__ Vous me comblez Sire. Je ferais tout pour être à la hauteur.

Diane doutait toujours d’avoir les qualités suffisantes pour cela, son instinct ne suffirait peut-être pas et, si elle ne manquait pas de courage, elle manquait parfois de contrôle. Mais en plongeant son regard azur dans celui d’Adriano, elle se souvint qu’à ses côtés elle était capable de tout affronter. A ce moment, elle eut très envie de l’embrasser, sans trop comprendre d’où lui venait cet élan, ce désir fiévreux de marier leurs lèvres. L’admiration et le sentiment de sécurité n'étaient pas pour rien probablement. Elle se retint cependant, se contentant de baisser les yeux en rougissant et de placer ses couverts de côté comme venait de le faire son promis.