Le mot de la fin [Adriano]

Panahos, Ie ennéade de Karfias, An XI, Cycle XI
Diantra, Péninsule

 
 

Théo, Tu sais ce qui s’est passé si tu lis ces mots. Rassure-toi, ce sera court, je n’ai pas l’éloquence de ta mère. Je t’écris la veille de mon exécution et, étrangement, je n’ai pas besoin de prier pour me calmer. C’est bien ce qui m’a le plus surpris quand on m’a annoncé que j’allais mourir demain. Ce n’est pas plus mal, ça m’a laissé plus de temps pour réfléchir ; je me rends alors compte que l’ombre de Tyra dans laquelle je suis plongé m’a ouvert les yeux sur bien des choses. Notamment sur les regrets que j’éprouve et que je n’ai jamais voulu regarder en face. Je ne vais pas te faire une liste, ce n’est pas vraiment le moment pour, mais je regrette ne pas avoir été assez présents pour vous deux, peut-être que Prudence et toi auriez pu vous entendre si j’avais été un meilleur père, si j’étais resté plus longtemps. Je regrette également ne jamais vous avoir dit que je vous aime, je pensais que le montrer suffisait, mais de toute évidence, j’avais tort. Je me doute bien que c’est trop peu, trop tard, mais je suppose que mieux vaut tard que jamais : je t’aime, Théo. En réalité, tu es même celui qui me permettait de dormir la nuit. J’ai fait des choses dont je ne suis pas fier, avec lesquelles j’ai dû vivre, des fautes que j’ai essayé de racheter, mais au fur et à mesure que tu grandissais, j’ai pu voir la bonté de ton Souffle ; je me suis dit alors que si j’avais pu faire quelqu’un de si pur, de si bon alors il y avait encore de l’espoir pour le mien, de Souffle, que je ne pouvais pas être si mauvais que ça. J’imagine que j’avais tort, tu n’es pas ainsi grâce à moi, mais grâce à la Bienveillante qui semble t’apprécier. Il y a tant de choses que j’aurais aimé te dire, te montrer, t’apprendre. Tant de choses que je n’ai pas faites parce que je n’imaginais pas que tout cela pouvait arriver. Toutefois, si je peux te donner un conseil : écoute ton cœur en toute chose. Je sais que c’est convenu, mais c’est vrai. Lorsque mon aîné est mort et que je suis devenu le seigneur de Sorault, j’ai cru que c’était alors mon devoir de rendre aux de Langehack notre ville éponyme. Je ne l’ai pas fait par désir, par ambition, par soif de pouvoir comme c’est peut-être le cas de ta sœur, mais parce que je devais le faire, parce que c’était mon devoir. Et ce fut ma plus grande erreur. Outre ma réflexion sur mes remords, je me mets aussi à me demander ce qui se serait passé si j’avais agi différemment dans tout un tas de circonstances. C’est une futile, je le sais très bien, le passé est passé, mais c’est tellement tentant. Pour en revenir sur ce que j’essaie de te dire : j’aurais dû refuser, m’arrêter là, me contenter de Sorault parce que c’était ce que mon cœur me disait de faire. C’est une leçon que j’ai fini par intégrer sur le tard et si tu peux apprendre de mes erreurs pour ne pas souffrir des tiennes plus tard, fais-le. J’espère que tu seras heureux. Adélina, j’ai été injuste envers toi et, pour ce que ça vaut, je te demande pardon. Mon comportement était indigne. Je n’aime pas les nordiens, mais si mon fils t’aimes alors j’aurais dû au moins me taire. Je vous souhaite à tous les deux une longue et heureuse vie, loin des horreurs de la mienne. Puisse la Mère continuer à veiller sur vous. PS : j’aimerais beaucoup que ta sœur et toi fassiez la paix, si c’est encore possible.

code retouché, original de (c) Ayameko@Never-Utopia.com

Théodoric soupira avant de replier de nouveau le parchemin. Il avait l’impression qu’il la connaissait par cœur. Chaque phrase, chaque mot semblait imprégner dans sa mémoire. Il soupira avant de mettre la lettre dans son manteau, passant de nouveau sa main dans ses cheveux.


« Toujours pas pris de décision ? »


Théodoric ouvrit rapidement les yeux pour voir sa femme qui venait d’entrer dans la pièce. Il haussa les épaules, avant de reprendre la parole. « J’ignore quoi faire… » Adélina vint rapidement s’asseoir à ses côtés, lui prenant la main pour la porter à ses lèvres. « Les conflits, tu aideras à bannir, privilégiant la sage médiation. » Murmura-t-elle. Le baron reporta son regard vers Adélina avant de mettre la main sur le ventre légèrement bombé de sa femme. Un demi-sourire vint orner son visage, alors qu’il pensait rêveusement à son enfant à naître. Peut-être que sa femme avait raison. « Je ne crois pas que je lui pardonnerai pour ce qu’elle a fait. »


« Je m’en doute. Mais c’est notre devoir de respecter les dogmes de la déesse. Ce conflit dure depuis bien longtemps et tout le monde qui lui touche de près ou de loin en paie le prix. La dernière chose que je voudrais, c’est que la vie de notre enfant soit en danger. »


Théodoric hocha la tête pensif, caressant de nouveau le ventre de sa femme.


« Essaie. Va la voir et tu verras ce qui se passe. Et si elle crache sur nos essais, alors elle fera face au jugement de la DameDieu. Tu es son champion. À toi de prêcher par l’exemple. »


Le baron eut un sourire avant d’embrasser sa femme sur le front. « Tu as raison. Que ferais-je sans toi ? » Murmura-t-il, avant de poser son front contre le sien, plongeant son regard dans celui de sa femme. Cette dernière eut un léger sourire, avant de porter sa main sur sa joue, caressant cette dernière du pouce. « C’est curieux. Je me pose cette question à chaque jour. » Théodoric rendit le sourire de sa femme avant de lui murmurer ; « Je t’aime. Je serais de retour rapidement. » Adélina hocha la tête, avant d’embrasser son époux, espérant lui donner le courage dont il avait besoin pour respecter la dernière volonté de son père.

***

La soirée était déjà bien entamée lorsque Théodoric arriva au palais. Ce dernier bouillonnait d’activité avec les festivités qui se déroulait un peu partout dans la capitale. Il laissa son escorte dans la cour, lui faisant signe qu’il ne serait pas long, avant d’entrer dans ce dernier. Il se rendit rapidement dans la salle du trône, là où un banquet semblait prendre place. Ce fut alors que le baron se fit interpeller.


« Théodoric de Langehack! C’est un plaisir de vous revoir, Votre Excellence. »
Le baron eut un sourire en reconnaissant Guilhem de Tall.
« Cela fait un moment. »
« Beaucoup trop longtemps ! » Répliqua ce dernier. « Comment va votre charmante épouse ? Et la vie dans le Nord? »
« Mon épouse va très bien. Même que nous attendons déjà notre premier enfant. »
« OH! Mais toutes mes félicitations ! Un héritier pour le Langehack! Néera soit loué ! »


Théodoric eut un léger sourire inconfortable, avant de déplacer son regard vers la salle bondé.
« Je ne crois pas voir ma sœur. Est-ce qu’elle est présente ? »
Guilhem fit une grimace avant de porter sa coupe de vin à ses lèvres.
« Non, elle n’a pas daigné nous illuminer de sa présence encore. Elle doit être dans ses appartements. »


Théodoric fit un léger signe de tête, avant de donner une tape sur l’épaule du langecin.


« Je reviens. »


Sans attendre, le baron tourna les talons avant de quitter la pièce, se rendant dans l’aile du château où les invités de marque se trouvaient. Aile qu’il connaissait bien d’ailleurs, y étant séjournée plusieurs fois. Voyant le monde qui riait et discutait dans l’escalier, le jeune homme se dit qu’il serait plus rapide de passer par les escaliers de service. Après tout, à cette heure, il serait beaucoup plus rapide que de traverser la masse de monde qui se trouvait dans les couloirs. Sans attendre, il s’y dirigea, montant les escaliers rapidement avant de s’arrêter sur un palier. Il passa sa main dans ses cheveux, clairement nerveux. Faisait-il réellement la bonne chose ? Était-ce réellement ce que la Damedieu voudrait ? Il prit une seconde, et s’assit rapidement dans l’une des marches, contemplant avec attention la porte qui mènerait aux appartements de sa sœur. Maintenant, qu’il se trouvait devant cette dernière, il eut la vague impression que ce n’était pas la solution…

Le monde est un endroit dangereux. Puissants, ou de basses extractions, artisans ou nobliaux, toutes les strates de la société sont gangrenées par la violence, la convoitise, l’orgueil et la jalousie. L’un souhaite l’héritage de l’autre. L’autre convoitant la parcelle du premier… Et le nobliau convoitant les titres, la puissance, les terres de l’autre seigneur d’à côté, planifiant mariages et… Enterrements.

Cruelle ironie que celle-ci, n’est-ce pas ? Qu’une terre dite bénie par une déesse connue du monde comme étant La Bienveillante, soit secouée par de telles choses que le calcul, l’envie de mort… La méchanceté. L’on prie La Mère à l’envie, et pourtant… L’on projette tant d’obscénité afin de toujours sortir gagnant… Plus riche… Plus puissant.

L’homme qui s’est camouflé ici, se faisant passer pour un simple badaud en recherche d’un peu d’animation qui se déroule en ce moment à Diantra et qui, furtivement, suit les pas du Langecin, est un envoyé de l’ombre. Son teint halé, seul indice de ses origines Suderones, se mari parfaitement avec ses atours de serviteur, mais son pas, toutefois, est bien plus léger et plus contrôlé que le commun des serviteurs de ces jours. Les escaliers qu’emprunte le Baron lui sont familiers, car l’homme a déjà fait le chemin plus souvent qu’à son tour, repérant les lieux où la Marquis de Langehack devait séjourner, repérant les marches brisées, les angles tordus… Et les chemins de fuite.

Son commanditaire ? Il ne le connaissait pas réellement. Tout ce qu’il pouvait savoir, c’était que des forces en vigueur s’étaient mises en marche dans le lointain Sud, et que, dans certaines sphères… On désirait la mort de quelqu’un. Quelqu’un de puissant, pourtant… Quelqu’un qui, dans la lignée des De Langehack, était haut placé… Pourquoi ? Pour quelle raison ? Personne ne le saurait réellement, car le commanditaire, pour sûr, savait se faire discret…

S’avançant, louvoyant tel un prédateur discret poursuivant une proie inconsciente du danger, l’action du Baron le fait se stopper. Pourquoi s’arrête-t-il ? Et surtout… Pourquoi s’asseoir sur ces marches, si proche de sa sœur ? Question intéressante, sans doute, mais l’assassin n’était point là pour obtenir ce genre de réponse. Non. Théodoric de Langehack devait mourir, et sa mort devait avoir l’air d’un accident imputé à nulle autre que sa propre sœur.

Mais s’approcher n’était pas chose aisée, surtout maintenant que le Baron avait une vue directe sur quiconque monterait ces escaliers. L’homme, conscient de son rôle, prit alors ses meilleurs atours et, tel un serviteur marchant avec grâce et volupté jusqu’à sa prochaine mission, monte les escaliers avec toute la candeur que l’on attend d’un domestique.

« Votre Grandeur ! » Dit-il, se stoppant au milieu de ces escaliers tordus, effectuant une révérence protocolaire avant de reprendre le chemin vers le Baron, un bras placé devant son ventre, un autre dans son dos. « Vous sentez-vous bien ? Puis-je… Vous faire parvenir un quelconque rafraichissement ? Souhaiteriez-vous que je vous ouvre la porte ? »

La vie était tellement compliquée. Un moment, vous étiez certain des choix que vous faisiez, le moment d’après vous hésitez. Prenant soudainement conscience des conséquences que ces actions pourraient avoir. Une façon de se torturer. Là ou les si et les peut-être bouillonnaient dans vos pensées, causant une plus grande tempête que nécessaire, causant une hésitation qui ne finissait plus. Et c’est dans cet esprit qu’était le Baron. Assis, sur la pierre froide de l’escalier. Il savait qu’il n’avait que cette porte à ouvrir et quelques mètres de marche pour arriver aux appartements de sa sœur. Delà, il demanderait une entrevue au chancelier, avant de voir si sa sœur dégénérait le recevoir. Le langecin n'avait franchement aucune idée si elle le recevrait ou non. Peut-être qu’elle l’enverrait paître ou peut-être qu'elle aussi, avait reçu une lettre de leur père, lui dévoilant les mêmes vœux qu’il avait écrit à son fils. Théo se mordilla la lèvre en se répétant les mots qu’avait écrits son père. La vie aurait été définitivement été plus facile si ce dernier était resté Seigneur de Sorault. Le baron aurait hérité de la seigneurie par contre, il n’aurait jamais rencontré sa douce. N’ayant pas l’influence nécessaire pour la Dame de Lodiaker. Il secoua la tête, chassant ses pensées. S’il faisait cela, c'était pour Adélina et leur fils.


Théodoric sursauta alors qu’il entend quelqu’un l’interpellé. Son regard se posa vers l’homme qui fit une révérence avant de lui demander ce qu’il pouvait faire pour lui. Sans attendre, ce dernier secoua la tête.
« Non, non, ne vous inquiétez guère. J’ai tout ce qu’il me faut. » Il regarda le serviteur un moment avant qu’une pensée ne vînt l’éclairer. Portant sa main à sa tête, ce dernier eut un rire nerveux avant de se relever. « Pardonnez-moi, je ne voulais guère vous bloquer le passage. Je vais rester ici un moment si cela ne vous dérange guère. » Il fit un pas sur le côté pour laisser passer le serviteur, l’invitant d’un signe de main à passer avant de se retourner une nouvelle fois vers la porte. Il expira doucement, avant de fermer les yeux une seconde alors qu’il entendit les pas de l’homme s’affairer à quelques besognes. Il mit sa main sur la poignée, avant de s’arrêter à quelques centimètres de cette dernière. Non, il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas permettre à sa sœur de s’en sortir ainsi. Elle avait fait trop de mal, pervertit trop de gens pour avoir quelconque rédemption. Qui plus est, elle avait presque tué son épouse ! Et le pauvre Théo suspectait définitivement qu’elle était derrière la mort de son père. « Non.» Murmura-t-il avant de faire un pas de reculons, baissant la main. C’était inutile. Il ne ferait jamais la paix avec Prudence, ne renonçait jamais à l’héritage qui était le sien et celui de son enfant à naître.

L’homme, aux atours de serviteur, aux joues maquillées par on-ne-sait quelle poudre que les nobliaux apprécient afin de rehausser joues et pommettes, d’affiner les traits et d’effacer les ridules, regardait le jeune Baron s’écarter pour lui permettre de continuer d’avancer. Afin de ne point l’inquiéter, ni d’éveiller sa curiosité, le serviteur effectue une révérence, et s’avance, dépassant le Baron dans ces escaliers glissants et aux marches inégales, feintant de poursuivre sa route.

Se retournant, il assiste au triste spectacle que celui d’un frère hésitant face à la porte de sa sœur. Tout le monde en Péninsule connaissait la réputation de la nouvelle Marquise de Langehack. D’aucun lui prêtait des pouvoirs magiques aux sombres racines… D’autres disaient d’elle qu’elle était aussi vile que les noirs-sangs, et aussi calculatrice qu’un marchand Vaanie. Enfin, on murmurait tout bas que l’origine des évènements de Langehack n’était autre que son envie de voir son paternel mourir afin de devenir Marquise à son jour.

Mais l’homme n’était point là pour s’enticher du Baron, ou ressentir une quelconque forme de gentillesse ou de pitié à son encontre. Non. Il avait été recruté par quelqu’un d’influent, lequel connaissait des gens influents, lesquels désiraient voir le jeune homme retourner auprès de La Mère bien plus tôt que prévu, et cela, dans les meilleurs délais, et de manière… Discrète.

Aussi attendait-il. Et lorsque le jeune homme s’éloigna d’un coup d’un seul de la poignée de porte, tout en manifestant une négation finale et définitive dans sa quête de réconciliation, l’assassin su qu’il était temps d’agir.

En quelques bonds, le faux serviteur arriva à nouveau à hauteur du Baron. De ses mains soignées pour l’occasion – car l’erreur se cache dans les détails – il encadra la nuque pâle et frêle de cet homme choisi par la Damedieu pour être son Champion. Inclinant la nuque à gauche, offrant donc la partie droite des vertèbres, l’assassin porta un coup sec et fort, produisant un son d’os brisé. Le Baron, toutefois, ne s’effondrait point : l’assassin le savait, il n’avait fait que fragiliser les structures osseuses. Repositionnant ses mains, il termina de briser la nuque du pauvre homme en tournant celle-ci d’un coup sec, avant de laisser choir le corps désarticulé, tel un pantin, tout le long des marches… Si la chute ne terminait point de l’occire, la nuque brisée, et la moelle osseuse touchée, termineraient de le faire. Car déjà, il ne respirait plus et son regard s’était fait livide.

Et l’homme au pourpoint propret et aux pognes libérées de toute tâche de sang, prit la fuite de l’autre côté, sans hâter le pas.

Le lendemain matin...

Assise devant la cheminée, l’air hagard, la jeune femme regardait les flammes qui dansaient. Les yeux rougis par des larmes qui ne coulaient plus, les cernes qui témoignaient de la nuit blanche qu’elle venait de passer. Jamais elle n’aurait pensé qu’elle aurait aussi mal, qu’elle connaîtrait autant de peine. Le pire moment que l’on pouvait expérimenter était le moment où l’on perd la personne que l’on aime. Et lorsque l’on perd cette personne spéciale, toutes les chandelles, tous les mots, toutes les larmes ne pouvaient combler le vide qu’elle laissait. Toute la nuit, elle s’était demandé qu’est-ce qu’elle avait pu faire pour mériter un tel sort. Pourquoi lui avait-on enlevé son aimé? Alors qu’ils venaient à peine de se retrouver. Le pire dans tout cela était leur enfant à naître. La jeune femme ne pouvait imaginer élever son enfant sans Théodoric. Ramenant ses genoux contre son torse, la jeune femme enfouit sa tête entre ses genoux avant d’éclater de nouveau en sanglots. Il était tellement merveilleux. Merveilleux de dix millions de façons différentes. Jamais elle n’aurait pu croire qu’elle marierait un homme tel que lui. Et pourtant, sa chance avait tourné. Le pire était qu’elle n’avait même pas pu lui dire au revoir, qu’il était tellement parti de manière brutale… Se laissant tomber sur le côté, son regard vide se porta de nouveau sur les flammes. Combien de temps était-elle restée ainsi ? À voir la lumière qui traversait les rideaux, on aurait dit que le soleil commençait à peine à se lever. Elle aurait dû en faire autant, vu ce qui l’attendait, mais à ce moment précis, elle voulait rester là. Couché sur ce canapé, tentant de prendre le contrôle de ses sentiments. « Je ne peux supporter qu’il soit parti. Je ne peux supporter de me sentir ainsi. J’ai l’impression que je ne serais plus jamais heureuse… » Murmura-t-elle pour elle-même, alors qu’elle fermait les yeux à nouveau. Elle n’entendit même pas la porte s’ouvrir, ni les pas feutrés qui s’approchait d’elle.



« Ma Dame… » Murmura sa camériste, s’approchant doucement dans la pièce, sans réellement oser faire face à sa suzeraine. « Je sais que vous ne vouliez rencontrer aucun visiteur. Mais j’ai Son Altesse Adriano di Alcacio, qui insiste pour que vous lui accordiez une audience. » Si elle avait pu refuser certains seigneurs, refuser de voir un Duc ainsi était une autre paire de manche, et Clervie le savait, qui plus est, ce dernier s’était montré particulièrement insistant. Adélina ne réagit point, son regard toujours fixé sur les flammes qui dansaient dans l’antre. Ce n’est qu’au bout de quelques longues secondes, que la jeune femme soupira avant de fermer les yeux. « Je vais le recevoir. » Elle n’avait pas envie de voir personne, pas envie de discuter affaires, mais elle savait trop bien qu’elle ne pouvait éviter ses devoirs.



« Voulez-vous vous rafraîchir ? » Demanda la camériste. Adélina haussa les épaules. « Je crois que le Duc doit déjà savoir dans quel état je suis pour venir ainsi. » Clervie acquiesça avant de sortir de la pièce, clairement triste de voir la dame qu’elle servait et son amie ainsi. Cela prit que quelques minutes avant que la porte ne s’ouvre à nouveau, puis la jeune femme entendit les pas de son allié s’avancer vers elle. Lorsqu’il fut assez près, la jeune femme se releva pour se tourner vers Adriano. Toute de noire vêtue, la jeune veuve était élégante. Si son accoutrement ne laissait pas paraître sa condition, son visage en disait long sur son état d’esprit. Les traits fatigués, les yeux rougis par trop de larmes et le teint blafard, le regard bleuté croisa finalement celui du Duc.« Votre Altesse…» Commença-t-elle avant de faire une révérence. « Pardonnez-moi, mais je crains ne pas être en état pour discuter d’une quelconque stratégie envers les cultistes. » Car s'il était là à cette heure si matinale, cela devait être pour cela, non?

Très vite, la nouvelle se répandit à la vitesse d’une tornade dispensant sa poussière et ses débris. Diantra toute entière, alors secouée par la joie d’un couronnement et d’un mariage ducal, chuchotait, d’abord, puis pleurait ensuite la mort accidentelle d’un Baron que d’aucun semblait toutefois apprécier. Sans doute, toutefois, ces pleurs se justifiaient par le statut ésotérique de feu Théodoric de Langehack. Après tout, il était le Champion de Néera, La Mère, celle qui avait redonné à la Péninsule son souverain légitime.

Adriano, dans l’Hôtel Particulier de Soltariel, avait évidemment été alerté par cette triste nouvelle. En son esprit, une étrange satisfaction naquit : il était le commanditaire derrière cet assassinat. Pourquoi ? Comment ?

Car il désirait planter ses serres acérées sur le Marquisat de Langehack. Car les De Langehack étaient des dangers. Entre feu le paternel, exécuté à cause de ses manquements et de ses erreurs, Prudence, véritable félonne capable de tout et surtout du pire… Théodoric était un obstacle dans sa conquête du Sud tout entier. Son élimination apparaissait comme obligatoire.

De plus Adélina semblait être un parti intéressant, à sa manière. L’Alonna était une région dotée de bien des avantages, et, bien qu’au Nord, avoir un pied aussi loin dans l’extrémité supérieure du Royaume était stratégiquement parfait. Si, demain, Elfes, Nains ou Drows décidaient de s’en prendre à la Péninsule, le Nord serait la première région touchée… Et cela, le Sud devait le préparer, et le voir venir. Juste au cas où…

Satisfait, le Duc se prépara à la hâte, oubliant la plupart de ses atours. Accompagné par quelques gardes, Adriano se rendit jusqu’aux appartement de l’Alonnaise. Entrant, il dévisagea la douce jeune femme : ses yeux étaient rougis par les larmes et la tristesse, par la dévastation et la mort. Ses joues étaient rougies par le passage de mouchoirs, tout comme son petit nez. Son attitude toute entière transpirait le deuil… Du moins, le début de ce dernier…

Lorsqu’il entra, il fit une révérence et regarda la jeune femme pendant quelques instants. Si, en son esprit, il ne ressentait ni regrets ni remords, voir tant de tristesse était tout de même… Douloureux. Lui aussi avait perdu son épouse, par deux fois… Dont la toute première, épousée par amour… Et, étant pieux, être le commanditaire de l’assassinat du Champion de Néera n’était pas une grande fierté… Même, c’était une sorte de honte, à peine couverte par son ambition.

« Sortez. » Dit-il, ordonnant aux gardes et aux servants de quitter la pièce. Attendant que ceux-ci s’exécutent, il reste là, jusqu’à-ce que la porte ne se referme. « Aujourd’hui est un jour triste, Adélina. Oubliez les prédicats, et les obligations nobiliaires. Je suis venu vous aider, non discuter de politique. » Il s’avance. S’il porte sa couronne, il n’a aucun de ses atours, signe évident de la précipitation de sa venue. « Que puis-je faire pour vous aider ? »

Il s’était approché, et avait pris place à la droite d’Adélina, s’agenouilla face à elle dans une position qui, pour un Duc, et un Pair, n’avait absolument rien de protocolaire.

L’ordre du Duc ne surprit guère la jeune baronne, cependant, on ne pouvait en dire autant de sa camériste qui se permit de hausser un sourcil alors que ce dernier lui ordonnait de sortir. Sans attendre, elle fit une révérence au pair, avant de diriger les gardes Soltarii hors de la pièce. La nordienne jeta un regard à sa suzeraine, avant de refermer la porte derrière elle, laissant les deux êtres seuls. Adélina observa un moment le Duc avant que ce dernier ne s’avance vers elle pour s’agenouiller à ses côtés. La nordienne, clairement surprise, ne s’était clairement pas attendue à autant de sollicitude de la part de ce dernier. Oh, elle avait déjà reçu des condoléances de certains de ses sujets, mais la jeune femme avait balayé de la main les lettres qui s’accumulaient et refusait de laisser entrer qui que ce soit dans le petit salon de son manoir diantrais, du moins, jusqu’à ce qu’Adriano n’arrive. D’ailleurs, sa réaction la mit particulièrement, mal à l’aise. Disons qu’elle n’avait jamais imaginé un pair – et ce même s’il était allié agir de la sorte. Elle eut un air perdu pendant un moment, se demandant la meilleure façon de réagir, avant de lui tendre doucement la main, pour l’invité à se relever, mettant fin à cette démonstration. On aurait presque cru que ce dernier se soumettait à elle… Adélina attendit que ce dernier ne se relève, l’invitant à s’asseoir sur l’un des canapés qui faisait face à la cheminée, là, ou un feu dansait doucement. Une fois que les deux êtres furent assis, la jeune femme enleva rapidement sa main de celle du Duc, comme la bienséance le voulait, même si ce dernier insistait pour les abandonner. Son regard se porta au sol un moment, alors qu’elle expirait doucement, puis son regard azuré rencontra celui d’Adriano, l’observant silencieusement pendant quelques secondes, se demandant comment répondre à cette question.



« Je… » La baronne soupira, la tête légèrement baissée alors que ses mains se tordirent sur ses genoux. En réalité, elle n’avait aucune idée de comment il pouvait l’aider. Ou comment elle pourrait passer à travers cette épreuve. « Je l’ignore… » Elle prit doucement son mouchoir pour essuyer une larme qui coulait silencieusement sur sa joue, n’osant même pas croiser le regard de son allié. Et dire qu’il y a quelques ennéades, les rôles étaient échangés. Que ce dernier perdait tout autant sinon plus qu’elle. Mais si sa réponse semblait ambiguë, elle était plus que sincère. La jeune femme n’avait aucune idée de ce que serait la prochaine étape. Oh, elle savait déjà que dans quelques heures elle serait attendu au temple de Tyra, là où une grande prêtresse ou la haute-prêtresse procéderait au rythme funéraire de son aimé. Mais après ? Elle n’en avait aucune idée. Qu’un mur noir où toutes les pensées logiques s’écrasaient. « Ce n’est pas la première fois que je perds quelqu’un… Mon père, ma mère, mon frère et maintenant mon mari. On dirait que Tyra s’amuse à prendre le souffle de tous ceux que j’aime. » Elle s’arrêta un moment, semblant mettre de l’ordre dans ses pensées, puis un sanglot s’échappa de ses lèvres avant qu’elle ne reprenne de nouveau la parole. « Je ne veux pas que ça se termine, je ne veux pas y croire, pas y penser, car lorsque je l’admettrais, cela voudra dire qu’il est parti pour toujours et je ne suis pas prête. » Une nouvelle larme coula avant qu’elle ne continue ; « J’ai besoin de lui. Je ne peux pas continuer sans lui… » Sa voix s’étrangla un moment avant qu’elle ne termine ; « Je ne peux élever notre enfant sans lui… » Sans le vouloir sa main c'était diriger vers son ventre, s’écartant sur ce dernier comme pour tenter de sentir quoique se soit.

L’apparente gêne de la jeune femme était on-ne-peut-plus palpable. Un Pair du Royaume, Duc de Soltariel, plus vieux que la jeune femme ici présente, qui se met à genoux devant elle afin de lui venir en aide, était des plus inhabituel. Le Duc le savait bien… Et il en jouait. Car, après tout, n’était-il point le marionnettiste derrière tout cela ? N’était-il pas le commanditaire ? N’était-il point l’être machiavélique derrière cet évènement ô combien triste ?

Pourtant, une partie de lui était réellement triste. Théodoric était le champion de Néera, et, pour un être pieux comme Adriano, commanditer cet assassinat était autant une honte qu’un besoin tactique. Aussi, il était jeune veuf, encore une fois… Et bien que ce ne soit point l’amour qui l’ai lié avec Victoria di Maldi, il avait eu 3 enfants avec elle… Et la perte de tous ces êtres chers était encore difficile, et la douleur, encore très vive…

Lorsqu’Adélina lui fait signe de se relever, le Duc s’exécute. Il s’installe non loin d’elle, croise ses jambes, et l’écoute. Sa main droite vient accueillir sa joue homolatérale, et ses yeux, réhaussés par des sourcils froncés, plantent un regard sérieux dans les yeux de la veuve éplorée.

Et il l’écoute. Il l’écoute, et il mesure l’étendue de sa douleur. Il écoute la liste de celles et ceux qui quittèrent trop vite la terre des Hommes, et dont Adélina dû faire le deuil. Il écoute cette sensation, cette vision des choses que d’aucun nomme « le déni ». Cette envie qu’il ne disparaisse pas réellement… Le refus d’une mort pourtant bien réelle… Puis vient une information importante… Elle est enceinte !

Un enfant ! Et, que celui-ci soit un garçon ou une fille, l’héritier du Marquisat… Car, aux dernières nouvelles, Prudence n’en possédait aucun. Non seulement le Marquisat était en mauvaise passe, dirigée par une femme aussi machiavélique qu’imprévisible, et qui, d’après les rumeurs, était l’auteure de la mort de son propre paternel… Mais en plus, un Marquisat dont le seul héritier réside dans les entrailles et la matrice d’une jeune femme maintenant rendue veuve… Accidentellement…

Les yeux d’Adriano grossissent alors qu’en son esprit, la puissance de l’information le transporte. Adélina enceinte… Théodoric décédé… Langehack plus affaiblit que jamais… Sa tête abandonne sa main, et son attitude se fait de plus en plus figée. Il pose ses avant-bras sur ses cuisses, et pose ses deux poings devant son visage, dans une posture traduisant la réflexion la plus totale.

« Vous êtes enceinte… » Dit-il, comme pour encrer cette information en son esprit. « Ce qui signifie que vous portez l’héritier d’un Marquisat dont la tête pensante est aussi inconstante qu’elle est violente… » Dit-il encore. « J’ai cru comprendre que le corps de votre époux a été retrouvé en contrebas des escaliers menant à l’hôtel particulier Langeçin… Pensez-vous que votre belle-sœur ai quelque chose à voir avec cela ? »

Adélina s’arrêta net. « Quoi ? » On aurait dit que quelqu’un avait prit tout l’air dans la pièce. Elle regarda le Duc pendant quelques secondes, encaissant ce qu’il venait de lui dire. Puis, tout se mit en place, horrifié, la jeune femme regarda devant elle, alors que toute la vérité semblait s’exposer d’elle-même. « Ils ne m’ont pas dit cette information… » La jeune femme se releva, s’avançant vers la cheminée. Elle mit sa main sur le manteau, observant silencieusement les flammes. C’était logique qu’ils omettent cette information. Après tout, les différents entre le frère et la soeur n’était pas un secret pour personne. « Si c’est le cas, je dois retourner en Alonna avant que la nouvelle ne s'ébruite. » Adélina s’arrêta un moment, se demandant si elle devait révéler ce qu’elle savait au Duc. C’était son allié certes, mais elle n’avait pas voulu l’inclure dans une chicane familiale. Mais là, ce n’était plus une chicane, ou un malentendu. Là, Prudence venait de déclarer la guerre. « La guerre que se sont livrés mon mari et sa sœur n’est pas un secret pour personne. Théodoric devait devenir Marquis, vu que sa sœur avait rejeter la succession de son père alors qu’il n’était que le Seigneur de Sorault. Théoriquement, Prudence ne devrait pas être Marquise et elle le sait. C’est pour ça qu’elle a tout fait pour se débarrasser de ce qui entravait ses projets. » Ses doigts tapotèrent la pierre du manteau, reflétant les innombrables pensées qui semblaient se bousculer à l’intérieur de la jeune femme. « Avant l’apparition de la DameDieu, lorsque Théodoric et moi n’étions que fiancés, il m'a emmené dans une auberge pour me confier ses doutes sur sa sœur. Il croyait dur comme fer que cette dernière était arcamenite. J’ai été sur le choc, mais à l’époque, j’ai cru qu’il tentait de la discréditer. Jusqu’à ce que cette dernière tente de me tuer. » Adélina ferma les yeux, mettant la main sur son ventre, comme si elle pouvait sentir à nouveau la douleur. « Moi et Théo avons été séparés, et elle m’as fait poignarder par son garde du corps. Si mon cousin Aubry ne nous avait pas trouvés et amenés chez un guérisseur, je ne serais plus de ce monde.»


La nordienne se retourna vers le Duc, observant sa réaction pendant un moment, puis voyant qu’il ne rajoutait rien, elle continua ; « Cela a créé une énorme division. Ma famille a demandé justice, ce que Griffon ne pouvait ou voulait nous donner et Théodoric a tenu tête à son père, qui lui a dit qu’il ne voulait plus le voir. » Elle évita quelques détails, notamment sur le fait qu’ils étaient déjà mariés à l’époque et non fiancés, mais elle ne dit rien. « Je suppose que cette division a amusé Prudence. Théodoric, rejeté par son père, destiné qu'à être un petit seigneur nordien en Alonna. Et puis il y a eu notre ascension… » Adélina alla se rasseoir au côté du Duc avant de reprendre la parole : « Soudainement et contre toute attente nous sommes devenus le couple baronniale d’Alonna, Théodoric champion de Néera et à la tête d’un baronnie prospère, possédant une armée non-négligeable. Rajouter cela les nombreuses alliances que nous avons à travers le nord et son influence en tant que Champion de Néera, pendant que je mets à genoux les cultes à travers la péninsule… » Son regard azuré se tourna de nouveau vers Adriano. Elle n’avait pas besoin de continuer, il comprendrait… Il comprendrait à quel point Théodoric était devenue une menace pour sa sœur. « Si elle apprend que j’attends un enfant, elle va venir pour moi encore une fois… » Elle devait protéger son enfant à tout prix et retourner dans le nord aussitôt les célébrations terminées.

Le changement d’attitude d’Adélina fut l’évènement attendu par le Duc pour comprendre et mesurer toute l’étendue de son succès dans cette entreprise mortifère. Non seulement il n’était absolument pas suspecté, et même, à des miles et des miles d’être seulement tout en bas de la liste des suspects potentiels, mais, en plus… La suspecte idéale s’était d’ores-et-déjà liée à ces histoires tordues et sombres, en fomentant un assassinat contre Adélina, en plus d’intenter d’autres actions peu discrètes contre Théodoric.

Si, encore une fois, la situation belliqueuse entre Théodoric et Prudence était connue de bons nombres des nobles de toute la Péninsule, Adriano ne savait point tout… Jusqu’ici. Etait-ce finalement une envie des divinités, que de voir Théodoric sacrifier sur l’autel de la conquête du Sud, et de la guerre contre les cultistes de toute sorte ? Car une information venait de tomber : Prudence de Langehack était elle aussi une cultiste… Arcaménite, certes… Mais cultiste néanmoins. Entre le Nord, le Médian et le Sud, les sectes et autres cultes faisaient des ravages… Et une Marquise, qui n’aurait jamais dû l’être, et qui serait l’auteure de la mort de son propre paternel, de son frère, et de la tentative d’assassinat de la Baronne d’Alonna… Et qui, de surcroit, était un adepte d’Arcam… Que voilà d’excellentes raisons de faire la guerre. Oh oui.

Adriano, devant tant d’informations révélées, se prend d’une intense réflexion, se renfermant à nouveau en plaçant son menton dans sa main gauche, tandis que sa main droite tapote le velours de l’accoudoir de son assise. Lorsque la Baronne termine enfin sa diatribe, revenant s’asseoir et apparaissant devant le Duc avec une étrange lueur dans ses yeux, Adriano reprend…

« Par les Cinq… » Dit-il, réellement surpris d’apprendre tout ceci. En son esprit naquit alors l’idée que, finalement, il n’était peut-être pas le pire être de toute la Péninsule, comme il se plaisait à croire pendant un temps. « Pour elle, vous êtes à la fois un obstacle, et sa clé de Damoclès… Si vous divulguez la moindre information, même la plus petite… Vous pourriez éradiquer la lignée De Langehack pour l’éternité… » Dit-il, cogitant aussi pour lui-même. « Une Arcaménite… Au Sud… A la tête d’un Marquisat dans lequel nous avons obtenu les preuves qu’une autre famille nobiliaire est, elle, membre des sectes draconniques… » Il se lève, doucement, passant une main derrière ses longs cheveux, se grattant l’occiput comme pour pouvoir stimuler sa réflexion. « Tout le Marquisat apparaît alors comme infecté… Tel un membre nécrosé qu’il faudrait couper pour sauver l’organisme… Et vous, très chère… Êtes la clé de voûte… Sans vous Prudence est en sécurité. Avec vous… Elle est en danger… » Il se retourne finalement, revenant auprès d’Adélina, s’agenouillant et prenant sa main. « Très chère, vous êtes en danger ! Tant que vous serez à Diantra, vous êtes en danger ! Je ne peux décemment point accepter cela ! Outre l’incommensurable aide que vous m’avez apporté, et la redevance qui est mienne à votre égard… Je ne puis tolérer de vous voir souffrir plus longuement, car vous m’êtes précieuse. » Dit-il, avant de reprendre, conscient que ses propos pourraient être à double tranchants. « Vous m’êtes venue en aide dans les pires moments de ma vie et de mon duché, dans rien demander en retour, là où tous les autres nobles de Péninsule, et la royauté elle-même, m’ont laissé dans ma misère et mon deuil. Pour cela, vous aurez ma gratitude éternelle, et ma dévotion toute entière. » Assura-t-il, avant de se relever. « Que voulez-vous faire ? »

« L’éradiquer ? Mais cela n’a jamais été mon but. » Dit-elle, surprise des paroles du Duc. Elle n’avait jamais voulu que le nom de son mari meurt, ou disparaisse. Certes, sa belle-sœur et feu son beau-père la détestait, mais elle n’avait jamais laissé la rancœur l’empoisonner. Après tout, elle et Théodoric avaient prévu d'appeler leur premier enfant Langehack. « Quant à Merval, m’ont époux m’avait mentionné que ce n’était guère surprenant de trouver une famille noble membre d’un culte. Son père et lui-même étaient au courant depuis un long moment, mais le Marquis n’avait rien fait. Même si Théodoric l’avait supplié. » Pour être honnête, elle ne savait aucunement pourquoi son beau-père n’avait pas agi à ce moment-là, peut-être, avait-il autre chose en tête ? Chose est sur, ce n’était pas Prudence qui ferait quoique se soit contre eux. « Cela fait un moment que je suis au courant de cette rumeur, mais je n’ai malheureusement aucune preuve sur ce qu’avait avancé Théodoric. Il y a une possibilité que cela soit faux, mais je connais mon mari et je peux vous assurer qu’il ne mentait pas. » Elle avait vu son dégoût dans son regard, sa peur aussi d’aller si loin. Elle se souvenait de la façon qui lui avait annoncé une si horrible nouvelle. En murmurant, tentant tant bien que mal de ne pas laisser les autres entendre la maladie qui rongeait sa sœur.



Puis, le Duc se remit à nouveau à genoux devant elle. Si ces paroles n’avaient pas été aussi flatteuses, la nordienne aurait presque pensé que ce dernier faisait exprès pour la mettre mal à l’aise. «Adriano» Commença-t-elle incroyablement gênée par les actions de ce dernier. « On dirait presque que vous me demandez en mariage. Je vous en prie, rassissez vous. Votre dévouement n’est plus à prouver. Votre simple présence ici, en ce jour horrible est assez révélateur. » Elle attendit que ce dernier ne se rassoie, lâchant par la même occasion sa main. Cela permit au moins à la jeune femme de reprendre ses moyens pendant quelques secondes avant de hausser les épaules. « Pour le moment, je n’ébruiterais pas la nouvelle au sujet de notre enfant, aussitôt les célébrations terminées, je partirais pour Alonna. Delà, je suppose que je tenterais de renforcer les alliances que j’ai déjà et d’en créer d’autres. Par traité ou bien par ma… » Elle s’arrêta une seconde, troublée par l’idée que son oncle avait déjà proposée. « Ou en me remariant une fois le deuil terminé. » La jeune femme baissa les yeux aux sols, dérangée par cette pensée qui venait de lui traverser l’esprit. Cette pensée lui brisa le cœur. Mais si elle voulait réellement sauver son enfant et lui donner ce qu’il lui revenait, elle devrait faire des sacrifices, son oncle lui avait particulièrement rappelé il y a quelques heures de cela. Elle secoua la tête, comme pour se débarrasser de cette idée avant de reprendre la parole ; « Langehack est divisé en deux, les sages et les libertains. C’est le moment de vérifier leurs allégeances envers Théodoric. Cela me permettra d’accumuler les preuves que j’ai besoin pour la mettre à genoux. » Adélina avait dit à Prudence qu’elle était la dernière personne qu’elle voudrait avoir à dos, maintenant elle lui montrerait.

La réaction de la jeune veuve eut un effet retentissant en l’esprit du Duc de Soltariel. Loin de penser qu’il pourrait éventuellement se mettre en danger, car d’aucun comprendrait l’effervescence d’une telle situation, il mesura toutefois la délicatesse des pensées d’Adélina… Et donc, le caractère éphémère de cette dernière. Elle venait de perdre son époux… Elle venait d’apprendre les circonstances suspectes de sa mort… Elle venait de mesurer le poids des responsabilités qui reposait sur sa matrice… L’emportement d’Adriano était tout à fait compréhensible, mais sans aucun doute mal placé… Du moins à cet instant…

« Pardonnez-moi Adélina… Ce n’était que le fruit d’une réflexion emportée… »

La suite était simple pour Adriano : il n’avait qu’à écouter la jeune femme. La jeune femme savait depuis longtemps que des rumeurs couraient autour de Merval, et de certaines familles nobiliaires qui, disait-on, fricotaient avec des milieux ésotériques aux mouvances discutables. Elle le savait, car Griffon le savait, et l’avait partagé avec son fils Théodoric… Mais tous deux n’en firent rien. La chose était intéressante, car feu Griffon de Langehack n’avait point manqué à ses devoirs que sur le plan diplomatique… Il était également incompétent sur le plan ésotérique ainsi que sur la gestion interne de ses terres.

« Votre époux était le digne champion de La Mère… Je suis certain qu’il n’était qu’honnêteté et fidélité pieuse. »

La suite fut des plus étonnantes. Adriano, dans son comportement, ne désirait montrer qu’une affection amicale, une envie d’aider, une présence alliée… Point donner l’impression d’être le premier prétendant au sommet d’une liste qui, à n’en point douter, s’était formée à peine la mort de Théodoric dévoilée au grand jour.

« Décidément… A nouveau, je vous demande de me pardonner Adélina. Je ne souhaite ni vous offenser, ni vous mettre mal à l’aise… Ce qu’il se passe nécessite d’agir de manière à la fois tactique et subtile… Et vous aurez besoin de soutien… Je me suis laissé emporté par l’urgence de la situation… Encore une fois, je vous présente mes plus sincères et plates excuses… » Adriano, reprenant sa place, prit une attitude figée et renfermée. Croisant ses jambes, joignant ses mains et ses bras devant lui, il tentait de mettre un peu de distance afin de laisser suffisamment d’espace à la jeune femme. « Votre période de deuil n’en sera donc pas réellement un… Tandis que vous pleurerez l’être aimé, vous devrez manœuvrer pour votre survie… » Dit-il, plus comme une piste de réflexion pour lui-même qu’il prononçait à voix haute. « J’ai connu cela, moi aussi… Je prierais pour que La Mère vous aide, vous supporte et vous murmure son aide et sa sagesse… » Dit-il, comme dans un début de prière. « Je vous aiderais autant que possible, Adélina. »

La jeune femme ne put s’empêcher de baisser la tête en attendant les paroles du Duc. Il fallait dire que ce dernier n’était définitivement pas dans le même état d’esprit. Peut-être que la perte de son mari faisait remonter des souvenirs qu’il voulait lui-même oublier. Après tout, il avait perdu sa famille tragiquement, il y a quelques ennéades. C’est d’ailleurs cet événement qui avait poussé la nouvelle baronne à écrire à ce dernier, pour tenter de lui donner un semblant de paix, un semblant de support alors qu’il traversait la plus horrible des tragédies. « Aucune excuse est nécessaire. Je comprends parfaitement. » Après tout, peut-être qu’elle-même aurait cet entrain. Peut-être qu’elle aussi aurait cette envie de pousser, d’extrapoler ses pensées afin d’éviter le mal que son deuil lui causait. Car c’était pour cela qu’il proposait toutes ces idées, non ? Quant à la réplique du Duc sur son mari… Cela la fit sourire la jeune femme. Un sourire lointain, triste, comme si tous les moments qu’elle avait passés avec ce dernier s’ancrait un peu plus en elle. Quant à ses excuses...



Adélina baissa la tête soudainement, l’air soudainement honteuse. « Je suis désolé, Votre Altesse. Je… j’ai du mal à penser en ce moment clairement en ce moment et la proximité avec des hommes qui ne sont pas de ma famille a toujours été difficile. » Sauf avec Théodoric… Bizarre peut-être. Mais la jeune femme n’avait pas hésité une seule seconde à être familière avec ce dernier. C’était comme s’il n’y avait jamais eu de distance entre les deux, comme si avec lui, elle avait toujours été à la maison. Deux souffles qui se ressemblaient et se complétaient au final. « Mais vous avez raison. J’aurai besoin de soutien bientôt. » Elle releva son regard pour rencontrer celui du Duc. « Et je suis honoré de compter sur le vôtre. » La jeune femme osa finalement prendre la main de son aîné, alors que le rose vint orner ses joues, puis la serra doucement dans les siennes, comme pour donner un peu plus de poids à ses paroles. « Si vous allez avec la délégation royale, et que l’envie vous en prends. Je vous serais éternellement reconnaissante si vous vous arrêtiez en Alonna. » Après tout, avoir le Duc à ses côtés avait ses avantages. D'un, il la mettrait dans une position de force si les Seigneurs Alonnais ou tout autre ennemi décidaient de tenter quoi que ce soit. La flotte Soltarii était renommée, jumelée avec l’armée alonnaise, la baronne se dit que personne ne tenterait d’envahir ou de commettre un quelconque coup. La gêne revint rapidement heurter la jeune femme et elle lâcha finalement la main d’Adriano. « Enfin, si vous le pouvez. Je ne voudrais pas que vous laquiez à vos devoirs à cause de moi. »

La fougue d’Adriano s’était mue en une attitude réflexive, et en de profondes pensées sur la suite des choses. Quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, le monde Péninsulaire était à la fois fait de paroles, et d’honneur, et à la fois fait de trahisons, de paraîtres… Et de machinations. La position d’Adélina, bien que due aux machinations d’Adriano – cruelle ironie – trahissait les futures dissensions entre Alonna et Langehack… Et, peut-être, le terreau d’une future guerre ? Si Adriano savait que la mort du Baron d’Alonna bouleverserait certaines cartes… Il ne s’attendait pas à ce que cela soit à ce point-là.

La demande de la Baronne fit naître une lueur dans le regard du Duc. S’arrêter en Alonna après la rencontre des couronnes, serait un message fort envoyé à la fois au monde, à la fois à Langehack. D’ailleurs, la nouvelle Marquise ne tarderait point à savoir que l’étau se resserrait autour d’elle. L’on avait en effet des doutes sur l’origine de la mort de Théodoric, et Prudence semblait être la suspecte principale… Et l’on avait des doutes sur le caractère sectaire de la Marquise… et des preuves s’accumulaient contre certaines maisons de son Marquisat… Sans doute les prémisses d’une chute vertigineuse.

« Ainsi soit-il. » Dit-il, acquiesçant machinalement de la tête avant reprendre. « Je ferais étape sur vos terres une fois la rencontre terminée avec les couronnes étrangères. Je vous ferais parvenir un pigeon pour vous prévenir de l’imminence de mon arrivée. Ma fille sera des nôtres. »

Adélina observa le Duc pendant un moment, se disant que ce dernier semblait légèrement erratique. On était loin de l’homme qu’elle avait rencontré à Soltariel. C’est fou à quel point le deuil, même celui des autres pouvait vous affecter. Adélina, elle-même avait bien du mal à mettre une pensée après l’autre, se demandant même si elle était logique. Il fallait dire que le manque de sommeil et la peine qui l’accablait n’aidait rien à la situation. La jeune femme se voulut compatissante avec le Duc, supposant qu’elle avait réveillé les mêmes sentiments chez le Soltarii que ceux qu’elle tentait, en vain, d’enterrer au plus profond d’elle même. Néanmoins, ce dernier accepta rapidement son invitation. La baronne eut l’impression qu’un poids venait de s’enlever de ses épaules, son support aiderait définitivement si la situation devenait encore plus dangereuse. L’Alonnaise fut un léger sourire à Adriano, avant de rétorquer ; « Cela sera avec plaisir que je vous accueillerez, vous et Son Altesse Catalina. » Elle aimait bien la fille du Duc. Les deux jeunes femmes s’étaient liés d’amitié lors de son dernier voyage dans le sud. Il fallait dire que les deux jeunes femmes n’avaient pas une très grande différence d’âge. Adélina n’était que de trois ans son aîné et avait la même vision que la jeune femme, soit celle de faire le bien. Soudainement, quelqu’un cogna à la porte, ce qui fit retourner la baronne. Clervie fit son entrée, s’arrêtant dans le cadre de la porte. « Je suis désolé de vous interrompre Votre Honneur. » Elle regarda le Duc, avant de lui faire une révérence protocolaire ; « Votre Altesse. » Clervie se retourna vers la baronne avant de reprendre la parole ; « Le grand-prêtre de Kyria est arrivé pour discuter des rites funéraires. » Adélina perdit immédiatement son sourire avant de se relever, non sans laisser s’échapper un soupir. « Je suis désolé, Adriano. Le devoir me rappelle. Néanmoins, je vous remercie de votre support. Je ne pourrais demander un meilleur allié. » Elle baissa légèrement la tête pour le saluer avant de sortir de la pièce. La prochaine étape serait définitivement une torture…