Dans la plus haute pièce de la plus haute tour...[Terminé]

Non, il n'y avait pas de princesse endormie, gardée par un méchant dragon.

Cette tour était un point d'observatoire. De là, on dominait Diantra et seule la cathédrale pouvait l'égaler en hauteur. De là, il suffisait de lever le bras et de tendre la main pour effleurer les étoiles. Ou du moins, c'était ce qui se racontait.

Mais à quoi bon grimper l'interminable escalier pour observer la vue quand on ne voyait pas? Voilà une question fort pertinente qui méritait une réponse.

Simplement pour être seul avec ses pensées, avec les oiseaux volages pour seule compagnie. Simplement pour se reposer et réflechir calmement, sans la pression du devoir et des responsabilités, sans le poids des regards sur soi. Parce qu'on pouvait être aveugle et savoir interpréter les réactions de sautres. Parce qu'on pouvait déveloopper une sensibilité exacerbée et sentir les regards comme autant du fourmillements sur sa peau.

Qu'ils aillent tous au diable!

Il détestait la pitié et l'hypocrisie! Croyaient-ils vraiment qu'il ne perçevait pas leurs commérages perfides? La plupart disaient que c'était un juste retour de bâton pour ce noble arrogant et ayant acquis une trop grande place près du roi. Trystan s'était cru invincible, il avait été près à révéler à Ultuant leur lien de parenté.

Et puis, les ténèbres s'étaient insidieusement emparées de lui, le jetant dans l'abîme de la souffrance et de l'échec. Ce n'était pas juste... Lui, si beau, si spirituel, si brillant, idôlatré par les jeunes filles de la Cour, voilà qu'il se retrouvait à la merci de tout le monde, incapable de rien faire tout seul. Handicapé... C'était cela le pire. Les jeunes filles se bousculaient toujours pour lui être agréable, par pitié, par compassion, parce que cela réveillait leur intinct de Saint bernard, à savoir venir en aide à une pauvre petite chose handicapée. Et cela l'exaspérait. il était odieux avec tout le monde, agressif, cassant. Sa mauvaise humeur n'avait plus de limite.

Il avait grimpé les marches seul. Il ne voulait l'aide de personne. Il connaissait assez bien le chateau pour se débrouiller. Il avait un baton sculpté pour lui servir de canne et l'empêcher de se prendre un mur et également pour tâter le sol devant lui. Cela ne faisait que quelques jours qu'il était de nouveau lui-même, définitivement sorti de sa prostration. L'air était encore empli de l'odeur de chair brûlée...

Soudain, il entendit un bruit, une porte qui s'ouvre, un pas léger... Il tourna vivement la tête vers l'origine du bruit, les yeux fermés, les traits du visage durcis. Il se tenait devant la fenêtre ouverte, grand et fier malgré tout.

C'était vraiment impossible d'être tranquille dans ce damné château... Etait-ce vraiment trop demander qu'une petite heure de solitude? Apparemment oui. Ce constat ne faisait rien pour apaiser le jeune bâtard. Il n'avait même pas besoin de la regarder pour qu'elle soit foudroyée sur place. Les traits crispés de son visage et en particulier sa mâchoire contractée étaient éloquents.

Et en plus, la personne qui osait le déranger ne disait pas un mot. Pour un peu, il aurait pu penser qu'elle était partie, mais non, il sentait sa présence dans la pièce et surtout, il ne l'avait pas entendue repartir. Bon,, si elle ne comprenait pas toute seule, il allait se charger de lui expliquer que sa présence l'incommodait.

- "Mademoiselle..."

Ou Madame? Difficile à dire, il pouvait juste avancer le fait que cette personne était de sexe féminin à la légèreté de son pas et au bruit de ses talons. En espérant qu'il n'interprète pas mal les bruits qu'il entendait. Car il aurait l'air ridicule et cela achèverait de le rendre extrêmement désagréable.

- "Dans ce genre de situation, des paroles d'excuses précipitées pour le dérangement auraient été les bienvenues, ainsi qu'un demi tour rapide. Vous pouvez encore vous rattraper. Et n'oubliez pas de fermer la porte derrière vous, je n'aime pas les courants d'air."

Voilà, c'était clair là? Le ton employé était aussi hautain que froid, de quoi refroidir les plus hardies demoiselles. Ce n'était vraiment pas le moment de venir lui faire une déclaration d'amour éternelle en haut de cette satanée tour! Mais quelle femme irait justement s'essoufler à grimper les marches pour venir ici? En général, elles préféraient les jardins ou les salons privés. Bon trop tard pour le lui demander et de toutes façons, il se fichait de sa réponse. Du moins, il essayait de s'en persuader.

Comme un fait acquis et certain qu'elle allait obéir, il se détourna de la jeune femme et offrit son visage à la brise qui passait à travers la fenêtre ouverte. Sauf que la jeune personne n'avait pas l'air décidée à s'en aller...

Et voilà! Mademoiselle se montrait déjà exaspérante, rien qu'en refusant d'obéir à un ordre pourtant simple et formulé clairement, de façon assez diplomatique finalement. Il ne ui avait pas di tout de go : Allez vous en... Non, il avait formulé une phrase un peu plus construite. Mais apparemment, la péronnelle n'en avait cure et n'avait pas reçu le message. Alors, contrariante ou idiote?

Quoiqu'il en soit, elle put entendre un soupir nettement contrarié alors que Trystan tournait la tête de nouveau vers elle.

- "J'ai l'impression de ne pas m'être bien fait comprendre : votre présence n'est pas désirée en ces lieux."

Il pouvait se montrer vraiment désagréable quand il le voulait. Charmant aussi, mais moins souvent et pas ces derniers temps. Pourtant, il avait bien du apprendre à faire quelques sourires et quelques complmiments pour flatter l'ego des puissants... puissants qui l'étaient moins que lui officieusement. Et cela le dégoutait de devoir se montrer courtois avec toute cette vermine.

Bref, la jeune fille (en tout cas, c'était l'impression qu'il avait en entendant sa voix) ne se laissa pas démonter et se déplaça dans la pièce. Cette voix... Il l'avait déjà entendu, mais le diable s'il se souvenait où et dans quelles circonstances. Des voix féminines, il en avait entendu des centaines, alors se souvenir d'une en particulier, hormis celles des femmes qu'il cotoyait souvent... Il se demanda si elle était aussi jolie que sa voix était agréable...

Il l'entendit ouvrir une autre fenêtre et la suivit du regard (enfin façon de parler). L'odeur de brûlé agressa davantage ses narines et il fronça le nez. Mais il avait été au coeur des incendies, et cela avait été bien pire. Il l'entendit alors murmurer quelques paroles horrifiées. Pourquoi? Il supposait que c'était à cause de la vue et de l'odeur, sans en être certain, mais en l'entendant refermer la fenêtre, son doute devint certitude. Il eut un rictus narquois.

- "Et cela va mettre des semaines à disparaitre. Mais vous verrez, on s'accomode à l'odeur... Concernant le spectacle qui s'offre à vous, là, je ne peux guère me prononcer."

Oui c'était un trait d'humour acerbe concernant sa propre personne. Il soupira et tourna la tête vers le dehors, murmurant pour lui-même :

- "Le pire, c'était les hurlements d'agonie, mais d'eux, plus rien ne subsiste qu'un lointain écho dans la mémoire de ceux qui étaient présents cette nuit-là."

En quelques paroles, il était passé du noble froid, insensible et cynique, à l'homme affecté par les souvenirs du massacre. Oui, il y avait bien un coeur dans cette poitrine musclée, et la mort de centaines de personnes l'avait touché. Il se reprit et enchaina de son ton habituelement froid :

- "Si la vue ou l'odeur vous dérangent, allez donc faire un tour dans les jardins parfumés et bien protégés du chateau. Là où les malheurs des petites gens ne peut vous atteindre et vous horrifier."

Trystan, pour une fois, fut à court de mots quand elle lui balança en pleine figure qu'il n'avait qu'à partir si il n'était pas content. Mais... Mais c'est qu'elle était gonflée celle là!

- "J'étais là avant!"

Ah ben bravo... Voilà qu'elle le rendait puéril. Il rageait intérieurement. Autrefois, oui, il serait parti en claquant la porte, d'un pas assuré et vigoureux, mais là... Là, il risquait trop de manquer son coup dans sa colère et d'avoir l'air complêtement idiot. Il devait donc se retenir et supporter sa présence.

- "Décidément, la solitude est trop demandée dans ce maudit chateau."

Il avait reprit un ton un peu plus froid et digne que sa protestation de gamin énervé et outré. Un peu de tenue quand même, il n'allait pas s'abaisser au niveau de cette fille. Ce n'était quand même pas de chance... De toutes les demoiselles de la cour, il avait fallu qu'il tombe sur cette mégère. Sorcière qui n'était même pas là pour flirter avec lui. Il ne pouvait même pas la repousser comme ça.

Il eut la mauvaise idée de laisser paraître une faille dans sa carapace blindée et il s'employa aussitôt à la combler. Si bien qu'il déchaina la colère de la jeune femme qui s'approcha rapidement de lui. Il ne pouvait même pas reculer, acculé contre le rebord de la fenêtre. Il était coincé entre elle et le vide. Ce n'était pas une pensée rassurante. mais c'était légitime : à semer le vent, on récolte la tempête. Et quelle tempête!

Elle se mit à lui marteler la potrine de son index rageur. Voilà qu'il se faisait physiquement agressé par cette fille et il ne pouvait rien faire. C'était frustrant. Il serra le spoings de colère et voulut lui siffler de se reculer quand ses paroles le surprirent. En fait, c'était même plus que de la surprise. C'était de la stupéfaction. Et de fait, comme pour lui obéir, bien involontairement évidemment, il ouvrit les paupières et écarquilla les yeux de surprise. Ses yeux autrefois d'un vert émeraude, profond et lumineux étaient devenues bien plus clairs, d'un vert tendre... Mais son regard n'avait rien perdu de son acuité, si ce n'est qu'il ne regardait pas Lilianna droit dans les yeux, pas tout à fait au clair avec la taille de la jeune femme.

Il était soufflé par son audace et sa cruauté... Il avait une conception assez ambivalente de sa cécité finalement. Il n'aimait pas la pitié des gens, mais il n'aimait pas plus qu'on lui balance en pleine face que cela ne changeait rien. Il avait une de ces envies de la frapper, là tout de suite...

Mais quelque chose le retint. Un brin d'éducation, bien sûr, mais aussi quelque chose qui cheminait à toute allure dans son esprit et plus précisément dans sa mémoire. Et en même temps que les yeux violets lui rappelaient quelque chose un doux parfum d'orchidée vint balayer la puanteur des incendies.

Et Lilianna put voir à son regard qu'il venait de se rappeler d'elle.

Mais pas de son nom...

Non, il se souvenait d'un bal où il faisait grise mine.
Il se souvenait d'un roi Ultuant qui l'invitait à trouver une demoiselle pour danser et se dérider un peu.
Il se souvenait d'un amas de filles qui le regardaient, implorantes.
Il se souvenait d'une jeune fille intimidée et rougissante dans une robe lilas, avec de longs cheveux blonds. Il avait tendu une main vers elle et elle avait levé les yeux vers lui.

Des yeux violets.

Un regard qu'il n'avait pas oublié, trop singulier et envoûtant pour cela. Un regard de sorcière... non mais vraiment... N'importe quoi. Il se mit à rire devant cette expression saugrenue. Et Trystan qui riait, c'était extrêmement rare. Et c'était dommage car cela le rendait plus séduisant et plus jeune. Le son de son rire était riche et profond, chaleureux, différent de sa voix froide. Il y avait pourtant, un petit quelque chose de moqueur dans ce rire.

- "Ce ne sont surement pas vos yeux qui font de vous une sorcière mais plutôt votre attitude."

Il avait toujours un petit sourire accroché au coin des lèvres.

- "Dans mon souvenir, vous n'étiez pas aussi bavarde ni aussi indélicate... Je me demande si je ne vous préfère pas rougissante, bégayante et surtout... muette."

Et encore une attaque, mais sa voix était déjà moins méprisante et froide.

Une vraie tigresse cette fille... Voilà qu'elle sortait encore les griffes pour le lapider. Mais peu importe, il avait le cuir épais et si elle l'avait eu par surprise en le prenant au dépourvu sur ses attaques concernant sa cécité, il était préparé maintenant.

- "Moi au moins, je sers mon roi et ma valeur ne tient pas que de mon physique."

Ca c'était mesquin et c'était surtout une attaque gratuite qui pouvait faire très mal. Mais soyons réalistes : les femmes n'avaient pas un rôle très important à la Cour du roi sinon celui de trouver un époux, de se marier et de faire des héritiers. Et plus elles étaient jolis, plus leur cote augmentait et plus elles avaient de chance de trouver un excellent parti qui conviendrait aux pères ambitieux. Sans se rappeler du nom de la tigresse en face de lui, il savait parfaitement qu'elle devait elle aussi, servir les projets d'un père ambitieux.

- "Et l'on ne vous a pas jeté de la Cour simplement parce que vous êtes ravissante et séduisante!"

Hum... Il parlait trop vite... Voilà qu'il venait de lui dire ce qu'il pensait d'elle sous couvert de la railler. Bon, ce n'était pas si grave, elle devait être habituée à ce que les hommes a complimentent sur son physique. Ils ne devaient d'ailleurs, la complimenter que sur cela en ne la connaissant pas.

- "Disons que sois belle et ouvre la bouche pour dire des choses intelligentes serait plus dans mes goûts. Mais pour le moment, vous ne dites que des sottises, alors oui, sois belle et tais toi correspond davantage."

Il haussa un sourcil quand elle termina en lui disant qu'elle était peut-être bel et bien rougissante.

- "Je dois vous croire sur parole alors..."

Il l'entendit rire doucement alors qu'il sentait des doigts fins se saisirent de son menton. Il eut un léger mouvement de recul, défensif, mais se rattrapa aussitôt alors qu'elle lui faisait lever un peu la tête. Malgré lui, il sourit quand elle lui fit remarquer qu'il regardait à un endroit fort peu décent pour un gentilhomme.

- "Si je n'étais pas aveugle, j'aurais eu le bonheur d'une magnifique vision avant d'être giflé."

Il savait que la vue était belle, parce qu'il s'en souvenait. Sa robe de bal avait été concue pour attirer les regards sur sa jolie silhouette et évidemment, cela n'avait pas manqué. Elle le lâcha alors et il ne sentit plus son contact. Il en conçut un vif regret, totalement inexpliquable. Finalement, il était plutôt heureux que cette tigresse soit montée dans la tour...

Oui, il tirait sur la corde... ou l'élastique. Et il savait parfaitement qu'à un moment donné, il se le prendrait en pleine figure. mais cela ne l'avait jamais arrêté. Il assumait toujours les conséquences de ses actes et paroles, même si elles étaient désagréables.

Oui, il s'était montré odieux avec elle en la provoquant ouvertement et en lui rappelant de façon sournoise qu'elle n'était qu'une femme et qu'elle ne pourrait jamais rien faire de mieux qu'être jolie et mère un jour. Lui, il savait qu'il aurait détesté cette condition et il savait aussi que sa mère la détestait également. Elle s'était battue avec ses armes de femme : la sournoiserie, la ruse, la patience, le charme... Elle avait séduit un roi, elle l'avait fait plier... Mais pas rompre. Et cela l'avait rendue folle.

Est-ce que cela attendrait également l'enchanteresse aux yeux violets? Allait-elle épouser un homme qu'elle n'aimait pas, lui faire des enfants et vivre à jamais dans la tristesse et le regret? Ce serait dommage, il aimait déjà beaucoup son tempérament de feu. Quelque chose lui disait qu'elle ne serait jamais sournoise comme Mélisandre. Elle était trop... entière pour cela.

- "Et quelle occasion voudriez-vous?"

Comment devenir quelqu'un quand on était une jeune noble éduquée pour être une épouse parfaite et une mère prolifique? Il la poussait à bout, par jeu, par défi et aussi parce que cela lui plaisait de l'entendre lui répondre comme s'il était le dernier des paysans. Elle ne se perdait pas en courbettes et formules de politesses, non, elle était franche... et il appéciait cela. Avec un sourire ironique, il souffla, alors qu'elle hurlait presque :

- "Là, je n'ai pas besoin de vous voir pour savoir que vous êtes rouge."

Elle lui répondit et il répliqua aussitôt :

- "Je suis un menteur, nous sommes tous des menteurs... Comment évoluer à la Cour sinon? Mais en l'occurence, je vous trouve bien sévère avec moi... Et vous seriez aimable d'arrêter de me balancer à la figure toutes les deux minutes que je suis aveugle. Je le sais, pas la peine de me le rappeler."

Sa voix était un mélange de cynisme, d'amertume et d'une pointe de tristesse. Il avait beau jouer les insensibles, elle n'arrêtait pas d'appuyer sur une blessure encore ouverte et la faisait de plus en plus saigner.

Seulement, il comprit qu'il était allé trop loin quand il l'entendit bégayer, offusquée. Et la gifle ne tada pas à suivre, violente et douloureuse. Sous le choc de l'impact pas tout à fait anticipée, sa tête suivit le mouvement et il ferma les yeux : un vieux réflexe. Pourtant, il esquissa un mince sourire, fier de l'avoir fait sortir de ses gonds.

Mais elle fit alors quelque chose qu'il n'attendait absolument pas. Elle se saisit de son visage et posa ses lèvres contre les siennes en un baiser passionné et rageur qui n'était pas pour lui déplaire. Il se laissa faire, l'embrassa même en retour, avant de s'emparer de ses poignets et de la décoller de lui, triomphant et horripilant. Il lâcha d'un ton goguenard et faussement choqué :

- "Eh bien eh bien... Qu'est-ce que c'est que ces manières? Me voler un baiser comme ça! C'est tout bonnement choquant! Et vous pensez que je vais vous laisser faire sans réagir?"

Il lâcha un de ses poignets, libérant ainsi sa main qui courut le long du visage de la jeune fille, jusqu'à effleurer ses lèvres. Sûr de ne pas se tromper, ce fut lui, cette fois, qui s'empara de la bouche pulpeuse de la jeune noble.

Quel jeu jouaient-ils? Il n'en savait rien... Et il s'en moquait, c'était trop agréable pour y réflechir maintenant.

De la part de la jeune femme, embrasser ainsi un quasi inconnu juste par envie et sur une pulsion avait de quoi dérouter.

Pour un homme comme Trystan, ce n'était qu'une conquête de plus. Des femmes, il en avait tenu dans ses bras, il en avait embrassé, il en avait honoré. Il avait quand même prit garde de n'en déflorer aucune, pour ne pas être obligé de l'épouser par la suite. Cela aurait été catastrophique et sa mère ne le lui aurait jamais pardonné. Cela ne servait absolument pas ses plans. Elle, elle l'aurait bien vu maié à une des filles d'Ultuant, même s'il y avait des liens de parenté. Après tout, cela n'avait guère d'importance dans la noblesse... Fils de roi et mari de princesse, son avenir sur le trône serait assuré. Voilà les plans de Mélisandre.

Voilà pourquoi il pouvait ceuillir quelques beautés, sans jamais butiner leur fleur encore vierge de toute intrusion.

Alors un baiser de plus ou de moins, cela ne changerait rien. Pas pour lui. Cela ne signifiait rien, pas de promesse d'amour éternel, pas de passion... Juste un moment agréable. Chacun retournerait à sa petite vie ensuite. Et tant pis s'il lui brisait le coeur. Ce ne serait pas le premier. Il ne pouvait pas se permettre de s'attacher à n'importe quelle jeune fille, aussi ravissante et piquante soit-elle. C'était ainsi, cela faisait 26 ans qu'il le savait et une magicienne aux yeux violets n'y changerait rien.

Alors pourquoi l'embrasser de nouveau? Pourquoi ne pas l'avoir repoussée et éloignée? Il aurait suffit qu'il se fasse cassant pour qu'elle s'en aille. mais non, il avait fallu qu'il l'embrasse à son tour, que l'initiative soit pour lui cette fois. Il se devait d'ignorer ce petit frisson de plaisir... Il se devait d'ignorer la voix qui lui soufflait qu'il aimait la compagnie de la jeune femme, le gout de ses lèvres, ses paroles acerbes et mordantes.

Il savait si bien ignorer cette voix.

Il sentit son sang s'embraser quand elle l'enlaça, quand elle frôla sa poitrine, posant une main délicate sur son coeur battant trop vite et trop fort. Depuis combien de temps ne s'était-il pas senti aussi... vivant? Depuis sa cécité, sans nul doute. Elle avait raison, les yeux clos, il était un cadavre...

Elle mit fin à l'étreinte, mais pas au contact. Elle était blottie contre lui. Il leva la tête vers le ciel et prit une grande inspiration. Mais que faisait-il?

Vire-là Trystan... Blesse-là... Qu'elle parte loin et vite...

Il allait le faire... quand elle reprit la parole. Il sourit pour lui-même. Non, il ne se rappelait pas de son prénom... L'avait-il seulement jamais connu?

- "Non... Mais je me souviens de ce fragile parfum d'orchidée..."

Il se souvenait de la forme de son corps épousant le sien durant la danse... Il se souvenait de son parfum et de son regard inimitable. Peu de temps passés ensemble, mais elle l'avait marqué. Même s'il ne lui avait jamais plus accordé un regard ensuite. Allez, il était temps de mettre fin à toutes ces sottises sentimentales! A contrecoeur, il la repoussa de ses bras, se composant une attitude froide et narquoise.

- "Et puis, à quoi bon s'encombrer de noms pour une petite étreinte éphémère? C'était très agréable, finalement, vous avez bien fait de venir troubler ma solitude..."

C'était vexant la façon dont il employait ses paroles et modulait sa voix, comme si elle n'était qu'une... courtisane. Qu'elle soit blessée et qu'elle parte, cela vaudrait mieux pour tous les deux... même si cela devait les affliger.

Voilà, elle était partie... En rage, bien évidemment. C'était ce qu'il voulait non? Eh bien, c'était très réussi... Au delà de ses espérances même. Même si les mots lançés à son encontre l'avaient blessé. Etonnamment, qu'elle porte un tel jugement sur lui lui faisait de la peine.

La porte claqua et une vitre vola en éclat, juste à côté de lui. Il ne bougea pas d'un pouce, le regard rivé sur la porte, l'esprit imaginant sans peine la jeune fille la franchir, verte de rage.

Il porta une main à sa joue meurtrie. Il ne pouvait guère quitter la pièce maintenant, au risque de se faire railler avec cette marque écarlate sur sa joue pâle. Deux gifles... Deux gifles en moins d'un quart d'heure. Il avait battu son record là. Bravo Trystan, tu as la palme du goujat.

Avec un soupir à fendre l'âme, il se laissa glisser le long du mur, la tête rejeté en arrière, les yeux clos. Il avait fait ce qu'il devait. Pour les protéger tous les deux d'une amourette qui ne durerait pas. Encore une fois, c'était la raison qui l'avait poussé à agir ainsi...

Mais alors pourquoi avait-il si mal das la poitrine, là où battait son coeur, de nouveau régulier et calme?

De longues minutes s'écoulèrent ainsi. Seul dans la tour, son visage n'était plus aussi inexpressif. Non, il reflétait bien tout le tourment de cette âme complexe... Il ne voulait pas de la compassion, mais la dureté de la jeune fille quant à son état lui était insupportable.

Enfin, au bout d'un temps jugé acceptable pour que la douleur de sa joue disparaisse, ainsi que son souvenir cuisant, il se releva et se dirigea vers la porte, à tatons. c'était bien pour cela qu'il n'avait pas cherché à fuir la jeune fille, pour ne pas avoir l'air ridicule à marcher ainsi. Sous ses bottes, le verre crissa. Sa main suivit les aspérités du mur et il ouvrit la porte, avant de la refermer et de quitter la tour...

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