Feu de Joie (Roxane) [Terminé]

En cette matinée légèrement pluvieuse, notre garde bedonnant pénétra dans le quartier qui avait été mis en quarantaine puis à feu il y a de ça quelque semaine. La vision de cette scène était peu agréable. Il ne restait rien à part des ruines et des cendres. Une odeur répugnante de cadavres calciné ou en décomposition envahissait l'air ambiant. Ici et là, il restait quelques pierres noircie entassé les unes sur les autres, vestige des maisons qui avaient jadis été bâties. Si l'enfer existait bel et bien, alors Brok en avait devant lui un aperçu. Mort et désolation, aucun autre mot n'aurait pu mieux décrire le décor. Soupirant, le garde s'avança parmi ce qui avait été autrefois un des plus beaux quartiers de Diantra.

Équipé d'une fourche, d'une jarre d'huile et d'une torche, il se fraya un chemin parmi les débris. On lui avait confié la tâche d'empiler les corps et de les brûler ensuite. Comme d'habitude, le sergent assignait toujours à Brok les travaux les plus ennuyants, et aujourd'hui n'avait pas été une exception. Il accota le pot d'huile et la torche sur un mur à demi écroulé et agrippa la fourche de ses deux mains. Tel un fermier transportant du foin, Brok traînait les corps carbonisés et mutilé et les entassait au milieu de la rue. Il lui fallut une bonne heure pour nettoyer une bonne partie du bloc de maison environnant.

À présent épuisé, il aspergea le monticule de cadavres avec de l'huile puis y mit feu avec la torche. Alors que les corps s'enflammaient, Brok décida de prendre une petite pause. Écrasant son gros derrière sur une roche, il sortit de sa poche un petit flacon métallique contenant du whisky. Une gorgée de cette boisson lui réchauffa la gorge. Nul besoin de dire que l'alcool allait lui être indispensable s'il voulait avoir la force de faire ce travail toute la journée durant. Le mieux était de finir le travail le plus vite possible car il n'avait aucune envie de rester dans ce quartier. Si jamais il ne finissait pas le travail aujourd'hui, non seulement son supérieur allait être en colère, mais Brok allait devoir revenir le lendemain pour finir le travail. Il avait intérêt à finir ce coin-ci du quatier rapidement et celon ses estimations, il aurait le temps de tout finir en un jour. Il n'y avait qu'un seul problème, c'était que les nuages étaient de plus en plus épais. S'il commençait à pleuvoir, le pauvre garde ne pourrait pas partir le feu et donc, il faudrait qu'il revienne le lendemain. Brok leva les yeux vers le ciel en espérant que dame nature serait de son côté en cette journée déprimante.

Il était temps... Temps d'enfin affronter cette peur latente qui l'empêchait de dormir la nuit, qui l'empêchait d'être enfin en paix.

Temps de savoir la vérité.

La jeune fille n'avait que trop retarder le moment de retrouver ses parents... De l'atelier de sa mère, plus aucune trace... Ravagé par l'incendie. La jeune prêtresse s'arrêta devant l'échoppe, leva la tête et vit l'enseigne pendre mollement, le dessin en étant invisible sous l'épaisse couche de suie. Ses yeux s'emplirent de larmes en repensant qu'elle avait aidé sa mère à dessiner le motif et à la peindre... C'était par une belle après midi de printemps, les deux femmes avaient rit, complices... Cela s'était passé il y a deux ans. Autant dire une éternité.

Roxane avait changé ces derniers mois. La petite citadine avait quitté sa ville pour partir à l'aventure avec son grand frère retrouvé, chef des pirates. Un homme sans foi ni loi, mais terriblement protecteur et tendre envers sa petite soeur encore naïve. Elle l'aurait suivi au bout du monde. Elle l'avait suivi jusque Méca, avec Leirn. Là, elle avait fait des rencontres qu'elle n'oublierait pas... Elle s'était faite des amis : Isabaut, la seconde de Triss, Morgane, l'amie d'Isabaut, Eldis, l'ami de Morgane, dragonnier comme elle, rencotnré dans des circonstances tragiques.

Que restait-il aujourd'hui? Triss était mort, Morgane et Eldis étaient partis, Isabaut était effondrée, la Marine Marchande allait disparaitre. Et de son enfance, que restait-il? Rien. Plus de maison, plus de boutiques. Ses parents devaient être morts. Ils avaient succombé à la Peste.

Elle n'avait plus de famille. Elle était seule.

*Non, tu m'as moi...*

Dans son esprit, aussi clairement que si elle s'était tenue à côté d'elle, Leirn la réconfortait, lui parlait. Roxane acquiesça.

*Oui, sans toi, je n'aurai pas la force de continuer.*

Ses amis lui manquaient, mais chacun devait faire son deuil. Elle leva le nez vers le ciel, se demandant ce qu'Eldis faisait, ce qu'il visitait... Elle avançait comme une somnambule, le visage baigné de larmes devant ces pertes cruelles. Elle n'avait aucune preuve, il n'y avait aucun corps. Mais le peu qu'elle avait découvert la poussait fortement à cette conclusion tragique.

Elle vit alors le feu de joie et écarquilla les yeux. On brûlait les cadavres... Peut-être trouverait-elle des visages connus et pourrait-elle faire son deuil? Elle se précipita vers le feu, s'arrêta à bonne distance, déjà suffoquée par la chaleur et chercha à voir dans le brasier. Mais elle dut bien vite faire marche arrière, les yeux larmoyants. La jeune fille portait une fine robe blanche et une petite capeline en cas de pluie. Les mois avaient passé, elle avait gagné en âge et en expérience, mais ses formes restaient graciles et menues. Elle était aussi pulpeuse qu'une elfe... Donc quasiment plate. Ses longs cheveux noirs cascadaient dans son dos. Roxane était jolie, mais comme une poupée fragile qui donne envie de protéger, pas comme une femme fatale.

Elle tourna alors le visage vers l'homme assis :

- "Non, arrêtez de brûler les corps, j'ai besoin de voir si je reconnais des visages familiers!"

Elle s'avança vers lui, mais se figea en voyant son uniforme. Un garde... Elle frissona. Elle n'aimait pas les gardes... C'étaient eux qui l'avaient violée pour la punir. Ce n'étaient que de petites pourritures médiocres qui cherchaient un moyen de se rengorger en exerçant leur maigre autorité sur la population. Mais celui-là ne lui ferait rien, n'est-ce pas? Elle avait Leirn maintenant... Un dragon apte à venir la rejoindre en moins d'une minute et à coller une raclée au garde... Et pourtant, la petite fille terrifiée qu'elle avait été quand ils la souillaient tremblait.

Le feu était bien pris et bientôt, des effluves de chaire brûlée vinrent chatouiller les narines du garde. Ce n'était pas une odeur particulièrement agréable à respirer mais c'était déjà moins pire que la puanteur des cadavres en décomposition. Et puis, il allait devoir s'y habituer étant donné qu'il allait passer le restant de sa journée ici, à faire ce boulot répugnant. Pour la première fois, il réalisa à quel point il avait été chanceux de ne pas être de ceux qui sont morts par la peste. Et dire qu'il aurait pu tout aussi bien se retrouver à la place des cadavres qu'il était en train de brûler. Il y a deux semaines, un bon nombre de gardes qui s'étaient portés volontaires pour aller dans ce quartier afin d'aider les personnes contaminé avaient eux aussi succombé à la peste. Perdu dans ses pensées, Brok aperçu tout de même du coin de l'oeil une silhouette s'approcher du feu. Une personne complètement habillé de blanc dans un décor presque entièrement noir, c'était dur à ne pas remarquer. Lorsqu'elle fut proche, Brok découvrit qu'il s'agissait d'une jeune adolescente. Mais que faisait-elle dans cette zone sinistré? Brok aurait pu être intrigué par la présence de cette personne ,mais à l'instant, il avait des choses plus importante à faire c'est-à-dire boire son whisky. Et d'ailleurs, c'est ce qu'il fit alors que la jeune fille regardait le feu.

Après un court moment, elle se retourna vers le garde et lui ordonna littéralement d'arrêter de brûler les corps sous prétexte qu'elle voulait savoir s'il y avait des visages familiers parmis ce tas de cadavres. Ce n'est qu'après lui avoir fait cette demande que l'adolescente observa attentivement le garde et sembla avoir un léger malaise. Cette réaction, Brok s'y était attendu. Souvent, les gens trouvaient son visage horrible, d'autres redoutaient seulement d'avoir des ennuis avec un garde. Brok sourit lorsqu'il pris le temps de réfléchir à la requête qu'elle lui avait fait. Pensait-elle vraiment qu'il allait la prendre en pitié et obéir à ses ordres? La pauvre, qu'elle était naïve. De plus, qui voudrait vraiment fouiller dans un tas de corps carbonisés par y découvrir le visage déformé d'une personne qu'on connait?

-Arrêter de brûler les corps? T'as qu'à l'éteindre toi-même le feu. J'suis curieux de savoir comment tu vas faire!

La fin de sa phrase fut ponctué d'un rire ironique. Il espérait que la fille se tiendrait silencieuse car Brok n'avait pas la tête à écouter les pleures d'une petite fille dont les parents sont morts de la peste. C'était sans doute la raison pour laquelle elle était venue ici. À bien y penser, Brok aurait pu la rassurer, lui dire qu'elle se retrouverait seule et égarée dans les ruelles de Diantra. N'ayant plus de parents pour la nourrir et l'héberger, elle commencerait à voler et se ferait pincer par un garde qui la revendrait comme prostitué. Quelle belle fin pour l'histoire de cette jeune fille. Peut-être même que Brok aurait le plaisir de la revoir dans une maison de prostitution. Il faudrait attendre quelques année, le temps que le corps de la jeune femme aient de belles courbes généreuses car pour l'instant, elle n'avait rien d'attirant.

Évidemment, tout ce scénario n'était que suppositions. Il n'y avait aucune certitude que c'était le destin qui attendait cette jeune fille, mais Brok espérait tout de même que ce soit le cas. Reportant son attention sur le feu, le garde grassouillet continua de boire tranquillement son whisky. Le temps que les corps finissent de brûler, il pourrait retourner au travail.

Cette odeur... Cette odeur atroce et répulsive. Ici, ça puait la mort, la misère, la douleur... C'était bien loin de tout ce que préconisait le culte de la jeune fille: la vie, la jeunesse, la joie, l'insouciance... Et pourtant, n'avait-elle pas affirmé bien des semaines auparavant qu'elle serait capable de monter à bord d'un navire et d'y soigner les pirates blessés? Elle avait défié Ulrich en lui lançant au visage qu'elle ne pouvait savoir si elle supporterait ou non cette horreur qu'en essayant.

Mais de l'eau avait coulé sous les ponts, Roxane était partie de Méca sans monter à bord d'un navire... La seule horreur qu'elle affrontait maintenant, c'était la vue de cadavres putrides ravagés par les flammes... Son coeur se serra dans sa poitrine en pensant à tous ces gens morts sans oraisons ni prières. Elle espérait que leurs âmes avaient trouvé le chemin du royaume de Tari.

Ils n'étaient plus que des squelettes sans noms, des morts sans visage. Ils n'étaient plus rien et ils sombreraient dans l'oubli, pauvres victimes anonyme d'une maladie mortelle. Si un noble en était mort, évidemment, il y aurait eu son nom sur toutes les lèvres. Mais pourquoi se soucier de la mort des gens du peuple? Cela la révoltait, mais c'était ainsi.

La Diantra qu'elle connaissait était morte et surement pas pour en faire émerger une meilleure. Elle songeait même que cela serait pire.

Si une vague de peur l'avait saisie en voyant le garde, elle sentit la colère l'inonder quand il lui sourit et se moqua de sa détresse. En tous cas, ces porcs de garde, eux, n'avaient pas changé! Toujours aussi insensibles et surs de leur pouvoir! Mais Roxane n'était plus la jeune fille inoffensive d'il y a quelques années! Roxane était une prêtresse de Néera, une pirate et une dragonnière! Elle n'avait pas à s'écraser devant la médiocrité!

- "Nous nous connaissons? Parce que sinon, je ne vois pas de quel droit vous me tutoyez. En plus d'être mal poli, vous êtes mal élevé."

Elle s'était retenue de dire qu'en plus d'être laid extérieurement, il était pourri intérieurement. Elle ne pouvait pas attaquer quelqu'un sur son physique, c'était trop... trop petit. Mais dés la première impression, elle n'aimait pas ce type. Certains étaient moches, mais gentils, mais lui avait du développer une méchanceté en rapport avec sa laideur.

- "Je n'ai aucun moyen d'arrêter ce brasier. Et je ne peux en appeler qu'à votre bon vouloir pour ne pas en allumer d'autre le temps que je trouve ce que je suis venue chercher... ou pas. Mais je pense que c'est trop demandé."

Attention Roxane, tu joues avec le feu...

La jeune fille frolait l'insolence et il pouvait très bien être dénué de tout sens critique et se jeter sur la jeune fille pour la faire taire à coup de baffes pour ensuite en faire son affaire. Elle frissona à cette pensée...

*Mais je ne le laisserais pas te faire de mal Roxane...*

La pensée de Leirn lui parvint, rassurante. Elle volait très loin au dessus de Diantra, par delà les nuages, mais il suffirait qu'elle fasse un piqué pour se retrouver près de Roxane en quelques secondes...

Décidément, cette jeune fille ne réalisait pas à qui elle s'adressait de la sorte. Pour qui se prenait-elle donc pour lui parler sur un ton si méprisant? Brok avait soudainement l'envie d'empoigner ce petit bout de femme et de le lancer directement dans le feu. Au moins de cette façon, il s'assurait d'avoir la paix. Un regard autour de lui rassura Brok qu'il était bien seul avec elle dans cet endroit sinistre. Pour une fois qu'il avait le champ libre de faire ce qu'il voulait, il n'avait juste pas le temps de s'amuser avec elle. Il avait reçu des ordres et devait les suivre. Cependant, le garde ne pouvait pas laisser un tel affront impuni. Il avait de l'autorité et c'était de son devoir de se faire respecter en tant que force de l'ordre. Étant un tantinet irrité par les propos de l'adolescente, Brok adopta un ton assez colérique:

-Écoute bien, moi je suis un représentant de la justice alors que toi, tu n'es qu'une petite garce insolente! Je n'ai aucune raison d'être poli avec une gamine dans ton genre. Mal élevé hein? C'est plutôt toi qui devrait faire attention à ce que tu dis parce que sinon j'vais te le faire amèrement regretter...

Brok espérait que le message avait bien passé, il n'avait pas l'intention de répéter deux fois la même chose. Ah les jeunes d'aujourd'hui, les parents ne les éduquent pas correctement et en voici le résultat. Aucune bonne manière et aucun respect pour les ainés ou pour l'autorité. Un petit tour en prison ferait sûrement du bien à cette jeune arrogante. Cela lui permettrait de remettre ses idées en place. Et c'est ce que le garde aurait, s'il n'avait pas son sale boulot à faire. Personnellement, le garde ne prenait aucun plaisir à s'occuper des corps morts d'une telle façon. Seulement, son supérieur lui avait ordonné et donc il devait obéir, un point c'est tout. Il n'allait quand même pas attendre toute la journée alors que cette gamine allait fouiller les cadavres. La patience du garde avait des limites et jamais il n'allait plier aux caprices de la jeune femme. Elle aurait bien pu appeler au bon vouloir de Brok tant qu'elle le voudrait, il n'en avait pas. Et puis, elle l'avait dit elle-même que c'était trop demandé. S'attendait-elle vraiment à ce qu'il l'écoute? Franchement, il faut être raisonnable. Si elle lui avait offert quelque chose en retour, comme de l'argent par exemple, peut-être bien que dans ce cas il aurait pu lui accorder un minimum d'attention. Mais comme ce n'était pas le cas, il n'avait qu'à continuer sa besogne. Il prit une dernière gorgée de whisky puis rangea son flacon dans la poche de son pantalon. D'une main ferme, il empoigna la fourche plantée à côté de lui et la pointa de façon assez menaçante en direction de la jeune fille.

-J'ai un boulot à faire et c'est pas toi qui va se mettre dans mon chemin. J'en ai rien à foutre de tes cadavres, moi je dois les faire brûler que tu le veuilles ou non. Compris?

La jeune fille regardait le Garde et la façon dont il regarda autour de lui ne lui échappa pas et ne laissa guère de doute sur ses intentions à son égard... Elle déglutit en silence, sentant soudain une sueur froide glisser le long de sa colonne vertébrale. Ils étaient seuls dans la ruelle... Et il pouvait lui faire n'importe quoi sans que jamais personne ne l'apprenne... Et pourtant, elle n'était pas sans défense. Elle pouvait lui lancer un sort qui ne lui ferait aucun mal mais permettrait à la jeune fille de s'enfuir... Elle pouvait appeler Leirn et forcer cet homme immonde à se tenir tranquille lke temps qu'elle finisse ce qu'elle avait entreprit. Mais agir ainsi reviendrait à s'avilir... Elle ne vaudrait alors pas mieux que ce porc, à abuser de son pouvoir. Mais la façon dont il parlait, comme s'il avait tous les droits la hérissait. Pourtant, elle ravala sa colère et se contenta de répondre d'une voix douce :

- "Vous n'avez de pouvoir que celui que l'on veut bien vous octroyer. Vous n'êtes pas un représentant de la justice... Je la connais votre justice et ce n'est que punition et châtiment, abus de pouvoir et jouissance à terrifier plus faible que soi. Il n'y a nulle gloire à en tirer, sauf pour les mesquins."

Elle prenait une voie dangereuse et elle le savait. Apparemment, ce grde là n'était pas meilleur que ceux qu'elle avait déjà croisé. Y avait-il un seul homme d'honneur dans la garde de la ville? Ou bien n'y mettait-on que les soldats ratés, les petites brutes sans cervelle et sans envergure, les déchets de l'armée humaine? Vaste question qui méritait que l'on s'y attarde. Si elle avait osé, elle l'aurait balancé au visage du garde, mais elle ne voulait pas se battre contre lui. Vraiment pas. Ce n'était pas dans sa nature.

Il but une nouvelle gorgée de whisky et pointa soudain sa fourche vers elle, menaçant. Il lui dit alors qu'il n'en avait rien à faire de ses états d'âme. Evidemment, demander à un tel type d'avoir un peu de coeur c'était trop demandé. Ni coeur ni cervelle, rien. Juste une grosse brute avinée, bien qu'il carbure plutôt au whisky.

- "Oui, c'est très clair."

Elle se recula alors, amorçant une retraite.

- "Je suppose que vous devez être bien vu par vos supérieurs pour accomplir une tâche aussi noble."

La discussion touchait à sa fin. Soit il allait encore lui gueuler dessus et lui dire de déguerpir, ce qu'elle ferait, ne pouvant pas rivaliser avec lui, soit il allait directement l'attaquer et là, elle saurait se défendre pour se sauver. Mais elle laisserait Leirn en dehors de ça. Elle ne voulait pas que cet homme puisse poser les yeux sur sa dragonne.

*Roxane, ça va?*

*Oui, oui, ne t'en fais pas, j'arrive bientôt...*

Deux options... Où elle aveuglait le Garde, ou elle se protégeait... Elle invoqua rapidement le Gardien Lumineux, de façon à ce que le Garde ne puisse la blesser avec sa fourche. Un sort utile, mais qu'elle ne pourrait maintenir longtemps... La fuite serait donc la seule solution réellement envisageable...

Voilà qui était étonnant, la jeune fille s'était mis à sermonner Brok, affirmant qu'il n'était pas réellement un représentant de la justice, qu'il abusait de son pouvoir etc. Elle osa même insinuer qu'il était mesquin. De quel droit affirmait-elle ces accusations? C'était assez blessant pour le garde d'entendre cela. Si c'était l'image que tous les citoyens avaient envers la gendarmerie de la cité, les choses allaient plus mal qu'il ne le croyait. Une petite rectification s'imposait et le garde pouvait bien se permettre de prendre quelques minutes de son temps pour expliquer à cette jeune insouciante ce qu'il en était réellement.

-Je ne sais pas sur quoi tu te bases pour dire de telle conneries, mais saches que tu te fourres le doigt dans l'oeil. C'est facile de faire des accusations sans preuves et de mettre tout le monde dans le même panier!

Brok n'avait pas totalement contredit l'adolescente car elle avait partiellement raison. Il était vrai que tout comme certains gardes, Brok avait tendance à abuser de son pouvoir. Mais était-ce vraiment mal? On ne pouvait pas dire que ses supérieurs étaient de meilleurs hommes; durant la crise de la peste, ils étaient restés dans leurs quartiers de riche et avaient ordonné de brûler le quartier contaminé. Et ensuite, on les acclamait comme des héros pour le sacrifice qu'ils avaient fait. Ça, c'était noble comme geste. Et qui s'occupait de nettoyer le bordel que toute cette histoire avait engendré? Brok. Cependant, aucun remerciement ni honneur pour se pauvre garde qui travaillait d'arrache pied durant toute la journée. Seulement une petite gamine qui venait le sermonner. La vie est injuste et notre garde bedonnant ne le savait que trop bien.

-Abus de pouvoir, non mais franchement, tu ne sais vraiment pas de quoi tu parle! Si j'avais été aussi cruel que tu le dis, tu serais déjà étendue sur le sol en train de gémir comme une put*in. Et puis ne prétend surtout pas connaitre notre justice, tu ne serais même pas capable de faire la moitié du travail qu'un garde accompli en un jour. Les tueurs, les violeurs et tous ses maniaques, ils se sont ramassés en prison tout seul peut-être? lança t-il d'un ton sarcastique.

Il savait de quoi il parlait. En seize ans de service en tant que garde, il avait procédé à d'innombrable arrestations. Certes, Brok était un garde malhonnête, mais c'était tout de même un garde avant tout.

La jeune fille ouvrit la bouche pour répliquer vertement alors qu'il la prenait de haut en disant qu'elle parlait sans savoir, mais la referma sans un mot, le regard soudain lointain. Tout pugnacité l'avait quittée. Oh si, elle savait parfaitement de quoi elle parlait, elle avait elle-même eut affare à la justice humaine! Belle justice en vérité! Des gardes corrompus et sadiques qui s'amusaient à semer la terreur en violant les jeunes filles un peu jolies, en frappant les petits voleurs malingres... Pathétique.

- "Vous n'êtes pas de cette engeance là peut-être?"

Ne pas mettre tout le monde dans le même panier... Y avait-il seulement eu un seul représentant de l'ordre pour la regarder avec bienveillance, plutôt qu'avec agaçement et méchanceté? Non. Aucun. Tous des pourris.

Mais ses paroles suivantes réveillèrent la flamme de la jeune fille alors que des souvenirs qu'elle aurait aimé oublié remontaient à la surface quand il parlait de la faire gémir sur le sol. Elle avait gémit oui... De douleur et de désespoir, pauvre petite poupée brisée et désarticulée dans les mains d'un marionnettiste sadique. Des larmes de colère et de honte lui montèrent aux yeux, qu'elle essuya d'un geste rageur :

- "J'y ai eu affaire à votre justice! Violer une pauvre gamine qui a volé parce qu'elle crevait de faim, vous appelez ça la justice vous? Souiller son corps et son âme de rires gras et de lubricité, c'est cela la justice? Je n'en veux pas de votre justice et la moitié des gardes devrait être aux cachots pour viol et agressions sur la population!"

Voilà, c'était dit. Toute la rancoeur de Roxane venait de s'exprimer en quelques mots. Facile de deviner sa méfiance et sa haine envers les gardes maintenant. Sauf si Brok était complêtement stupide ou totalement inhumain et dépourvu d'un minimum d'empathie. Roxane s'était bien remise de cette épreuve. Elle se remettait de toutes les épreuves, toujours un peu plus forte. Mais les blessures demeuraient. La honte et la tristesse aussi. Et les souvenirs...

Elle entendit Leirn couiner dans son esprit, comme choquée par de telles images. Aussitôt, Roxane les chassa. Elle ne pouvait pas entacher l'innocence de la dragonne avec ça.

*Qu'est-ce que c'était?*

*Rien Leirn, le passé, tu le connais pourtant.*

*Oui, mais je n'aime pas ressentir... ça.*

*Moi non plus.*

Brok lança un regard implacable sur la jeune adolescente. Voilà qu'elle se mettait en colère et qu'en plus elle pleurnichait comme une gamine. C'était vraiment pitoyable et le garde n'avait d'autre choix que d'avoir un profond sentiment de dégout face à une attitude aussi minable soit-elle. Les arguments cette femme n'avait aucun poids et même si l'histoire qu'elle venait de raconter était crédible, elle ne réussit pas à éveiller la pitié de Brok. Le pire, c'était que dû à un manque flagrant de perspicacité, notre garde n'avait pas compris que la femme qui était devant lui et la gamine victime d'agression était en réalité la même personne.

-Voler est un crime, et lorsqu'une personne commet un crime, elle est punie en conséquence. C'est ça la justice selon les lois qui ont été écrites par le Roi. Si t'es pas contente, t'as qu'à aller le voir. Selon moi, cette gamine a eu ce qu'elle méritait. Et d'ailleurs, je suis sûr qu'avec une telle correction, elle n'osera plus jamais voler et qu'elle est devenue une citoyenne exemplaire. Tu dis que tu veux envoyer la moitié des gardes aux cachots? Très bien, mais faudra pas venir te plaindre après qu'il y a plein de criminels qui courent dans les rues parce qu'il manque de gardes pour les arrêter! lança t-il sévèrement.

Il n'y avait plus rien à ajouter. La jeune femme pouvait bien railler comme elle le voulait, Brok était complètement différent. Pour lui, la discussion était finie ; il avait raison, elle avait tort. En fait, il était un salaud, comme nombreux de ses collègues de travail, et elle avait raison sur ce point. Cependant, ils étaient tout de même indispensables au maintient de l'ordre dans la cité. Une bonne partie de la gendarmerie était corrompue, mais aucun supérieur ne c'était préoccupé de cette question délicate, alors pourquoi cela devrait-elle changer? Lorsque les hauts placés décideraient de faire bouger les choses, là peut-être que le problème pourrait être régler. Mais en attendant, les histoires de gamines violées comme il venait d'attendre allait sûrement se multiplier.

Se détournant, Brok laissa l'adolescente sanglotante seule. Il avait un travail à finir. Toujours avec sa fourche à la main, ses bottes frottant lourdement sur le sol jonché de débris, il arpentait les rues et les ruines à la recherche de cadavres. Le ciel était toujours aussi gris et l'humeur du garde aussi déprimé qu'à son habitude. Il n'avait à présent qu'une seule envie, celle de finir cette journée à la taverne, un bon verre de scotch à la main et oublier ce qui s'était passé.