Le lien [ Trystan ]

Le printemps. La renaissance de tout un monde. C’est maintenant certain , la neige a fondu. Peu à peu , la glace se liquéfit et devient eau. Les arbres dégoulinent , les pavés se font glissants. Le peuple semble reprendre vie , après de longs mois de calme et d’ennui. De nouveau , les rues se remplissent , et les murmures deviennent cris de joie et exclamations bruyantes. La vie reprend son court. Comme si de rien, n’était. Diantra s’éveille enfin…Et si la ville s’éveille , son centre ne s’est jamais éteint. Le palais ne s’est jamais éteint. Au contraire , il est agité depuis bien des mois. Tant d’évènements se sont produits , tant de bouleversements ont eu lieu… La royauté a bien failli s’éteindre , seulement un dernier héritier s’est fait connaître Juste à temps pour prendre la relève. Juste à temps pour relever le peuple des hommes. Juste à temps pour prendre part à la guerre…

Avec un juron , Lilianna froissa un énième papier , illisible. Quelle heure était-il ? Aux environs de 21 heure , l’heure à laquelle Trystan la rejoignait. Pas étonnant , que ce soit à cette heure-ci qu’elle craque. Cela faisait trois jours qu’il était parti. Et en trois jours , elle avait tant pleuré , le soir , qu’elle avait été bien incapable de tenir une plume. Ce soir encore , elle avait un mal fou à le faire. Mais cette fois-ci , elle s’était interdit d’aller au lit tant qu’elle n’aurait pas écrit une lettre. Elle n’avait déjà que trop trainé. Elle lui avait promi de lui écrire aussi souvent que possible. Ses larmes n’avaient que trop retardé ce moment. Lilianna caressa Cabal entre les oreilles. Depuis le départ de Trystan , l’animal la suivait partout et grognait dès qu’un inconnu s’approchait trop près d’elle. Trystan n’avait pas à s’inquiéter , son chien veillait sur sa femme mieux que les gardes eux-mêmes !

Encore une fois , la jeune femme trempa la plume dans l’encre violette. Elle soupira. Elle allait bien finir par y arriver… Seulement , elle ne savait pas par où commencer. Peut-être par le simple...

« Tu me manques , mon amour.

J’ai beau être entourée , je me sens plus seule que jamais. La solitude m’a serrée dans ses bras. Fort heureusement , personne n’entrevoit ma faiblesse. Tu voulais que je sois forte , alors je le suis. Mais tu m’as aussi dit que si je voulais pleurer , je le pouvais. Alors , je pleure. C’est idiot à dire , mais c’est la huitième fois que je recommence cette lettre , les autres étant trop souillées de larmes. Ces trois jours ont déjà été une torture pour moi. J’ignore combien de temps je serai forte. Le temps semble passer si lentement ! J’ignore si le temps passe ainsi , là où tu es. Pendant ces trois jours , j’ ai passé un maximum de temps à me renseigner sur cette bataille que tu mènes. Sache que j’ai déjà organisé des convois pour vous ravitailler. Petit à petit , je prend les choses en main. Je tâche d’être une Reine efficace. Aussi , je me suis déjà entretenue avec tes conseillers. Certains me voient comme leur égale , d’autres me regardent avec dédain , découragées de voir une femme détenir autant de pouvoir. Mais si je suppose bien , tu dois avoir besoin de nouvelles plus heureuses , n’est-ce pas ?

J’ai beau pleurer énormément , j’avoue que ton chien me fait rire. Il me suit absolument partout ! Il a même prit ta place dans notre lit ! En y repensant , ce chien est un peu comme un cœur avec pleins de poils autour. Cabal est un garde du corps parfait. Il me surveille avec beaucoup d’attention. Vois-tu , je te soupçonne d’avoir lancé un sort sur cette bête ! A moins que ce ne soit là l’application du diction tel maître , tel chien ? Quoiqu’il en soit , il ne peut pas te remplacer , même avec toute sa bonne volonté. J’ai froid , sans tes bras. Oh , j’ai si peur pour toi… Tu m’as promi de revenir , je sais. Mais je suis une épouse et une future mère angoissée , c’est ainsi. Si tu savais comme je regrette les mots que j’ai prononcé avant ton départ. Je m’en veux énormément. Et je suis encore plus désolée pour la gifle. J’imagine pourtant que depuis , tu m’as pardonnée. Tu es bien trop doux avec moi. Et je ne pourrai jamais te le reprocher. Je t’aime tellement. Je ne pensais pas pouvoir t’aimer plus , mais c’est faux. Plus le temps passe , et plus mon amour pour toi grandit. Il grandit , comme l’enfant que je porte. Comme tu me l’as demandé , je continue à voir les médecins , ceux qui sont dans le secret de ma grossesse. Savais tu , que de vieilles croyances disent que selon la forme de mon ventre , on peut savoir le sexe de l’enfant à venir ? C’est amusant. J’ai vraiment hâte de savoir. Tout comme j’ai hâte d’être mère. Mais par-dessus tout , j’ai hâte que tu me reviennes.

Je t’aime.

Lilianna. »


Avec un soupir , Lilianna reposa la plume sur le bureau. Etrangement , les larmes s’étaient taries. Elle se sentait… soulagée. Avec délicatesse , elle plia la lettre et la glissa dans une enveloppe qu’elle scella avec un cachet de cire. Elle inscrit le prénom de son époux sur la lettre , puis frappa la lettre du sceau royal. Dès le lendemain au soir , elle serait dans les mains de son époux. Lilianna ouvrit la porte de leurs appartements et remit la précieuse enveloppe à un des gardes , qui s’empressa de la mener à un messager. Lilianna alla se coucher , épuisée , mais soulagée. Cabal la suivit , remplissant son rôle de fidèle protecteur.

[ Une amie m'a prêté son ordi , j'ai pas pu m'empêcher d'ouvrir ce sujet ! Gros poutou <3 ]

Il avait promis.
Il avait promis d'écrire à Lilianna dés que possible. Mais sans cesse, il était interrompu, n'ayant guère de temps pour lui. De surcroît, il lui était difficile de notifier sur le papier tout ce qu'il ressentait, cela ne lui ressemblait pas. Sans cesse il commença à lui écrire, sans cesses, il s'arrêta.

Ce fut la première lettre de Lila qui le décida à enfin achever ce qu'il avait commencé. Il n'allait pas encore faillir à sa parole!

"Ma tendre Lila,

Je ne me rirais pas de tes huits tentatives, j'en ai eu bien plus et toutes non abouties.
Je pourrais te dire que je n'ai pas encore eu le temps de t'écrire, mais le fait est que je n'ai jamais entretenu de relation épistolaire, mise à part avec Astéride. Et je suppose que tu me connais suffisamment pour savoir qu'il n'est pas aisé pour moi de coucher sur le vélin ce que je ressens. Sans oublier que je tiens à écrire cette lettre moi-même et que cela me prend du temps et de la concentration. Je m'excuse d'ailleurs pour mon écriture qui doit être déplorable, sinon illisible.
Voilà, maintenant que je t'ai fais part de mes excuses pathétiques, je peux enfin commencer ma lettre.

Les journées ici sont longues. Moins ennuyeuses qu'au château, mais nous n'avançons pas assez vite et je ronge mon frein. L'armée se déplace avec une lenteur de tortue. Et les nuits sont réservées aux élaborations de stratégie et à garder le moral des troupes favorable. C'est aussi la nuit que je crains le plus, car c'est là que tu me manques terriblement. C'est avéré : tu es le seul antidote que je connaisse à mes insomnies.

Il me semble que je vais devoir reprendre Cabal en main en rentrant, tu vas finir par le rendre aussi inoffensif que moi, pour un chien de garde, cela n'est pas très sérieux. Mais oui, tel chien, tel maître, il doit être aussi fou de toi que moi. J'espère que je n'aurais pas à dormir sur le tapis en rentrant.

Je suis désolé d'apprendre que c'est si difficile pour toi au palais. Je ne peux hélas rien y faire et je regrette que la guerre ne nous ai pas laissé plus de temps pour te préparer et surtout, te procurer des alliés prêts à te soutenir quand cela devient trop difficile. Mais j'ai confiance en toi, tu t'en sortiras. Et tous les membres de la Cour ne sont pas de svautours.

A propos de vautours, tu as du être surprise de voir débarquer la baronne de Fenice. Sur mon ordre. Je suis navré de ne pas avoir pu te prévenir. Ni t'expliquer cet ordre. Malheureusement, les explications devront attendre. Je sais que tu la détestes et que sa présence doit t'être pénible, mais fais-moi confiance, elle n'est pas là par hasard. Et n'écoute pas les mauvaises langues qui disent qu'elle se rapproche de la Cour car elle est ma maîtresse. Je n'ai pas besoin d'être présent pour savoir ce que les gens pensent. Laisse-les dire, si cela les amuse, toi et moi savons qu'il n'en est rien.

Et cesse de t'excuser pour ton éclat de l'autre fois, il était légitime, tout était pardonné aussitôt les paroles prononcées. Je n'étais pas plus heureux de partir tu sais, mais c'était mon devoir et j'aime à croire que je suis un homme d'honneur, malgré ma batârdise. Laisse moi mes illusions.

Je regrette de ne pas être là, de ne pas pouvoir sentir ton ventre s'arrondir lentement. J'espère revenir bientôt, et cette perspective m'anime d'un désir violent d'en finir au plus vite avec les drows. Je ne sais pas quand je rentrerais. Je vais tout faire pour que cela soit bientôt. Pour moi, mais aussi pour tous les soldats qui se languissent de leur foyer. Quoiqu'il arrive, je serais là pour la naissance de notre enfant, je te le promets.

Les heures sont longues et ta lumière me manque.

Je t'aime

Trystan.

P.S. : embrasse ma soeur pour moi, sa joie de vivre me manque terriblement.

Fin du message. Il espérait que cela était lisible. Il cacheta l'enveloppe et appela le messager de hors, lui tendant le parchemin et lui intimant de le donner en mains propres à la reine.

Il n'avait que trop tardé à répondre. Mais les lettres mettaient tant de temps à faire le chemin... Les nouvelles fraîches ne l'étaient plus autant une fois qu'elles arrivaient entre les mains de l'être aimé. Les choses s'étaient précipitées, il avait apprit qu'Oesgard était attaqué... C'était pire que jamais. Il n'avait pas eu le temps d'écrire. Et ne savait que dire à Lilianna : la vérité?

"Lilianna...

Il va de soi que ce que je t'écris ne concerne que toi. Il n'est pas pensable que quelqu'un écrive à ma place. Tu me connais, j'ai déjà quelques difficultés à écrire mon amour pour toi, alors le dicter à quelqu'un... C'est impensable.

Je suis navré d'apprendre que tu dors mal. Surtout dans ton état, tu devrais dormir davantage encore. Si je suis la cause de tes cauchemars, apaise-toi, je ne risque rien. Je suis le roi, en tant que tel, je suis protégé outrageusement. De plus, je suis aveugle, il est impensable que je me retrouve au coeur de la bataille. A l'arrière, je coordone les troupes, j'élabore quelques stratégies avec mes généraux. Je regrette de ne pas m'être davantage interessé à l'art de la guerre, je suis obligé d'apprendre sur le tard maintenant. Quoiqu'il en soit, tranquillise-toi : je reviendrai. Je te l'ai promis.

Concernant Lomah, disons qu'elle a plus d'un atout dans sa manche et qu'elle connait comme personnes les rouages de la Cour et ses ragots. Et je suis certain d'une chose : elle m'est fidèle. J'ai toute confiance en son jugement et je préfère qu'elle soit à tes côtés, même si la cohabitation est difficile. Dis-toi que si tu réussis à lui tenir tête, tu pourras commander n'importe qui.

Tu ne peux imaginer combien il m'est pénible de savoir que le bébé grandit et que je ne peux pas être là. Je suis heureux que tout se passe bien et il va de soi que je veux de vos nouvelles, mais le regret d'être au loin n'en est que plus violent.

Malheureusement, je ne pense pas être là quand il commencera à bouger. Les choses ne se passent pas exactement comme nous l'avions prévu. Les drows n'ont pas seulement attaqué Alonna, mais aussi Oesgard. Veldrin est partit là bas, les défenses sont solides, mais il a perdu des êtres chers. Je ne sais pas si Astéride doit en être informée ou pas, je ne voudrais pas qu'elle s'inquiète inutilement. Mais la baronnie est dévastée, la population a fui. Enfin, ceux qui en ont eu le temps. Peut-être devras-tu acceuillir des réfugiés à Diantra, mais j'en doute, le chemin est long.

Nous avons l'avantage numérique et nous connaissons le terrain mieux qu'eux. Mais ils ont dans leurs rangs de puissants nécromanciens et ils lèvent une armée de morts bien difficile à exterminer.

Je ne sais pas si j'ai tort ou raison de te parler de tout cela. Je ne veux pas t'inquiéter, mais tu es mon lien avec Diantra et quand je parle de guerre, c'est à ma reine que je m'adresse, pas à Lilianna. Je pourrais écrire cela à l'un de mes conseillers, mais cela serait te tenir à l'écart des évènements et saperais ton autorité déjà fragile. A toi de réunir le conseil et de leur délivrer ces informations.

La seule force que je puisse te donner, c'est celle de mon amour et de ma confiance en toi. Et si tu remercies nos alliés, fais savoir à ceux qui te soutiennent que je saurais m'en souvenir et me montrer généreux.

Prends soin de toi... Prends soin de vous.
Je t'aime.

Trystan."

La lettre fut cachetée, confiée à un messager comme le plus précieux des trésors et partit au galop jusque Diantra.