Demeure des Noblegriffon [Serramire]

Dans un quartier périphérique de Serramire trône un bâtiment que beaucoup connaissent, surtout parmi les commerçants.
La Demeure des Noblegriffon a subit d’importantes rénovations ces neuf dernières années. Ce qui était devenu un manoir majoritairement inoccupé, aux pièces vides et poussiéreuses, avait désormais des airs de palace. D’abord rénové par Elyas, il avait ensuite été agrandi par Katalina dès que les recettes le lui avaient permis. C’était désormais une splendide demeure, possédant un bâtiment principal, le cœur et aussi la partie la plus ancienne, ainsi que deux ailes latérales qui servaient à la fois pour loger les invités et pour stocker des marchandises de passage (commerçante jusqu’au bout, la noble pouvait ainsi proposer à ses invités quelques marchandises).
La résidence, qui jusqu’alors paraissait terne comparée aux autres demeures, impressionnaient fortement désormais, et c’était un choix loin d’être innocent. En impressionnant ses clients, elle sous-entendait clairement qu’elle avait de l’argent, ce qui était toujours bon à savoir, mais aussi qu’elle savait quoi en faire. Une écurie, derrière la bâtisse, peut accueillir jusqu’à dix chevaux.

Telle une vague inattendue, la rumeur avait jailli sur les marchés des grandes villes des Terres de Trystan, largement véhiculée par les points de vente de Katalina Noblegriffon. Inquiète à cause de la guerre et des dangers qu’elle apportait, la Noble avait décidé de renforcer la sécurité de ses caravanes. Il était donc fréquent qu’à la fin d’une transaction heureuse, l’un de ses employés glisse quelques mots à ce sujet.

- Vous avez l’air d’un brave gaillard, l’ami ! Avec ces armes qui sont désormais votre, vous aurez aucun mal à trouver un contrat. Associant à ce stade de la nouvelle négociation un clin d’œil complice et une baisse de ton conspiratrice, il tentait de faire mordre le poisson une deuxième fois. D’ailleurs, Dame Noblegriffon cherche actuellement des mercenaires pour ses caravanes. Un gars robuste comme toi, ça te fera voir le pays en plus. Suffit de te trouver sur la bonne caravane… Longehack à Serrimare, par exemple. Peu de chance de voir une attaque drow sur celle là…

Et il continuait ainsi, conseillant son client pour trouver le travail idéal, bien payé et peu dangereux. Certains faisaient des recruteurs de génie, d’autres lassaient rapidement leur victime qui s’enfuyait rapidement, leurs achats sous le bras. Cette campagne de recrutement était logique, au fond. L’hiver ayant fait place au printemps, le Royaume n’était plus protégé par sa rigueur, et devait désormais s’atteler à sa sécurité par ses propres moyens. Et en négligeant les drows, il y avait toujours quelques hors la loi assoiffés d’or qui n’hésitaient pas à se servir du chaos actuel.

Assise derrière son bureau, Katalina ne parvenait pas à se concentrer. Elle avait devant elle une estimation de ses stocks de denrées alimentaires, et les chiffres dansaient, rieurs, devant ses yeux fatigués. Afin d’échapper à leur moquerie, elle avait donc décidé d’examiner son lieu de travail, à la recherche du petit détail à améliorer pour obtenir le cadre idéal aux négociations. Elle s’était prêtée à ce petit jeu si souvent qu’elle avait du mal, désormais, à trouver un changement à apporter. Assez grande, la pièce était naturellement éclairée par de larges fenêtres. Le bureau était en chêne, fabriqué sur mesure par le meilleur artisan de la ville. Une bibliothèque décorait chaque mur latéral ; faites en chêne également, leur vertu n’était pas uniquement décorative : nombres des livres de comptes de Katalina s’y trouvaient jalousement conservés.

Deux heures après le zénith, son intendant vint toquer discrètement à sa porte. D’un pas leste et silencieux, il pénétra sur la pièce.

- Ma Dame, un jeune homme du nom de Joshua Folde s’est présenté devant votre porte. Il dit être intéressé par votre offre.

Esquissant un léger sourire, elle referma le livre qui la narguait jusqu’alors, et se leva. Elle s’approche d’une des bibliothèques, et, tout en rangeant l’ouvrage, donna ses instructions.

- Amenez le donc ici, avec les précautions habituelles, bien entendu.
- Bien entendu.

Tout aussi discrètement qu’il était entré, l’Intendant quitta la pièce et s’en alla rejoindre Joshua. Après lui avoir gentiment demandé de lui remettre ses potentielles armes, il le conduisit à sa peut être future employeuse.

Joshua avait entendu parlé des caravanes de Dame Noblegriffon. Le commerce y prospérait et l’on pouvait trouver des bonnes affaires et peut être un travail digne d’intérêt. C’est dans cette optique que le Mercenaire se trouvait sur la place du marché de Serrimare.

La journée s’annonçait belle et reposante en ce mois d’Avrius, mais peut être pas si reposante que cela. Une multitude de personnes grouillait sur la grande place où diverses marchandises se trouvaient. Certains regardaient et d’autres achetaient, Joshua faisait parti de ceux qui n’étaient là qu’en observateur. Il avait les armes qui lui fallait et pas assez d’argent pour se permettre de se charger d’un objet décoratif inutile. Il écoutait et essayait de se renseigner sur la noble Noblegriffon, cette femme qui a la mort de son mari avait repris ses affaires, on la savait implacable d’ailleurs à ce sujet. De toute manière, comment faire fortune dans la totale honnêteté.

C’est alors qu’il assista au discours de l’employé. Ainsi donc la baronne cherchait des hommes pour assurer la protection de ses caravanes. Une si grande Dame pourrait être le tremplin désirait pour parvenir à son but, Joshua esquissa un léger sourire puis tourna alors la tête vers la Demeure des Noblegriffon, voilà qu’elle allait être sa prochaine destination. Sans perdre le moindre temps, le Mercenaire tourna les talons et s’en alla.

Des questions lui trottaient dans la tête durant sa marche. Pourquoi renforcer maintenant la sécurité ? Quels étaient les nouveaux risques qui avaient fait prendre cette décision à la marchande, après tout, cette opération était dans un sens une perte d’argent, sauf si celle-ci investissait simplement pour améliorer ses chiffres ensuite. L’homme secoua la tête et chassa ces pensées, ce travail était une chance et puis ne dit on pas qu’il n’y a pas de choix sans risque ?

C’est dans cette optique que l’homme tapa à la porte de la Demeure des Noblegriffon où il fut accueilli par l’intendant. D’une voix décontractée, Joshua prit la parole.

-Bonjour Messire, je me prénomme Joshua Folde. Je souhaite rencontrer Dame Noblegriffon au sujet de la recherche de mercenaire. Et..je suis moi-même mercenaire, donc cette offre m’intéresse.

C’est dans un léger sourire qu’il termina sa phrase. L’homme acquiesça et lui demanda de patienter. Joshua observa l’intendant partir puis fit quelques pas en observant le lieu. Cette dame ne se prenait pas de bas, on pouvait presque lire richesse sur chaque objet qui s’y trouvait. Si le but était d’impressionner ses visiteurs, cela avait réussi sur le mercenaire. Lorsque les bruits de pas de l’intendant se firent entendre, Joshua tourna la tête. L’homme lui demanda de quitter ses armes, ce que le Mercenaire fit puis il fut conduit à la noble .

L’intendant le quitta alors qu’il tapait à la porte. Sans attendre, le moindre mot puisqu’il était bel et bien attendu, il pénétra dans la salle et referma soigneusement la porte derrière. Son regard par la suite se dirigea tout de suite vers la noble . Charmante et même surprenante femme, néanmoins il fallait se maîtriser, elle allait peut être sa future employeuse. Joshua s’avança alors d’un pas assuré.

-Bonjour, Dame. Je viens vous rencontrer au sujet de l’offre d’emploie que vous proposez. Le verbe de vos marchands tournent tellement autour de cela, qu’il était difficile pour moi de ne pas m’y intéresser.

L’attente n’avait pas été longue. Katalina avait juste eu le temps de ranger le damné livre ainsi qu’un de ses collègues, de se rassoir et de ranger quelque peu son bureau. Quand Joshua pénétra dans la pièce, elle était prête, semblant l’attendre depuis un bon moment déjà. Elle garda le silence, se contentant de le jauger du regard. C’était un jeune homme bien bâti, agréable à l’œil et à l’aise en société, si elle pouvait en croire le ton assuré dont il avait usé.

- Eh bien, enchantée, sire Folde. Ravie de voir que vous avez jugé ma proposition assez intéressante pour faire le déplacement.

Il était jeune… Peut être avait-il son âge, ou un peu moins. Sa cicatrice pouvait témoignait d’un mauvais coup lors d’un entraînement, ou des vestiges d’une attaque difficilement repoussée. Il était évident que la deuxième solution était plus intéressante, car elle témoignerait d’un semblant d’expérience de sa part. Elle ne pouvait lui retirer un charme, et si elle préférait de loin les guerriers bourrus aux jeunes coqs incapables de se battre, la stature de son interlocuteur lui indiquait clairement qu’il n’était ni l’un ni l’autre. Avec un soupir, elle regretta de ne pas lui avoir laissé ses armes, elle aurait au moins pu juger son équipement.

Lui faisant signe de s’installer sur le fauteuil en face d’elle, elle appuya ses coudes sur le bois polis et vernis de son bureau, et déposa son menton sur ses mains jointes. Il se voulait charmeur, mais il apprendrait bien vite que Katalina trouvait ses souverains bien plus attirants qu’un mercenaire.

- Je ne doute pas que vous ferez un excellent garde de caravane. C’est le genre d’expérience qui forme un guerrier, du moins c’est ce que j’ai toujours entendu dire. Elle esquissa un léger sourire, sans quitter les yeux noisette de son futur mercenaire. Quoi que je ne doute pas que vous ayez déjà une certaine expérience dans le métier, vu l’assurance que vous dégagez.

Le ton n’avait rien de provoquant, mais le regard décelait une note d’amusement. Rien de bien méchant, non… Mais en bonne commerçante qu’elle était, elle cherchait à le déstabiliser. Prendre l’avantage dès le début, en somme. Que Joshua ou non ai de l’expérience, elle avait sous-entendu qu’on pouvait en douter, et c’était bien suffisant pour le moment.

- Mais mettez vous à l’aise, et racontez m’en un peu sur vous. J’aime savoir qui j’emploie, dans la mesure du possible.

Joshua tira la chaise devant lui lorsque Katalina l’invita à prendre place en face d’elle. Il retira son couvre chef et eut à peine le temps de s’asseoir alors qu’elle entama ses premières paroles. Quelque peu décontenancé, le mercenaire redressa la tête et fixa son interlocutrice. Il n’aimait pas être pris au dépourvu mais ce n’était pas un peu de provocation qui allait le mettre mal à l’aise.

Il s’adossa confortablement à son siège et jeta un rapide coup d’œil au bureau de la noble. C’était une femme d’affaire et l’on ne pouvait pas s’y tromper par rapport au contenu de cette salle. D’un ton calme, il prit la parole.

-Je suis originaire d’Odelian. J’ai quitté ma ville, il y a de cela un peu plus de sept années. Je suis devenu mercenaire dans le but de gagner ma vie par mes talents d’épéiste et d’archer. Bien que vous puissiez vous en douter, les missions que l’on a pu me confier dans la région n’ont rien de réellement périlleuse par rapport aux attaques des Drows, cependant certaines d’entre elles n’étaient pas à la portée du premier venu.

En ce qui concerne ce qui vous intéresse en moi, c'est-à-dire l’homme d’arme, je manie l’arc depuis ma onzième année et l’épée depuis ma treizième. J’ai reçu l’entraînement nécessaire de mon père qui a été soldat dans l’armée. J’ai pu mettre en pratique mes capacités depuis ces sept dernières années comme je vous l’ai dit et je n’ai essuyé aucun échec. Fort heureusement pour moi d’ailleurs, car dans le cas contraire, je ne serai ppoint devant vous à parler.

Joshua marqua un temps d’arrêt pour observer la personne à laquelle il s’adressait. Cependant, elle ne laissait pas réellement transparaître énormément d’émotion devant son récit. Ne s’attardant pas à ce détail, il continua en allant vers ce qui l’avait poussé à venir frapper à la porte de cette noble Dame.

- Du reste, j’ai appris votre présente en ces lieux et la rumeur que j’ai pu vérifié sur la place du marché selon laquelle vous cherchiez quelques mercenaires pour assurer la protection de vos caravanes. Et me voici..

Le mercenaire termina sa phrase par un léger sourire et il ferma un instant les yeux et reprit sa respiration. Il passa lentement sa main dans ses cheveux qui étaient noués puis il la regarda.

-Maintenant à mon tour, Dame Noblegriffon, si vous me le permettez. Pour quelle raison, avez-vous besoin de davantage de protection en ce qui concerne vos caravanes maintenant ? Votre commerce s’est étendu ? Des bandits ont été repérés ? Où une autre menace ? Je suis prêt à tout entendre puisque mon choix est déjà fait.

Il eut un petit rire et prit l’air innocent. Il se redresse légèrement sur son siège pour faire face à la marchande. Il savait qu’il ne devait pas déstabiliser son futur employeur néanmoins il voulait lui montrer qu’il n’était un simple pantin manipulable, aveuglé par son orgueil.

-Vous n’êtes bien sur pas obligé de répondre. Nous pourrions d’ailleurs discuter de mes gages.. Si bien sûr, vous m’acceptez à vos cotés, Dame Noblegriffon

Katalina était pensive. Joshua avait beaucoup de qualités, il était jeune, agréable à l’œil et à l’oreille, et allait droit au but. Son court récit contenait tout ce qu’elle avait besoin de savoir, sans mention de détails inutiles. A l’en croire, il ne sortait pas non plus de nulle part, et si elle n’était pas contre donner sa chance aux jeunes, elle préférait quand même dans la mesure du possible laisser le travail à ceux qui avaient fait leur preuve. Tout était une question d’équilibre, et si Joshua n’était pas un vétéran, il n’avait pas non plus l’apparence d’un bleu.

Ne changeant à aucun moment de position, elle l’observa, gardant à la fois silence et neutralité. Les discrets coups d’œil sur son lieu de travail l’amusaient ; la pièce jouait parfaitement son rôle. Il la guettait, attendant un signe, un indice sur ce qu’elle ressentait, tandis qu’elle tentait au maximum de le cacher, et elle y arrivait plutôt bien. Quand il marqua une seconde pause dans son récit, fermant les yeux comme pour ordonner ses pensées, elle se permit un petit commentaire.

- Fort bien… Me voilà rassurée, vous venez en connaissance de cause.

La seconde partie de son intervention lui déplut légèrement. Elle n’était pas habituée à ce qu’on l’interroge sur ses desseins, la plus part du temps il lui suffisait de sortir les souverains pour que la question passe au second plan. Fronçant légèrement les sourcils, elle le fixa en silence, le laissant terminer. Il était rare de voir un mercenaire s’intéresser à la cause de son engagement, la plus part du temps il se contentait de prendre l’argent et de faire ce qu’on leur demandait. La Noble s’était souvent interrogé sur cet apparent dégagement, et elle en avait conclu qu’il s’agissait d’une sorte d’auto-défense : la morale ne nourrissait pas, et un tel homme ne pouvait se permettre de se demander si ce qu’il faisait été juste ou non… C’était nécessaire, tout simplement.

- Perdre mes caravanes est bien plus coûteux que d’engager une dizaine de mercenaires, sire Folde. Et comme leur nombre augmente en même temps que mon commerce se développe, il est normal que certaines dépenses aient lieu. Croyez-moi, je préférerai débourser une dizaine de vos gages que de perdre une caravane qui se dirige vers Diantra.

Elle haussa légèrement ses épaules, et s’adossa contre son confortable fauteuil, ses petits bras sur les accoudoirs. Katalina était petite, mais elle avait une façon de fixer les gens, par moment, qui faisait toute suite oublier sa taille et son visage encore juvénile.

Elle n’avait pas exagéré, en parlant de la valeur de ses caravanes. Quelques unes, qui sillonnaient le pays pour rejoindre la capitale, valaient une petite fortune… Et étaient parfois fortement attendues par des gens puissants avides de luxe. Katalina ne pouvait se permettre d’en perdre trop, et si le risque zéro n’existait pas, il était toujours possible de le limiter au maximum.

- Vous parliez de vos gages, Joshua. J’imagine que vous n’avez pu vous empêcher d’en faire une estimation… Elle esquissa un léger sourire. Vous avez bien sur pensé à intégrer dans vos calculs le fait que vous serez nourris par mes soins, et que vous aurez grâce à moi un toit tout les soirs, puisse-t-il rouler, hum ?

Ses yeux pétillaient, tandis qu’on entrait dans un des aspects de son métier qu’elle adorait… La négociation. Pour elle, la partie commençait réellement, le reste n’ayant été qu’un échauffement. Il était pratiquement certain qu’elle l’engage ; elle possédait des gens dans chaque transport de commerce qui se chargeaient de remercier gentiment ceux qui n’étaient pas apte à la servir.

- Annoncez-moi vos doléances, je vous en prie, je verrais ce que je peux faire.

Joshua observa attentivement les traits du visage de Katalina et il fut heureux de constater que ses questions avaient eu l’effet escompté. Il était certes un mercenaire mais il n’était pas pour autant une simple arme de guerre comme beaucoup de personnes avaient tendance à le croire. Certes, les intérêts des employeurs n’avaient pas à les intéresser mais la dangerosité de leurs missions restait en analogie avec le salaire qu’il pouvait en tirer.

Le Mercenaire se souvint d’un marchand qui l’avait engagé pour l’escorter sur des chemins de campagne où des bandits de grand chemin se trouvaient de temps à autre. Néanmoins l’homme avait oublié de nommer le fait que les bandits étaient en contact avec lui et qu’ils l’avaient menacé de l’attaquer. Cependant il était nécessaire pour le commerçant de se rendre à la ville voisine pour vendre ses surplus. Lorsque Joshua avait appris l’inconscience de son employeur, il avait voulu le quitter sur le champ, néanmoins la somme qu’il allait gagner était nécessaire et malgré la cicatrice qu’il a gardé encore aujourd’hui sur son visage, il en avait tiré une belle somme. A froussard grisonnant, monnaie trébuchante.

Le discours de Dame Noblegriffon sur ses raisons budgétaires d’engager des mercenaires surpris quelques Joshua sans pour autant qu’il le laisse paraître, ce n’était pas le moment d’être émotif. Il était rare de voir un employeur se justifier sur ses choix avec autant de précision, néanmoins dans ce cas là, la logistique sécuritaire était basée sur une logique irréprochable : dépenser pour ramener plus. Joshua n’avait pas les chiffres en tête mais il ne doutait pas que de perdre une caravane ainsi que les marchandises qu’elle contenait ne devaient pas forcément être une perte que l’on pouvait se permettre tous les jours.

L’homme continua de se taire et écouter la suite des paroles de Katalina au sujet de ses gages. On voyait bien que la chose était une partie intégrante de son métier, elle profitait d’ailleurs aisément de sa position dominante sur lui pour le laisser annoncer le premier prix. Statistiquement, il y avait maintenant une forte probabilité que son prix descende, il fallait donc demander plus que prévu.

-Je suis conscient, chère Dame que c’est à vos frais que je n’aurais plus le souci de la recherche d’un toit où dormir et de l’appréhension des repas. Il n’en reste pas moins qu’il y aura aussi l’entretien des armes qui entre en considération. Un homme d’arme sans arme ne mérite plus son nom, ne pensez vous pas ?

Il posait tout d’abord les conditions dont il voulait être assurer à la base. Maintenant tout n’était que question d’argent, et il allait y avoir un peu de perte mais cela serait toujours plus que ses salaires précédent, sachant que maintenant ce qu’il recevrait ne serait plus que du bonus. Après cette petite pose, il reprit.

-Je pars sur la base de 20 écus par mois avec bien entendu les considérations que j’ai exprimées précédemment.

Katalina observa Joshua pendant qu’il exposait son point de vue. Dans un sens, il n’avait pas tord, il aurait toujours à s’occuper de ses armes, et cela coûtait parfois cher. Comme depuis le début de l’entretien, il se montrait charmant, mais la noble ne se laisserait pas duper par ce masque. Tout deux avaient leurs objectifs : lui voulait gagner sa vie aussi bien que possible, elle faire en sorte de protéger au mieux ses possessions pour un coup moindre. L’un avait besoin de l’autre, mais Katalina avait un avantage de taille : il y avait plus de mercenaires que d’employeurs.

Elle ne put s’empêcher d’esquisser un léger sourire quand la sentence tomba. Vingt écus était une somme bien trop importante pour la tâche qu’il allait avoir. C’était le salaire qu’elle versait à un chef de caravane, et Joshua n’aurait surement pas ce poste dès sa première mission. Avec le temps, qui sait… ?

- Et moi, je serais plutôt d’avis de partir sur un prix plus raisonnable… Cinq écus devraient suffire, dans un premier temps. Bien sur, si j’ai des retours positifs de la part de vos supérieurs, cette somme sera appelée à prendre de l’importance, mais vous et moi devons rester modeste.
Bien entendu, vos considérations vous sont d’ores et déjà acquises, vous n’aurez pas à vous soucier de votre subsistance. Et comme je ne doute pas que vous sachiez entretenir vos armes… Et pour cela, vous trouverez ce qu’il vous faut dans la caravane. En racheter de nouvelles ne se fera donc qu’occasionnellement.

Elle l’observa attentivement, à la recherche d’une réaction quelconque. Surprise ? Amusement ? Agacement ? La négociation pour le moment était banale, mais cela ne dérangeait pas Katalina. Adoptant un ton innocent, elle conclua.

- Cinq écus, le repas trois fois par jour, un lieu où dormir et le nécessaire pour entretenir vos armes… Cela devrait réussir à couvrir largement vos frais de forge non ?

Le Mercenaire fronça les sourcils. Certes les vingt écus qu’il avait demandé étaient en effet exagérés lui-même le reconnaissait implicitement car il avait commencé par cette proposition. Néanmoins la somme de cinq écus lui paraissait vraiment faible. Etait ce parce que celui-ci avait toujours travaillé à son compte et qu’il subvenait à ses besoins, ou bien qu’il exagérait le travail qui allait lui être confié. Il passa un long moment à regarder le sol et à réfléchir sur la somme que représentait réellement l’offre de Katalina.

Les mois passés étaient tous différent les un des autres. Certains avaient été riche en soirée et en fille et d’autres n’avaient été que nuit dans ce qui pouvait ressembler à des auberges en ruine. Ce qui différencie la qualité est le prix qu’on est prêt à mettre, Dame Noblegriffon doutait elle de lui ?

-Je peux comprendre que vous attendez de voir ce dont je suis capable et je vais donc revoir mes exigences à la baisse, chère Dame. Je demande que mes gages soient de 10 écus car il n’y a pas que l’entretient de mes armes, mais aussi de moi-même. Il se peut que je sois amené à abîmer le vêtement que je porte et donc le changer. Une tenue déchirée ne ferait pas vraiment bonne impression.

Il s’approcha d’elle en prenant appuis sur les accoudoirs prévus à cet effet sur le siège et il joignit ses mains en regardant la jeune noble. Il sourit faiblement puis continua sur le même ton détaché.

-Si nous faisons donc les comptes, cela fait 10 écus pour les frais d’arme et d’entretien personnel, trois repas par jour, un lieu pour dormir et le nécessaire pour entretenir mes armes. Je vous assure, que vous n’aurez pas à regretter mes services

Il se recula en se demandant si sa dernière proposition allait être acceptée. De toute façon, il n’irait pas plus loin dans le marchandage car il n’avait pas vraiment matière à aller plus loin. Il n’avait pas de réelle connaissance sur le travail dans les caravanes, les distances, la fluctuation des prix qu’il y aurait selon où il devrait se rendre. Cela pouvait être autant un atout que pénalisant pour lui, il ne souhaita donc pas avancer ces arguments, peut être à tord.. Mais il préférait être prudent.

-Est-ce que cela vous paraît donc raisonnable ?

Katalina retint un sourire ravi, se contentant de garder au visage le sourire amusé qu’elle avait adopté dès qu’elle avait repris la parole. Le froncement de sourcil avait été une première victoire, mais le voir diviser ses exigences par deux avait été on ne peut plus satisfaisant. Il fallait savoir saisir les plaisirs simples du métier, quand ils venaient. Le plus dur était fait, Joshua venait de reconnaître qu’il avait été trop gourmand. Sa nouvelle proposition était, de loin, bien plus raisonnable, elle avait bien fait de sous-estimer le salaire qu’elle était prête à lui verser. En vérité, il n’était pas tombé loin de la somme qu’elle s’était fixée dès le début de l’entretien.

- Je vous en offre huit, Joshua, avec l’assurance de garder ce travail longtemps, et la promesse de voir vos efforts récompensés.

Se penchant elle aussi en avant, reprenant sa position initiale, elle fixa son futur mercenaire. Il l’intriguait, avec ses longs cheveux roux noué avec un simple morceau de tissu, ses yeux charmeurs mais néanmoins inquisiteurs.

- J’imagine que la plus part de vos contrats n’étaient que pour un unique voyage, peut être deux. Pour ma part, vous resterez aussi longtemps que vous le voudrez…

Quittant son regard, elle ouvrit pensivement un premier tiroir, et en retira une petite bourse de cuir, vide. Sans changer d’expression, elle s’intéressa à un autre, placé de tel façon que Joshua ne pouvait le voir que s’il se mettait debout, ce qui, soit dit en passant, aurait été aussi maladroit que malpoli. Elle la remplit, la referma, et la posa sur la table, juste devant elle.

- Voilà votre première paie, Joshua… Tout du moins, si vous accepter mon offre. J’y ai ajouté un petit supplément, afin de vous faire patienter jusqu’au départ de la prochaine caravane. Cela ne devrait prendre que quelques jours, il ne devrait pas y avoir de problèmes…

D’un troisième tiroir, elle extirpa une feuille de parchemin, une lettre adressée au chef de la caravane qui serait la nouvelle maison du mercenaire, s’il acceptait. Tout en parlant, elle écrivit une rapide description de sa personne.

- Vous pouvez rejoindre votre caravane dès aujourd’hui, ou bien plus tard dans la semaine. Le seul impératif est que vous soyez présent, au prochain Kyrianos. On vous expliquera tout en détail là bas.

D’un geste ample, elle signa son écrit, puis releva son regard vers Joshua, symbole même de l’innocence.

- Etes-vous toujours intéressé, Joshua Folde ?

Devant lui, une bourse remplie d’une douzaine d’écus semblait le narguer. Katalina, elle, attendait désormais une réponse de sa part. Durant toutes ses explications, elle avait joué son rôle, reprenant quand il semblait vouloir ajouter quelque chose, mais toujours d'une façon polie et naturelle, et qui pouvait presque s'expliquer par le fait qu'elle ne semblait plus vraiment lui prêter attention.

Huit petits écus, quelle maigre récompense pour tant de temps à passer dans les négociations. Néanmoins c’était une petite victoire, à défaut d’argent, il avait obtenu quelques compensations qui se reflèteraient sur son niveau de vie. Ce travail pourrait être peut être plaisant et Katalina avait laissé entendre qu’il était possible d’obtenir rapidement une augmentation. Il ne pouvait pas rester sur ses premières positions face à une organisation qui lui était étrangère même si cela entrer dans le mercenariat. Et puis au pire c’était un voyage gratuit qu’on lui offrait.

-Vous souhaitez donc me mettre sous contrat pour une durée non déterminée. Vous aurais je fait bonne impression, chère Dame ? Beaucoup d’hommes aspirent aux propositions que vous m’avez faite, stabilité, paye et voyage. Ce n’est pas forcément l’équation qui me convient parfaitement, il manque quelque peu d’action.

Il sourit et observa les biens qu’avait posés la noble Noblegriffon sur le bureau devant lui pendant que celle-ci était en train d’écrire. Un magnifique moyen de détourner l’attention, et cela avait parfaitement marché sur Joshua.

-Oui, j’accepte votre proposition.

Par ces mots, son nom allait devenir une simple suite de mot anonyme dans les dizaines d’autres qui devaient se trouver dans les papiers de la veuve Noblegriffon. Joshua n’appréciait nullement cela, il espérait que ses a priori sur la vie d’entreprise n’allaient pas se vérifier.

-Je pense que je vais aller voir la caravane dont vous m’avez parlé pour prendre mes marques. Après, je saurais m’occuper jusqu’au départ de celle-ci.

Cela allait lui laisser le temps de visiter un peu la ville et de s’informer davantage sur les informations qui avaient pu lui échapper ses derniers. Serrimare était une ville connue et sans aucun doute, il sera possible d’obtenir des informations sur la destination de la caravane qu’il accompagne en s’étant au préalable renseigner auprès du chef de caravane sur le nom de cette fameuse destination.

-Je suppose que vous avez mise à part cette bourse présente devant moi, un papier que je vais devoir remettre au Chef de Caravane et quelques papiers à me faire remplir ?

La paperasse administrative, il n’y avait rien de pire.

Les villes humaines étaient décidément fort peu commodes pour les nains ! Au milieu de la dense population insouciante, Dasïl se frayait un chemin entre les vieillards claudiquant sur un vieux bâton et les jeunes bambins qui faisaient la course en hurlant pour montrer ô combien ils étaient rapides : un vrai parcours du combattant que même les armées les plus vicieuses n’imposeraient pas à leurs jeunes recrues ! C’était, bien sûr, sans compter sur la tranche d’âge mûr qui se battait presque pour acheter tout et n’importe quoi tandis que le brouhaha infernal des marchands de piètre envergure – car il n’est pas nécessaire d’hausser la voix pour vendre mieux lorsqu’on a du talent - recouvrait les grognements d’un nain fort mécontent du choix de sa destination.

D’étranges bruits parcouraient néanmoins le marché et certaines sonorités plaisaient formidablement bien au nain qu’était Dasïl. Il se racontait, dans le silence des coulisses et presque avec méfiance, qu’une humaine répondant au nom de Katalina recherchait éperdument des mercenaires afin de protéger ses caravanes de marchandises et autres babioles que les plus grandes bourses de ce monde s’arrachaient à tout prix.
Des vendeurs en faisaient la publicité sans arrêt, comme si leur vie en dépendait, ce qui n’avait pas échappé à Dasïl. L’occasion semblait trop belle pour être vraie ! Lui qui commençait à manquer cruellement d’argent au rythme de ses monumentales dépenses en nourriture allait peut-être trouver un arrangement qui lui permettrait de subsister encore un peu sur ces terres. Cette femme qui avait la mainmise sur une grosse part du marché, allait entendre parler de lui.

Sa marche solitaire s’achevait enfin sous l’ombre hautaine d’une bâtisse qui se voulait éclatante de beauté. Construite pour impressionner ceux qu’elle recevait, elle était sans aucun doute à l’image de la maitresse de maison. ‘On est ce que l’on possède’, comme lui avait un jour dit un ami nain. Cependant, quand on était de sa race et qu’on avait l’habitude des magnifiques œuvres naines, parfaites sous chaque angle et rayonnantes du talent des siens, ce spectacle laissait – le mot est bien choisi – de marbre. A peine plus grand qu’un gnome comparativement à la hauteur de cette maison de luxe, il s’avançait vers la porte en trainant le pas afin de juger de l’imperfection et des cruelles fautes de goûts que l’on pouvait ‘admirer’ ça et là. Cependant, et même si son sens de l’esthétique lui ordonnait d’informer la noble Dame, il se serait bien gardé de prononcer quelque parole que ce soit sur ce délicat sujet : il préférait fermer sa téméraire bouche plutôt que les cordes de sa bourse !

Tapant avec force sur la porte, l’on entendit l’écho de sa douceur naine toute naturelle jusqu’aux confins de ladite maison et, très certainement, jusqu’aux délicates oreilles affublées de décorations inutiles de cette très haute dame si distinguée. Raclant le fond de sa gorge desséchée, il préparait déjà un semblant de discours tandis qu’il attendait qu’on daigne lui ouvrir. Il s’était déjà fait mentalement une image de la riche marchande au titre si pompeux et il entrevoyait quelques pistes intéressantes à exploiter pour faire gonfler son salaire. Toutefois, on lui avait appris que cette femme était très difficile en affaire et que toute négociation allait forcément à son avantage : qu’importe, on ne tarissait pas d’éloge non plus au sujet des nains et de leur folle attirance pour l’or ! Le combat allait être acharné avant même qu’il n’ait débuté.

Lorsque le réceptionniste, un homme dont la vieillesse commençait déjà à griser les cheveux, lui ouvrit la porte, la surprise fut de taille (enfin, de petite taille, pourrait-on dire) : il sursauta violement au moment où le ton bourru de Dasïl lui fit savoir qu’il fallait parfois baisser un peu la tête pour voir où étaient les invités ! Quelque peu décontenancé, le majordome lui expliqua tout de même que pour avoir l’immense privilège de rencontrer Katalina, il fallait déposer les armes et les laisser aux bons soins de la maisonnée. Pffoua, une mine de profond dégoût s’inscrivit sur le visage maussade de Dasïl. Il lui répugnait, en effet, de les abandonner après avoir si durement travaillé pour les obtenir, il y a de cela 50 ans déjà. Il n’avait malheureusement guère le choix.
C’est donc un nain passablement irrité par ces manières fort peu élégantes que l’on fit entrer dans le bureau de Noblegriffon qui discutait à mi voix avec un homme (qui ressemblait plutôt à une demoiselle, soit dit en passant !). Sur une courbette parfaitement ridicule, Dasïl se présentait en ces termes à la Dame.

Dasïl : Hola, ma chère Dame ! Je suis Dasïl, nain de mon état comme vous l’avez sans doute déjà remarqué. Je suis venu ici pour parler affaire car il parait que vous recherchez des mains vigoureuses pour caresser les doigts de quelques gens mal intentionnés …

Il passait volontairement le reste de son discours sous silence puisque la pièce était déjà occupée et qu’il ne souhaitait pas se décrire plus en détail devant ceux qui n’avaient rien à savoir de lui. Attendant le bon vouloir de la marchande, il croisait les bras avec un grognement tout caractéristique de sa petite personne.

Était-ce une légère lueur de déception qui brillait dans les yeux du mercenaire ? Elle doutait qu’il s’attendait réellement à toucher les vingt écus qu’il avait avancés, c’était un chiffre fort important qu’il savait ne pouvoir obtenir s’il avait réellement sept années d’expérience. Mais surement avait-il espéré plus. Pourtant, outre le fait qu’elle avait obtenu ce qu’elle voulait, elle était certaine d’avoir été équitable. La majorité de ses dépenses étaient désormais prises en charges, après tout. Et, comme il l’avait lui-même avancé, beaucoup l’envieraient, les emplois stables ne couraient pas les rues pour un mercenaire de son acabit.

- Vous m’en voyez ravie, Joshua, réellement ravie. Attrapant la bourse, elle la lança avec une nonchalance étudiée, avant de rouler le parchemin. Voilà votre paiement de ce mois-ci, plus un petit suppléant. Nous ne nous embêterons pas de formalités, aucun contrat ne vous retiendrait si vous désiriez vraiment partir, n’est-ce pas ?

Se penchant légèrement en avant, elle lui tendit le désormais rouleau, esquissant un léger sourire entendu.

- Donnez cela à Maître Ferman, votre nouveau chef de caravane, et rajoutez « Il neigera cet été ». Il saura que c’est moi qui vous envoie.

Une fois qu’il se fut emparé de son cadeau, elle se laissa retomber contre la chaise, prenant un air pensif, fixant Joshua de ses yeux bleu-gris.

- Comme je l’ai déjà dit, vous partez quand vous le souhaitez, Joshua. Il est bien plus simple pour moi de garder le même mercenaire sur plusieurs trajets. Toutes fois, je ne puis vous conseiller que de finir un mois dont la solde vous aura déjà été versée. J’ai beau être compréhensive, je ne tolère pas qu’on me floue. N’espérez même pas retrouver du travail dans ce duché - au moins - si une telle chose vous passait par la tête.

Elle n’eut que le temps d’afficher un léger sourire pour atténuer la dureté de ses paroles, avant que son majordome lui annonce une nouvelle visite. Haussant légèrement un sourcil, surprise, elle lui demanda tout de même de laisser entrer son visiteur. Katalina n’avait que rarement eu la chance de rencontrer un nain, ces derniers préférant rester dans leurs sombres montagnes. On les disait acharnés négociateurs, à défaut d’être habiles, et c’était une partie qu’elle n’avait jamais joué.

Elle le jaugea rapidement quand il pénétra dans la pièce. Un léger sourire vint éclairer sa figure aux premières paroles : il aurait pu avoir le mot « Mercenaire » gravé sur son armure qu’elle ne se serait pas plus posée de questions. En tout cas, si ce n’est une taille à laquelle Katalina n’était pas vraiment accoutumée, il avait tout d’un vétéran. Ses broussailleux sourcils semblaient se joindre quand il fronçait les sourcils, chose qui arrivait fréquemment, surtout quand il grognait son impatience. Si elle avait du se baser sur des détails purement humain, elle lui aurait donné la trentaine, peut être trente cinq, mais avec les nains, comment savoir ? Il pouvait avoir un siècle, voir deux.

Ses premiers mots la firent sourire, tant il s’accordait avec le personnage. Un caractère bourru, un vocabulaire populaire, un langage aux images terre à terre. C’était bien différent de ce à quoi elle avait l’habitude, et pas forcément désagréable. Son sourire s’élargit plus encore quand il tenta une courbette qu’il avait surement voulue convenable mais qui rajoutait au burlesque du personnage désarmé - parce qu’elle doutait qu’il n'en allait pas de même quand il maniait ses armes.

- Eh bien, je suis enchantée de faire votre connaissance, maître nain, ainsi que légèrement surprise. N’avez-vous pas pour habitude de rester entre vous, dans vos montagnes ?

Une question qu’avait du subir Dasil un bon millier de fois, en cinquante ans. Elle s’attendait presque à le voir grogner de nouveau, maudissant la bêtise de cette « riche mais pas très maline demoiselle », comme il aurait pu la surnommer. Pour autant, sa question n’était pas (totalement) innocente. Elle était curieuse de voir ce qui avait pu le pousser si loin de son foyer ancestrale.

Joshua jaugea les paroles de la noble dans le sens de la prévention. Elle était peut être sentimental et sensible aux besoins des autres, néanmoins elle n’aimait pas se faire mener en bateau. L’affirmer ainsi était assez compréhensible pour une femme, si jamais elle laissait passer un seul élément allant à son encontre et remettant en cause son autorité, elle aurait du mal à continuer à se faire respecter. Il en était ainsi chez l’humain et cela allait sans doute continuer à l’être, alors autant s’y accommoder et Katalina y avait trouvé une parade.

-Ma fidélité est votre, Dame Noblegriffon pour l’instant. Je ne peux pas vous promettre que la stabilité saura une constante dans ma vie, mais je vous quitterai en homme d’honneur si cela devait arriver.

Joshua s’était redressé pour saisir le document que lui tendait la jeune femme lorsque l’Intendant pénétra de nouveau dans la salle pour annoncer l’arrivée d’un autre mercenaire nain. Le mercenaire n’avait jamais vu de nain mais il n’était pas réellement impatient d’en voir un, l’échanges culturelles avec les autres races n’étaient pas vraiment une source d’intérêt pour lui.Il tourna la tête vers Katalina après que le majordome soit parti.

-J’ai pris note de vos paroles Dame, et je ferai donc ainsi. Je vous remercie des attentions dont vous m’avez fait part et j’en tiendrai rigueur.

Il lui lança un dernier sourire avant de saisir la bourse et de la ranger dans son sac. Il y glissa en même temps le parchemin attestant de son statut.

Alors que Joshua s’apprêtait à quitter la salle, le nain arriva. Le jeune homme l’observa et essaya de ne pas trop le dévisager. Il était difficile de se dire que sa race était autre qu’humaine, mais c’était bel et bien un nain, sa taille en témoignait d’ailleurs. Il ne savait pas quoi penser de cet être et il n’aurait peut être jamais à le revoir donc il décida de ne pas y porter une très grande attention et de marquer un ton neutre.

-Bien..le bonjour Messire Nain.

Le mercenaire humain tourna la tête vers Katalina. Il se doutait que l’entretien qui allait se dérouler n’avait pas besoin de sa présence et qu’il était maintenant temps pour lui de se retirer de ce bureau.

-Je vais donc me retirer sur ces mots, Dame Noblegriffon. Je vous remercie de votre patience et du temps que vous m’avez accordé.

En réponse au glacial ton de son interlocuteur, le nain se contenta de grogner sous sa barbe et de hocher la tête en le regardant du coin de l’œil. Il entrapercevait dans les yeux de cet homme comme un vague mépris. Qu’importe : il était loin d’être le premier ! Ces histoires se réglaient toujours de la même façon …
Lorsque celui-ci s’en fut allé et que la porte claqua sèchement sans que l’intendant ait pu amortir le choc, le nain décroisa les bras et se dirigea d’un pas ferme et décidé vers la noble. Il sauta presque pour s’asseoir sur ces chaises au demeurant fort peu confortables mais que Katalina avait l’air d’apprécier - après tout, chacun ses goûts ! – et se cala au fond du dossier. Sa tête dépassait à peine du bureau et cela ne lui plaisait pas beaucoup. Pourtant, il ne pouvait rien y changer et c’est donc résigné qu’il allait entamer son petit discours afin de répondre à la demande de cette femme étrange.

Dasïl était insensible aux charmes humains mais il devait bien admettre que si elle mesurait quelques centimètres de moins, elle aurait été relativement potable. Ses yeux fixaient très intensément le nain et celui-ci se doutait fort bien qu’elle analysait le moindre de ses mouvements. Tandis que son cou oscillait, ses boucles d’oreilles voltigeaient en tous sens ce qui hypnotisait presque Dasïl. Il peinait à se ressaisir et, d’un mouvement brusque, il secoua la tête pour reporter son attention sur Katalina. Un lourd silence s’était installé et il devait donc entreprendre de rapidement répondre. Craquant ses doigts et son cou d’une manière assez rustre, il prit son souffle et …

Dasïl : Hé bien, voyez-vous, j’ai erré pendant 50 ans. Depuis mon enfance j’ai toujours été passionné de voyages et de combats ce qui s’est donc concrétisé par ce que vous avez devant les yeux en ce moment même. - Il se pointa du doigt avec un sourire satisfait et reprit la discussion dans un grognement – Je suis sans doute un cas à part car, vous avez raison, mon peuple reste plus facilement dans les montagnes plutôt que de venir se mêler aux humains et, par Ikthor, encore moins aux elfes ! – Il eut un frisson et une grimace s’installa sur sa face poilue- J’ai donc une certaine expérience des voyages en terres lointaines puisque c’est ce que je fais depuis déjà bien plus longtemps que la plupart des humains qui pourraient se présenter à vous. J’ai, en outre, la chance d’allier l’expérience à la force. Du bout de mes 90 ans, je suis actuellement au meilleur de ma forme puisque, nous les nains, avons la chance de vivre en moyenne 250 ans. Je ne suis donc pas trop jeune et encore loin d’être un vieillard ! Par la suite, alors que je faisais un détour sur le marché, on m’a indiqué votre désir de protection concernant vos caravanes. Cette offre allie tout ce qui me plait : le voyage et le pugilat, buahhahaha ! En définitif, si vous voulez avoir un gardien sur lequel vous reposer, un nain qui ne vous fera pas défaut, un nain qui broiera sur le fil de sa hache tous ceux qui voudront s’emparer de vos biens : je suis à vous ! Ha, et concernant votre demande, m’Dame, je suis loin d’être idiot : je me doute bien que vous voulez savoir ce que j’ai fais durant ces 50 ans de vagabondage à travers nos terres. Mais, de vous à moi … - il se rapprocha un peu plus du bureau- … je n’ai pas l’intention de vous embêter avec ma vie d’antan car ce serait bien fastidieux pour vous. Je n’ai pas de preuve à vous apporter sur mon expérience passée : les mots sont des mots et ne valent rien pour une dame d’affaire telle que vous, n’est-ce pas ? Vous aurez de nombreuses occasions de voir cette expérience parler en votre nom, ne vous inquiétez pas. - se rapprochant encore plus du bureau- Enfin, tout dépend de ce que vous avez à proposer : vous savez, nous autres les nains, on mange beaucoup plus de viande que les autres et puis, nous sommes tellement rares sur le marché de l’emploi …

Le message était passé et il le savait. Il venait de jouer pas mal de cartes et attendait de voir comment la Noblegriffon allait s’en sortir. Si elle était aussi habile négociatrice qu’on le disait, elle saurait trouver la parade. Toujours est-il que, pour l’instant, le nain venait de lui montrer qu’il savait diriger une affaire, qu’il ne se dévoilerait pas outre mesure et qu’il comptait être bien payé pour ce qu’il allait faire.

- Tout ce qui est rare n’est pas forcément bon à prendre, Maître Nain. Il y a même des choses qui gagnent à l’être.

Le ton était léger. Pas de réelle provocation, un léger sourire en coin venait adoucir la boutade. Elle avait salué Joshua d’un petit hochement de tête, avant de reporter son attention sur le nain, qu’elle avait calmement écouté, intéressée par ce récit qui lui en apprenait beaucoup sur ce nabot. Ainsi, elle avait à faire à un globetrotteur, ces êtres que rien n’intéressaient plus que de découvrir ce qui se cachaient derrière la prochaine colline, et qui ne se plaignaient pas quand c’en était une autre qu’ils découvraient. Parfois, elle se disait qu’en d’autres circonstances, cette vie lui aurait plu… Si tant est qu’elle aurait eu des marchandises à transporter et des occasions de les écouler.

Car Katalina vivait pour son or. Il était, pour elle, un amant qui lui prenait tout son temps, tellement plus agréable que feu Elyas à qui elle devait pourtant beaucoup de ce qu’elle était aujourd’hui… Beaucoup, mais pas tout, car l’enfant qu’elle était quand elle l’avait épousé s’était trouvée être une marchande de génie. L’élève avait dépassé le maître, et ce depuis très longtemps. Aujourd’hui, elle gérait ses affaires telle une impératrice son Empire.

- Je ne doute pas de vos compétences, loin s’en faut. Et je n’ai non plus aucun doute sur cet appétit dont vous vantez les mérites. Elle esquissa un léger sourire. Mais il faut savoir ne pas être trop gourmand… Trop d’appétit pourrait vider votre assiette aussi surement qu’un elfe pourrait vous irriter.

Si Dasil avait donné le ton, il avait aussi tout dit trop vite. Etrangement, cela ne l’étonnait pas, cela correspondait même avec l’idée qu’elle s’était faite des nains. Celui là était comme les autres : il aimait l’or et aurait du mal à se satisfaire de ce qu’elle lui offrirait, mais il finirait par se faire une raison… Du moins l’espérait-elle. Après tout, sa position était bien plus confortable que la sienne, et tout deux le savaient… L’équipement de Dasil n’était pas de première jeunesse, loin de là, et elle ne doutait pas que ses armes étaient dans un meilleur état.

Voilà quelques semaines que ses « campagnes de recrutement » avaient débuté, et elles prendraient bientôt fin. C’était déjà le cas à Diantra, Erac et Longehack. Le nouveau mois ne verrait aucun recrutement, et pour ce qu’elle en savait, le nain était peut être le dernier qu’elle interrogeait avant longtemps. Pour autant, maintenant que la négociation avait commencé, il était trop tard. Elle voulait ce nain, et, plus encore, elle le voulait à son prix. Mais cela, il n’avait pas besoin de le savoir.

- Vous voulez remplir votre assiette, Maître Nain, sachez que je ne demande pas mieux. Un mercenaire comme vous est une bénédiction pour mes caravanes, cela nous le savons tout les deux. Mais Serrimare est une si grande ville…

Elle haussa simplement les épaules. Elle avait assez rendu la pareille au nain pour ses habiles sous-entendus. Il devait se poser des questions, s’interroger sur les chances qu’il avait parvenir à ses fins. Elle était sa chance d’améliorer son quotidien, après tout, mais son amour pour le noble et brillant métal allait-il lui permettre de la saisir. Au fond, elle l’espérait. Le personnage lui était sympathique.

Elle quitta le dossier - ô combien, n’en déplaise à ce nain obtus - confortable de son fauteuil, posa ses coudes sur son doux bureau et son petit menton sur ses mains jointes, rapprochant sa tête de celle de son interlocuteur mais le dominant par la même occasion de façon plus marquée.

- Mais je ne doute pas que vous saurez être raisonnable quand vous m’annoncerez vos attentes.

Quelques paroles suffirent au nain pour jauger la femme qu’il avait en face de lui. A son grand regret, celle-ci s’avérait être à la hauteur de sa réputation car elle venait de lui clouer le bec, du moins momentanément. Dasïl ne parvenait pas à réprimer un sourire assez amusé et un petit ricanement alors qu’elle se levait pour l’observer de haut : quel manque flagrant d’humilité et de courtoisie pour une femme au si noble titre ! Il soutenait ce regard perforant en haussant un sourcil et se grattant la barbe : c’était sa manière bien à lui de réfléchir intensément. Que pouvait-il lui répondre ? Il savait ne pas être véritablement en position de force mais il était également à peu près certain que peu de gens avaient répondu à son offre compte tenue de la manière spontanée avec laquelle elle l’avait reçu et émis l’hypothèse qu’il soit embauché. Croisant les bras et fermant les yeux, le nain marmonnait entre ses dents afin de répondre tout bas à la petite voix de son esprit. Chose étonnante, il semblait discuter avec lui-même et ce spectacle devait être certainement désarçonnant pour quiconque le regardait.


Il analysait la situation du mieux qu’il pouvait. Dasïl était loin d’être une lumière en ce monde mais son instinct naturel lui rendait de bien nombreux services en termes de transactions. Les nains, c’était connu, étaient d’âpres négociateurs aux idées rigides lorsqu’il s’agissait de mettre en jeu quelque menue monnaie que ce soit. Toujours était-il que cette Dame, sous le couvert de ses doux sourires et de son air innocent venait d’abattre ses premières cartes : elle acceptait volontiers de l’engager mais pas à n’importe quel prix.
D’une inspiration profonde, le nain s’éclaircissait la voix et ouvrait subitement les yeux. A l’intérieur de ceux-ci brulait maintenant une intense flamme, semblable à celle des Maîtres Forgerons dans leur secrète montagne : la partie venait de commencer. Il sauta d’un geste vif au bas de sa chaise ô combien trop grande pour lui et se frotta prestement son postérieur au demeurant si moelleux. Ces humains ne savaient décidément pas apprécier des œuvres alliant confort et beauté ! Heureusement que l’épaisse couche de gras de ses fesses amortissait la dureté de la vulgaire planche de bois à quatre pieds que la Noblegriffon avait mise à se disposition ! Il adressait alors une discrète prière à Mogar afin de le remercier de lui avoir fourni un rempart des plus appréciables et naturels contre les vilénies de la vie quotidienne. Croisant ses bras derrière son dos, il entama une petite marche autour du bureau, passant plusieurs fois tout près de Katalina.



Dasïl : C’est vrai, Dame, que tout ce qui est rare n’est pas forcément bon à prendre et tout ce qui brille n’est pas forcément de l’or ! Mais je doute que vous, en tant que grande commerçante, ne laissiez passer un objet rare aux mains d’autres concurrents lorsqu’il s’agit de marchandises. Dans notre cas, nous parlons d’êtres vivants mais le principe est le même que pour un vulgaire objet : vous avez devant vous un des rarissimes nains qui s’aventurent si bas dans les terres des Hommes. Un nain a des qualités que d’autres humains, marchandise beaucoup plus standard, vous en conviendrez, ne pourront jamais avoir. Protéger des caravanes avec réussite se joue parfois sur l’effet de surprise, je ne vous l’apprendrai certainement pas. Vous êtes une dame intelligente et c’est pourquoi je suis prêt à négocier avec vous de mes ‘attentes’, pour reprendre vos mots. -il porta son regard vers le plafond, comme s’il fixait la poussière avec une intense concentration- Cependant, sachez que nous n’avons, je pense, pas les mêmes normes puisque nos races ne sont pas vraiment identiques. Ce qui, pour vous, peut paraître gourmandise me semble, à moi, tout à fait raisonnable. -Il fixa la noble avec un petit sourire moqueur, sans grande méchanceté- Ce qui fait que nous … - cherchant ses mots tout en faisant claquer sa langue- ne jouons pas vraiment dans la même cour et encore moins avec les mêmes chiffres et les mêmes exigences. Or, je me doute bien que les chiffres s’étalent au quotidien sous vos yeux délicats, comme les amants se couchent sur la literie de leur maitresse et que vous leur vouez un indéfectible amour, puisque c’est là votre vocation.
Perdre une caravane serait une chose bien fâcheuse et bien plus conséquente que de payer un maigre salaire à un mercenaire, n’est-ce pas ? -Le nain stoppa net sa course, se plaça en face de Katalina, croisa ferment les bras et acheva brutalement son long monologue- Allons droit au but : mon salaire sera de 30 écus par mois si vous tenez à mes services puisque j’ai l’orgueil de dire que vous ne trouverez jamais mieux qu’un nain avec l’expérience des voyages afin de défendre efficacement vos bien qui valent des centaines de fois plus que ce maigre salaire que je demande. Cependant … si d’autres compensations – Il fit mine de passer sa main sur son ventre gras- viennent s’ajouter à cela, j’imagine fort bien que ce prix puisse être revu largement à la baisse.

Sa ronde ayant été achevée, il en profita pour se curer allégrement les narines de ses doigts expérimentés tout en attendant la réponse de la noble. Son attitude pouvait faire croire qu’il se fichait pas mal de ce poste mais la réalité était toute autre : il en avait besoin.

C’était il y avait maintenant huit ans… La première fois qu’elle avait rencontré un nain. Une entrevue qu’elle n’était prête d’oublier, et qui semblait ressurgir sous ses yeux sous la forme d’un nain bedonnant, sur de lui et de son expérience. Les deux êtres étaient semblables… La passion qui les animaient n’était pas la même, mais il y avait toujours cet amour pour l’or, et ce même entêtement. Elle n’y avait pas fait attention au début, mais dès qu’il avait sauté de sa chaise pour entamer son long monologue, elle n’avait plus rien vu d’autres. Et, il fallait l’avouer, elle en était troublée, car cela la replongeait dans une période de sa vie qui, sans être désagréable, n’avait pas été la plus heureuse. Car si elle revoyait en Dasil son « premier nain », elle se revoyait aussi, jeune dame d’à peine dix sept ans et pourtant déjà mariée depuis un ans.

Elle ne regrettait pas les tenants et aboutissants de son mariage, loin de là. Elle le savait nécessaire. De plus, le fait est qu’Elyas recherchait plus une bourse qu’une compagne… Il ne l’avait prise que rarement, et aucun fruit n’avait jaillit de ces unions, et elle remerciait souvent Néera qu’il en soit ainsi.

C’est donc d’une oreille distraite, l’esprit hésitant entre la conversation présente et les souvenirs lointains de ce qu’avait été sa vie durant le vivant de feu Elyas, qu’elle écouta le mercenaire. Heureusement pour elle, elle parvenait à saisir les idées les plus importantes, bien qu’elle en doutait parfois au vu des arguments avancés. Elle voulait bien admettre tout ce qu’on voulait sur les nains, et elle ne pouvait remettre en question l’expérience de celui-ci en particulier, mais de la à remettre en question l’efficacité des humains. Elle reconnaissait bien là l’arrogance des races aînées. Elle l’observa se mouvoir autour d’elle, ayant de nouveau recourt à l’usage de son agréable dossier pour soutenir son dos. Elle avait gardé le même sourire en coin que depuis le début de la conversation, bien que peut être teinté de mélancolie au vue de ses pensées présentes. Mais il se crispa légèrement, de même que le reste de son être, quand l’arrogant personnage annonça son prix. Il put d’ailleurs observer un visage fermé quand il s’arrêta devant elle. Crispation qui se détendit légèrement quand il acheva son monologue, vite remplacée par une discrète mais présente grimace de dégout. Le personnage n’avait aucune contenance, apparemment.

- Le confort de mes mercenaires est une de mes principales préoccupations, Maître Nain. Sachez déjà que les repas, le toit et le nécessaire pour entretenir vos armes vous sont acquis. Pour ce qui est de la taille des dits repas, il faudra voir avec Maître Ferman, votre probable futur maître de caravane. Mais on ne laissera pas votre vorace ami hurler sa faim, de cela vous pouvez être sur.

La voix n’était plus amusée, pas désagréable, mais sans la chaleur qui l’avait caractérisée jusqu’alors. Les discours franc et direct ne la dérangeaient pas, mais il en allait autrement d’un nez si aisément visité. Elle se força néanmoins au calme. Ce nain n’avait pas forcément tord, il pouvait être une « bonne affaire », mais il comprendrait bien vite qu'il n'était pas celle du siècle, s’il continuait sur cette voie.

- Nous allons donc… « revoir largement à la baisse » votre prix, si cela ne vous dérange pas.

Elle esquissa un léger sourire, reprenant peu à peu son attitude initiale en même temps que sa maitrise d’elle-même. Elle s’en voulait presque d’avoir été si transparente ; laisser libre court à ses émotions n’était pas recommandé durant une négociation. Mais c’était du passé, désormais.

- Comme je me propose de subvenir à la majorité des besoins qui peuvent préoccuper un nain comme vous, hormis les naines et les frais de forge… cinq écus par mois devraient largement vous aider à vous payer les fantaisies nécessaire à la vie d'un homme, ne pensez vous pas ?

Elle pencha légèrement la tête sur le côté, reprenant ce masque qui avait si bien marché sur Joshua : celui de l’innocence. Toute son attitude n’avait qu’un but, persuader Dasil qu’elle pensait réellement que cinq écus étaient suffisants pour vivre - et elle jouait son rôle d’autant plus facilement qu’elle en était elle même convaincue. Après tout, il n’aurait plus à se préoccuper de dormir dans un fossé, le ventre vide.

Sur la face barbue de Dasïl passait fugitivement l’ombre de la surprise quand ses oreilles entendirent résonner le montant de la somme que proposait la noble dame. 5 écus : ces paroles résonnaient en écho dans sa tête vide et lui martelaient les sens. Pour qui se prenait-elle ? Un tel salaire était tout juste bon pour un elfe noir de basse catégorie. C’était ce que l’on donnait aux enfants pour qu’ils puissent aller s’acheter d’appréciables friandises quand ils devenaient trop turbulents ! Ces quelques pièces, ce montant dérisoire et pathétique sonnait pour lui comme une gifle sur sa joue, comme un affront extraordinairement déplacé de la part ce cette avare petite femme. Un grognement désapprobateur avait tôt fait de répondre à Noblegriffon qui savait dès lors à quoi s’attendre. Tapant du pied à terre, le nain réfléchissait à toute allure. Ce prix, proposé de manière innocente n’était qu’une vaine tentative de déstabilisation. Qu’à cela ne tienne : il en faut plus, beaucoup plus pour faire tomber un nain !

A y bien réfléchir, l’offre avait de quoi être alléchante car cette femme allait désormais s’occuper d’à peu près tout ce dont il avait besoin et veiller à sa grasse petite personne. Compte tenu des risques moindres en cette contrée relativement calme et des soins dont il allait être le bénéficiaire, Dasïl se disait que, finalement, si elle revoyait son prix à la hausse de quelques écus, il ne s’en tirerait pas si mal que ça. Il n’avait, de toute manière pas véritablement le choix puisque les contrats se faisaient rares depuis quelques semaines. On se méfiait facilement des nains depuis que certains odieux personnages -la honte de la race naine- avaient décidé de pactiser avec l’ennemi de toujours. Une revalorisation de la moitié environs lui serait profitable car, avec 10 écus, il y avait largement de quoi vivre et s’amuser sous un flot de bière de temps en temps. Sans oublier qu’il voyagerait régulièrement avec les caravanes et vivrait donc de sa passion tout en travaillant. Oui, c’était loin d’être son meilleur contrat mais, en regard des circonstances difficiles de l’époque, il se devait de ne pas faire le difficile. A son grand regret, Katalina Noblegriffon le tenait fermement par la bourse et son orgueil de nain en prenait un solide coup !

Dasïl : Hé bien, Dame Katalina … 5 écus, c’est beaucoup trop peu et j’ose espérer que c’est votre sens du marchandage qui parle en me proposant un prix relativement bas afin que je puisse couper la poire en deux. Comme promis, je revois mes exigences à la baisse car vos offres sont très intéressantes pour un nain tel que moi. Ce sera 10 écus, pas un de moins, et, afin de vous remercier des besoins que vous comblerez en m’assurant logis, nourriture et entretient, je vous propose de former vos plus jeunes recrues … ou les plus mauvaises -ajoute le nain dans un murmure amusé qu’il accompagne d’un ricanement-. Je pense qu’ainsi, les deux partis seront contents, vous ne pensez pas ? Vous y gagnerez à avoir des hommes formés et aptes à combattre pour défendre vos précieuses caravanes en investissant quelque peu sur ma petite personne. – Il lève le doigt en l’air, d’un air grave, comme pour marquer la suite de ses propos de sa voix grave- Mais, il y a un mais ! Je réclamerai une augmentation que je viendrai âprement discuter ici même si les résultats que j’obtiens vous sont bien trop profitables en regard du salaire que je reçois. Vous savez, pour un nain tel que moi et pour tous ceux de ma race en général : c’est donnant-donnant !

Le nain portait les mains à ses hanches et rigolait de plus belle. Etait-ce nerveux ? Qui pouvait bien savoir ce qu’il se tramait derrière l’épais rempart d’os qui protégeait sa noble petite cervelle ? Un nain reste un nain, c’est une vérité naturelle que personne ne pourra réfuter.

Qu’il était agréable de voir ce nain retourner dans les calmes sentiers de la raison et du raisonnable. Qu’il était gratifiant pour elle d’avoir réussi à remettre un peu de plomb dans cette cervelle embrumée par la bierre. Le grognement rageur avait donc été les prémices d’une intense et profitable réflexion. Katalina se félicita de l’avoir rabroué aussi sèchement, chose qu’elle n’aurait pas faite en temps normal mais qui lui était venue naturellement cette fois là, comme une envie soudaine d’envoyer sur les roses ce grossier personnage miroir de son passé. Prendre des gants n’était pas toujours la meilleure solution, elle venait de le prouver par l’exemple à l’instant même.

Cette étonnante observation mise de côté, elle analysa l’offre. Il était amusant de voir que les cinq écus qu’elle annonçait souvent en premier dans ce genre de conversation rendaient toute suite les gens plus clairvoyants. D’abord Joshua, puis Dasil… Tout deux avaient eu le même comportement. Et si pour l’humain, Katalina avait été encore plus loin, elle hésitait maintenant à faire de même pour le nain. Un maître d’arme… L’idée était séduisante.

L’équation était simple… Refuser simplement cette offre, le payer huit écus, et demander implicitement au maître de caravane de pousser sournoisement Dasil à partager son savoir, ou bien accepter et lui donner officiellement ce rôle, pour deux écus de plus. Dasil lui présentait une énigme totalement nouvelle pour la noble, il fallait lui laisser ça. Une chose était sure, si Dasil acceptait l’offre de huit écus, et s’il se rendait compte qu’on le poussait mine de rien à faire un travail pour lequel il en demandait plus, il quitterait surement la caravane, trop tôt pour que cela serve à quelque chose.

Accepter son offre lui donnait par contre plusieurs avantages. Deux écus ne changeraient au final pas grand-chose sur ses recettes, mais elle y gagnait un formateur dévoué et motivé à faire ses preuves pour augmenter sa cagnotte. Elle esquissa un discret sourire… Quand Dasil déciderait qu’il devait être mieux payé, c’est que les résultats auront été probants, et qu’elle pouvait désormais faire sans.

- Très bien, Maître Nain. J’accepte votre offre, qui a le mérite d’être censée et pertinente.

Elle se retint d'ajouter qu’on ne pouvait en dire autant de toutes ses interventions ; le temps n’était plus à la provocation. De plus, le personnage lui redevenait graduellement sympathique à mesure qu’elle parvenait à chasser de son esprit le fantôme du passé. Elle reprit alors son petit manège, ouvrant un premier tiroir et en tirant une bourse. Conclure deux négociations en un laps de temps aussi court lui laissait une étrange impression de déjà vue, comme si elle jouait un rôle qui n’était pas le sien, comme si elle récitait un texte appris par cœur en l’adaptant aux situations. La position actuelle de Dasil la dérangeait particulièrement, elle n’aimait pas qu’on puisse avoir un aperçu de ses souverains. C’est pourquoi la bourse fut rapidement molestée de douze écus avant d'être posée sur son bureau, juste à côté du nain. Elle se procura ensuite un autre parchemin, y rédigeant rapidement sa description tout en continuant à lui donner ses instructions.

- Si je vous ai bien suivi, vous avez déjà eu l’occasion de visiter notre marché. Votre nouvelle caravane s’y trouve, demandez la « Caravane Noblegriffon » si vous ne la trouvez pas. Vous irez voir Ferman et lui donnerai ce parchemin signé de ma… D’un geste ample, elle apposa en effet signature. … main, tout en ajoutant « il neigera demain ».

Elle roula le parchemin puis le posa juste à coté de la bourse, et tourna enfin son regard vers le nain, le gratifiant même d’un sourire.

- Puissiez-vous vous plaire parmi nous, Dasil. Vous êtes libre de rester aussi longtemps que vous le souhaitez, mais si par hasard nos routes venaient à se séparer, tâchez de faire en sorte que ce soit avant que la paie ne soit tombée. Les conséquences pourraient être fâcheuses dans le cas contraire.

Elle se cala de nouveau contre le dossier de son fauteuil, qu’elle avait quitté à regret quand elle avait du s’atteler à la rédaction de la recommandation

- Vous avez peut être des questions. Si c’est le cas, allez-y, je tacherai de vous satisfaire.

L’enterrement de feu le Duc de Langehack était terminé. La noblesse humaine s’était séparée, chaque noble retrouvant son domaine avec plus ou moins de satisfaction. Plus que rendre un ultime hommage à l’homme qui avait partagé un temps sa vie, Esidenir avait pu montrer aux yeux du monde la puissance et la richesse de son duché, et de la plus brillante des façons car elle avait en partie occulté le Roi lui-même. Katalina et Merwyn s’en étaient allés comme ils étaient venus, dans la joie et dans la bonne humeur. Continuant son petit jeu avec son seigneur, elle avait alterné période d’apparente soumission et d’insubordination ironique. Elle avait toujours taché de ne pas se mettre à dos son cadet - d'à peine un an, certes, mais son cadet tout de même - arrêtons son petit jeu quand elle sentait qu’il commençait à perdre patience. Elle était comme ça, Katalina.

Dans un premier temps, elle avait agit ainsi par principes. C’était le meilleur moyen qu’elle avait trouvé pour être certaine que Merwyn ne tente jamais de s’insinuer dans ses affaires. L’exemple flagrant restait l’épisode de la robe. Elle y avait répondu d’une façon sereine et ferme : son châle avait beau être étudié pour être porté avec une robe noire, c’était lui qu’on remarquait. Sans désobéir à Merwyn, elle avait tout de même réussi à agir comme elle l’entendait. Au vu de sa réaction, le duc n’avait peut être pas saisi l’étendu du message… Ou peut être cela ne le dérangeait-il pas, ce qui serait une très bonne chose pour la dernière héritière de la Maison des Noblegriffon.

Pourtant, petit à petit, les motivations avaient lentement évolués. Si le but originel des échanges - faire valoir son indépendance - était le même, leur nature avait évolué. La vassale et le suzerain s’étaient quelque peu effacés au profit d’un homme et d’une femme commençant à développer une amitié naissante. Katalina aurait même été prête à avouer qu’il y avait peut être un peu plus, le jeune homme ayant un charme certain. Et, comme dans tout le reste, elle aspirait à être libre. Elle ne voulait pas être l’amie qu’on appelait quand on en avait besoin, non… Elle voulait plus.

Sauf qu’au vu des événements et de leur tournure, Merwyn ne l’entendait pas de cette oreille. Car depuis leur retour, il n’avait plus donné de signe de vie. La négociante voulait bien admettre qu’un duché prenait du temps à gérer, et elle-même était prise par ses propres soucis, mais tout de même ! Trois semaines ! Alors, poussée par une force qu’elle ne connaissait pas, elle s’était résolue à faire le premier pas. Prenant un parchemin et une plume, elle avait donné vie à ses attentes en une lettre qu’elle avait fait parvenir au palais ducal.

Citation :

A Merwyn de Serramire
De Katalina Noblegriffon

Me voilà mélancolique, mon Duc, alors que je me rends compte sous l’infernal soleil de Karfias que je n’étais pour vous qu’une distraction. Comment expliquer sinon votre soudain désintérêt pour ma personne, depuis notre retour de Diantra.

Je dois l’avouer, mon Seigneur, je suis déçue. J’avais osé espérer être traitée avec de considération. Je pensais, sotte que je suis, que ma personne vous été agréable. Pourtant, peut être suis-je trop dure, peut être ne suis-je pas assez patiente. Que penser, quand on doit faire face à un tel dédain ?

Mais si, par hasard, votre indifférence n’est que feinte et que mon esprit fatigué par la lourdeur de l’été s’imagine des choses qui n’ont pas lieu d’être. Si c’est le cas, faites moi le plaisir et le privilège de vous rendre en ma demeure quand l’envie vous prendra… Qui sait ? Peut être aurez vous le droit à une surprise digne de vous…

Si Merwyn restait insensible, il allait falloir se résigner, et comprendre qu’elle n’avait été qu’un moyen de rendre un peu plus agréable un long voyage.

S’il y a une qualité que l’on peut reconnaître à Katalina, c’était bien celui d’être une comédienne accomplie. Elle pouvait jouer sans difficulté n’importe quel rôle pour peu qu’elle le connaisse assez et qu’elle y trouve une motivation quelconque. Et, sans trop savoir pourquoi, la venue du duc la motivait. Ce qu’elle ressentait pour le jeune homme était encore assez confus, naissant et elle n’avait pas vraiment d’idée précise sur la question. Il était charmant, agréable à l’œil et à l’oreille, tolérant et n’essayait pas en permanence de la brider, ce en quoi elle lui était reconnaissante. Feu son mari ne lui avait jamais rien interdit de façon explicite, mais il ne l’avait pas non plus laissée évoluer à sa guise. Libre comme l’air depuis maintenant cinq ans, elle n’envisageait encore aucune relation sérieuse. Son mariage avec Elyas ne lui avait laissé aucun souvenir désagréable, mais elle était loin d’être pressée de mettre un terme à son veuvage.

Une fois sa lettre terminée, elle avait fait tout ce qu’il fallait pour offrir une journée agréable au duc, tout en sachant qu’elle se donnait peut être bien du mal pour pas grand-chose. C’était d’ailleurs le seul grief qu’elle avait contre Merwyn. Elle ne savait tout simplement pas comment il allait réagir à la réception de sa lettre ni même s’il allait prendre la peine de la lire. Elle était certaine de ne pas l’avoir rebuté, pendant leur courte « vie commune », mais ce dont elle n’avait aucune idée, c’est jusqu’à quel point elle l’avait conquis. Elle avait dans l’idée de mettre un terme définitif à cette lacune le plus rapidement possible.

Quand finalement Merwyn lui fit l’honneur de répondre à son invitation, elle ne laissa à aucun domestique l’honneur de l’accueillir. Elle avait donné des ordres clairs à ce sujet, aussi son intendant se contenta de le saluer avec les honneurs qu’un duc était en droit d’attendre, avant de lui demander de le suivre. Il le conduisit dans un salon richement décoré, seul, en lui assurant que sa maîtresse arriverait au plus vite. Loin d’accourir telle une chienne en chaleur, elle prit son temps. Le fait était que sa demeure était grande, et qu’il lui fallait un certain temps pour atteindre la pièce où attendait son suzerain.

Elle ne prit pourtant pas le risque de se le mettre à dos dès le début de l’après midi, et cinq minutes à peine après le départ du intendant, Katalina pénétrait dans la pièce, vêtue d’une de ses éternelles robes chaudes et colorées, son étrange coiffe et ses immenses boucles d’oreilles accompagnant l’ensemble de la plus exquise des façons. Se sacrifiant à la coutume, elle gratifia Merwyn d’une révérence impeccable avant de se relever, fière et digne, devant l’homme le plus puissant de son duché.

- Vous recevoir chez moi est un plaisir, mon seigneur.

Exceptionnellement, elle lui fit grâce de la petite pointe ironique, elle n’ajouta pas le « je ne vous attendais pas si tôt » qui lui brûlait les lèvres. Elle lui fit même l’honneur d’éclairer sa journée d’un tendre sourire, sincère et affectueux. Rien à faire, elle devait se rendre à l’évidence : le charme du jeune homme faisait son effet. Et puis, il y avait ce plaisir de pouvoir être elle-même, de ne pas avoir besoin de se cacher derrière des montagnes de convenances. Elle doutait que tout les ducs de Serramire lui aurait permit d’agir de la sorte. Après tout, elle était veuve, elle était riche, elle était indépendante et elle faisait du commerce. Pour beaucoup, la femme n’était qu’un vulgaire objet, que l’on sort devant les invités et encore, et qui n’était bon qu’à faire puis élever des enfants.

A part quand il lui avait imposé les couleurs de Serramire, Merwyn n’avait jamais usé de sa position pour la contraindre à quoi que ce soit. Et même là, il ne s’était pas offusqué quand elle avait contourné la difficulté, ne lui avait pas arraché sèchement des épaules le châle qui symbolisait son insubordination. Non, il en avait rit et l’avait même complimentée. Au final, elle devait bien l’avouer, elle était chanceuse.

- J’espère ne pas trop vous avoir importuné avec ma missive, mais il me tardait de vous montrer quelque chose, aussi n’ai-je pas pu attendre plus longtemps.

Le sourire dont elle le gratifia cette fois se voulut énigmatique. Ses yeux bleu-gris fixèrent un instant le duc avant de se promener quelques secondes sur la pièce, pour finalement échouer sur la porte.

- Me feriez-vous l’honneur de me suivre, mon duc ?

Elle lui lança un petit regard espiègle avant de s’approcher de la porte et de l’ouvrir. Le retenant pour ne pas qu’elle se ferme au nez de Merwyn - ce qui aurait été dommage, d’un point de vue strictement diplomatique - elle lui fit un discret signe de tête, l’engageant à quitter la pièce. Choisissant de passer par les jardins plutôt que par les longs et monotones couloirs, elle le guida à travers sa demeure jusque dans les écuries. Marchant d’un pas calme et lent, elle en profita pour engager la conversation, le questionnant sur ce qui avait bien pu l’occuper. Le tout sous la forme d’une innocente question.

- Gouverner un duché semble être une tâche particulièrement captivante, pour vous prendre autant de temps…

Quand finalement ils rejoignirent les écuries, adossées au mur de la demeure, la « surprise » attendait son duc sous la forme d’une magnifique monture alezane. Le pelage roux, la crinière et la queue aussi noire que ses pattes, et les chaussettes blanches de ses postérieurs donnaient une fière allure à une jument faite pour la chasse. Endurant, elle pouvait néanmoins atteindre des vitesses tout à fait respectables sur de courtes distances… C’était un bijou, la plus belle bête qu’avait la noble en sa possession dans tout Serramire. Il y en avait bien quelques unes pour rivaliser en Langehack, si la duchesse ne les lui avait pas volées entre temps, et encore… Katalina ne put retenir un sourire quand ils s’en approchèrent. Prenant légèrement les devants, elle lui flatta l’encolure et lui murmura quelque chose à l’oreille, pas assez fort pour que le duc entende. Puis elle se tourna vers le nouveau et heureux propriétaire d’une telle merveille.

- Une monture digne de vous, Merwyn, si toute fois vous me faites le plaisir de accepter Douceur comme votre.

La négociante n’était pas stupide, elle savait qu’il possédait bien d’autres montures dans les écuries ducales, mais elle avait tout de même voulu lui faire ce présent. Après tout, si Destan était un bon cheval, Douceur le surclassait dans tous les domaines ou presque, elle en aurait mis sa tête à couper. Inutile de dire, donc, qu’un refus de la part de son invité serait très mal vu.

[Image du cheval ici]