Le vent souffle sur les remparts | Hauts Prêtres du Chaos

[Vous êtes invités tout les deux, sans être forcés de venir ]

J’avais longuement hésité quant à la marche à suivre… Devais-je partir à la recherche d’Arbalastre et d’Esmeralde, ou attendre qu’ils viennent à moi ? Car, je le savais, la confrontation était inévitable, elle s’était amorcée quand j’avais décidé de m’intéresser à cette histoire. Le regretté-je désormais ? Difficile à dire, j’évitais juste de m’interroger sur la question, mais après tout, se posait-elle seulement ? Avec un grognement irrité, je serrai le poing et le laissai aller heurter le mur. Maudit ! Ne pouvais-je pas, une fois dans ma vie, avoir une certitude ? Avancer sans douter de la légitimité de mes actes ?

Maudits Grands Prêtres, ils me confrontaient bien trop tôt aux limites de ma tâche. Si seulement Esmeralde n’avait pas invoqué la « Justice du Chaos », je n’aurais même pas eu à intervenir, mais l’idée même d’appliquer Sa loi à une hérétique coupable du meurtre d’autant des nôtres me semblait proche de la folie. Elle devait surement avoir ses raisons, mais c’était aller contre tout ce en quoi je croyais.

Ramenant lentement mon bras le long de me corps, je recommençai à marcher. Je venais de prendre ma décision, à tord ou à raison j’allais rencontrer les Prêtres, mais pas ici, non, pas sur leur terrain. Pas là où leur parole allait toujours avoir plus de poids que la mienne. Un tête à tête sur les remparts conviendrait à ce que j’avais à l’esprit. Sortant enfin à l’air libre, je demandai à un des gardes de transmettre mon message.

« Vas voir les Grands Prêtres, et dit leur que le Bourreau les invite à venir le rejoindre sur les remparts de la Ville, au dessus de la porte, si l’humeur leur dit. »

Et puis, sans rien ajouter, je commençai à m’éloigner, prenant directement la direction du lieu de rendez vous. Il aurait été dommage qu’ils arrivent avant moi, et cela m’aurait mis dans une position de faiblesse dont je n’avais pas besoin. En chemin, je ne pouvais m’empêcher de soupirer. J’aurais voulu m’entretenir avec Arashkam, ses conseils m’auraient surement éclairé, mais il me pensait digne de ma charge. Je n’allais pas le décevoir, pas si rapidement, pas avant de m’être assuré moi-même qu’il s’était trompé.

« Tu m’aurais surement aidé, Sylea, n’est-ce pas ? »

Levant les yeux vers le ciel. Il faisait nuit, une magnifique nuit d’été, le ciel parsemé d’étoiles brillait de milles feux, et Lune, Reine des Nuits, observait son Royaume, l’éclairant de ses rayons blanchâtres. Secouant doucement la tête, j’éloignai mes pensées de ma douce Muse. Elle ne reviendrait pas, et même si je m’étais fait une raison, il m’arrivait de la voir s’effriter doucement à la première occasion.

Et finalement, je rejoignis les remparts. Sentir la douce brise de l’été caresser mon visage, je fermai les yeux et attendis. Quoi qu’il puisse arriver, je savais que j’aurais ma réponse, qu’ils viennent ou non. J’espérais juste qu’elle ne serait pas trop amère.

D'un pas régulier Arbalastre traversait la Cité en direction des murs d'enceinte. A sa suite venaient deux prêtres connus pour leur attachement aux prêches du Haut Prêtre. Le premier officiait en tant que Porte-sandales, suivant le Haut Prêtre à la trace. D'un manière fort rigoureuse il notait les directives que l'architecte énoncait à haute voix en constatant un toit défectueux ou un mur branlant, lorsqu'il ne les inscrivait pas directement sur la pierre à l'aide d'une craie qu'il conservait souvent sur lui. Il circulait une plaisanterie sur le Prime Architecte, en vogue parmi les esclaves et les ouvriers, dictant que même sous la hache du Bourreauet une fois la tête tranchée, il pourrait trouver à redire sur la justesse et l'équilibre de l'échaffaud.

Le second tenait lieu de Porte-lance. Entre ses bras, affichant une dévotion qui n'avait rien de surfaite, la Lance Brisée dodelinait de gauche à droite au gré des mouvements du prêtre. Arme au métal noirâtre, dégageant une désagréable impression de malice, la Lance Brisée tenait à la fois de l'artefact religieux et d'une arme particulièrement vicieuse.

Arbalastre cheminait en silence, affichant un air grave. Il ne fallait jamais oublier que les invitations du Bourreau pouvaient rapidement se transformer en convocations. Il observa les étoiles dans le ciel d'un air indifférent en méditant sur les raisons de cette réunion.

Le cas de la Sorcière.

La Porte principale fit son apparition, porteuse d'une unique silhouette : le Bourreau. Par habitude il nota mentalement de faire dégager plusieurs tas de sables qui ne tarderaient pas à gêner la circulation aux prochaines pluies, puis s'engagea sur les escaliers menant vers les hauteurs, suivi de ses deux séides.

« Bourreau... »

Il se ficha à quelques pas du Bourreau d'Abyssea, en faisant signe à ses deux collaborateurs de s'éloigner afin de préserver la confidentialité de leurs échanges. Pour la rencontre il s'était vêtu sobrement, ce qui ne dénotait pas de ses habitudes. Porteur de vêtements simples, il aurait pu passer pour l'un de ses contremaitres ou autres chefs de chantiers. Grand et élancé, aux muscles longs et secs, sa tenue tranchait singulièrement avec la nonchalance de son costume. Le menton relevé et le dos droit, Arbalastre témoignait d'une clarté d'esprit qui s'imprégnait jusque dans le choix de ses postures. Adepte des choses claires il était aussi partisan d'une vie simple et sans excès, à la limite de l'ascèse pour certains de ses frères un brin plus... débonnaires.

« ... Vous m'avez fait invoquer. »

Il croisa ses mains derrière son dos et plissa des yeux, observant le Bourreau avec la minutie d'un botaniste inspectant son herbier ou d'un enfant décortiquant un insecte... la joie en moins.

"Le Bourreau s'est enfin décidé" commenta Esmeralde lorsque le garde en charge du message sortit de son bureau.

Elle se leva de sa chaise, et se dirigea vers une immense armoire vers le fond de la pièce ; elle contenait des centaines de carnets de cuir, dont certains différaient par leurs couleurs. Elle réfléchit quelques instants, puis en attrapa un, classé sur le haut de l'étagère. Elle l'ouvrit à une page précise, puis lut quelques passages à voix haute.

"Zelvajra... Le Bourreau d'Abyssea. Hybride. Récemment nommé à ce poste par Arashkam. A besoin de faire ses preuves. Compagne : Sylea, Muse du Chaos."

Elle s'arrêta quelques instants en avisant la marque à côté du dernier nom.

"Ainsi, sa compagne a été tuée à Alonna. Voilà qui complique les choses. Le Bourreau ne sera pas impartial."

Esmeralde referma le carnet d'un coup sec et fit appeler son scribe personnel, qui la suivait partout et inscrivait chaque mot prononcé dans les moindres détails ; le Héraut de Justice était connu pour analyser sans cesse les réunions, les discours importants ou les discussions à priori banales. Elle ne laissait rien au hasard.

Elle attacha sa pèlerine, ajusta son baudrier, puis sortit dans les rues agitées d'Abyssea.


Esmeralde apparut en haut des dernières marches menant aux remparts, la mine sobre. Faisant signe à son scribe de rester un peu en retrait, mais à portée de voix, elle s'avança seule vers le Bourreau, toujours imposant en armure, et Arbalastre, raide comme à son habitude. Elle s'arrêta à une distance équivalente des deux hommes, non par peur, mais par respect. Les pieds solidement ancrés dans le sol, elle posa une main sur le pommeau de son épée, qui, basculant légèrement en arrière, s'anima d'un bref cliquetis.

Elle salua brièvement en premier le Prime Architecte, puis, regardant l'hybride dans les yeux, sans aucun sourire et le visage sévère, Esmeralde s'adressa à lui en ses termes :

"Bourreau, me voici conformément à votre convocation."

Car il ne fallait pas se leurrer, si Zelvjara pourrait paraitre hésitant sur certains points, il n'en restait pas moins le Bourreau, capable de vous trancher la tête.

Il y avait quelque chose d’amusant dans la façon dont ils s’étaient introduits. Les deux avaient affirmé répondre à ma « convocation », or je me rappelai bien avoir demandé de transmettre une « invitation ». Le sens n’était pas exactement le même, et les subtilités avaient beau être minimes, elles n’en restaient pourtant pas moins… Essentielles. Ils avaient eu le choix et avaient décidé de venir, pour une raison qu’eux seuls connaissaient avec certitude. Pour ma part, je ne devais me contenter que de suppositions maladroites.

« Vous êtes venus, oui, et je vous en remercie. »

Pour soulever la sincérité de mes propos, je m’inclinais peut être un peu plus que nécessaire, mais il me paraissait alors important de démarrer la conversation sous les meilleurs hospices possibles. Me redressant, je laissais aller mon regard, les jaugeant sans me permettre de les juger. Arbalastre et Esmeralde… Voilà bien longtemps que nous vivions dans la même cité, mais c’était une de nos premières vraies discussions.

« Je ne pense pas utile de tourner plus longtemps que nécessaire autour du pot, aussi irais-je droit au but. »

Je laissai un instant le silence s’installer, légèrement tendu, attentif à leur réaction. Pour autant, cela ne dura qu’une seconde à peine, je n’avais aucune envie de leur laisser l’initiative aussi repris-je très vite.

« Je reconnais que votre intervention était justifiée, il aurait été dommage de voir l’hérétique mourir avant qu’elle ne nous livre ses secrets, c’est un fait, et il est aussi avéré que Lena et Jivund’us avaient des raisons de ne montrer aucune retenue. »

Je regardai d’abord Arbalastre, guettant ses réactions, mais lui comme Esmeralde étaient connus pour savoir se monter assez… hermétique.

« Aussi, comme vous avez montré plus de clairvoyance que moi à ce sujet, il est normal que le sort final de la prisonnière vous revienne, à vous et au Conseil. »

Les choses agréables venaient d’être prononcées, mais je ne les avais pas invités juste pour ça.

« Mais, moi vivant, elle ne jouira pas d’un procès. Elle est coupable, vous choisirez sa peine, j’ai toute confiance en votre jugement. Avant de vous la livrer, je l’offrirai à Lena une soirée. Elle en fera ce qu’elle veut du moment qu’elle ne la tue pas. »

Nouvelle pause, je me doutai que ma petite déclaration allait à l’encontre de leur plan, mais ce que je ne savais pas, c’est si j’aurais la possibilité de faire ce que je venais de dire. Je me secouai intérieurement : bien sur, que je le pouvais, j’étais la Loi, après tout.