[Mariage] Discordances | Arthur de Melasinir

Plus d’un an s’était écoulé depuis la dernière grande réunion de la noblesse à laquelle Katalina avait assisté. Il était amusant de se rendre compte qu’il s’agissait déjà d’un mariage, tout aussi critiquable que celui qui se jouait ce jour là. On y avait tout autant critiqué la noblesse, on avait condamné avec autant de hargne l’hypocrisie qui y régnait. Et, paradoxalement, on avait entendu les mêmes applaudissements et les mêmes félicitations de la bouche de ceux qui, pourtant, l’abhorraient. A se demander qui étaient les plus hypocrites, en réalité. La célébration qui avait uni June des Isles et Hannibal de Roch avait ainsi énormément de points communs avec celle d’Elanore de Caerlyn et Gaucelm d’Odelian, jusque dans la liste des invités. Les hautes sphères s’étaient réunies de nouveau, pour se féliciter de voir la paix du Nord se sceller dans les vœux solennels des mariés. Roi, ducs, barons, venus des quatre coins de la Péninsule, mais pas seulement. Comme lors de cette journée d’automne, deux Dieux s’étaient invités à la fête. Deux Gardiens assistaient, silencieux, à ce que beaucoup jugeaient immoral et condamnable. Un an plus tôt, Katalina avait pu admirer une cérémonie bénie par Néera et Arcam, ou tout du moins par la présence de leurs Elus. C’était à cette occasion qu’elle avait rencontré Aerandir, et que ce dernier l’avait attirée dans son monde. Oiseau blessée, prisonnière de sa cage d’airain, avait-il dit. Il s’était fait un devoir de l’en libérer, de l’arracher aux bras fantomatiques du passé, et avait parfaitement réussi. Les choses avaient bien changé, en un an.

Katalina ne bougeait pas, parfaitement attentive. Sa main droite serrait tendrement celle d’Aerandir, tandis que l’autre recouvrait le tissu de sa robe et en éprouvait la douceur en une douce caresse destinée à l’enfant qui grandissait en elle. Pour la première fois peut-être, elle écoutait avec respect et attention le discours du prêtre, mais pas pour les raisons qu’on aurait pu imaginer. Elle avait toujours été une fidèle des Cinq, priant Néera quand l’occasion s’y prêtait, murmurant ses souhaits au versatile Arcam, suppliant Othar de l’épargner, louant Kiria pour sa générosité, remerciant Tyra pour chaque jour qui n’était pas celui de sa mort. Elle n’avait pas été dévouée au point de leur consacrer sa vie mais le respect l’avait toujours poussée à écouter leur représentant. Pourtant, aujourd’hui, ce n’était pas avec recueillement qu’elle recevait le sermon du Fils de Néera mais avec un esprit critique, se demandant pour la première fois où s’arrêtait le message de la Déesse et où commençait l’interprétation des Hommes. Elle avait eu l’occasion de se rendre compte que les deux différaient parfois.

Katalina esquissa un léger sourire, à peine visible. Etait-ce un subtil appel à la modestie ? Il était certes vrai que la noble n’avait pas songé à sa propre interprétation des paroles qui résonnaient directement dans son esprit. Elle était avantagée comparé aux oracles et autres prophètes, qui ne faisait qu’effleurer ce qui était devenu sa réalité. Elle pencha légèrement la tête, sans raison apparente pour quiconque la regardait à cet instant.

Je l’ai mérité.

Depuis son arrivée, elle n’avait pas quitté Aerandir d’une semelle. Elle s’était accrochée à son bras et ne l’avait plus lâchée, comme pour mieux chercher son soutien. Après tout, à peine s’était-elle retrouvée au milieu des autres invités qu’elle avait eu l’impression d’être de retour dans la fosse aux lions. La même qu’un an plutôt, mais elle n’était plus la même, et celle qui avait craint jusqu’au moindre contact et qui avait faillit hurler quand la demi-elfe chargée de sa protection avait remis en place son châle avait redressé la tête. Le soutien n’était donc pas l’unique raison qui l’avait poussée à ainsi unir son pas à celui de son compagnon. Elle avait juste craint qu’un quelconque mage découvre ce qu’elle était devenue, de la même façon que Trystan s’en était douté jusqu’à ce qu’elle le lui confirme, et avait estimé que rester assez proche du sang mêlé était un bon moyen de brouiller les pistes. Un moyen de joindre l’utile et l’agréable, en quelque sorte. Elle n’était cependant pas certaine qu’elle était parvenue à ses fins. Le prêtre n’était pas venu à sa rencontre pour se jeter à ses pieds, certes, mais ce n’était guère étonnant. Il n’était pas lié à Tyra et n’avait pas réagit de la sorte avec Aerandir. Les nobles, quant à eux, avaient bien pris soin de les éviter, avec une énergie qu’elle n’aurait jamais pu soupçonner. Et pourtant, ce n’était guère étonnant, après tout elle avait fait parler d’elle durant les dernières semaines. Sa demeure avait accueilli d’illustres personnages. Gaucelm d’Odelian, avec qui elle avait conversé la veille. Trystan de Diantra, qu’elle considérait désormais comme un ami autant que comme un Roi. Et surtout, bien entendu, les Hauts Prêtres de Tyra. C’était sans doute cette visite entre toutes qui était à l’origine de l’attitude prudente de ses semblables. Ainsi, Katalina n’était déjà plus de ce monde auquel elle avait voulu faire ses adieux.

La Voix des Morts résonnait dans la chapelle, véritable symphonie aux subtiles intonations. Jamais la Gardienne n’aurait cru un jour pouvoir s’extasier devant de la musique, aussi belle soit-elle, mais ce don de Tyra n’était pas quelque chose de prévisible, et encore moins de naturel. Il était d’une richesse qu’aucun instrument ne pourrait jamais imiter, qu’aucune voix ne saurait approcher. Ils avaient tous été confronté à la mort, ou presque, et chaque plainte venait s’ajouter à l’ensemble. Elle n’avait rien de déprimant ou de morbide, contrairement à ce qu’un profane aurait pu imaginer. C’était plus complexe que ça. Il avait suffit d’accepter sa réalité, de ne pas lutter contre… Un travail difficile, une première étape que Katalina avait franchie. Pourtant, comme avec Johann quelques jours, il y régnait une discordance, qui venait brouiller l’ensemble. Une autre âme qu’elle allait devoir rencontrer, pour une raison dont elle ignorait encore tout, mais elle se doutait que cela n’aurait rien de comparable avec le problème de la cavalière. Serrant un peu plus fort la main d’Aerandir, elle se pencha vers lui.

« J’ai un mauvais pressentiment… » murmura-t-elle, alors qu’elle se rendait compte que Tyra restait muette à ses interrogations.

La Gardienne eut du mal à se concentrer de nouveau sur la cérémonie, si bien qu’elle n’écouta pas un mot de la fin du sermon. Elle ne put se détacher de la Voix des Morts qu’une fois que le Prêtre céda la parole aux presque-mariés. Elle écouta avec un certain amusement le Comte d’Odelian reprendre ses idées, sans réelle surprise mais avec une certaine fierté. Elle espérait qu’ils étaient au gout d’Elanore, après tout elle devait maudire plus qu’autre chose ce jour qui faisait d’elle l’une des femmes les plus puissantes de la Péninsule. Une épouse n’avait pas l’influence de son mari, mais elle pouvait en bénéficier indirectement. Le tout était d’avoir le doigté nécessaire. L’ethernienne était encore jeune, elle avait tout le temps d’apprendre, restait à savoir si Gaucelm lui en laisserait l’occasion. L’hésitation des vœux de la femme-enfant n’échappa pas à Katalina, qui pencha légèrement la tête. C’était une épreuve qu’elle-même avait parcouru, dans des conditions similaires. A peine plus âgée, elle avait du épouser un bourgeois, riche certes, mais néanmoins issu du peuple… Une honte d’autant plus grande qu’il n’avait vu en elle, malgré son rang, malgré son nom, qu’un moyen de s’enrichir. Certes, il n’avait abordé avec fierté ni l’odeur ni l’embonpoint du bien nommé Gras. Au final, Katalina ne la plaignait pas avec autant d’ardeur que d’autres, elle savait que si Elanore manœuvrait avec intelligence, elle saurait gagner de cette union, et elle ne pouvait que lui souhaiter la même chance qu’à elle : que son mari meurt avant elle. Un pari qu’elle était prête à prendre avec n’importe qui.

Et puis vint la magie, claire, magnifique. La Gardienne ne s’était pas attendu à ressentir une telle chose durant la cérémonie, et elle fronça légèrement les sourcils, frustrée de ne pas voir le résultat immédiat, devant se contentait de ces fils qui se nouaient et se dénouaient dans une danse envoûtante et terrible. C’était un travail d’une grande précision, n’ayant rien à voir avec le sort qu’avait utilisé Trystan pour les isoler du reste de la demeure. Quelques murmures étonnés vinrent lui confirmer ses soupçons : il n’était pas nécessaire d’être mage pour comprendre qu’il se passait quelque chose.

« Regardez ! Qu’est-ce ? Un oiseau ?
- On dirait des pétales… Quel bleu !
- De qui vient donc ce prodige ? »

Un oiseau fait de pétales de fleur ? Une démonstration étrange. Fronçant les sourcils, Katalina n’écouta plus les murmures qui couraient, faisant son possible pour oublier l’incident, en vain. Quelque chose clochait, et elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus, jusqu’à ce que… Remontant instinctivement les remouds causés par le sort, elle se concentra sur la source du phénomène qui avait impressionné la noblesse et vit ses doutes confirmés : il était à l’origine de la discordance. Un mystère de plus à ajouter au personnage dont elle ne connaissait pas encore l’identité. Elle n’avait qu’une envie, se lever et marcher vers lui, sans se soucier de la cérémonie qui se poursuivant, sans se soucier des spectateurs. Elle sentait qu’en s’approchant, qu’en écoutant avec plus d’attention la discordance, elle pourrait comprendre et agir, comme cela avait été le cas pour Johann. Elle aurait sans doute fini par céder, mais le brusque mouvement qui s’empara de la chapelle l’arracha à sa transe. Elle poussa un léger soupir et chassa l’homme de ses pensées.

Katalina déglutit légèrement et hocha doucement la tête. Jamais Tyra ne lui avait parlé ainsi, et sans savoir pourquoi, que cela arrive finalement l’effrayait. Elle n’avait aucune idée de quoi faire, seulement qu’elle n’avait pas le choix. Elle avait reconnu la menace, et n’avait aucune envie de la voir être mise à exécution. Elle ne voulait pas, jamais, perdre le contrôle de son corps et devenir une marionnette. Le bon sens lui disait qu’une telle chose était inévitable, pouvait même être salutaire, mais son esprit hurlait sa désapprobation. Elle voyait la possession comme une punition et était déterminée à ne jamais donner de raison à la Déesse de l’appliquer. Sans lâcher la main d’Aerandir, elle se leva et l’attira à sa suite. Le mariage était terminé, il serait même consumé dans la nuit.

« Nous allons enfin pouvoir prendre l’air. » murmura-t-elle au sang-mêlé.

Elle accueillit la légère brise qui lui caressa le visage au passage des portes avec soulagement, et attira Aerandir à l’écart. Elle n’avait aucune envie de se mêler à la foule, pas après l’étrange rencontre - si on pouvait appeler cela une rencontre - qui avait eu lieu pendant l’échange des vœux. Avant qu’il n’use de sa magie, il était perdu dans la masse, mais il s’était révélé de lui-même. Une erreur, sûrement, il ne devait pas savoir avec qu’elle brio il pouvait attirer l’attention de Celle qui attend. Attrapant le bras d’Aerandir, elle posa sa tête sur son épaule sans penser à ce qu’on pourrait penser d’un tel geste et lui parla de tout, de rien, histoire de se changer les idées. Elle ne s’était pas attendu à cela, et ne savait que penser de la confrontation qui se préparait. Dans la chorale qu’était la Voix des Morts, elle crut discerner celle attachée à Trystan. Elle leva un instant le regard vers le sang-mêlé et murmura qu’elle allait saluer un ami, insistant bien sur l’article indéfini pour ne pas le prendre en traitre, et se détacha doucement en lui jurant de revenir vite. Pourtant, elle ne fit pas plus de la moitié de la distance qui la séparait du jeune monarque avant de se figer, interloquée. C’était impossible, et pourtant, cela résonnait à son oreille, chargé de défi.

« Vous devriez être mort. » lâcha-t-elle finalement, presque choquée.

Une autre discordance… Exception, rareté, et pourtant elle en rencontrait deux dans la même journée, au même endroit. Elle ne regardait même pas dans sa direction, sa tête étant dirigée un peu trop sur la droite, tant elle était concentrée sur ce qu’elle entendait plutôt que sur ce qu’elle ne pouvait voir. Elle tenta de se mettre à la place du malheureux. Venant de la part d’une personne soupçonnée d’être liée au Culte de Tyra depuis peu - et devenue aveugle depuis peu, ce qui ne manquait pas d’emballer les imaginations - devait être un brin traumatisant, mais elle ne doutait pas de l’écho qu’elle pourrait trouver. Quoi qui lui était arrivé, elle doutait qu’il l’ait oublié. La noblesse n’était pas si plate et sans substance qu’on pouvait bien le croire, elle en avait la preuve, et s’il était vrai qu’il y évoluait nombres de courtisans et de courtisanes vides et sans personnalités, il était possible d’y trouver des exceptions. Restait à voir comment celle-là réagirait, mais cela promettait d’être intéressant.

Remise de sa surprise, Katalina devait bien avouer qu’il y avait meilleures façons d’entamer une discussion. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait prononcé ces mots en particulier, peut-être parce que c’était exactement ce qu’elle avait ressenti en s’approchant de lui. La discordance tintait encore, clairon provocateur qu’elle était la seule à entendre, et elle savait qu’il lui suffirait de fermer les yeux et de se laisser aller pour en saisir toutes les subtilités, pour en comprendre le message. Malheureusement, même si elle en avait envie, elle ne s’imaginait pas s’assoir au milieu de la nuée de nobles qui l’entourait pour méditer. Aussi devrait-elle se contenter des vertus d’une discussion pour tenter percer ce nouveau mystère. C’était une sensation bien étrange, elle avait toujours été curieuse, mais pas à ce point là. Elle ne s’intéressait pas à l’homme, dont elle ignorait jusqu’à l’identité, mais à son histoire. Il avait connu la guerre, elle le savait d’instinct, mais ce n’était pas ça qui l’intéressait. Une chose était certaine, il ne s’attendait pas à se faire aborder de la sorte. Katalina lui aurait bien avoué qu’elle l’ignorait elle aussi jusqu’à ce qu’elle le fasse, mais ça n’aurait fait qu’ajouter à son trouble, aussi préféra-t-elle ne pas rentrer dans les détails.

« Il ne faut jamais se fier aux rumeurs, messire. » répliqua-t-elle à la place, esquissant un léger sourire. « Elles sont mauvaises conseillères. »

Elle se retrouvait dans une position bien étrange, en train de parler un homme dont elle ignorait le nom et qui avait toutes les raisons nécessaires pour la juger stupide ou, à défaut, idiote. Non pas que cela ait la moindre raison de la déranger, après tout elle ne pensait pas le revoir un jour, mais elle aurait apprécié faire ses adieux à la noblesse sans commettre d’impairs. Enfin, il était encore temps de sauver les meubles et de comprendre le mystère flottant autour du sire, il suffisait juste de manœuvrer habilement. Au moins cette étrange entrée en matière avait-elle eu le mérite d’intéresser son interlocuteur, qui lui demanda quelques éclaircissements. Elle se trouvait dans une situation délicate, il lui posait une question à laquelle il était le seul à pouvoir répondre, sans même le savoir.

« Vous connaissez mon nom, sire, mais je dois avouer ne pas avoir autant de chance que vous. »

De quoi paraître encore un peu plus étrange, voilà qu’elle donnait la preuve qu’elle abordait un inconnu. Une situation des plus embarrassantes, mais elle faisait son possible pour paraître à l’aise et sûre d’elle et y parvenait plutôt bien. L’avantage d’une vie passée à jouer la comédie, c’était qu’on ne perdait jamais vraiment la main, et qu’il suffisait de la motivation adéquate pour retrouver les reflexes d’antan.

« Quant à votre question, j’ai bien peur de ne pouvoir y répondre seule. » avoua-t-elle, alors qu’elle croisait les bras dans ses manches. « Je dois vous paraître légèrement étrange, n’est-ce pas ? »

Autant éviter de se voiler la face, l’honnêteté était la seule carte qu’il lui restait à jouer. Se draper dans sa dignité et tenter de s’y réchauffer malgré les assauts du vent glacé du ridicule n’avait aucune chance d’arranger les choses. Restait à voir ses réactions, il pouvait s’éloigner avec indignation tout comme il pouvait baisser sa garde, poussé par sa curiosité. Dans tous les cas, Katalina allait devoir apprendre à contrôler les conséquences de la sienne, elle ne pouvait pas se permettre de perdre le sens des réalités, ne serait-ce que quelques secondes, à chaque fois qu’elle rencontrerait une discordance.

« Certains seraient sans doute d’accord pour dire que je me suis tenue éloignée des affaires trop longtemps pour y retourner. » répondit-elle avec un sourire mi-figue mi-raisin. « Mais on ne se débarrasse pas de moi aussi facilement qu’ils le voudraient, malheureusement pour eux. »

Détail amusant, elle ne savait absolument pas quoi faire de ce fameux empire qui avait fait sa fierté. Ce n’était pas exactement le genre de chose que l’on pouvait faire disparaître, et encore moins céder à la légère. Elle avait longuement hésité à le redonner définitivement à Trystan, mais ne savait pas si c’était la bonne chose à faire. Une seule chose était certaine : elle ne voulait pas voir l’œuvre de sa vie voler en éclat parce qu’elle ne pouvait plus en maintenir la cohésion. L’idée de voir Langehack et Diantra prendre leur indépendance lui était insupportable, et elle savait qu’ils en avaient largement les moyens. Ces deux comptoirs étaient ceux qui avaient fait le plus de profits, allant jusqu’à dépasser Serramire. Un succès qu’elle avait espéré, calculé, mais qui désormais mettait en danger l’unité de son commerce. Elle allait devoir trouver un successeur, une personne en qui elle pourrait avoir confiance. Une perle rare dont elle ne connaissait, pour l’heure, pas même le nom. Dommage que Théodore ne soit pas un candidat envisageable à cause de son âge avancé, il aurait été parfait sinon.

Mais l’homme ne semblait pas s’intéresser aux difficultés qu’elle rencontrait pour passer la main, et Katalina ne pouvait pas réellement lui en tenir rigueur. Au vu de la façon dont elle l’avait - bien malgré elle - abordée, il était prévisible qu’il demande quelques précisions. Restait à trouver quoi répondre, car pour l’heure, la Gardienne n’avait aucune idée de ce qu’elle allait dire. Elle doutait que l’exacte vérité soit une bonne idée, bien au contraire, c’était s’assurer la mise à mort de son secret pour la nuit au grand maximum. Le fait de ne pas connaître l’identité de son interlocuteur n’aidait pas réellement à se faire une idée de ce qu’elle pouvait dire ou ne pas dire, aussi décida-t-elle de le lui demander. Elle passait pour une folle, mais au moins gagnait-elle du temps, et elle n’avait besoin de rien de plus que du temps pour mettre en ordre ses pensées éparses et pouvoir se focaliser sur autre chose que sur la discordance qui continuait de la fasciner. Il se produisait exactement la même chose que pour Johann, à son grand désarroi, et elle savait qu’elle ne ferait pas un pas de plus avant d’avoir au moins un début de réponse. Il se présenta comme étant Arthur de Melasinir, un nom qui lui était familier. Le temps de fouiller quelques instants dans sa mémoire, et elle se souvint de ce qu’elle savait de lui : noble originaire d’Erac, il avait été connu pour être le représentant des SSR. Et, à sa connaissance, il n’avait jamais été adoubé Chevalier et n’avait aucun lien de parenté avec la baronnie d’Ancenis. Le fait que ces terres eraciennes aient été parmi les premières à se soulever contre Trystan expliquait peut-être cette soudaine élévation sociale, mais rien ne pouvait justifier le premier titre. On ne devenait pas Chevalier pour services rendus, du moins pas à sa connaissance, il y avait tout un entraînement à enduré, et celui-ci commençait aux premières jeunesses, non à l’âge adulte. Elle ne dit rien, cependant, préférant garder ses questions pour plus tard, préférant se concentrer sur celle qu’il lui avait posé. Malheureusement, ses paroles ne devaient sans doute pas satisfaire la curiosité du pauvre baron, qui tenta de la faire parler en se faisant plus précis. Une qualité appréciable, en réalité. Elle le laissa s’épancher, restant sagement silencieuse, réfléchissant déjà à ce qu’elle allait dire.

« En réalité, Baron, tout dépend de vous, et uniquement de vous. » finit-elle par prononcer, esquissant un léger sourire mystérieux. Etrangement, la situation commençait à l’amuser. « Mais avant de vous expliquer plus en détail, j’aimerai savoir si je peux compter sur votre discrétion. »

Se dévoiler, petit à petit, lui semblait être la meilleure chose à faire, et elle avait ici une occasion rêvée de commencer. Qu’importe la réponse du Baron d’Ancenis, elle tâcherait de lui répondre comme elle le pouvait, seule la manière varierait. Mais elle savait, désormais, qu’il était inutile de s’annoncer clairement, il suffisait de le faire deviner au gens, et le reste viendrait de lui-même.

D’un seul coup, tout devenait plus clair, pour la toute récente Gardienne de Tyra. Elle avait toujours cru qu’il allait lui falloir, un jour, affronter les regards. Elle s’était imaginé mille et un scénarii, ainsi que leurs potentielles répercussions. Tour à tour exclue, admirée, ignorée… Elle avait tout imaginé, dans les moindres détails, sans que rien ne l’enchante réellement. Et voilà que, grâce à l’aide inopinée et totalement fortuite d’Arthur de Melasinir, elle trouvait enfin une solution qui lui plaisait. Pour un peu, elle l’aurait presque embrassé, tiens, mais elle doutait d’être bien accueillie et ne voulait même pas imaginer la réaction - disproportionnée - d'Aerandir. Non, mieux valait rester sage et s’en tenir à la résolution qu’elle venait de prendre : ne jamais avouer, ne jamais nier. Que les doutes deviennent des certitudes avec le temps était le meilleur moyen d’amener la chose. Et les graines du doute étaient déjà semées, la visite des Hauts Prêtres avait été la première pierre de cet édifice qu’elle venait à peine d’imaginer. De Melasinir serait la suivante, car Katalina doutait qu’il reste totalement muet.

« Et je vous en remercie. » répondit-elle à sa promesse en esquissant un léger sourire.

Elle était soulagée, et de bien des manières. A ses yeux, ce mariage n’était plus un adieu… Juste une nouvelle étape. Gardienne de Tyra elle était, et Gardienne de Tyra elle serait aux yeux de la noblesse, mais elle n’aurait pas à prononcer ces quelques paroles qu’elle avait cédées à Trystan. « Je suis la nouvelle Gardienne de Tyra. » resterait une phrase taboue.

« Je vais donc vous dire ce que je sais. »

Ou plutôt, ce qu’elle apprenait encore, en écoutant les confessions de la discordance. C’était comme une histoire racontée à voix haute, un récit fleuris, aux métaphores complexes ou, au contraire, hasardeuse, et chanté dans une langue encore méconnu. Avec l’expérience, elle pensait être capable de comprendre sans aide, mais elle avait encore le temps avant de songer y arriver. Pour l’heure, elle avait encore besoin de l’aide des premiers concernés pour tirer au clair ce qu’elle pouvait ressentir.

« Vous devriez être mort. » répéta-t-elle, avant de pencher légèrement la tête sur la droite et de continuer d’une voix calme. « Vous avez frôlé les bras de Tyra, il y a peu. Je ne saurai dire comment, ni même pourquoi, mais je sais cependant que vous n’avez pas pu vous en sortir seul. Vous étiez perdu, et… quelqu’un vous a retrouvé et ramené. » Une intervention extérieure était la seule explication logique, si tout ceux qui frôlaient la mort et s’en sortait par eux-mêmes chantaient ensuite une discordance, alors la chose n’aurait plus rien eu d’exceptionnelle. « Avec l’aide d’une quelconque magie… particulière. Que je n’ai encore jamais rencontré, mais ça n’a rien d’étonnant. »

Elle n’avait rencontré que peu de forme de magie, tout du moins depuis qu’elle était en mesure de les sentir, de les comprendre et de les comparer. Vu ce qu’elle venait de dire, elle était certaine qu’Arthur voyait désormais à quoi elle faisait référence. Elle aurait donné beaucoup pour avoir la chance de voir son visage, mais c’était un vœu vain, elle le savait très bien. Néanmoins, il y avait quelque chose pour la consoler. Cela recommençait. Entièrement concentrée sur la discordance, elle oubliait presque le monde extérieur, comme pour Johann. Elle entrait dans une sorte de transe qui ne lui permettait rien de plus que de tenir une conversation. Pour la jeune femme, elle avait du méditer, pour lui cela venait naturellement. Un progrès dont elle se réjouissait, d’une certaine façon, cela voulait dire qu’elle s’appropriait lentement mais surement ses dons. C’était une sensation… excitante.

« Quoi que cette personne ait fait, cela a changé le cours de votre vie, et pour cause, regardez ce que vous êtes devenu. Croyez-moi, vous devriez être mort. Il n’y avait plus de place en ce monde pour ce que vous avez été. Alors vous avez… changé. Chevalier, baron… Un peu éloigné du porte parole que vous étiez, n’est-ce pas ? »

Tout était là, perdu entre des notes qui n’existaient pas, en tout cas pas pour le commun des mortels. Pour la première fois depuis qu’elle l’entendait et l’utilisait pour se guider, Katalina se demanda si elle était la seule à l’entendre. Pour ce qu’elle en savait, il s’agissait peut-être d’un don particulier à la Gardienne, une compensation à la soudaine cécité qui la frappait. Dans tous les cas, elle découvrait depuis quelques jours toute la richesse de la Voix des Morts… A moins qu’elle ne la sous-estime encore, ce qui était toujours possible. Les discordances étaient-elles ses seuls trésors « cachés » ?

De Melasinir semblait sceptique. L’ancienne négociante aurait donné beaucoup pour pouvoir voir son visage, mais les tonalités de sa voix le trahissaient déjà bien assez. Il ne croyait pas ce qu’elle lui disait, ou plutôt n’arrivait pas à saisir pourquoi elle le lui disait. Katalina elle-même aurait été bien en peine de lui expliquer. La curiosité n’était pas réellement une excuse, et pourtant elle était bien le moteur de la jeune femme. Une curiosité qui n’avait rien de naturelle ; un des effets secondaires des discordances pour ce qu’elle pouvait en juger. D’une certaine façon, il lui avouait qu’elle avait raison - et sur toute la ligne, par-dessus le marché, ce qui ne l’étonnait guère - mais il sous-entendait aussi qu’elle avait pu glaner ces informations un peu partout. En temps normal, elle n’aurait pu qu’opiner du chef, ses comptoirs étant un - modeste - réseau d’information, elle était jadis au fait de ce qui se produisait dans la Péninsule. Son exil à Anaëh, la découverte d’une branche peu avouable de sa famille et sa « rencontre » avec Tyra avaient été autant de raisons de prêter une oreille peu attentives aux ragots.

« J’appellerai cela de l’intuition, et non de la déduction. » le corrigea-t-elle avec un léger sourire. « Croyez-moi, je ne cherche en aucun cas à vous flouer, d’une quelconque façon, et si vraiment cette conversation vous ennuie, je passerai mon chemin. » Ce qu’elle n’espérait pas, elle savait qu’elle ne pourrait se départir de sa frustration si Arthur la priait de s’éloigner. « Dans les cas contraire, je serai ravie d’entendre votre histoire. »

Une histoire passionnante, à n’en pas douter. Du moins l’espérait-elle, que le jeu en valle la chandelle. Elle aurait cependant été étonnée qu’il ne se confie, la noblesse n’était pas un milieu prompte à la confiance spontanée, et Katalina n’aurait pas été étonnée de le voir esquiver la question de crainte de la voir utiliser les informations qu’il pourrait lui livrer malgré lui. Elle ne pouvait pas réellement lui en vouloir, fut un temps où elle aurait agi exactement de la sorte. Mais avant de lui répondre, il décida de la contredire, arguant qu’il n’était devenu baron et chevalier que grâce à la confiance que Trystan lui portait. Une réponse qui fit sourire la Gardienne… un brin tristement, alors qu’elle se rendait compte à quel point ses idées avaient pu changer.

« Nous sommes tous soumis à des volontés plus forte que les nôtres. » commença-t-elle d’une voix étrangement douce. « Certains - beaucoup - vivent et meurent sans s’en rendre compte, mais la réalité est ce qu’elle est. Dans cet immense spectacle de marionnettistes, tout est une question de… degrés de libertés. »

Elle avait toujours cru que le destin n’était qu’une fadaise et que l’être humain était maître de ses choix. Désormais, elle savait que la chose était vraie… Jusqu’à ce qu’Ils en décident autrement. Elle ne devait à personne son ancien statut, mais elle dansait désormais au rythme d’une musique qui n’était plus uniquement la sienne.

« Je ne dis pas que vous alliez forcément devenir Baron, juste que vous ne pouviez plus être le Arthur de Melasinir qui évoluait jadis à Diantra. Vous deviez changer, ce que vous avez fait. » C’était là un étrange discours, elle s’en rendait bien compte, et elle ne le devait qu’à la discordance. Avec un effort, elle s’arracha à la semi-transe dans laquelle elle s’était peu à peu enfoncée. Elle n’y apprendrait rien de plus, elle le savait. « Encore une fois, tout cela doit vous paraître bien étrange, et en réalité, ce n’est pas vraiment important. »

Katalina ne s’était pas attendue à une réaction si… violente. Le mot pouvait paraître un brin exagéré, mais pourtant il convenait parfaitement, car si de Melasinir n’avait ni élevé la voix ni esquissé le moindre geste menaçant, il n’en restait pas moins qu’il venait de rabrouer son interlocutrice. Avec subtilité, mais au fond, cela ne changeait rien. Bien entendu, elle avait prévu le refus, c’était l’apanage de la noblesse que de se méfier des aveux, mais de là à souffrir d’accusations… Qu’avait-il donc à cacher ? Etait-ce un secret si important ? Il savait de quoi elle parlait, sans doute possible, elle avait fait assez d’hypothèses pour qu’il n’hésite pas entre deux événements marquants de sa courte vie. Pourtant, il refusait de la mettre dans la confidence, se justifiant en l’accusant de ne pas assez se dévoiler, elle. Sur le fond, la noble aurait sans doute pu être d’accord, mais elle ne voyait pas vraiment ce qu’elle pouvait lui confier. Johann avait demandé quelques détails sur la vie de son interlocutrice pour se dévoiler elle-même, seulement elle doutait que le Baron d’Ancenis soit aussi curieux qu’elle. Elle pencha la tête, surprise, alors qu’il affirmait qu’elle ne cherchait qu’à le tromper. Et puis, elle comprit. Avec un peu d’aide, certes, mais pour sa décharge, la discordance ne l’aidait pas à réfléchir aussi clairement qu’habituellement. Arthur voulait comprendre comment elle connaissait les faits qu’elle avançait. Et c’était tout à fait son droit, maintenant qu’elle y pensait. Se remémorant leur discussion, elle ne put que concéder au noble que ses discours pouvaient paraître étrange… Lui n’avait pas la Voix des Morts pour le guider, il ne pouvait donc pas comprendre comment une jeune femme qui ne le connaissait pas pouvait émettre des justesses troublantes de justesse à son égard.

« Je suis désolée. » répondit-elle à ses accusations. Katalina ne s’excusait pas - ou peu - mais elle devait avouer que cette occasion s’y prêtait. « Je n’ai jamais voulu vous tromper, simplement comprendre. Mon insistance peut en effet paraître suspecte, mais elle n’est rien d’autre que la conséquence inévitable de… » Elle marque une pause, cherchant ses mots. « De votre énigme. »

Il voulait de la franchise, et il venait d’en avoir, mais elle savait qu’il n’y verrait qu’un nouveau subterfuge. Sortie de sa transe, elle raisonnait de nouveau clairement, et savait que ses mots étaient évasifs. Ce ne serait pas ainsi qu’elle ferait naître l’idée qu’elle pouvait être la Gardienne de Tyra, bien au contraire. Perdue dans les tumultes de la discordance, elle avait perdu de vue son deuxième objectif. Une erreur malheureuse, mais qui ne se reproduirait plus.

« Je ne suis pas née aveugle. Je ne vous apprends sans doute rien, mais jusqu’à récemment, je voyais, de la même façon que vous. » expliqua-t-elle, résolue à donner juste ce qu’il fallait à de Melasinir pour qu’il comprenne qu’elle n’était pas son ennemie, ne lui voulait aucun mal et ne cherchait pas à le berner. « Désormais, j’avance dans un monde de ténèbres… et d’intuitions. Ne me demandez ni pourquoi ni comment, mais parfois, quand je suis proche de quelqu’un, je… sais. Mais jamais précisément, et c’est bien là tout le problème. »

Une drôle d’explication, elle s’en rendait bien compte, mais elle ne voyait pas comment le dire autrement. Son seul tord était peut-être de ne pas dire toute la vérité, mais au moins ne glissait-elle aucun mensonge dans ce que de Melasinir prendrait peut-être pour une fable sans intérêt. Elle se présentait presque sous le jour d’une Oracle, et d’une certaine façon c’était ce qu’elle était. Mais ce n’était pas les voiles changeants du Futur qu’elle tentait de percer. Elle jetait un regard en arrière, sur le passé, le figé, le tu. Mais cela ne voulait pas dire qu’il était plus simple de l’interpréter pour autant.

« Vous pouvez me croire, ou affirmer que je ne suis qu’une affabulatrice en quête d’attentions et de secrets à exploiter. » continua-t-elle, avant d’ajouter la suite avec une pointe d’amusement… et d’avertissements. « Si c’est le cas, je préférerai que vous le taisiez, je ne suis pas sûre de l’apprécier. »

Il lui affirma alors avoir changé pour d’autres raisons que sa « résurrection », et Katalina ne le contesta pas, allant implicitement dans son sens mais ajoutant que ces raisons n’étaient peut-être que la face émergée de l’iceberg. Méfiant encore, il avoua ses doutes quant à ses motivations. Une question légitime, et elle hocha la tête, montrant qu’elle comprenait et qu’il n’y avait aucune offense.

« N’avez-vous jamais essayé de vous souvenir d’un détail, important ou non, avec la certitude que vous ne l’aviez pas oublié mais avec la désagréable incapacité de mettre le doigt dessus ? C’est une situation assez désagréable… Et c’est un peu ce que je vis en ce moment. Pour une raison que je ne m’explique pas, quand je rencontre des personnes qui, comme vous, m’inspirent des savoirs incomplets, je ressens le besoin de les combler, de leur rendre leur intégrité. »

Les mots qui suivirent ses excuses donnèrent à Katalina des envies de meurtre. Bon, pas réellement, mais elle se retint avec grande peine de grincer des dents. Pour qui se prenait de Melasinir ? Fallait-il qu’il ait une si haute opinion de sa petite personne pour ainsi ignorer avec arrogance les excuses de son interlocutrice ? La noble n’avait pas l’habitude d’avouer ses erreurs de la sorte, et encore moins qu’on la sermonne comme si elle était une petite fille les rares fois où elle le faisait. Malgré toute l’amitié qu’elle pouvait avoir pour Trystan, elle doutait soudain de sa clairvoyance. Nommer un tel homme à la tête d’une baronnie aussi sensible qu’Ancenis n’était pas réellement ce qu’elle appelait une « décision politique censée », et forte de son indignation toute subjective, elle n’aurait pas été étonné de voir le « chevalier » - qui se plaisait à user d’un titre qu’il ne méritait, en théorie, même pas - subir un fiasco dans sa prise de fonction. Avec un sens de la diplomatie aussi innée, on se demandait même comment il avait pu être porte parole de quoi que ce soir. Peut-être était-elle un brin susceptible, aussi, mais c’était là une chose qu’elle n’avouerait jamais.

Le plus étonnant restait tout de même qu’elle parvenait à ne rien répondre, ce qui était un indicateur assez fiable de l’impressionnant pouvoir d’une discordance sur sa personne. Les réponses qui dansaient sur ses lèvres auraient tué dans l’œuf tout espoir de le voir se confier, et c’était contre son intérêt. Elle doutait, en effet, de pouvoir obtenir les pièces qui manquaient à son puzzle sans son aide, comme avec Johann. Et même si elle en avait eu l’occasion, le souvenir de la vision qui lui avait inspiré l’épée de la cavalière l’aurait sans doute dissuadée de réitérer la chose. Peut-être par pitié - elle n’était plus disposée à accueillir agréablement la moindre remarque du noble - il ne la fit pas trop attendre, délivrant ce qu’il pensait être la clé de l’énigme, pensant peut-être qu’un récit si succinct ne suffirait pas.

S’il savait, dans ce cas, à quel point il avait tord.

Comme un texte rédigé dans une langue que l’on connaît mal, la compréhension d’une discordance ne nécessite pas de connaître chaque détail. Dans une phrase, les mots les plus importants restent le sujet et le verbe, et bien souvent, les comprendre permet de décrypter les autres, mêmes les inconnus qui trouvent leur sens dans un ensemble plus grand. Pour la Voix des Morts, les choses allaient de même, et avec les clés que lui fournit de Melasinir, elle put - comme pour Johann - saisir toutes les subtilités de cette « énigme ». Une sensation indescriptible, jouissive d’une certaine façon, et porteuse de soulagement. Une sensation inquiétante, pour celle qui ne la comprenait pas parfaitement, mais qu’importe, désormais, elle savait. Elle n’avait plus rien à faire au côté de l’orgueilleux Baron, désormais.

« J’espère, Sire, que vous saurez être plus délicat avec la Prêtresse qui vous sauva la vie, ce jour là. » lâcha-t-elle, d’une voix légèrement froide, en guise de salut, avant de se détourner.

Elle n’avait même plus envie d’aller voir Trystan, pas avant de s’être un peu calmée en tout cas. Aussi, faisant demi-tour sur elle-même - avec toute la grâce de la dame indignée - elle commença à s’éloigner. Il ne lui vint même pas à l’esprit que, peut-être, Arthur s’offusquerait de ses paroles. C’était même, en réalité, le cadet de ses soucis. Il pouvait aussi s’inquiéter, les hommes étaient si prompts à s’inquiéter pour leur chère et tendre.

Qu’il ne s’avise pas de la toucher, cependant… Les conséquences avaient des chances d’être dramatiques.