L'heure de vérité | Gaucelm & Thibault

Lever avec les ombres de Voile qui poursuivait sa noire course dans les cieux, Gaucelm était grave. Il allait revoir son vieil ami pour la première fois depuis ... Trop longtemps à son goût, et maintenant il était trop tard. La nuit fut houleuse, alors que le Gras tourna longuement dans son lit avant de trouver une torpeur relative. Il avait envoyé un valet quérir le maître des lieux, bien que cette idée lui pince le coeur. Phillistin avait accouru en trainant les pieds, cet être insomniaque semblait serein et frais, malgré sa démarche lente. Loup vint à leur rencontre, les invitant à aller retrouver la dernière demeure de feu son père. Le trio s'avança dans les couloirs d'Assar, dans un silence pesant et tendu. Le regard que le Gras avait adressé en guise de bonjour, noyé dans un reniflement de mépris à peine voilé, avait donné le ton de cette matinée. Du bout du corridor, Gaucelm remarqua la silhouette gracile de Marion, la fille de Jehan, toujours aussi agréable à la vue, qui attendait, la mine légèrement fatiguée et triste. Loup crut bon alors de prendre la parole.

Vous connaissez déjà ma sœur, je crois. J’aimerai, si cela ne vous dérange pas, qu’elle soit mon témoin. Elle confirmera la validité de votre auscultation, et ainsi personne ne pourra prendre mon parti si vous en veniez à trouver des preuves m’incriminant.

Phillistin toussa en sentant son suzerain monter en pression, et de bon matin, Gaucelm était particulièrement irritable. Il retroussa légèrement la lèvre supérieure, avant de faire cingler ses mots avec morgue.

Confirmer la validité de mon auscultation? Nul autre que le suzerain de ses terres ne peut valider cette auscultation, et le suzerain ici, c'est moi!

Il serra les mâchoires nerveusement et poursuivit.

Et même si je consentais à un témoin, ce n'est point affaire de femme. Voyez la mine de votre chère soeur, laissez là à son chagrin. N'y voyez aucune offense, Marion, je vous connais depuis votre naissance, et je sais que cette sombre histoire vous fera plus de mal que de bien.

Il revint alors à Loup, ses yeux sombrant dans la noirceur âpre.

Faites mander Thibault. Il est de votre sang et sera des plus impartials également. Douteriez vous de sa bonne foi? Votre propre frère?

Le journée promettait d'être longue et contraignante. Malgré sa colère envers son frère et sa rancoeur envers son père, Thibault savait qu'il aurait du mal à rester totalement insensible à l'inhumation de son géniteur. Il n'avait pas été si proche de lui que Loup, mais il avait été un bon père, malgré son indifférence pour son cadet. Et les circonstances de sa mort pesaient sur le coeur du jeune homme. Comment Loup avait-il pu le tuer aussi sournoisement pour prendre les rênes du domaine? Pourtant, les paroles de la Dame d'Escault s'étaient insinuées dans son esprit : pourquoi tuer pour avoir ce qui lui revenait de droit? Mais il ne devait pas l'écouter, elle était l'alliée de Loup et ne faisait que troubler le cadet pour le compte de l'aîné.

Le jeune noble tournait comme un lion en cage quand un valet fit son entrée, venant de la part de sa Grasseté le comte et du Seigneur son frère. Il arqua un sourcil, priant de façon un peu sèche le valet de s'expliquer. Et ce fut une voix féminine qui lui répondit :

- "Ils ont besoin de toi pour être le témoin de Loup lors de l'examen du corps de Père."

Marion s'encadra dans la porte et congédia gentiment le valet. Le coeur de Thibault se serra en voyant sa soeur, si fragile, si belle, si triste aussi, alors qu'elle tentait de le masquer et de faire le tampon entre ses deux frères. Ses paroles le sortirent de sa contemplation.

- "Quoi? Loup n'aurait jamais demandé à m'avoir comme témoin."

Marion leva les yeux au ciel et se rapprocha de son frère, remettant de l'ordre dans ses vêtements, alors qu'elle reprenait d'une voix grave :

- "C'est le Comte qui te demande."

Thibault, n'eut pas le temps de dire quoique ce soit, qu'elle le regardait droit dans les yeux :

- "Écoute-moi bien Thibault, tu es dépêché là bas pour être le témoin de notre frère et t'assurer de la vérité. Quels que soient les griefs que tu nourris envers Loup, ne les laisse pas t'aveugler et guider ta conduite. Tu es un Rochefort, tu as été élevé dans l'honneur et c'est l'honneur de notre famille qui est en jeu."

- "Qu'est-ce que tu veux dire?"

Thibault s'échappa, foudroyant sa sœur du regard, pâle d'indignation :

- "Serais-tu en train de me dire que je ne dois pas mentir pour incriminer Loup si on ne trouve aucune preuve? Ou si le Comte les falsifie? C'est cela que tu me demandes?"

Doutait-elle à ce point de lui? Le voyait-elle donc comme un homme sans honneur capable des pires fourberies pour arriver à ses fins?

- "Thibault..."

- "Non, tais-toi. Encore une fois, vous me traitez comme un gamin immature. De toutes façons, la question ne se pose pas, il l'a tué."

Il eut à peine le temps de terminer sa phrase qu'elle le gifla, le laissant bouche bée. Elle tremblait de colère et de chagrin, il était allé trop loin.

- "Je t'interdis de dire ça! Comment peux-tu penser cela de ton propre frère? Que les badauds y croient, passe encore, mais pas toi! Loup a été élevé dans l'honneur, comme toi! Il a ses défauts, mais ce n'est pas un assassin. Alors tu vas mettre tes sentiments de côté et te conduire comme le Rochefort que tu es Thibault. Nous devons nous serrer les coudes dans l'épreuve, Père n'aurait pas aimé que nous nous déchirions ainsi, en ces circonstances. S'il te plait, Thibault... Thibault!"

Mais Thibault ne l'écoutait plus. Il l'avait repoussé fermement, avant de se rendre auprès du Comte et de son frère, furieux contre sa sœur. Furieux, mais il devait admettre que son comportement pouvait bien amener sa sœur à penser qu'il pourrait mentir pour enfoncer son frère s'il n'était pas un meurtrier. Et s'il ne l'était pas, Thibault devrait alors ravaler sa fierté et il voyait déjà le sourire supérieur de son frère devant cette victoire. Cela le rendait malade.

Il se présenta alors devant les deux hommes, ignorant son frère et s'agenouillant devant son suzerain.

- "Vous m'avez fait mander Monseigneur, me voilà."

Il se releva alors, le visage fermé.

- "Je serai le témoin de mon frère, ainsi que vous l'avez voulu. Allons-y, que mon père puisse enfin reposer en paix et avoir une sépulture décente."

Mon Seigneur est trop bon

Marion était décidément la plus sage de la fratrie à n'en point douter, elle savait tenir son rang et respecter sa place, là où son aîné se permettait de l'insolence et des regards défiants son suzerain. Rigole, Loupiot, ta fin est proche. D'autant que voir sa mine déconfite lors de la demande de Gaucelm était un spectacle des plus amusants. Il se permit de titiller un peu la rivalité fraternelle des Rochefort en faisant mander Thibault, cadet de la famille, impulsif et surtout plus fidèle qu'aucun autre Rochefort, à part Jehan.

Vous m’imputez des pensées qui ne sont pas miennes

N'y voyez là aucune malice de ma part, mon bon Loup, je m'étonne juste de la situation et me soucie du bien être de Madame votre Soeur.

Il avait rétorqué tout cela avec une compassion apparente et un regard bienveillant vers Marion. Les souvenirs de cette jeune damoiselle qui avait su trouver sa place au milieu de ses frères turbulents, même lors de l'enfance, revint dans la grasse mémoire de Gaucelm. Qu'il était loin ce temps où elle leur faisait tenir leur rôle dans ses propres jeux, sans qu'aucun ne la contredise. Le Gras eut soudain conscience de son âge, lui qui se targuait d'être encore un jouvenceau fougueux, se retrouvait à se remémorer des histoires qui avait plus de deux décennies. Rochefort sortit Sa Grassouillerie de sa nostalgie éphémère.

Il me tarde de tourner cette sombre page de l’histoire des Rochefort. Il y a des sobriquets plus lourds à porter que d’autres, et celui de Parricide est une insulte qu’il est difficile de supporter.

Les lèvres du Gras s'étirèrent en un sourire fin, presque attendri, alors que le Gras se retenait de répondre tout de suite, puisque Rochefort avait poursuivi son intervention en se tournant vers sa soeur.

Pourrais-tu t’assurer que tout est prêt ? La journée promet d’être longue, et notre bon comte aura sans doute envie de se remettre de ses émotions.

Marion battit des cils, tentant de masquer une fois encore sa mine triste et livide, puis dit, doucement, comme à son habitude.

Comme il te plaira… Mon seigneur.

Le comte hocha la tête en guise de salut, s'inclinant légèrement pour rendre la révérence que Marion lui offrait en guise d'adieux. Alors qu'elle s'éloignait dans le corridor, gaucelm ne put s'empêcher de remarquer la stature et le pas élégant et digne de Marion. Elle lui rappelait sa mère, cette chère Clothilde de Beaumont, au même âge, non seulement physiquement, nul ne pouvait le nier, mais dans l'attitude, la démarche, le timbre de voix, une vraie copie conforme. Jehan avait veillé à sa fille bien plus qu'à ses fils, bien qu'il ne le reconnut jamais réellement, et Marion faisait partie des femmes les plus instruites et respectés d'Odélian, loin des sombres réputations dont ses frères s'était vu affublé. Son regard revint alors sur Loup, lui aussi partageant nombre de traits avec sa mère. Il y avait du Beaumont chez ce Rochefort, nul doute, peut-être trop pour pouvoir se revendiquer véritable héritier d'Assar. Il dit alors.

L'histoire des Rochefort n'en est pas à ses premières heures sombres, mais vos ancêtres ont toujours su en sortir plus glorieux qu'avant. Ce sobriquet insultant peut vous être ôté avant le milieu de la journée, je le souhaite.

Il sourit en coin, s'apprêtant un lancer une nouvelle pique, instant qui serait jouissif à n'en point douter.

Mais attendre votre témoin, vous le fait porter quelques instants de plus.

Le sourire narquois du Gras ne laissait aucun doute sur le fait qu'il trouvait "Loup le Parricide", bien plus pertinent que le "Chevalier au Faucon". C'est alors que Thibault les rejoint le pas leste et quelque peu énervé. Dans l'élan de sa course, il plia le genou en saluant son suzerain.

Vous m'avez fait mander Monseigneur, me voilà.

Le Gras retint un petit gloussement amusé en voyant comment ce brave Thibault avait ignoré son frère. Thibault, le cadet de la famille et le plus Rochefort de tous. Si on ne tenait pas compte de sa toison capillaire développé, il partageait les traits de son père au même âge, comme Marion pour leur mère. De vieux souvenirs ressurgirent alors qu'il se rappelait le visage de Jehan lui annonçant ses épousailles avec Clothilde, alors que ses yeux pétillaient comme ceux de son plus jeune fils, lorsque Gaucelm l'avait personnellement nommée en charge de l'archerie odélianne. Jehan en était fier, mais il lui avait probablement trop caché, préférant faire part au Gras de son ressenti plutôt qu'à l'intéressé. Et aujourd'hui il était trop tard ... Le plus jeune des Rochefort poursuivit alors.

Je serai le témoin de mon frère, ainsi que vous l'avez voulu. Allons-y, que mon père puisse enfin reposer en paix et avoir une sépulture décente.

Les bras ouverts, paumes vers le haut et le regard bienveillant, Gaucelm répondit à Thibault avec paternité.

Allons, allons, Thibault, relevez vous. Laissons les salamaleques de cour pour un autre endroit. Nous sommes tous égaux devant la peine que nous inflige cette sombre histoire.

Il détourna alors le regard vers Loup, lui souriant, espérant bien lui faire comprendre, que lui, n'était pas concerné par cette phrase. Il avait intérêt à les faire ses courbettes et ses salutations, et comme on lui avait inculqué dans son jeune âge. Phillistin, lui, clignait des yeux silencieusement, se désintéressant totalement de ce qui se passait autour de lui, semblant somnoler debout, effondré sur sa propre colonne vertébrale comme le plus moyen des adolescents boutonneux à la frange frontale développée. Le Gras fit alors.

J'attends de vous que vous soyez le témoin d'Assar tout entier, et pas uniquement celui de votre frère. Bien, entrons.

Et c'est ce qu'ils firent, suivi par la démarche ondulante du médecin odélian, qui semblait avoir retrouver un regain d'énergie à l'évocation de la pratique imminente de ses compétences. Le Gras lança un dernier sourire triomphant à Loup en fermant la porte, le laissant ruminer son sort à l'extérieur comme le garnement puni qu'il était. Le clic aigüe de la mallette de Phillistin retentit, alors que se gestes et son attitude se faisait de plus en plus précise. Il était presque admirable de duplicité celui-là. Rien ne l'intéressait à part la médecine et ses dérives, et il ne déployait son énergie que dans leur pratique. Il commença à lever le suaire de Jehan, alors que Gaucelm semblait saisi par la fadeur de ses traits. Il avait peine à le reconnaître, semblant plus ridé que dans son souvenir, et ses lèvres semblaient fort pincées. Les sourcils du comte se froncèrent tentant de se contenir malgré sa gorge nouée. Il releva les yeux vers Thibault, alors que Phillisitin commençait à ausculter la tête du défunt.

Je trouve que vous surmontez cette épreuve avec noblesse, Thibault, cela vous honore. Votre père doit être fier de vous.

Le jeune homme n'avait qu'une envie : qu'on en finisse avec cette histoire. Au moins, sur ce point, était-il en complète harmonie avec son frère, pas forcément pour les mêmes raisons. Loup était l'accusé, son frère serait celui qui lui permettrait l'acquittement ou au contraire la condamnation. pouvoir énorme détenu entre les main de son frère ennemi. Oui, Loup avait de quoi avoir peur et être préoccupé, mais Thibault ne lui prêta aucune attention. Il ne chercha pas à lire l'angoisse ou l'inquiétude dans ses yeux, il ne faisait que le mépriser. La dernière fois qu'ils s'étaient parlé, Thibault avait frappé Loup, qui ne s'était pas gêné pour lui rendre la pareille avant de le sermonner. C'étaient davantage ses paroles que son geste qui avaient exaspéré le cadet. Depuis son arrivée à Assar, le jeune officier de l'armée Odélianne n'avait pas adressé la parole à son frère, ni même accordé un regard. Il s'était rendu près de sa mère, et avait conversé avec sa sœur brièvement, préférant s'enfermer dans la solitude. Il était un étranger ici de toutes façons, il suffisait de voir l'attitude des domestiques avec lui, si différente de celle adoptée pour les autres membres de sa famille. Il avait encore en tête le discours de Marion, ses mises en garde, ses recommandations. Il sentait encore la morsure cuisante de sa main sur sa joue, même si aucune trace ne trahissait l'incident. Marion devait s'affairer à organiser l'enterrement, se rongeant les sangs en se demandant ce qu'il allait ressortir de tout cela.

Aussi Thibault salua-t-il son suzerain, avant de demander à se hâter, souhaitant clore une fois pour toute ce chapitre douloureux et déplaisant. Que l'on retrouve des traces de la perfidie de Loup et qu'on en finisse, voilà ce qu'il avait envie de déclarer, mais il tint sa langue, demandant simplement à ce qu'on se mette en route, pour enfin pouvoir honorer la dépouille de leur père. il se releva aux paroles du Comte qui lui parlait comme à un membre de la famille... Comme son père l'aurait fait et cela le frappa un nouvelle fois. Pour une raison obscure, le Comte s'était toujours comporté ainsi avec lui, quand Jehan le faisait avec loup. Avait-il capté le malaise du cadet? Se servait-il de cette faille dans son âme pour asseoir son emprise sur un Thibault qui deviendrait ainsi un pion pour ses ambitions? Possible, mais le jeune homme n'y pensait pas pour le moment. Il inclina légèrement la tête quand le Comte le reprit, faisant de lui le témoin d'Assar.

- "Naturellement."


Il fallait que la vérité éclate et que le sang des Rochefort soit purifié. Si Loup avait tué Jehan, alors il le paierait. Dans le cas contraire... L'honneur de la famille serait sauf, mais Thibault n'avait pas fini de s'attirer des regards désagréables pour avoir douté si ouvertement de son frère. Sans parler des excuses qu'il devrait présenter ensuite à son frère et seigneur. Rien que ça suffisait à lui donner envie d'avoir raison. Il emboita le pas au Comte, se dirigeant vers le lieu où reposait son père qu'il n'avait pas vu depuis bien longtemps. Il n'était pas venu voir son corps encore, aussi, c'est avec une certaine angoisse qu'il attendit que le médecin qui semblait revenu à la vie dans l'exercice de son art, lève le suaire et expose à leur vue le visage de son père. Il sentit son estomac se tordre de chagrin en voyant le visage livide, le teint cireux de son père. Lui qui avait été si fort, si imposant dans la vie, comment pouvait-il paraître si fragile dans la mort? N'était-ce que sa formidable volonté qui en avait fait l'homme qu'il était? Cette vision lui fit mal. Comme il aurait aimé voir la fierté dans les yeux de son père, entendre son approbation quant à la voie qu'il avait emprunté, quant à l'homme qu'il était devenu. Une étincelle de réelle souffrance s'alluma dans ses yeux, bien vite chassée par le contrôle qu'il exerçait sur lui-même. Hors de question de montrer une quelconque faiblesse. Mais les mots du Comte faillirent avoir raison de ses bonnes résolutions. Comme s'il avait lu dans l'esprit du jeune homme, comme s'il devinait ses émotions, ses espoirs déçus. Il lança un regard insondable au Comte, avant de regarder de nouveau son père entre les mains du médecin.

- "Peut-être. vous le connaissiez sans doute mieux que moi."

Il soupira, reprenant d'une voix contrôlée :

- "Je ne peux que me montrer digne de lui alors que nous allons l'honorer une dernière fois."

Mais c'était trop tard, son père ne pouvait plus le voir, ne pouvait plus suivre son parcours et le juger. D'approbation, point de signes de son vivant, de fierté non plus. Il avait passé davantage de temps avec Loup, Marion, Clothilde et Gaucelm qu'avec son cadet. Finalement, ils n'étaient que deux étrangers. Et malgré sa rancœur, sa mort l'affectait, pour tous les espoirs déçus qui s'envolaient avec lui.

- "Il est étrange de constater comme la vie lui apportait toute sa grandeur. Privé de celle-ci, il semble... fragile. Et usé."

Et c'était cette image qui causait le plus de souffrance au jeune homme. Comme cela devait affecter le Comte de voir son ami gisant ainsi et même Loup, même s'il n'attendait aucune réponse de sa part devant ce constat saisissant et affligeant. Mais le doute s'insinua dans son esprit : ainsi, il ressemblait bien à un vieillard, un homme usé et sans doute diminué physiquement. Se pourrait-il que tout ceci ne soit en effet qu'un accident? Qu'ils aient tous oublié qu'il vieillissait de par sa volonté et sa détermination?

Phillistin continuait son auscultation minutieuse de la dépouille froide de Jehan, ne prêtant guère attention à l'échange qui avait lieu entre Gaucelm et Thibault. Voyant les traits de Thibault se vriller sous l'effet de la tristesse et de la colère, Sa Grasseté assura le jeune Rochefort de la fierté de son père. Thibault sembla saisi, pendant une seconde, observant son suzerain avec une pointe d'incompréhension et d'amertume.

Peut-être. vous le connaissiez sans doute mieux que moi.

Quel triste aveu pour un jeune damoiseau qui venait de perdre son père. Nul doute qu'il pensait totalement ces mots, car Jehan avait voulu voir son cadet se faire seul, comme il l'avait fait dans sa prime jeunesse. Seulement, il avait peut-être trop souvent oublié de lui rappeler qu'il prenait garde à son sort et qu'il aimait ce que le jeune Thibault était devenu. Bien au contraire, son fils semblait avoir viré dans une semi indifférence et une semi haine. Rochefort poursuivit.

Je ne peux que me montrer digne de lui alors que nous allons l'honorer une dernière fois.

Gaucelm sourit, observant ce jeune odélian qui gardait toute sa noblesse, en luttant contre le chagrin. Les mots du Gras résonnèrent avec simplicité et empathie.

Votre père n'était pas toujours adroit pour exprimer ses sentiments, mais je peux vous assurer qu'il voyait en vous son vrai héritier. Vous lui ressemblez tellement.

Le jeune Rochefort reposa ses yeux sur son père, endormi pour l'éternité et ajouta.

Il est étrange de constater comme la vie lui apportait toute sa grandeur. Privé de celle-ci, il semble... fragile. Et usé.

Certes, mon bon Thibault, la vie a emporté sa superbe en quittant son corps.

Le Gras avait baissé lui aussi les yeux, tentant de déceler ce que faisait le médecin, qui s'affairait autour du corps de Jehan. Celui-ci finissait d'inspecter les mains raidies de l'ancien Seigneur d'Assar et plongea sa main dans sa sacoche et en sortit une seringue métallique, portant une aiguille fine et longue. Il leva alors les yeux et déclara.

Il semblerait que la mort soit dû à une fracture de la nuque. De plus, les rétines sont totalement brûlées, je crains que le Seigneur de Rochefort n'est perdu la vue, avant de perdre la vie.

Sa Grassouillerie leva des yeux désolés vers Thibault, visiblement l'honneur de son frère serait lavé, à moins que ... Phillistin tenait la main de Jehan alors qu'il semblait attendre pour faire l'injection. Le Gras ajouta alors, sérieux et froid.

Au moins, pouvons nous être soulagé, ce bon Jehan n'a pas été empoisonné. A moins que ... Vous n'en décidiez autrement, Thibault

Comme il était difficile de détourner le regard de ce corps froid, rigide et sans vie. Thibault n'arrivait pas à parler au Comte et à le regarder, sans cesse, son regard déviait. Il en profita pour laisser transparaitre sa tristesse de ne pas avoir été davantage considéré par son père alors que le Comte lui offrait une oreille attentive. Oh, pas de pleurnicheries, ni d'états d'âme, juste un amer constat, une vérité nue. Le Comte ne répondit d'ailleurs rien, se contentant de parler de la façon dont Thibault affrontait cette épreuve, ce à quoi le jeune homme répondit que c'était naturel. Le commentaire de Gaucelm l'arracha de sa contemplation morbide. Avait-il bien entendu? Le Comte venait-il de lui dire que son père lui avait parlé de son cadet en bien? Et en tant qu'héritier? Il avait bien du mal à y croire, ne voyant là que des paroles réconfortantes.

Thibault reprit la parole en soulignant combien il était choqué par le corps sans vie de son père, qu'il avait pensé immortel. Il ne put que hocher la tête à la réplique du Comte, alors que le médecin s'affairait toujours, avant de déclarer que la mort était accidentelle et s'était passée comme Loup l'avait décrite. Le cadet ouvrit de grands yeux, incrédule devant ce constat.

- "Non, il doit y avoir une erreur, Père ne serait jamais mort aussi bêtement..."

Et pourtant... Il avait regardé l'éclipse, en avait été aveuglé et s'était cogné contre une branche, avant de se briser la nuque dans sa chute. Loup ne l'avait pas tué et Thibault l'avait accusé violemment, à tort. Il serra les mâchoires, alors que la colère éclairait ses yeux d'ambre. Cependant, la seringue du médecin ne lui échappa pas, pas plus que son air d'attendre quelque chose. Il écouta alors Gaucelm, sentant son échine se glacer devant sa proposition déloyale et absolument immorale. Il ne fit pas l'affront de demander au Comte de répéter, il avait, malheureusement, très bien saisi ce qu'on lui demandait. Le Comte l'avait fait mander en lieu et place de Marion pour être le témoin de Loup... Parce qu'il était son frère, mais aussi le plus apte à le trahir et à l'incriminer. Il se raidit devant ce bafouement de l'honneur. Gaucelm n'avait jamais du prêter serment et devenir chevalier pour être aussi retors et pervers. Et cela révulsait le jeune Rochefort.

Et pourtant... Pourtant, une petite voix perfide lui glissait qu'il lui suffisait d'un mot pour sceller le destin de Loup, pour l'envoyer croupir en prison, voire même le condamner à mort. Il lui suffisait de laisser le médecin faire l'injection et conclure à l'empoisonnement. Les paroles de Faustine lui revinrent en force : si empoisonnement il y avait, le cadet pouvait être autant incriminé que le second, sauf que Thibault était à Odelian au moment du drame. Ce qui n'empêchait pas de prendre un homme de main.

Et les mises en garde de Marion s'insinuèrent avec force dans son esprit, le mettant en garde contre le poison de la jalousie. Avait-elle senti venir la fourberie?

Le jeune homme était confronté à la plus difficile décision de toute son existence. En lui, s'affrontaient haine et honneur.

Sa mère et sa sœur ne lui pardonneraient jamais d'avoir scellé le destin de Loup. Mais s'il ne faisait rien, il resterait encore le second, l'éternel second. Il posa son regard sur la silhouette de son père. il était mor,t il ne pouvait pas voir cela, mais s'il l'avait pu, il en aurait été malade... A moins qu'il n'ai caché son jeu et ai été plus souvent complique qu'à son tour des manigances de Gaucelm.

- "Monseigneur, quelles valeurs attribuiez vous à mon père? Était-il votre fidèle complice? Louiez-vous son honneur, sa loyauté?"

Il détourna le regard du cadavre pour le planter dans celui du comte avec une lueur de détermination farouche dans son regard.

- "Vous qui avez davantage connu mon père que moi, qui savez sa fierté à mon égard, qui avez atteint votre trône avec lui, que dirait-il s'il était avec nous aujourd'hui? Que dirait-il s'il apprenait que son ami propose à l'un de ses fils de condamner son autre fils, par duperie?"

L'intimité du lieu aurait pu être propice aux plus sombres complots si la dépouille de Jehan ne trônait pas solennellement en son centre, blafard et froid. Phillistin annonça le résultat de son analyse avec toute la froideur scientifique qui pouvait le caractériser. Le plus jeune des fils Rochefort ne put retenir une protestation que nota le Gras.

Non, il doit y avoir une erreur, Père ne serait jamais mort aussi bêtement...

Il croisa le regard enragé de Thibault, souriant avec paternité, une fois encore. Il rebondit sur l'intervention de Rochefort, s'appliquant à le brosser dans le sens du poil et préparant son coup avec soin.

Il est difficile de croire à cette histoire, mais malheureusement, la vie est un cadeau éphémère que Tyra s'amuse à reprendre de manière inopportune.

Si Phillistin assurait que la cause de la mort était naturelle, elles l'étaient. Il avait suffisamment vu de cadavres, et avait suffisamment empoisonné de personne avant d'en camoufler les conséquences, qu'il maitrisait son sujet sur le bout des doigts. Le grand maigre sortit la seringue et attendit patiemment, rompu aux complots de son suzerain et ne cherchant jamais à les discuter. Il attendait alors que Sa Grasseté laissait entendre que selon la volonté de Thibault, le diagnostic pouvait changer. Thibault posa de nouvelles questions au lieu de répondre, astuce politique qu'il maitrisait déjà visiblement, et malgré son jeune âge.

Monseigneur, quelles valeurs attribuiez vous à mon père? Était-il votre fidèle complice? Louiez-vous son honneur, sa loyauté?

Gaucelm gloussa, amusé et s'écria.

Des questions au lieu de réponses. Votre défunt père aimait faire de même.

Le ton n'était en rien provoquant, mais plutôt affectueux, rappelant quelques débats houleux avec Jehan, mais toujours constructifs. Thibault reprit son interrogatoire, toisant le Gras dans les yeux, élevant légèrement le ton, déterminé.

Vous qui avez davantage connu mon père que moi, qui savez sa fierté à mon égard, qui avez atteint votre trône avec lui, que dirait-il s'il était avec nous aujourd'hui? Que dirait-il s'il apprenait que son ami propose à l'un de ses fils de condamner son autre fils, par duperie?

La réponse de Gaucelm fut cinglante, comme souvent lorsque son interlocuteur s'égarait un peu trop dans des considérations hors sujet, à son goût.

Thibault! Veuillez veiller à votre ton, lorsque vous vous adressez à votre suzerain!

Le ton s'adoucit ainsi que son visage, alors qu'il poursuivait son laïus.

Votre père fut le compagnon le plus fidèle et le plus précieux que j'ai connu! Il était à mes côtés lors de mon accession au trône comtal, et sans son appui, je ne serais probablement pas à la tête du comté.

Phrase lourde de sens, lorsqu'on sait que Jehan avait organisé l'assassinat du vieux comte précédent, aussi actif qu'une moule sur son rocher, et qui laissait les terres en proie à l'autogestion. Il poursuivit.

Ce fut lui qui fit tomber l'est d'Etherna lors de la libération de la baronnie, lui qui a su empêcher le trouble dans le Nord, lorsque le régent de Scylla fut prit d'un désir de voyage. Aucun mot ne saurait décrire le sentiment fraternel que je ressentais hier, et qui me vrille l'estomac aujourd'hui.

Il s'était approché de la tête du défunt, s'attendrissant presque devant l'image de son vieil ami endormi, puis il releva les yeux, continuant son discours.

Jehan n'avait cure de l'avis des défunts. Ceux-ci ont leur propres affaires dans le Royaume de Tyra. Nous parlons ici entre noble sang, et être vivant. J'ai le pouvoir de vous nommer Témoin d'Assar, mais seul votre voeu fera de vous le seigneur de ses terres. Je n'aime guère l'arrogance de votre frère, sans parler de son manque de respect envers moi, sans parler de sa proportion à papillonner de femmes en femmes, en prenant le prétexte de son veuvage. Il pense qu'il est discret, mais pourtant nombre de ses bâtards peuplent les rues de votre bonne cité, et je suis sur que de ses voyages ont également porté leur fruit.

Le regard du Gras devint de plus en plus déterminé, alors qu'il menait sa barque paisiblement sur les flots du complot. Il acheva enfin, en utilisant le même ton que Thibault précédemment.

Croyez vous qu'il est un exemple pour le peuple? Croyez vous que c'est une conduite noble? Croyez vous que Jehan aurait aimé que son héritier est plus souvent engrossé des gueuses que sa propre épouse? J'ai toujours pensé qu'il aurait fallut que vous naquisse le premier, alors voyez ceci comme une possible revanche sur le hasard du temps. Jamais cette discussion ne sortira de ses murs, et je tairai le moindre mot que vous puissiez prononcer. Le choix vous appartient, Thibault, je ne suis ici que pour vous aider à prendre cette revanche sur la vie, comme Jehan m'aida à prendre la mienne. Quelque soit votre réponse, je suis convaincu que ce sera la bonne.

Quoique si il choisissait d'évincer son frère, ce choix serait plus judicieux ...

Non, il ne pouvait pas être mort ainsi, pas si facilement, pas si bêtement. Les paroles du Comte ne pouvaient que résonner dans son esprit. Tyra faisait ce qu'elle voulait et décidait de la mort de chacun ici bas. Mais quand même..

- "Au vu de la vie qu'il a mené, on aurait pu espérer que Tyra lui accorde la grâce de mourir sur son cheval, comme il a vécu, dignement."

Le jeune homme fut choqué dés lors de la proposition du comte... Mentir, assurer qu'il était mort par empoisonnement. Se parjurer, mais y gagner un fief, du prestige... sur un mensonge. Alors il tenta de gagner un peu de temps, d'amener le Comte à comprendre l'éducation du cadet des Rochefort. Il lui demanda ce que représentait Jehan pour lui, enchainant les questions.

- "J'ai été à bonne école Monseigneur."

Il inclina doucement la tête, un fin sourire aux lèvres, heureux que l'on retrouve de son père en lui, surtout dans l'art délicat de la diplomatie. Et diplomate, il fallait l'être dans ce monde. Mais il alla trop loin, se faisant vertement tancer par le Comte. Il ne broncha pas mais se tut. Alors le Comte consentit à lui répondre, sous entendant que Jehan était d'une fidélité absolue, jusqu'à l'aider dans ses petites manigances. Loup savait-il cela? S'en doutait-il? Probablement. Il hocha brièvement la tête quand Gaucelm évoqua le sentiment de fraternité qui les unissait, bien plus fort que celui qui unissait Loup et Thibault, ironiquement. Il retint un sourire grimaçant quand le comte énuméra les défauts de Loup. Bien, Gaucelm n'aimait pas le nouveau seigneur d'Assar qui faisait de la résistance. Trio irrespectueux, trop libertin...

- "Comme je vous l'ai dis, je ne sais ce qu'il aurait pensé de cela. Je ne sais ce qu'il pensait de son héritier. Je sais juste qu'il l'a élevé pour qu'il prenne sa suite et que jamais il ne l'a sermonné sur sa conduite, que ce soit son arrogance déplacée ou son incapacité à résister aux charmes féminins."

Il tourna une dernière fois le visage vers son défunt père. Il ne pouvait plus retarder sa décision et n'était pas encore très sûr de lui à ce moment précis. Il tourna pourtant fermement la tête vers gaucelm.

- "Monseigneur, vous pouvez être assuré de ma fidélité absolue, comme mon défunt père et j'espère être un sujet d'aussi grande valeur que lui pour vous."

Mais, il y avait un mais...

- "Je suis un chevalier Monseigneur et même si je hais mon frère, je ne saurais le faire tomber sur un mensonge. Il est arrogant, coureur de jupons, mais ce ne sont pas là des crimes qui suffisent à l'évincer. Je ne saurais prendre Assar de cette manière. Je suis navré Monseigneur. J'espère toutefois que mon honnêteté et mon intégrité ne vous feront pas douter de ma loyauté. Perdre votre affection, serait comme perdre une deuxième fois un père."

Il s'inclina légèrement, avant de reprendre, durement :

- "Sachez cependant que je serais là au moindre faux pas qu'il commettra et que, tôt ou tard, il perdra Assar."

Au vu de la vie qu'il a mené, on aurait pu espérer que Tyra lui accorde la grâce de mourir sur son cheval, comme il a vécu, dignement.

Le jeune homme restait amer et semblait bien parti pour le rester un bon moment. Gaucelm ne put qu'acquiescer avec un petit sourire, opinant légèrement du chef, avant de faire remarquer le trait commun que Thibault partageait avec son défunt père. Il avait été à bonne école, disait-il, et il n'avait pas idée à quel point. Vint alors le plaidoyer flamboyant du Gras, plein de subtilité et d'influence sous-jacente. Il mêlait fermeté et complicité avec habileté, manquant presque de se convaincre du bien fondé et de la légitimité de sa proposition. La réponse du jeune noble scellerait le destin d'Assar.

Comme je vous l'ai dis, je ne sais ce qu'il aurait pensé de cela. Je ne sais ce qu'il pensait de son héritier. Je sais juste qu'il l'a élevé pour qu'il prenne sa suite et que jamais il ne l'a sermonné sur sa conduite, que ce soit son arrogance déplacée ou son incapacité à résister aux charmes féminins. Monseigneur, vous pouvez être assuré de ma fidélité absolue, comme mon défunt père et j'espère être un sujet d'aussi grande valeur que lui pour vous. Je suis un chevalier Monseigneur et même si je hais mon frère, je ne saurais le faire tomber sur un mensonge. Il est arrogant, coureur de jupons, mais ce ne sont pas là des crimes qui suffisent à l'évincer. Je ne saurais prendre Assar de cette manière. Je suis navré Monseigneur. J'espère toutefois que mon honnêteté et mon intégrité ne vous feront pas douter de ma loyauté. Perdre votre affection, serait comme perdre une deuxième fois un père.

Petit idiot! Loup le chevalier au faucon et son frère à l'intelligence de moineau! Crétin! Sombre imbécile! Peut-être qu'il appréciait de n'être que le second, chose qui différenciait clairement de Jehan. Il s'inclina devant Sa Grasseté, cherchant à montrer une nouvelle fois son allégeance, avant d'ajouter.

Sachez cependant que je serais là au moindre faux pas qu'il commettra et que, tôt ou tard, il perdra Assar.

La réplique du Gras claqua avec un cynisme palpable.

Vous préférez attendre que bousculer le destin, cela est votre choix.

Le Gras toisait avec dédain le jeune Rochefort, et là, le jeune homme pouvait lire bien plus que de la déception dans le regard. Il avait en face de lui un faible, finalement peut-être que l'aîné conviendrait, car lui au moins savait prendre ses responsabilités, car même si il était d'un insolence irritante, au moins il savait se salir les mains lorsqu'il le fallait. Le regard de gaucelm transperça Rochefort en silence, pendant une poignée de seconde qui paru une éternité pour Phillistin qui attendait toujours l'ordre de son suzerain. Le Gras tourna le regard vers son médecin et lui dit, d'un ton se radoucissant.

Rangez ça, mon bon! le Sieur de Rochefort a fait son choix.

Le Gras dissimula alors son orgueil blessé par le refus sous un grand sourire jovial, détendant ses traits dans un simulâcre parfait de bonhommie, tandis que Phillistin, rangeait son attirail avec application, comme lors du déballage. Le comte s'écria alors.

Bravo, mon petit!

Il se tourna alors vers Thibault, souriant, et poursuivit.

Bravo! Vous avez passé haut la main ce petit test. J'ai besoin de personne de confiance et d'honneur maintenant que votre défunt père nous a quitté. Je vois que votre droiture d'âme est infaillible, cela me plaît.

Il prit alors le jeune homme dans ses bras, dans une impulsion paternelle des plus feintes. Oh n'alez pas croire qu'il se ramollissait avec le temps, mais comprenez bien qu'un pion à manipuler, ça se choie, ça se flatte, ça s'entretient. Thibault semble être encore un peu jeune, mais il paierait cette insubordination, d'une manière ou d'une autre, il paierait. Il acheva l'accolade avant de dire, en posant ses mains sur les épaules de Thibault.

Allons l'annoncer à votre frère! Que nous puissions accompagner votre père dans son dernier voyage.

Le Gras l'eut-il frappé au visage qu'il n'aurait pas été davantage ébranlé. Sa réponse cynique à souhait piqua le jeune homme au vif et il sentit qu'une fois de plus, il avait causé de la déception chez quelqu'un. Et cela lui fit plus mal que tout le reste. Gaucelm avait été là quand tous se détournaient du cadet, il l'avait encouragé, l'avait soutenu dans son élévation au sein de l'armée, avait cru en lui et voilà qu'il le décevait en n'entrant pas dans son jeu, en ne permettant pas de faire tomber Loup en mentant... Il n'avait pas à se sentir aussi mal d'agir avec honneur... Et pourtant... Les doutes revinrent avec force quant à la pertinence de sa décision. Toujours il se demanderait s'il avait fait ce qu'il fallait. Il se raidit donc, se composant un masque de neutralité absolue. Même si le regard de Gaucelm le transperçait. Finalement, il donna l'ordre à son médecin de ne pas toucher au corps.

Et là, l'attitude du Comte changea, laissant le jeune homme perplexe alors qu'il le félicitait d'avoir passé un test avec succès. Suspicieux, le jeune homme ne répondit pas. Que penser? le gras se fichait-il de lui, essayait-il de récupérer sa bourde en ayant laissé voir sa déception de toute à l'heure? Avait-il décidé qu'il valait mieux garder Thibault dans son camp? Méfiant, le jeune homme resta muet, se contentant de hocher la tête un peu sèchement. C'est là que le Comte prit le jeune chevalier dans ses bras. Celui-ci se raidit, surprit de cette soudain effusion et surtout, de ce brusque changement de comportement chez le Comte. Où était le réel et la comédie?

- "Oui Monseigneur."

Il emboita le pas au Comte, avant de marquer un temps d'arrêt et de déclarer :

- "Qu'importe ce qu'il s'est passé aujourd'hui Monseigneur, j'espère qu'à votre contact et avec le temps, je saurais être un compagnon aussi digne de vous que le fut mon père."

Et ce fut tout, les deux hommes, suivis du médecin, revinrent dans la pièce où Loup attendait le verdict. Son frère lui lança un long regard, difficile à déchiffrer, laissant le Comte lui apporter les résultats de l'examen.

Ainsi donc, ce n'est pas aujourd'hui qu'il aurait la tête du nouveau seigneur d'Assar. Les accusations de parricide serait levées publiquement, lavant le nom du chevalier au faucon de tout soupçon. Ainsi donc, l'aigreur du jeune Rochefort n'était pas encore assez développé, ou son sens de la vertu l'était trop. Qu'importe! Il lui faudrait composer avec les héritiers de Jehan, chaque chose en son temps. La voix de Thibault vint capter l'oreille de Gaucelm.

Qu'importe ce qu'il s'est passé aujourd'hui Monseigneur, j'espère qu'à votre contact et avec le temps, je saurais être un compagnon aussi digne de vous que le fut mon père.

Quel crétin! Il se tourna vers lui, un petit sourire en coin, alors que Phillistin jettait un regard dubitatif au jeune Rochefort. Gaucelm parla calmement avant de passer la porte qui les ferait rejoindre Loup.

Ce qu'il s'est passé? De quoi parlez vous?

Il jeta un oeil vers le médecin, qui haussa les épaules mollement, puis il revint à Thibault.

Ce n'était qu'une simple vérification et faite pour discréditer les sombres rumeurs concernant votre frère, Thibault.

Même si le ton était cordial, les mots claquaient avec une certaine autorité, qui n'appelait pas de contestation. La porte s'ouvrit alors sur le seigneur d'Assar, qui ne s'écria, avec toute l'arrogance dont il savait faire preuve.

J'espère que votre médecin a pu prouver mon innocence et la bonne foi de mes dires

Sans attendre, le Gras répondit avec une certaine sévérité.

Certes ! Phillistin en a témoigné, votre père est mort accidentellement.

Il prit un petit temps, déglutissant pour prendre un air moins grave et poursuivit.

Votre nom et votre honneur sont lavé céans de toutes accusations. Que ceux qui médisent sur votre compte, soit emprisonner pour calomnies ...

Les mots lui écorchaient la langue, mais il se gardait bien de le montrer, faisant preuve de tout l'art du paraître qu'il maniait avec habileté. Il acheva enfin.

Faites convoquer les prêtres de Tyra. Laissons-le nous quitter en paix, maintenant.