Ton amie te mande | Sarina

Alors que la flotte Soltaar voguait paisiblement sur le chemin du retour, ses affaires dans la Principauté de Thaar entérinées, il avait été décidé une halte à Sybrondil. Cela avait constitué une sorte de retour aux sources pour Kahina, qui avait trouvé des visages fermés pour l’accueillir, bien loin des mouvements de liesses dont pouvait jouir Maciste en son temps. La santé du baron inquiétait, bien entendu, mais ce n’était pas seulement ça. La nouvelle duchesse restait une étrangère ; elle avait beau avoir réussi à planter profondément ses griffes avides dans la Sybrondie, s’assurant au passage un soutien de mauvaise grâce, il lui faudrait bien des années encore avant d’être considérée comme sybronde à part entière.

Kahina ne s’en formalisait pas. Elle n’avait que faire de l’amour de ses sujets, tant qu’ils aimaient son fils. Athanase était la chair et le sang de leur seigneur et maître et elle profita de ce passage pour le leur rappeler, organisant en toute hâte un banquet en l’honneur de l’héritier. Ce fut l’occasion de grandes réjouissances et de beaucoup d’anxiété pour les petites gens qui durent s’occuper, dans l’urgence, des préparatifs.

On lui apprit l’avènement d’un certain Alvaro d’Arcani au trône d’Ysari et de son mariage avec une jeune femme ysaroise. Loin de la ravir, cette nouvelle plongea Kahina dans l’expectative. Un baron à Ysari, cela voulait dire une cérémonie d’hommage à prévoir à Soltariel. Il faudrait que Maciste y participât, ce qui n’allait pas être sans apporter quelques complications dommageables. Heureusement, elle pouvait compter sur le soutien des cabales ; il y en aurait bien une pour trouver un moyen de le faire se tenir droit et de retenir sa bave.

Elle prit le temps de rédiger une missive, de sa main, et la remit à un messager la veille de son départ. Adressée à la baronne, elle devrait se lire dans l’intimité.

À la douce Sarina,
Femme épanouie,
Ton amie te mande.

J’ai eu grand joie d’apprendre ton mariage récent. Il est bon de savoir qu’au côté d’un homme siège une femme ; derrière un seigneur se cache bien souvent la douceur et les murmures subtils de sa dame.
Je ne doute pas de l’affection qui te lie à ton Sire ; j’ose néanmoins te convier à la Cour de Soltariel. Comme tu ne l’ignores sans doute pas, je suis née loin de ces contrées. Grande encore est mon inconnaissance de vos coutumes et je peux fort heureusement compter sur de nombreuses femmes de qualité qui m’entourent et me conseillent. Je leur dois beaucoup, elles m’ont bien souvent tiré de fort mauvais pas. J’aimerai que, aussi longtemps que ton cœur épris te le permet, tu sois pareillement à mes côtés.
Lorsque je serai de retour à Soltariel, je manderai sans tarder une escorte digne de ta personne ; elle te rejoindra dans la belle ville d’Ysari et il te suffira d’un mot pour qu’ils te guident jusqu’à moi. En attendant ce jour, ils veilleront sur toi plus fidèlement que ta propre garde, en gage de mon amitié.

Thero de Britten portait un regard circonspect sur Ysari. Derrière lui, une dizaine de chevaliers soltaars et sybronds et une quarantaine de mercenaires soltarris — recrutés par Maciste lors des négociations qu’il avait mené avec celui qui était désormais, de fait, son émissaire — patientaient en attendant la marche à suivre. À la bannière du Soleil Blanc se mêlait celles de divers mesnies soltaars et sybrondes et, et il s’agissait là d’une nouveauté, celle d’Ys. Le Britten ne voyait pas d’un bon œil ce nouveau venu ; la crainte que les estréventins finissent par se croire chez eux dans la Sud le poussait à redoubler de vigilance à l’encontre de sa suzeraine.

« Une escorte digne de ce nom, hein… » marmonna-t-il avant d’ordonner d’un signe de la main à la procession de reprendre la marche.

Sa tâche était simple : s’intégrer à la cour ysaroise le temps que la jeune Sarina de Feoda acceptât finalement de venir à Soltariel. Il trouverait bien, au détour d’une conversation avec Alvaro d’Arcani, un moyen de rappeler au couple baronnal certaines de ses obligations envers Soltariel. Il aurait aussi, du moins l’espérait-il, l’occasion de tenir à l’œil ces parfaits inconnus, dont il ne savait pas s’il devait se réjouir ou se méfier de leur récent avènement.