L'Enfant de la Lune et celui du Dragon [Ak'esha]

Ak’esha n’appréciait pas plus les matins en Ydril que ceux de Thaar ou d’Ys. Le matin voulait dire soleil et le soleil dans ces contrées sudistes cognait fort. Trop fort, sa peau avait quelque petite difficulté à supporter les assauts de l’astre diurne. Pour supporter les effets néfastes de ces rayons, elle était obligée de porter en permanence un ample manteau sombre à capuchon et des gants. Mais ça elle pouvait s’en accommoder, elle s’était trouvé un rythme de vie nocturne à Thaar qui convenait parfaitement à son travail. Elle se couchait peu avant le déjeuner et se levait avant le souper s’occupant de ce qui nécessitait de la lumière tant que le soleil était là et abattant les tâches plus discrètes durant les heures nocturnes. Mais Sa colocataire forcé ne trouvait rien de mieux que de la réveiller dès qu’elle le pouvait, ce qui forçait l’albinos à se trouver d’autres endroits où piquer un roupillon que la chambre qui lui avait été attribuée.
Là, en cette matinée ensoleillée, elle s’était laissé aller dodeliner du chef à l’ombre d’un pilier. Elle s’amusait indolemment avec un jeu de carte, testant sa dextérité en essayant de couper le jeu sans le mélanger de façon que cela ne se voit pas. Malgré sa dextérité, elle se retrouvait souvent à ramasser les cartes éparpillées dans son giron. Parfois le ballait de ses mains s’interrompaient et elle semblait perdu dans ses pensées, en pleine conversation avec son alter ego.
Alors qu’elle était de nouveau obliger de ramasser ses cartes qui lui avaient encore échappées des mains, elle perçut un mouvement du coin de l’œil.

« On a un petit espion. »
Un page je suppose, ils n’ont pas de nain ici…
« J’en ai pas vu en tout cas. Et puis il est trop gringalet. »
Je parlais pas des barbus ! Ce n’est pas non plus le gamin d'un serviteur. Trop bien habillé.

Continuant d’arranger ses cartes en un tas bien net, elle ne porta aucun regard en direction du pilier abritant le gamin. Soudain, elle fit un geste brusque en direction de l’espion qui recula précipitamment derrière son abri. Une aiguille d’acier était partie de la main de la mercenaire, venant frapper le coin du pilier, de petits éclats de granits sautèrent au niveau de l’impact, cela obligerait le curieux à se couvrir les yeux s’il ne voulait pas se blesser. Ak’esha profita de ce que le gosse ne pouvait plus la voir pour se jeter derrière son propre pilier et se servir des dons de l’Oublier pour se hisser proches du plafond. Hors de vue du gamin, elle progressa au-dessus de sa tête alors qu’il regardait encore l’endroit où elle se trouvait précédemment. Arrivé près de celui-ci, elle se laissa tomber furtivement derrière lui. Dominant l’enfant d’à peine une tête, la chaotique n’en posa pas moins une main lourde sur l’épaule gauche de celui-ci et posa le tranchant d’une carte sur sa gorge.

-Ce n’est pas très polie de se glisser comme un voleur près des gens pour les espionner, petit homme.

Le gamin se retourna. La jeune femme retira sa main de l'épaule du petit comte et fit disparaître d'un geste l'as de pique qu’elle tenait dans sa main droite.

-Oh, le dragonnet, fit-elle surprise.

L’ancienne muse pencha la tête sur le côté fixant l'adolescent d'un air interrogateur, la clochette dans ses cheveux accompagna le mouvement d’un joyeux tintinnabulement.

Ak’esha n’avait pas spécialement pour habitude de martyriser les enfants. Elle avait toutefois remarqué qu’aiguillonné avec la bonne dose de peur, ils avaient une certaine tendance à se montrer plutôt volubile et sans qu’on leur demande. Là, elle crut qu’elle y avait été un peu fort, mais il la surprit en se reprenant rapidement. Elle-même avait été quelque peu désagréablement surprise de réaliser que le gamin aux cheveux mal peignés qui l’espionnait était en fait le petit dragon. La mercenaire se demandait vaguement comment ça allait finir, elle avait une certaine tendance à déplaire à ce genre de personnage. Un rictus amusé éclaira son visage.

-J’adore qu’on me considère comme une chose, c’est tellement flatteur, ironisa-t-elle. Mais supposons que tu ne sois pas aussi désagréablement rustre, ajouta-t-elle sarcastique. Si ta question a pour objet la nature de mon travail, je suis une mercenaire au service de ta tante et je règle les petits problèmes dont elle ne peut se préoccuper elle-même. Si cela concerne ceci, continua-t-elle en montrant son visage, et bien je suis une albinos. Enfin, si ta question porte sur ma… race, je suis humaine comme toi.

Tout au long de son petit discours, elle ne s’était pas départie d'un sourire vaguement moqueur et étrangement distrait. La muse fit finalement une pose essayant de voir quel effet son discours avait eu sur le jeune garçon.

-Toutefois, si ta question concerne autre chose, je crains de ne pouvoir y apporter de réponse.

Si le jeune dragon avait voulu profiter de son cours silence pour commenter, il fut interrompu par la dernière remarque de l’albinos. Pour compléter son insolence et continuer parfaire le tableau peu reluisant qu’elle brossait déjà d'elle même, elle se détourna sans raison apparente du jeune garçon, marmonnant de rapides phrases toutes plus incohérentes les unes que les autres. Elle semblait chercher quelque chose. Le plus dérangeant étant surement que sa voix avait pris le timbre fluté d’une enfant d’une dizaine d’année et que de désagréable gloussement impromptu lui échappait.

-Ha, ha, fit-elle brusquement sur un ton triomphal.

Elle tenait dans sa main l’aiguille en acier qu’elle avait envoyé sur le jeune noble.

-Désolé pour ça, fit-elle en montrant le projectile, sale habitude que j’ai prise à Thaar. Les gens avaient la mauvaise habitude de me suivre pour essayer de découvrir les secrets que je pouvais cacher, gloussa-t-elle avec un clin d’œil. Très désagréable de se sentir observée. Revenons-en à nos moutons, pourquoi le jeune maitre d’Ydrile s’intéresse à une mercenaire comme moi ?

Une légère trace de folie furieuse perçait dans la question de la chaotique, comme si elle était dangereusement proche de perdre une raison qu'elle n'avait déjà presque plus.

Ak’esha constata qu’elle avait touché un point sensible alors qu’Alastein était coupé dans son élan, ne pouvant que bégayer une réponse vague. Mais comme attendu d’un jeune noble, il reprit rapidement ses esprits et répondit de manière très… complète. Presque trop, la jeune femme compris vaguement que c’était pour l’essentiel par devoir, par fierté ou plus exactement par orgueil mais surtout et avant tout parce qu’il ne voulait pas trahir une promesse qu’il s’était fait à lui-même. Ca elle le comprenait très bien. C’était ce genre de promesse qui était les plus importantes à tenir pour qu’un humain puisse garder une certaine estime de soie. Il à la fois comme elle et si différent qu’elle ne comprit pas tout de suite où il venait en venir avec la suite de son petit laïus. Un air un peu benêt se dessina sur ses traits, elle ne s’était pas attendue à ce genre de réponse. Son expression ahuri disparut brutalement remplacer par une étrange vacuité, plus personne ne semblait faire vivre le corps qui se tenait devant le jeune comte, et pour cause Ak’esha avait été prise à partie par son alter ego.

« Tu te demandes si tu aurais pu être comme lui. Pouvoir trouver une vraie raison derrière tes meurtres, ne pas simplement fuir tes souvenirs en les noyant dans le sang. »
Oui. Mais surtout j’aimerai savoir si je peux me débarrasser de toi.
« Tu sais que cette crevette est plus forte que toi. Si je n’existais pas tu te serais laisser mourir il y a bien longtemps. »

La dernière saillie de l’alter ego de l’albinos avait été accompagnée par un souvenir, un souvenir qu’elle n’aurait pas dû raviver, un souvenir qu’elle était censée garder loin de la conscience de la jeune femme, comme beaucoup d’autre souvenir. La réminiscence dont s’était servie Fureur était la dernière image qu’avait eu l’humaine de sa mère. Poupée brisée au cou faisant un angle impossible, du sang séché maculant ses joues pâles, des marques de coup sur les pommettes. Mais plus que cette vision, c’était la réalisation qui s’était faite jour dans l’esprit enfantin de l’albinos, elle l’avait toujours protégé de lui. Elle ne s’était pas défendu parce que c’était la seule façon de la protéger.

-Je sais ! La ferme ! grogna-t-elle.

Le visage d’Ak’esha avait retrouvé une certaine vie, une lueur de culpabilité brillant fugacement dans ses yeux, rapidement remplacer par une autre lueur dangereuse, indéchiffrable. Malgré le retour d’une certaine dose d’émotion, la jeune femme ressemblait toujours à une débile, ses yeux ne semblant plus voir ce qui se trouvait devant elle. Enfin, elle cligna lentement des yeux reportant son regard sur le jeune garçon. Faisant un effort certain pour fixer son attention sur le petit noble.

-On en était où ? Ah ! Oui… la jeune femme hocha pensivement la tête. La seule chose qui m’intéressait c’était de savoir pourquoi tu as décidé de le faire toi-même, pas pourquoi tu devais le faire. Ca, ca m’intéressait pas vraiment, ajouta-t-elle blasée. Enfin, j’ai eu ma réponse et je comprends que l’orgueil et la fierté soit de puissants moteurs, un gloussement inopportun lui échappa, mais que tu te prennes pour un dragon parce qu’il est brodé sur tes vêtements, ça par contre ça m'dépasse. T’es un gamin qui d’vrait surtout se préoccuper de d’venir un homme avant d’essayer d’être une bête mythique qui sème la terreur en crachant le feu d’puis les airs, continua-t-elle taquine. Enfin si tu cherches le pouvoir de survivre, ta tante pourra surement te l’amener si tu joues bien tes cartes, la jeune femme laissa flotter un instant de silence. Après, elle a peut-être une façon de faire trop exotique pour toi… termina-t-elle sur un sourire.