Dans l'ombre du gros lézard

Le jour s'était levé sur Eraison comme on soulève le pansement d'une grand balafre pour voir si elle n'empire pas. Le soleil était timide et l'air frais, mais au moins, elle était arrivée à destination. La veille, la Protectrice d'Ardamir avait fait le tour les officiers avec qui elle devait s'entretenir. Les documents qu'elle avaient apportés avaient rejoints leurs destinataire légitimes et elle en avait au moins autant à ramener à Ardamir.

Pourtant, elle était encore là. On lui avait trouvé une tente. Sur les quatre gardes de sa suite, seuls deux étaient en forme, les deux autres ayant subits les dégâts d'une attaque à l'allée. Une attaque étrange en y repensant puisqu'ils étaient assez loin dans les terres. Mais c'étaient des hommes de confiance. Ils viendraient prendre leurs ordres au coucher du soleil, le soir-même.
Ce qu'ils ne savaient pas, c'est qu'elle-même ignorait tous des ordres qu'elle devrait leur donner...

Arava relut une fois de plus la lettre qui lui demandait de venir au Front. Elle était signée de la main d'un ami du corps des Aigles qui se trouvait être en mission. Une mission dont on ne pouvait pas dire grand chose évidemment, mais dont il devrait revenir dans la journée... Si tout allait bien. Ce qui préoccupait l'elfe rousse, ce n'était pas vraiment la potentialité qu'il ne revienne pas, au bout de siècles passés dans l'Armée, on apprenait à oublier ce genre de chose. Le problème, c'est qu'il ne l'aurait pas faite venir s'il s'agissait simplement d'une affaire standard vu qu'elle passait une fois par mois environs.
Rien dans sa lettre ne laissait filtrer la moindre idée de ce qu'il avait à lui dire. Il lui demandait juste de venir rapidement et la prévenait qu'elle en aurait surement pour une petite semaine avant de revoir les murs de sa cité. De plus, elle le connaissait depuis assez longtemps pour savoir qu'il n'abuserait pas de leur vieille amitié. La curiosité de l'elfe était mise à rude épreuve.

Une masse humide tomba sur les genoux d'Arava. Randil venait d'y poser son énorme tête. Elle roula la missive d'une main en souriant au loup blanc. Au moins, dans un camp militaire, Randil pouvait rester près d'elle. C'était toujours un soulagement. Son œil aveugle la fixait. Il la sentait trépigner ce qui ne l'aidait en rien à être patient. Il lui attrapa la main, sans qu'un seul de ses crocs ne laisse une marque dans la chair tendre de le bipède. Il avait raison. Il fallait qu'elle trouve un moyen de s'occuper...

Elle mordit l'oreille de l'animal pour qu'il la lâche et le poussa pour se lever. Même debout, la tête de l'animal arrivait en haut de la poitrine de l'elfe. Sa queue battait le sol.

-Et si on allait te trouver de quoi manger?  

Oui... Mais voila... Avec deux gardes sur quatre qui devaient encore se rétablir et les deux autres qui avaient besoin de sommeil... Aller en forêt près du front sans  escorte était suicidaire et garder un loup affamé dans un camp militaire une très mauvaise idée. Il fallait au moins un ou deux soldats pour couvrir ses arrières. Pas plus si elle ne voulait pas faire fuir le gibier.
Arrivée à Eraison avec une troupe de cavaliers commandé par le Lieutenant Calum, elle savait déjà à qui elle pouvait s'adresser. C'est donc de très bon matin qu'elle partit en quête de l'archère, Randil sur ses talons.

Elle ne mis pas bien longtemps à la trouver, connaissant suffisement l'agencement du camp qui, heureusement ne changeait pas trop entre chacune de ses visites. La cavalière sortait tout juste de sa tente lorsqu'Arava la croisa.

Une heure plus tard, Arava s'éloignait du campement accompanée d'un cavalier et d'un loup tous deux blanc comme neige. Les bois étaient calme en ce début de journée. La forêt était agitée, mais rien d'inhabituel si près du front. Elle suivait le rythme de Randil, laissant Maeghan accélérer ou ralentir au besoin. La jument avait tellement l'habitude du prédateur qu'elle acceptait facilement de se trouver près de lui.

Très vite, le loup commença à s'agiter. Sa mâchoire claqua. Sa truffe humait l'air. La forêt dégageait une mélodie curieuse. Elle observait. Elle écoutait une autre musique bizarre... Elle n'était pas agressive. Juste inattendue. Le loup accéléra. Halya bifurqua sur la droite après avoir fait quelques gestes pour prévenir sa suite. Ça serait plus facile pour le rabattre en cas de besoin.


Les arbres énormes défilaient de chaque côté de la jeune femme. Par moment, elle entendait le jappement de Randil. Puis un hurlement. La partie intéressante commençait.

-Ce n'est pas une proie qu'il suit! Il a sentit quelque chose qui n'est pas un elfe!

Elle passa encore entre deux énorme troncs... Et pila net.
C'est ainsi que la Protectrice d'Ardamir se retrouva dans les bois autour d'Eraison accompagnée d'une escorte plus que réduite. Devant elle, un loup-géant blanc dont un œil était opaque grondait dans la direction d'une silhouette en montrant les crocs. La silhouette: une jeune humaine rousse assise seule, devant un petit feu, une tasse de thé fumant à la main.

-Nienna?

Halya faillit se retourner pour dévisager son compagnon. Il connaissait l'humaine? A non. C'était plus vraisemblablement l'elfe qui venait d'apparaitre. Bien, au moins ils n'arrivaient pas entre un Noss et sa proie. C'était plutôt un bon point!

Se détendant imperceptiblement, elle salua l'elfe d'un profond signe de tête avant de sauter à terre en appelant le loup géant au poil hérissé.

-Randil!

Sa voix claqua comme un aboiement, mais le loup ne sembla pas l'entendre, il se contenta de se retourner d'un bloc vers... Un cerf, ce qui parut autant rasséréner l'humaine que l'elfe. Il respirait fort. Le cœur d'Arava battait encore de l'excitation de la traque et elle savait que c'était pire pour le prédateur. Il pourrait au moins se mettre quelque chose sous la dent. Par-dessus son épaule, elle entendit Fenris questionner l'humaine, mais pour l'heure, elle se contenta de lui sourire amicalement.

-Il s'agit du compagnon cette jeune sylvaine.

Un cerf... tout aussi blanc que Randil. Un beau cerf d'ailleurs. Mais beaucoup trop proche. Il était assez gros pour faire parti des gibiets que le loup pourchassait et n'était ni un cheval, ni un bipède. C'était pour cela qu'il ne voulait pas se calmer.

-Merveilleux! Vous! Continua-t-elle en se tournant un instant vers la blonde apparition, ne le laissez pas approcher si vous ne voulez pas qu'il lui arrive malheur.

Un peu violent peut-être... Mais l'arrêt brutal d'une traque l’agaçait au plus haut point. C'était un exutoir bien venu. Et cela n'arrangeait pas ses affaires. Un seul pas de travers et ce cerf finierait avec une rangée de croc dans les côtes...

Pour attirer l'attention du loup, elle se planta près de sa tête et claqua plusieurs fois de la langue. Une sorte de bruit de gorge sonore que l'animal avait appris à interpréter, comme le reste des comportements de sa mère adoptive. Elle resta droite, le regardant du haut de son quasi-double mètre sans baisser la tête et recommença. À regret, la bête se tourna vers elle sans baisser la tête, les muscles toujours tendus, prêt à bondir. Pas dupe, Halya posa un genou au sol et le saisit à la gorge, enfonçant sans ménagement ses doigts comme autant de dents dans la toison blanche. Il glapit résista. Elle serra d'avantage, porta tout son poids en avant pour l'obliger à s'asseoir. Il résista un peu. Elle claqua la mâchoire juste devant sa truffe et l'obligea à baisser la tête. Le cerf blanc était chasse gardée. Il était sa proie à elle, il ne devait pas y toucher. Elle ne tolérerait aucun écart ni aucune provocation. Le message était clair.

Elle avait peut-être poussé sa démonstration de domination un peu loin, mais elle ne pouvait se permettre de risquer un problème. Ce n'était plus comme lorsque Randil était un louveteau et qu'elle pouvait le stopper si besoin. Un loup adulte d'1m70 se contrôle beaucoup moins facilement. Par preuve de soumission, Randil se coucha près d'elle, les oreilles plaquées en arrière, surement surpris par la véhémence de la jeune femme.

Dans son rôle de leader, elle se releva et laissa le loup se rasseoir, la queue posée tristement sur le sol. Après cette affaire, il allait avoir le droit de chasser pour le reste de la journée... Et elle était bonne pour le carresser jusqu'à ce que mort s'en suive. Personne ne pouvait immaginer à quel point les loups avaient besoin de contact et d'attention.

-Navrée de m'être emportée, souffla-t-elle à l'elfe dénommée Nienna.

Pendant qu'elle faisait son cirque, l'humaine avait pris la parole et Fenris les avaient tant bien que mal présentés. Pas de titre ni de noms de famille. Un excellent choix!
Drôle d'humaine que ce spécimen d'ailleurs ! Elle avait un langage particulièrement fleuri et ses tournures n'étaient ni nobles, ni paysannes. À vrai dire, Halya ne se souvenait pas avoir déjà entendu une telle façon de s'exprimer chez les hommes. Remarque, il ne lui semblait pas avoir vu nombre de roux non plus... Ni chez les elfes à vrai dire. Un tel personnage n'avait que peu de chance de se trouver là par hasard... Surveillée par une elfe des cités.


Une invitation à boire du thé avant qu'il ne devienne amère. Elle sauta sur l'occasion d'en apprendre plus. Comme un contre pied à la raideur qui transpirait dans la voix de Fenris, Halya se tourna vers l'humaine, avec un franc sourire et s'assit en posant familièrement une main sur le dos de Randil en signe de pardon.

-Avec plaisir pour moi!

Elle observa encore l'apparition. Pour ne pas être banale, elle n'était pas banale! Surement une saltimbanque. Une danseuse peut-être, vu ses vêtements? Après avoir passé presque une centaine d'années en compagnie quasi-exclusive d'humains, on apprenait a avoir certains codes.

-Mais mon compagnon, a raison. Votre feu peut nous apporter des problèmes. Des sombres rôdent dans les environs. Il vaudrait mieux l'éteindre.

N'ayant pas franchement été attentive, elle en profita également pour redemander:

-Et a qui ai-je l'honneur?

Avant de lui donner le thé qu'elle insistait pourtant à offrir, l'humaine accepta finalement d'éteindre le feu... Ou plutôt de le ranger... Où de l'encourager pour qu'il se range... dans une boite. Avant de se tourner pour disputer les elfes alentours.

La protectrice anonyme resta dubitative devant cette démonstration. L'humaine utilisait la magie, il n'y avait pas d'autre solution... Mais si elle-même ne comprenait pas grand chose au sujet, elle ne pensait pas avoir déjà vu ce genre de magie là. Ses doutes furent confirmés par la réaction de Fernis. Ses yeux brillaient de curiosité en fixant la boite. C'était assez drôle de voir une réaction aussi simple et sincère après la réserve presque froide dont il venait de faire preuve... et que Veole venait de récompenser d'une magnifique démonstration de maturité.

Au moins, Halya avait vu juste, cette humaine était très loin d'être banale. Elle accepta le thé mais préféra se lever pour récupérer la tasse et en boire une gorgé brûlante... Pas le meilleur thé qu'elle ai eut l'occasion de boire mais bon... Elle en profita quelques instants avant de reprendre la parole.

-Mais que fait une artiste comme vous en Anaëh et si prêt de la guerre? Vous seriez vous attirée les foudre de cette jeune dame?

Ce faisant, elle venait de pointer Nienna de la tête.
Elle était décidément très impatiente de savoir à quoi était du la présence de cette humaine en ce lieux... et pourquoi elle avait du interrompre sa chasse.

Elle regarda plus attentivement les deux femmes. Veole semblait même ignorer le nom de la blonde elfe mais elles s'étaient interpelées comme si elles s'étaient déjà croisées. Tout ce la était intrigant, certes, mais il fallait aussi qui se remettent en mouvement et assez vite si c'était possible.

-L'une de vous pourrait m'expliquer?

excuses:

Halya esquissa un sourire lorsque Véole écarta d'un revers de langue, la question de Fenris. Ninenna semblait préférer restée à l'écart, refusant de parler, toujours comme si elle leur en voulait d'intervenir... où que'un énorme loup venait de menacer son cerf... ce n'était pas faux.
Par contre la description de la bête qu'elles avaient rencontrer, des crocs, des griffes et des écailles faisaient rarement bon ménage... Alors gentil garçon avec ça...

-Vous poursuivez un dragon ?

La protectrice se tourna vers son escorte. Puis vers Véole. Puis vers Nienna. Puis vers Véole.  Un dragon... Dans un conte peut-être dans des mythe, très bien. Mais là...

-Il n'y a plus de dragon depuis des milliers d'années. Ce que vous avez vu devait être autre chose... Et de toute façon, il ne s'attarderait pas dans nos contrés en guerre.

Les choses étaient déjà difficiles. Entre la guerre, les Noss, le Voile, les elfes des cités avaient beaucoup de chose à gérer en peu de temps. Si les dragons s'en mêlait, elle ne préférait pas imaginer ce que cela donnerait... Surtout vers le Sud, donc vers le Front.

Mais Fenris demandait déjà des explications à Nienna. Croyait-il vraiment que c'était un dragon que les deux femmes chassaient ou essayait-il d'en apprendre plus sur leur véritable rencontre? Difficile de savoir.

En tout cas, Véole avait l'air aussi curieuse qu'étrange. Elle demanda à son tour aux elfes ce qu'ils faisaient là. Ils lui avait pourtant déjà dit qu'ils étaient militaire et que le Front n'était pas loin... Mais la présence de Rendil devait soulever bien des questions.

-Nous étions en chasse, d'où la réaction un peu... brusque de mon compagnon.

D'ailleurs, Halya sentait que s'ils faisaient de nouveau une rencontres aussi étrange qu'un cerf apprivoisé, elle ne pourrait pas s'interposer sans risquer un duel avec un loup... Ce qui serait assez problématique...

-Et le thé était rafraichissant. Je vous remercie.

Maintenant, ils n'avaient plus qu'à convaincre l'humaine d’empreinter un autre chemin pour rejoindre son hallucinations.