Un nouvel air | Manel

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Colombe            ---------                 Gaël

1er jour de la 1er ennéade de Karfias
9e année du 11e Cycle
Cœur de Serramire-la-ville

Le soleil chauffait délicatement le visage de la jeune femme au sortir du temple. La populace était compacte. Elle avait l'impression de ne jamais avoir été plongé dans une si grande foule ! Même a Missède le jour du nouvel an, elle n'en gardait pas un souvenir aussi vivant. Quelques morceau de duvet encore accrochés au voile bleu sombre qui servait de filet à ses cheveux, au côté de la mère, sa jeune sœur Colombe, son frère Gaël, ses cousines Maélyne et Thélana ainsi que son indispensable suivante Rose, elles quittait traversait le parvis encombré un sacré sourire sur les lèvres, échangeant quelques mots à voix basse. Les acrobates et les troubadours investissaient lentement les lieux, entourés d'enfants et de badauds. Des cris de stupéfactions succédaient aux silences fébriles. Si la foire commençait demain à l'aube, tous, même les marchands étaient venus profiter de ce jour de renouveau après tout le sang et la peur qui avait marqué le Nord.

« Là-bas ! » S'écria une fois encore la plus jeune comme si elle venait de voir la plus extraordinaire des choses.  « Mère, je vous en prie. Pouvons-nous rester encore un peu ?

-Allons Colombe, ce n'est point la place d'une demoiselle de courir au milieu de la foule.

-Qui pourrait bien s'en prendre à nous devant le temple même de la DameDieu ? Si combat il doit y avoir, nous ne seront certainement pas les premiers visés, glissa Gaël avec un sourire… et une œillade discrète envers des nobles venus d'un sud bien plus lointain que leur Missède natale. Je resterai près d'elle si cela vous rassure.

La dame aux cheveux blonds soigneusement coiffés à la mode lourmelloise glissa un regard aimant sur ses deux charmants enfants avant d’acquiescer avec un sourire.

-Oui ! Merci ! Vient Cécilie ! Là-bas il y a un jongleur… puis semblant se rendre compte. Et un musicien !

La fillette de douze ans se pendit littéralement au bras de sa sœur pour l'entraîner a travers la foule malgré ses protestations rieuses. Dans leur dos, Gaël posa un instant un regard sombre sur son aînée, mais pas une parole ne franchie ses lèvres.

Après quelques instant d'écoute et de discussion ponctuées par les exclamations joyeuses de Colombe, la fratrie s'immobilisa aux abord d'une petite place percée d'une fontaine au côté de laquelle une petite scène avait été montée. Un homme jouait d'une main alerte.

-Tu entends ça ? ça me rappelle la geste de Robert le leste, murmura la jeune fille à l’oreille de ses accompagnateurs.
-J'aurai dit le Vieux chemin, moi, renchérit Gaël.
-Mais il ne joue… pas d'un façon habituelle. remarqua l'experte le nez légèrement retroussé, concentrée pour saisir toutes les subtilités de la manière de jouer de l'artiste. Il n'était pas mauvais, très loin de là. Il avait même une façon toute particulière de faire chanter son instrument... une façon intrigante.

-Je préfère quand c'est toi qui joue.

Cécilie retint un éclat de rire en entendant l'ai renfrogné qui transparaissait dans la voix de la petite. Douze ans, bientôt treize, et elle était toujours aussi lumineuse.

-Tu me connais, je ferais n'importe quoi pour te faire plaisir, ma Colombe, mais il se trouve que j'ai oublié ma harpe dans mon autre robe.
-Et si tu en avait une ? Répondit-elle du tac au tac, avec un rire de gorge.
-Je m'empresserais de te jouer un air bien sûr !
-Très bien.

La main de Colomb quitta le bras de la jeune musicienne… Qui eut une sueur froide en comprenant son erreur.

-Arrête Colombe, je ne suis même pas certaine de pouvoir en tirer quoi que ce soit.

La chanson venait de s'éteindre et les félicitations et piécettes teintaient clair.

-Pardonnez-moi messire, permettriez-vous à ma sœur d'utiliser votre instrument un moment ?
-Colombe… !

Tous les yeux se tournèrent vers les trois jeunes gens habillés fort élégamment qui s'étaient glissé jusque là.

-C'est juste pour une chanson messire, et vous pourrez garder les gains.
-ça suffit Colombe, tu importune cet homme.  

Cécilie sentit ses joues chauffée lorsque Colombe fit sa demande haut et clair. Se retrouver là, au centre de l'attention en pleine festivité dans sa tenue de deuil bleue sombre typiquement missédoise... Elle ne savait vraiment plus où se mettre, au point que même la présence de son frère lui paraissait réconfortante. Elle aurait voulut bâillonner sa petite sœur des deux mains mais encore eut-il fallut qu'elle soit sûre de l'atteindre... et de la serrer sans l'éborgner ou l'étrangler. Non vraiment cela n'avait rien d'une bonne idée.

Et pire encore fut sa gêne lorsque le musicien, au lieu de rire de bon cœur devant la demande de la petite... accepta et même insista, d'ailleurs fort galamment, pour qu'elle joue quelques notes sur la viole qu'il portait. Elle en serait rentrer sous terre si les dieux lui avaient confier un tel pouvoir. Mais comment refuser à présent ? Oh cette fois Colombe ne paierait rien pour attendre...

Malgré le rouge qui lui colorait les joues, la musicienne fit de son mieux pour cacher son trouble. Elle inclina la tête dans la direction de l'homme, à priori jeune si on en croyait sa voix.

« Et bien... Je vous remercie... Je ne peux que m'exécuter en ce cas... »

Elle dégagea ses mains blanches de ses longues manches et les tendit légèrement dans un geste aussi raide que maladroit. Tout cela la prenait de court ! Colombe l'aida a s'installe un peu plus confortablement et plaça les mains de la demoiselle sur le corps de bois. Le regard humblement baissé malgré son inutilité, une habitude prise pour ne pas gêner ses interlocuteurs, elle prit le temps de laisser courir ses mains sur les courbes de l'instrument. Colombe recula d'un pas, la laissant à son ouvrage un air rayonnant et satisfait sur le visage. Au fur et a mesure que ses doigts découvraient les imperfections et les détails de l'objet, assez rapidement tout de même pour ne pas impatienter son auditoire, le rouge disparut des joues de la jeune femme remplacé par un doux sourire. Enfin elle passa sur les cordes, repérant leur longueur, leur nombre, leur qualité.

Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas eu un tel instrument entre les mains. Un an et quelques jours pour être précise. Et même alors, elle n'avait jamais été une virtuose. Mais elle n'avait que peu d’appréhension. Il lui suffirait de choisir une mélodie simple et de compenser avec sa voix et la rythmique. Parmi toutes les mélodies, toutes les paroles, tous les chants qui hantaient sa mémoire, il y en avait plus d'un qui pouvait convenir. Après tout, elle marchait dans un monde de son dans lequel bien des voyants trébuchaient. La musique était bien plus sa terre d'attache que n'importe quel château de la Péninsule.

Prenant enfin correctement l’instrument, elle inspira et expira à fond. Le piétinement et les bruits informes de la foule s'éloignèrent, les commentaires et ricanements se calmèrent. Du bout des doigts et de l'archet, une mélodie légère se tissa dans l'air, posant les couleurs d'une palette toute particulière. De légères oscillation d'avant en arrière accompagnaient le mouvement fluide de ses mains. Dès la première note, son maintient guindé s'était relâché. Ses gestes mesurés rendus maladroit par le trac s'étaient faits fluides et naturels. Un voix douce et cristalline, bien plus experte que les mouvements de ses mains, s'ajouta à la première ligne mélodique. Elle la suivait ou la quittait d'un battement d'aile.

C'est une histoire de temps passé
échappée d'un songe
Simple mensonge ou vérité
pour qui veut l'entendre
Auprès d'un chêne abandonné
Un sourire repose
...

Ceux qui avaient déjà mis un pied dans le médian ou entendu un barde itinérant pouvaient sans peine reconnaître la Ballade d'Isabore, bien moins festives que les choix du musicien. La litanie aventureuse était facile a suivre. Le refrain venait aux lèvres sans y réfléchir. Pourtant, dès les premiers accord, la couleur de cette version était à la fois plus nostalgique et légère que l'originale, faisant ressortir des détails qui d'ordinaire n'étaient que des passages sans importance du récit.

Phrase après phrase, suivant la jeune Isabore dans le monde étrange des créatures de légende, happée par le sourire de la lune, pourchassant une créature enchanteresse qui ne se révèle être que le souvenir d'un être aimé, la musicienne oubliait jusqu'à l'endroit dans lequel elle se trouvait. Elle oubliait les voix et la foule. Le regard de ses proches et de tous ces inconnus. Envahit par ce qu'elle interprétait, l’approximation de sa maîtrise de l'instrument ne donnait qu'une note plus alanguit à son chant. Elle ne prêtait plus attention à sa technique, se contentant de vivre, laissant couler le flot de note comme jadis elle avait chanté le ressac parmi les hauts-fond ou le galop du cheval de son père mêlé aux aboiements des chiens au lancement d'une chasse. Un autre monde s'étendait au rythme de sa respiration, des stridulations de son instrument et des silences qui les liaient.

Jusqu'à ce que les derniers échos de sa voix se perdent dans l'air de cette nouvelle année.

L'instrument chanta encore un instant, laissant s’effilocher l'image d'Isabore s'éveillant, le poing serré sur deux alliances qui plus jamais ne seraient portées. La jeune aventurière les déposa au pied du chêne pour ne plus jamais y retourné. Et alors que l'archet tirait lentement l’écho du dernier accord, Cécilie remonta à la surface. Comme on prend une goulée d'air en sortant la tête de l'eau, elle retrouva la douceur du soleil et le chaos de la foule, immobile.

Elle inspira et expira une dernière fois avant de tendre l'instrument à demi pour que qui de droit puisse s'en emparer.

HRP:

Alors que le jeune musicien remerciait sa consoeur, Colombe et Gaël s'étaient rapprochés de Cécilie. Si Colombe avait, comme toujours, retenu son souffle pour finir par applaudir à tout rompre ; Gaël restait littéralement sans voix, ne sachant que dire. Depuis quand ne l'avait-il pas entendu chanter ? Bien trop longtemps semblait-il.

Cécilie, elle, salua humblement les compliments du troubadour d'une inclinaison de la tête et sourit en apprenant son nom et son origine.

« Je me nomme Cécilie de Laval, ravie de faire votre connaissance, Manel. La Duchesse a bien de la chance d'avoir à son service un musicien de votre calibre. On la dit adepte des arts et de la beauté et a vous entendre, cela se confirme. »

Si elle n'avait pas elle même rencontré cette femme, elle était curieuse d'en savoir plus d'une une personne emmenant ainsi son troubadour en voyage au lieu de le laisser au bon soin de sa cour... Mais ce n'était pas le lieu pour de telles questions. Avec la fin de la chanson, la conscience de la foule dense rassemblée autour d'eux était revenue... Et la question suivante du jeune homme n'était qu'un parfait exemple des raisons pour lesquelles des questions plus précises devaient attendre.

« Voyons, c'est jour de fête. Après tant de douleur et de mort, personne ne s'attaquerait à quelqu'un qui vient juste de sortir de l'office de la nouvelle année. Les enfants de Néera sont ici pour fêter tous ensemble la victoire des hommes. »

Gaël se raidit légèrement, l'oeil aux aguets comme à chaque seconde depuis qu'ils s'étaient enfoncés dans la foule. Cécilie sourit, à la fois attendrie et atterrée par la naïveté dont faisait preuve sa jeune sœur... et par la simple beauté de ce qu'elle pouvait dire. Visiblement, la foule alentour en était à peu près au même point.

« Sans allé jusque là, glissa leur frère, Je ne pense pas que mes sœurs et moi-même risquions plus que n'importe quel habitant de Serramire aujourd'hui et je ne vois pas de raison de s'effaroucher de cela. A quoi bon se prétendre capable d'aider la société si nous ne pouvons même pas marcher parmi nos pairs. »

Ce a quoi Cécilie acquiesça sans plus renchérie sur le sujet. Qu'il le pense ou non, Gaël ne pouvait pas dire autre chose en de pareilles circonstances.

« Pardonnez mon impertinence mais j'avoue être curieuse d'en savoir un peu plus sur les circonstances qui vous mènent à voyager si loin de la cour de votre protectrice tout en vous produisant ainsi hors de son girond. Je ne voudrais pas vous tirer de votre publique, mais si vous avez un peu de temps à me consacrer, maintenant ou plus tard, je serais ravie de converser un peu plus avant avec vous. »

S'il était véritablement au service de la Duchesse de Hautval, il n'aurait aucun problème a savoir ou les nombres invités du tournois résidait, précisé qu'ils logeaient au Palais Seraphin était donc totalement inutile.

Alors que Gaël semblait aussi content de la réponse du ménestrel qu'indisposer par la proposition de sa sœur aînée, Colombe regardait tout autour d'eux, les yeux grands ouverts... et les lèvres légèrement boudeuses à l'idée de voir son aventure s'arrêter là pour discuter avec un seul ménestrel au lieu de continuer à explorer la ville !

-" Qui refuserait un instant avec vous ? Je ne serai pas ce fou ! "

Cecilie, elle, laissa échapper un léger éclat de rire. La rythmique et le ton sur lequel il avait prononcé la phrase étaient bien pensés et la rime ne gâchait rien. Elle avait réellement hâte d'en savoir plus, bien qu'elle ne se montre pas aussi démonstrative que sa jeune sœur dans ses envies. Cette rencontre promettait d'être aussi rafraîchissante qu'originale !

-" Ma maîtresse imagine peut-être que le rossignol est plus beau en liberté qu'enfermé dans une cage, même en or ? "

Et aussi vite que le rire lui était venu, son sourire vacilla. Un bref instant. Le temps d'un battement de cil seulement. Mais les paroles du jeune homme avait touché la musicienne plus qu'elle ne l'aurait avoué. Elle eut une pensé aux deux Mériales qui l'attendaient dans ses appartements, dans leur cage près de la fenêtre... tout un symbole... mais elle se ressaisit rapidement. Par son art, c'était la liberté qu'elle faisait entrer dans sa cage.

Un début de réponse se profilait. Et elle était tout a fait d'accord avec lui. L'imagination, la créativité devait être nourrie. L'aventure était la façon la plus simple de la maintenir en éveille.

Ainsi il était réellement sous la protection de la Duchesse, possédant même une rente qui lui aurait permis de subsisté aisément. Un artiste dans toute sa splendeur s'il en est pour préférer garder son esprit libre plutôt que de jouir d'une situation facile.

Il n'y avait pas de bonne ou de mauvaises réponses aux questions qu'elle posait, sa curiosité était aussi sincère qu'insatiable. Que les choses lui plaises ou non n'avaient que peu d'importance du moment qu'elle puisse les savoir... Et la sincérité qu'elle sentait dans les mots de cet homme la convainquait plus que n'importe quel rond de jambe inutile.

« Je vois... enfin si j'ose dire... » se reprit-elle avec un léger rire. « Vous voyagez pour nourrir votre inspiration. C'est plus que louable. »

Elle allait reprendre lorsqu'il poursuivit.

« Et bien... J'avoue ne pas y avoir penser outre-mesure... Ma sœur voulait profiter de ce jour de fête... Je ne saurais dire... »

Elle se retrouvait aussi indécise que... stupide.