L'Enchanteresse Cécilie de Missède | libre

Hiver - 6e jour de Karfias de l'an 12:XI
Port de Chiard

Renard était campé sur la jetée, comme il aimait si souvent le faire depuis qu'il ne naviguait plus aussi souvent. Le soleil se levait au loin, jetant ses lueurs blanchâtres sur une mer d'huile pendant que les cormorans jetaient leur cri pitoyables dans un concert d'odeur de vase et d'embruns.

Le Capitaine de l'Eulalie respira à plein poumons, incapable de profiter du spectacle comme il le faisait d'ordinaire. Les engueulades de la halle au poisson qui se montait un peu plus loin ne le faisaient même pas sourire. Depuis un an, Cécilie avait levé l'ancre vers les pays de l'Est et son étrange pèlerinage. Anthoine, son plus fidèle ami, et lui l'avaient accompagné jusqu'à Naelis, puis elle avait continuée presque seule, sans l'appui de Jena ou des chevaliers, perdue dans un pays qu'elle ne connaissait pas. Il regrettait tant de l'avoir laissée partir.

Pendant ce temps, Maël avait prononcé ses premiers mots, fait ses premiers pas, et il n'avait pas un souvenir de ses deux premiers mois passés avec sa mère. Le peuple magnifiait dans sa mémoire, la piété, la sagesse et la douceur dont elle avait fait preuve à l'égare des petites gens. A Chiard, le temple de Néera lui dédiait une messe trois fois par mois depuis son départ. Gaël avait put y prendre ses quartiers comme prévu et l'antique fief des de Laval, entourant la grande ville portuaire, était redevenu le leur sans que le le sang ne soit versé, laissant Beaurivages à Clarence.

Plus les jours passaient sans nouvelle, plus l'idée que la dame de Missède était morte se répandait dans le pays. Renard, lui, gardait espoir... Mais cette date anniversaire sonnait douloureusement.

Après une ultime inspiration face à l'immensité de l'océan, il fit volte face et remonta le ponton flottant vers la terre ferme. Le long du port marchand, les galions côtoyaient les galéasses et les fustes. Leurs coques goudronnées et les boutes graisseuses sentaient le bonheur à plein nez. L'origine de certains navires était reconnaissable rien qu'aux ornements. Ici un Soltarii. Là un Thaari. Ici - chose rare depuis que la Baronne avait défait son mariage avec l'ancien Baron - une fuste de Nelen. Il examinait une étrange caravelle à l'équipage disparate lorsqu'une voix bourrue le fit sursauter.

- Hé là ! Qu'è que j'vois t'y pas l'Houblon ! "

Un petit homme au teint buriné, aux cheveux noirs et au chapeau orné d'extravagantes plumes, se précipita vers Renard avec un grand rire pour lui donner l'accolade.

- Perdrix ! Vieille rascasse !
- Ké ch'suis pas une vieille moule à son rocher moi !

Les deux hommes éclatèrent de rire et s'éloignèrent de la flotte bras dessus bras dessous. Sans échanger un mot, il était déjà convenu de leur point de chute. L'auberge de l'Ogremât et les meilleurs alcools de la ville. L'heure n'importait pas ici. C'était une taverne d'officier en quelque sorte. Cossue où les nobles venaient faussement s'encanailler avec des bandits de haut vol et des étrangers au goût certain sous l’œil vigilant deux deux gardes et d'un tenancier à la belle poigne.

Devant deux armagnacs, les deux cinquantenaires échangèrent les nouvelles. La mer. La traversée. Le soleil d'Ithri'Vaan même au cœur de l'hiver. Les paysans. La diplomatie. La pneumonie soignée de son petit fils.

- En parlant d'ton p'tit gars. Mes confuses pour ta p'tite aveugle.
- Elle n'est pas morte, c'est une rumeur. " indiqua le vieux séducteur en passant une main dans ses courtes mèches blondes. Perdrix fronça ses sourcils broussailleux. Renard soutint son regard pour insister sans avoir à se répéter.
- Beh... Non qu'elle est pas morte. Mais... T'è t'y pas au courant ?
- De ?
- Bah... " L'homme semblait soudain très mal à l'aise. Il n'avait visiblement pas prévu d'être le premier à en parler ici, mais c'était trop tard. Renard avait levé le nez, attentif au plus haut point... Et puis les gars de la Bergamote devaient déjà avoir relâché la Rumeur dans toutes les tavernes du port alors mieux valait qu'il l'apprenne d'un ami. " Merdaille... " Le petit homme retira son chapeau. " Ta p'tiote... C'est une mage noire. Un gars de son équipage a quitté le navire pour prévenir les gens du coin. Il a trouvé des preuves qu'elle s'rait à la tête d'une kabbale de mages avides de magie noire et de nécromancie, originaire de tous les coins du monde. On sait pas leur but, mais ils sont dangereux et elle plus encore. On sait maintenant qu'c'était à cause d'elle qu'les Souffles circulaient plus bien. Au bout de son pèlerinage, au lieu d'implorer Tyra, elle a invoquer un monstre de Son royaume pour en voler la puissance. Un Karkal. Et l'un de mes gars l'a vue c'te bestiasse en passant près d'Esion en long courrier. Une bestiole bleue nuit, grande comme un Wagyl mais avec des ailes en plus. Et d'puis son rituel, l'plus étrange, c'est qu'beaucoup ont vu une femme encapuchonnée, rousse, aux yeux bleus, voyager seule sur la côté et des gens disparaissent par paquet de douze sur son passage.
- Ce ne sont que des mensonges !
- J'sais qu'tu m'croira pas, mais c'est tout ce qui s'y passe. Les gens trouillent comme jamais. Ch'suis qu'le pauv' gars qui va se prendre un pain de ta part pour te l'apprendre.

Renard descendit d'un étage et se rassit, échaudé. C'était faux. Il descendit son verre d'un train. L'alcool fort lui brula le gosier sans qu'il ne profite du goût. C'était faux. Mais les gens le croiraient.

- Tu veux bien garder ça pour toi ?
- Moi oui. Mais ch'peux pas empêcher tous les matelots d'jaser.
- Qu'Arcam me pende par les pieds...


...


Du port au quartier marchand, des halles à la table des nobles qui avaient décrié la politique de Cécilie et sa complaisance pour la magie, il n'y avait que deux pas. Des sourires de jubilation venaient aux visages ronds des becs sucrés de Missèdes. Ils avaient raison.

La nouvelle rumeur de l'autre côté des mers, raviva celles qui étaient morte dans leur consanguinité. Ils avaient raisons. Celle qu'on avait surnommé avec dérision l'Enchanteresse de Missède. Celle qui n'était sensé avoir que des bases théoriques de magie et permettre aux mages de s'intégrer car ils pouvaient être utile... Elle était une fille d'Arcam. Une véritable Enchanteresse capable de manipuler les esprits.

On l'avait accusée d'avoir pris le pouvoir en manipulant des hommes. Les bruits de couloirs assuraient qu'en plus d'une pelleté d'amants, elle avait pris dans son lit et brisé l'esprit de Jérôme de Clairssac, baron d'Etherna, Théobald de la Courcelle, l'ancien baron Missède, Ernest d'Ethin, son mari disparut, Enrico di Montecale, son premier mari assassiné par le second. L'idée repartie de plus belle, rajoutant de l'huile sur le feu en ajoutant des détails et des noms toujours plus rocambolesques et invraisemblables. Elle aurait été cause du déshonneur de Franco di Celini, elle aurait commis l’indicible avec son frère Gaël et en aurait fait un pantin avant de le nommé Régent. Son fils Maël, malgré les cheveux et le visage qu'il tenait si bien de son père, serait un bâtard né d'Arcam lui-même lors d'une cérémonie obscure doublée de sacrifices. Elle se baignait dans du sang de vierge pour rester belle. Elle avait troqué sa vue contre le pouvoir de s'emparer du cœur des hommes d'un simple chant pour les pousser à la ruine. Plusieurs femmes se mirent à clamer que la baronne avait couché avec leur fils, leur frère, leur mari, voir leur fille et leurs sœurs avec. On l'avait bien vu à l'Ogremât un soir, seule avec une putain vêtue de rouge !

En quelques ennéades, le feu de paille avait assez prit pour remonté jusqu'aux oreilles inattentives de la cour et promettait d'être difficile à enrayer avant qu'elle ne se répande au delà des frontières.

HRP: