Un pied devant l'autre et puis s'arrête

Qu'elle garde le silence, Cécilie ne s'en était pas moins fixé sur un scénario dont la probabilité était pour elle de l'ordre de la certitude. Disparue la culpabilité qui pesait potentiellement sur ses épaules. Elle ne faisait pas bien le rapprochement avec cette potentielle ordalie dont la mage n'était pas sûre, mais il n'y avait pas à douter d'une chose : elle avait été enlevée, séquestrée et torturée. Une colère sourde ronffla dans le ventre de la jeune mage mais elle restait tranquille. Shyn'tae avait survécue. Si elle souhaitait punir ceux qui lui avaient fait ça, c'était à elle de le décider. Si Dante avait été à la place de la drow, les choses auraient été tout autre, mais ce n'était pas le cas.

Elle ne s'éloigna pas de Shyn'tae, pas plus qu'elle ne changea de ton, restant mesurée et apaisante. La brusquer ne servirait à rien alors qu'elle était à fleur de peau.

- Le mage que tu as tué, c'est lui qui t'as donné un coup de lame sur le flanc ? " peut-être que quelques détails l'aideraient à combler les blancs.

Shyn'tae hocha la tête. Elle se souvenait très bien de la douleur de la lame, des coups et de l'adrénaline du combat Les  derniers jours étaient passés comme dans une rêve, à moins que ce ne soit un cauchemar.
" Ca pourrait expliquer... Des mages mécontents de ton influence t'ont enlevée. Ils t'ont fait du mal et gardée enfermée. Jusqu'à ce que tu réussisse à t'enfuir en tuant l'un de tes geôliers. Puis, blessée, tu as erré jusqu'ici. " Cécilie guettait l'eldéenne des yeux, cherchant un éclair de souvenir ou une étincelle de cohérence pour la chronologie qu'elle venait d'énoncer. Cette dernière restait immobile, le souffle lent, le regard vague, concentrée sur ses souvenirs. Puis soudainement ses yeux revinrent se figer sur le bleu de ceux de l'humaine.

-Un Zurthan m'a libérée. Veleth. Il a trois magnifiques lionnes blanches. C'est l'une d'elle... Rudaba, qui a tué la mage. Elle m'aurait eu." Elle avait des excuses devait-elle bien reconnaitre. Ca restait un échec.

- Il attend en dehors de la ville. Faudra lui dire… Le diriger vers un dispensaire. J'ai préféré ne pas entrer avec les lionnes à Thaar. Ca nous aurait attiré des ennuis.
- Tu va me faire croire que ce beau Zurthan aveugle n'était pas un délire de la fièvre ? " ne pu s'empêcher de remarquer Cécilie, encore assez dubitative, en levant un sourcile.
- heu.. non? j'en ai parlé? Oh.

Shyn'tae fit la moue, puis fronça les sourcils. Tant de choses à analyser. Des intuitions qu'elle avait eu pendant son voyage se précisaient. Si je suis ici avec toi... Que s'est-il passé exactement? On t'a vu?
"Les mages... me cherchent certainement."
- Deux hommes du guet m'ont vu. Je t'ai éviter un petit séjour en geôle en les persuadant que tu étais une vétérane à moitié démente soignée dans un temple d'Uriz. Tu vois, personne ne viendra nous chercher ici. Et de toute façon, si tes mages ne te sont pas tombés dessus pendant que tu rampait, nue, dans les caniveaux des Soiries en parlant d'un Prime Feu, c'est qu'ils sont loin d'avoir retrouvé ta trace. "
-... ca devait être quelque chose.

Elle déglutit finalement, et Cécilie eut l'impression de voir dans ses yeux les piéces d'un puzzle s'emboitaient.

"A leur place… La daedhelle secoua la tête, et soupira. La Doth'ka doit me chercher aussi. Je voulais me mettre à l'abri auprès de Krish Al'Serat… ici à Thaar. J'avais pas trouvé mieux. Je ne m'attendais pas à te trouver ici.
Rétrospectivement, ce plan reposait seulement sur la confiance qu'elle avait en la première flamme. Personne de raisonnable n'aurait fait cela. Shyn'tae n'était pas raisonnable. Cécilie de son côté, avait froncé les sourcils en entendant parler de la Princesse des Forges. De tous les princes marchands et dignitaires drows, elle pouvait être la pire chose qui pouvait leur tomber dessus, à elle et à Dante. Mieux valait s'en tenir le plus loin possible, et si Shyn'tae ne se rappelait pas exactement des raisons et des étapes de son enlèvement, mieux valait pour elle de suivre le même code de conduite. Mais bon... Elle n'était pas sa mère. La seule chose qu'elle l'empêcherait de faire, c'était de se jeter dans la gueule du loup et de cracher, en plus de sa propre culpabilité, la présence de l'Ombre et de l'Enchanteresse à Thaar.

- Tu es certaine que cette femme est fiable ? Que n'importe quel eldéen est fiable pour toi en ce moment... Je veux dire, tu as quand même parlé d'une ordalie tout à l'heure. "
- Je ne sais pas si je suis considérée déserteur. Ca pourrait être ma parole contre celle des mages. A régler en duel. Contre un Maitre elementaliste. Vu mon état, il ferait de moi un tas de cendre. Ou pire.
La jeune daedhelle éclata de rire.
Je suis coincée, je crois.

La surprise se lisait facilement sur les traits de l'humaine. Etrangement, elle ne parvenait pas à savoir si ce rire était nerveux ou sincère...

- On dirait que ça te fait plaisir...

Son interlocutrice secoua la tête.
- C'est une sorte d'apothéose… ou un complet désastre. Tu as raison…Désolée, il n'y a pas grand chose de drôle dans tout ca.
- Ne t'excuse pas. Il y a quelques heures tu délirais de fièvre. C'est normal d'être encore un peu déboussolée " répondit simplement l'humaine en serrant à nouveau les doigts de son amie.

Elle avait raison sur bien des points. Shyn'tae ne savait rien, ne contrôlait rien. Mais elle avait beaucoup parlé avant de réaliser l'étendue potentielle de ses ennuis.
- Je… comprendrais que tu préfères... La daedhelle se tut.

Sa main serra la sienne. Factuellement, elle venait de placer Irulan dans une situation impossible. Si la Doth'ka l'interrogeait sérieusement, sa tête finirait par cracher tout ce qu'elle savait, c'était une certitude. Tout. Qui l'avait aidée, où, mais aussi ce qu'elle avait vu de l'étrange magie qu'elle était presque sûre de savoir Nisetienne. Si elle restait avec elle, elle risquaient d'être prises toutes les deux. Tous les trois, peut-être.

- Que je préfères quoi ? Partir en courant ? Te laisser ici et fuir le plus loin possible ? "

Cécilie avait parlé d'une voix aussi posée qu'à l'ordinaire. Il en fallait plus, beaucoup plus, pour la faire sortir de ses gonds. Elle serra doucement la main qui la tenait fermement.

- Écoute moi bien, Shyn'tae. Si tu veux une raison 'raisonnable' de ne pas t'abandonner à ton sort, c'est très simple. X'an est déjà un fugitif et par extension, moi aussi. Si les eldéens te mettent la main dessus ou que tu te rends, ils sauraient que nous sommes ici et sûrement bien d'autres détails. " Et quels que soient ces détails ils risquaient gros, surtout après la scène qu'ils avaient joué à la Princesse de Geresh. " Mais sache que, quand j'ai décidé de rester en Ithri'Vaan, je me suis promis de vivre libre, la tête haute et selon mes envies. Même si X'an ne t'aime pas, tu es une amie pour moi. Tu t'es toujours montré digne de confiance et tu m'as appris beaucoup. Je ne te mentirai pas en te disant que je serais prête à tout pour toi. Ma vie et celle de X'an passeront avant la tienne si j'y suis contrainte. Mais je ne veux pas te perdre. Nos soirées lectures étaient bien trop amusante. " Un sourire chaleureux et sincère qui tranchait avec la froideur que pouvait revêtir le sens de ses mots. " Et puis j'ai quelques idées d'expériences qui pourraient t'intéresser. "

Shyn'tae en resta bouche bée de longs instants avant qu'un sourire félin n'apparaisse peu à peu au coin de ses lèvres. Ce que venait de dire l'humaine lui faisait un bien qu'elle n'aurait pas imaginé.

Les mots semblaient peut-être froids, mais l'eldéenne savait les reconnaitre pour ce qu'ils étaient réellement. C'était d'autant plus vrai qu'il existait une solution évidente à ce dilemme. Solution à laquelle Dante penserait certainement s'il ne l'aimait pas. Heureusement, ce serait un problème pour plus tard.

- Je m'étais fait la même reflexion. Me laisser partir ne serait pas raisonnable en effet… Je suis ta prisonnière… Au ton qu'elle venait d'employer, il aurait été difficile de croire la daedhelle gênée par cette perspective. Son regard pétillant n'en était qu'une bien inutile confirmation. "Et si en plus il y a des soirées lecture et des experiences… La drow se mordit la lèvre et soupira malicieusement, yeux clos, avant de redevenir sérieuse face aux yeux bleus qui l'observaient toujours avec curiosité et distance lorsqu'elle s'amusait à ses mimiques aguicheuse. Même lorsqu'elle s'essayait à quelques sous entendus, l'humaine n'avait jamais été particulièrement douée pour trouver le bon tempo dans le jeu... Voilà une chose qui ne changeait pas.

Merci. Tu as de la chance on se concentrera sur toi. Je crois que je vais devoir me passer de mon art...Ca tombe bien… je vois… quelques petites choses à travailler. Cécilie tiqua, mais l'eldéenne était trop préoccupée pour s'en apercevoir. La présence, le poids d'Eveil était une chose qui lui avait manqué depuis qu'elle avait entrepris son voyage depuis Sol'dorn. C'était seulement maintenant qu'elle se souvenait de la nature exacte de cette partie d'elle dont l'absence devenait criante. La magicienne préférait ne pas imaginer ce qui était arrivé à la lame. Son espoir était que quelqu'un l'ai gardée en trophée. A chaque fois qu'elle l'imaginait jetée dans le fleuve ou fondue dans une forge, un haut le cœur menacait de la faire vomir. Mieux valait en plaisanter. Et passer à autre chose plutôt que se lamenter.

- C'est vrai que quelques cours de soutien ne me feraient pas de mal... Quand tu te seras remise. "
- Ce ne sont même pas des cours de soutien. C'est des remarques que je ferais à une collègue. Appelle ca du perfectionnisme. Elle avait levé la main.
Merci pour tout ca. Tu es une amie pour moi aussi. C'est tellement… bizarre. Et naturel en même temps. Sans mentir, tu peux également compter sur moi. Sa voix douce plus gagnait en fluidité à chaque minute. Elle poussa un soupir et se détendit un peu plus. Les moments qu'on a passé ensemble m'ont beaucoup manqué.. Un doigt fin glissait sur le tissu tiédi par le corps d'Irulan.

- Je te dirais bien la même chose - et j’admets que j'ai détesté partir comme ça - mais j'ai passé les plus belles ennéades de ma vie depuis mon départ de Frontière. " sourit la jeune femme, l’œil brillant de cette confidence à mi mot. Bon sang... Depuis combien d'années n'avait-elle pas eu l'occasion de partager des moments heureux de sa vie de façon aussi simple ? ... Jamais en réalité puisqu'avant de quitter la péninsule, elle n'avait que deuils et douleur à partager avec une pauvre putain qui agitait une épée pour se donner de grands airs. Cette pensée fit redoublé son sourire. Elle ne voulait pas enfoncer Shyn'tae ou faire croire que son départ de Frontière l'avait réjoui... Mais étant donné les vacances qui avaient suivies, elle ne regrettait pas un instant d'avoir suivit Dante du jour au lendemain, et elle osa même - soyons fou - aller un pas plus loin. " Avec X'an, je n'ai pas eu un instant pour m'ennuyer. "
Le sourire de la daedhelle avait grandit à mesure qu'elle écoutait les paroles de son ami, en même temps qu'une drôle de sensation habitait sa poitrine. Du plaisir, réel, pour son ami, la satisfaction de l'admirer ainsi, si manifestement heureuse, de savoir que le drame de leur départ précipité avait produit quelque chose de bien. Mais il y avait aussi une autre sensation qu'elle aurait aimé plus légère, un poids qui lui rappela le rêve si frais dans sa mémoire. De la jalousie? Du regret? Les deux étaient à la fois stupides et indignes, car elle était responsable de ses propres decisions.
- Pour le peu que je l'ai croisé, je ne me suis pas ennuyée non plus. Tu veux que je l'appelle X'an?
- Tu peux l'appeler comme tu veux je pense. C'est juste par habitude que je l'appelle comme ça avec toi, je suppose. Le mieux serait que tu lui demandes. " réfléchit tout haut l'humaine. Bon... Elle doutait qu'il prenne particulièrement bien qu'on donne son nom le plus personnel à tort et à travers cela dit. Mais peut-être que l'eldéenne s'abstiendrait d'elle même ?

- Je l'appellerai comme il le désire. X'an c'est très bien. Les Eldéens on fait le rapprochement par contre.. Elle avait haussé les épaules. Ce n'était pas un problème insurmontable. Et sinon, tu voudrais bien me raconter? Au moins un petit bout. Ca me changera de mes généraux Eldéens hargneux et acariâtres."  Il y avait comme une nuance d'espoir dans la voix de la noirelfe qui se sentait attirée par cette idée folle: Les plus belles ennéades d'une vie.

Une lueur surprise passa dans les iris claires de la jeune femme. C'était... inattendu. Enfin elle aurait sans doute du s'y attendre. Elle était... curieusement touchée que l'eldéenne le lui demande. Elle s'intéressait vraiment à des peccadilles pareilles ? Une part de l'humaine, soutenue par les murmures à la limite de sa conscience, trouvait ça suspect. Voulait-elle des informations sur Dante et elle ? Sur les lieux qu'ils avaient visités pendant leur errance ? Non... C'était idiot. Elle en savait bien plus à présent. Savoir par ou ils étaient passé était inutile puisqu'ils n'y avaient laissé personne d'important. Après avoir côtoyé la jeune femme pendant plus d'un an, Shyn'tae était bien placée pour savoir que les deux mercenaires ne s'encombraient pas de compagnons de voyage, surtout alors qu'ils était sensé être en cavale. Elle savait déjà beaucoup trop de chose. Les murmures s'intensifiaient pourtant. Des mises en garde. Pour elles. Pour leur secret... C'était vrai... Cécilie avait donné elle-même la plus dangereuse des information, à peine quelques minutes plus tôt. Une fois la surprise passé, l'affection et l'enthousiasme se teintèrent à nouveau de sérieux.

- Avec plaisir. Je te raconterais la plage, la chasse et les repas délicieux. Mais avant il faut que je te pose une question... " se regard de l'humaine se vrilla intensément dans celui de l'eldéenne. " Tu as dit que tu avais remarqué quelques petites choses à travailler me concernant. Qu'est-ce que tu as vu exactement ? "

L'eldéenne soutint le regard de son amie, les iris carmins dans les bleus. Elle avait tiqué à son tour, étonnée qu'elle ne le sache pas déjà. Peut-être le savait-elle d'ailleurs. Elle aurait du chercher une échappatoire. Il n'en existait probablement pas. L'image de la magicienne, magnifique, s'apprêtant à fondre sur le guérisseur lui revint.

C'était idiot de lui faire confiance. Absolument idiot. Pourtant, qu'avait-elle à perdre? Sa flamme. Probablement destinée au P'leiks de toute manière. Et surtout… Elle avait besoin de lui faire confiance. Elle avait besoin qu'elle lui fasse confiance. Un besoin visceral. La drow voulait entendre parler de plages, de chasse et de repas délicieux.

De plus, la magicienne n'imaginait aucun mensonge assez convaincant. Irulan savait forcément qu'elle avait vu.

Elle prit quelques secondes avant de répondre d'une voix égale.

- Ce serait idiot de te mentir. J'aurais du mal à te dire ce que j'ai vu exactement… C'est le déferlement magique m'a réveillée.

- Je t'ai vue là, irradiant la magie. Toute la peau libre couverte de symboles. Je connais un peu le Nisetien. Ca n'avait aucun sens. Et tu m'as regardée. Tu as lâché Mehmet. Il a bien souffert ce soir, mais en toute franchise, il l'avait un peu cherché.
- J'ai vu la même chose dans l'arène. Lorsqu'on a soigné X'an. Je croyais... Nos regards se sont croisés. Enfin.. Peut-être pas ton regard finalement. Tes yeux étaient aussi noirs que les tunnels les plus profonds du Puy.

La drow soupira, et baissa finalement le regard un instant avant de le redresser. Les yeux perçants de l'humaine la pénétraient toujours. La jeune femme l'avait écoutée en silence. Jadis, elle avait servi dans bien des soirées car son oreille aiguisée ne se laissait pas facilement avoir par des mensonges. Le timbre de Shyn'tae. Son rythme cardiaque. La vibration de son essence. Ses intonation. Ses crispations. Ses hésitations. Tout concordait pour lui prouver qu'elle ne mentait pas... Et apprendre qu'elle doutait depuis le premier jour ne la rassurait pas. Le visage impassible, son regard avait perdu cette teinte de complicité pour une glace attentive, intense et coupante.

- Je ne te veux aucun mal. Si j'avais voulu te donner aux vieux machins de l'étude noire, ce serait fait depuis longtemps. Au début... je voulais savoir. Ensuite… Je ne voulais juste pas te perdre. Alors je me suis tu."

Alors c'était par calcul qu'elle lui avait proposé d'échanger ? C'était par calcul qu'elle était sortie du camp pour la rencontrer à Frontière si souvent ? Par curiosité, comme on aborde une expérience... La si grande curiosité qu'elles avaient en commun, c'était sur Cécilie que celle de l'eldéenne s'était posé. Ses pupilles s'étrécirent jusqu'à n'être plus que deux minuscule pointes noires dans la pénombre enveloppant les lacs bleutés de ses iris. Elle aurait du s'en doute après tout. Cécilie l'avait utilisée pour en apprendre plus sur la nécromancie. L'eldéenne cherchait forcément quelque chose elle aussi. Tout le monde cherchait quelque chose... Mais cela lui arrachait les tripes d'y penser. Elle s'était faite avoir ! Les Lamentations avaient raison. Une fois de plus. Elle aurait du se méfier davantage. Les murmures diffus se firent plus doux, apaisant. Elles étaient là, elles. Oui... Quoi qu'il arrive. L'important était qu'elles ne soient pas en danger. Pas encore. Elle ne connaissait ni leurs forces, ni leurs faiblesses. Il était encore temps... Avant qu'elle ne devienne un véritable problème...

Le regard flou de l'humaine observait sans voir.

C'est vrai. Shyn'tae ne voyait qu'une magie puissante qui lui couvrait la peau. Elle avait encore l'occasion d'agir avant que ça ne dégénère...

Non.

Les Lamentations oubliaient un détail. Elle avait dit... Que le regard qu'elle avait vu, un regard obscure, n'était peut-être pas celui de la magicienne qu'elle connaissait. Elle avait des doutes. Depuis le début. Et si elle avait déjà trouvé quelques parades ? Elle ne pouvait pas s'emporter, au risque de payer le prix fort. Et les murmures de lui rappeler encore...

Tu peux sentir sa vérité.
Elle est affaiblit. Profites-en.
Pas pour longtemps
Profites-en.
Comme pour son frère.
Shhhhh...
Sans magie. Sans arme. Sans épée...
Protège toi et protège le.
Elle doit apprendre.
Elle ne le fera pas.
Protège nous.
Je sais ce que tu veux.

Un mélange de mots et de voix superposés. Des murmures à peine audibles. A peine compréhensible. Des intonations changeantes. Proches. Sincères. Elles n'avaient jamais tort... Mais elles n'avaient pas toujours totalement raison non plus.

C'était un risque... Un risque qu'elle avait déjà pris avec Dante et ça avait été payant ! Mais lui ne comprenait pas la magie. Et ils étaient liés. Ils s'étaient connus et reconnus d'une façon qu'elle avait cessé de vouloir expliquer. Il était son Indomptable. C'est tout. ça n'avait rien à voir.

-Irulan.. Irulan? Qu'est ce qui t'es arrivée?

La daedhelle faisait son possible pour ignorer l'attitude de l'humaine. Elle se doutait qu'un tel secret, une magie si differente et puissante serait recherchée, et qu'Irulan ferait tout pour la cacher. A sa dernière question, le regard de l'humaine s'était un peu rallumé. Très légèrement.
- Je croyais que tu savais? Comment dire.. Ta magie est puissante, mais... explosive? Elle avait fait un geste expressif de la main droite. Il y a beaucoup de perte. Je n'aurais pas pu la manquer, même si je l'avais voulu.

- Je sais que Na'ri n'a rien vu. Elle était trop concentrée sur la vie de X'an, s'empressa-t-elle d'ajouter, comme pour protéger la soigneuse.

Na'ri... La guérisseuse... L'humaine n'y avait pas pensé jusque là. Combien d'autres ?

- Pendant tout ce temps... A qui tu en as parlé ? " susurra Cécilie d'une voix glaciale. Le ton qu'avait employé son amie l'avait forcée sur la défensive. Un ton si semblable à celui qu'elle avait employé avec Mehmet. Le visage de Shyn'tae se referma. Elle était en danger, car sa consœur avait changé du tout au tout. Et si...

Et si elle ne maitrisait rien à cette magie étrange. Et si elle avait vu en elle un moyen d'apprendre à mieux s'en servir, rien de plus ? Un moyen si simple d'accéder au savoir de l'étude noire. La colère montait dangereusement en elle, le feu dans la glace.

- C'est absurde! Comment peux-tu croire...

Elle vient de te sauver la vie.  'Ne me fais pas croire que tu ne savais pas!
- Tu ne me l'as jamais dis. Je ne savais pas.
- Comment est-ce possible? Et pourtant… Elle en était certaine, c'était vrai. Irulan ne l'écoutait qu'à moitié, et ce n'était pas vraiment elle qui l'avait vue avec ces yeux d'un noir d'encre. Garder son calme. Peut-être y avait-il une arme. Elle n'est pas elle-même. Elle était dangereuse. La main qui enserrait celle de la sombre semblait serrée comme un étaut malgré le manque de force physique de la chetive humaine.

Des souvenirs de cette soirée à Frontière s'imposèrent à elle, lui coupant le souffle.

Un baiser hésitant.  

La douleur du départ, si forte, à en pleurer.

Le trouble chassa la colère de son regard. Elle avait tellement fait d'erreur.

- Irulan, j'ai rien dit…"

La colère. La défiance. La peur. Le trouble. Cécilie les nota sans en être particulièrement affectée. Elle observait, écrasant son empathie d'une poigne de fer. Comment la croire à présent ? Comment oser prendre le risque de... quoi ? La laisser vivre ? La laisser véritablement partir et faire ce qu'elle voulait ? La garder près d'eux pendant un moment ? Elle regrettait soudain le temps ou elle pouvait s'infiltrer dans la mémoire de quelqu'un sans risquer de le détruire définitivement. Elle pouvait tenter... Elle le devait sans doute...

- Tu n'as pas demandé d'informations sur les magies Nisétiennes ? Fait savoir d'autres Maître que tu avais un projet d'étude en leur demandant leurs théories ou leurs documents ? Tu n'as pas laissé entendre que tu avais peut-être trouvé une ancienne source de magie pour avoir accès à plus de documentation ? A quel point as-tu creusé ? " Il s'agissait de question rhétoriques. Elles n'appelait pas nécessairement de réponse. D'autant que Cécilie ne les écouterait que d'une oreille distraite. Dans son dos, des arabesques apparaissaient sous le tissus.

- Ca n'a aucun sens... Je suis curieuse. C'est un défaut qui me tuera peut-être un jour. Mais… je ne regrette rien, car sans ca je ne t'aurais pas connue. Je fais ce que je peux, mais je ne suis pas forte… Elle s'était redressée sur son bras tremblant, leurs visages à  la même hauteur, l'effort plus grand qu'il ne l'aurait du. La couverture glissa pour dévoiler son corps fin, amaigri et encore contusionné sans que le mouvement n'engendre la moindre réaction de la part de Cécilie. L'humaine la regardait toujours, froide, raide, réfléchissant à ce qui allait suivre. Mais elle n'aurait pas pu réfléchir à ça...

-  J'ai gardé le secret… te rencontrer. est la meilleure chose qui me soit arrivée. j'ai.. j'ai jamais eu autant mal quand je t'ai vue quitter frontière. Nos rencontres. C'était… Par Uriz, c'était ce qui me faisait tenir. Ta curiosité. Tes sourires. Ton caractère. Ta liberté… Je voulais pas perdre ca. Je ne voulais tellement pas le perdre!

Elle avait serré les dents, tremblante, sa voix rauque, comme si elle aurait voulu crier sans le pouvoir. Il y avait dans son regard un mélange de révolte, de colère, de tristesse.

J'ai menti à l'avatar d'Uriz pour te protéger. Lorsqu'elle a dit que tu étais sans importance, j'ai appuyé son propos. On avait autre chose à faire que te chasser, toi et Dante, quoiqu'en pensait mon père et Na'ri. Son père qui n'oublierait certainement pas... Lui le puissant Obok Senger qui avait condamné Dante à la fuite.

- Je voulais pas te perdre, mais je t'ai laissée partir... Parce que c'était ce que tu voulais. Et parce que c'était ce qu'il fallait...

La drow secoua la tête, étourdie, les yeux humides.

- Et me voilà maintenant. J'en peux plus Irulan… Je ne sais même plus qui je suis. Je veux juste entendre parler d'une plage, d'une chasse et d'un repas délicieux. Tu peux les inventer si tu v...

- Ferme-la. " Un ordre. Bas. Autoritaire. Orgueilleux. Être vulgaire ne lui ressemblait pas. Mais il y avait un temps pour tout et il semblait à l'humaine qu'un peu de vulgarité était parfaitement à propos dans l'immédiat.

Dans le même mouvement, elle se dégagea, lâcha la main de l'eldéenne et roula sur la hanche pour se relever. Deux pas et elle était accouder à la fenêtre, le cœur remonté dans la gorge. Passer d'heureuse - quoi qu'étranges - retrouvailles, à une chienlit pareille. Elle avait envie de vomir.  La drow, elle, s'était tue, choquée autant par les mots d'Irulan que par ses propres aveux. Elle resta un long moment immobile, le regard perdu, sans oser jeter un oeil dans la direction de la fenêtre.

Shyn'tae l'aimait...

Shyn'tae l'aimait !

Elle ne l'avait pas dit comme ça, mais ce que Cécilie avait entendu, elle ne pouvait en douter. Elle disait ne pas vouloir la perdre. Elle disait qu'elle - une humaine qu'elle ne voyait qu'une fois en passant - était la personne qui lui permettait de tenir. Elle avait mentit à l'Al'Serat pour elle alors que c'était une sorte de divinité parmi les siens. Shyn'tae avait du défier ses dieux pour ça... Son envie ou non de découvrir la vérité ne comptait plus. C'était du passé. Un partout la balle au centre, elles avaient commencée en s'utilisant l'une l'autre. L'humaine le reconnaissait aisément à présent.

L'eldéenne ne lui avait pas menti. Tous les signes concordait. Le ton. Le cœur. Les émotions. Les fais. Cécilie pouvait user de sa magie sur elle, mais elle avait l'intime conviction qu'elle ne trouverait rien de plus. La seule raison pour laquelle elle était tenté de se livrer à l'expérience était qu'elle ne supportait pas l'idée que ce soit vrai.

Pourquoi ?

Parce qu'elle ne voulait pas de cette responsabilité. Elle ne voulait pas de cette complexité.

Elle ne voulait pas avoir à penser à ménager les sentiments de Shyn'tae tout en la préservant de la colère de Dante et en faisant en sorte qu'elle ne la vende pas aux drows par mégarde. Elle voulait son amie capable de se défendre seule. Elle voulait profiter de chaque instant avec son Chasseur jusqu'à ce qu'il se décide enfin à affronter son autre moitié. Elle voulait pouvoir prendre Shyn'tae dans ses bras ou s'endormir sur son épaule en lisant des volumes bien trop épais sans avoir l'impression que Dante le prendrait comme une attaque personnelle. Elle voulait... Bon sang elle voulait cette ferme dont il avait parler. Elle la voulait tellement... Elle voulait cette endroit rien qu'à eux ou ils pourraient se retrouver loin de tout. Loin de tout ce monde bordélique et des abrutis qui tombaient amoureux de n'importe qui. Elle voulait ce laboratoire et ces expériences complexes. Elle voulait un lieu ou elle pourrait s'amuser à confronté les résultats de ses expériences avec les idées de sa camarade. Elle voulait tout, sans les prises de tête qui ne manqueraient pas de suivre. Elle voulait sa liberté.

Pour n'importe qui d'autre, ça aurait été simple. Elle aurait utilisée la malheureuse éprise d'elle jusqu'à ce qu'elle lui cède la dernière once de sa dignité, de son réseau, de ses moyens. Jusqu'à ce qu'elle crève. Ou elle l'aurait dévorée sur le champ par amusement, comme elle avait faillit le faire quelques instants plus tôt. Mais là, quelle choix elle avait ? Hein ?!

C'était une amie bon sang ! C'était l'une des rares personne dont elle appréciait sincèrement la compagnie. La seule avec laquelle elle pouvait parler de théories magiques avancées et se sentir comme un enfant à peine initiée tant le décalage de savoir était grand. Et cette CONNASSE venait tout ruiner avec sa putain de libido de MERDE !

De colère, Cécilie donna un violant coup de point dans le tour de la fenêtre et poussa un cri de douleur sous l'impact de ses phalanges, se pliant en deux pour serrer son poing contre son ventre.

- J'en ai MARRE !

Shyn'tae avait sursauté, son regard brillant à nouveau posé sur l'humaine. Elle connaissait cette colère sauvage qu'elle avait provoqué par faiblesse. Que croyait-elle d'elle? Avait-elle raison? La daedhelle ne le savait pas. Y avait-il une autre vérité que le regard des autres?

Une petite fille recroquevillée sur le sol, sa mère, superbe, la regardait durement. Le regard méprisant de l'adulte en disait plus que n'importe quel mot.

Non, elle valait mieux que ca. Était-ce vraiment le cas? Qu'y avait-il dans les mots qu'elle avait prononcé, quelque chose qu'elle se cachait à elle même et qu'Irulan avait compris.

"Observe les sacrifices qui ne servent ni les dieux ni l’égo." Ses oreilles tendues, dressées au travers de sa tignasse sale frémirent. Ses yeux grands ouverts saisis par l'effroi. La voix du haut prêtre de Tesso avait surgit de ses souvenirs comme un cavalier fendant le brouillard.

« Ecoute les confidences qui fermeraient les portes du Nahali, écoute celles qui mèneraient aux P’leik, écoute celles que seuls nos dieux devraient avoir à juger. »

Son cœur battait la chamade… Elle était stupide. La colère se mélangeait au désespoir. C'était vrai, et impossible à la fois. Inacceptable et trop réel.

Dante n'aurait pas été aussi impliqué, elle aurait pu tisser sa toile autour de l'eldéenne pour en faire une assistante d'expérience des plus intéressante... Tu parles. Et elle n'aurait plus été qu'une créature qu'elle faisait danser au rythme de sa musique, comme toutes les autres. Cécilie aurait fini par la mépriser et la tuer, dans une ennéade, un mois, un an, peu importait. Elle aurait fini par le faire. Elle ne voulait pas de ça.

Alors que voulait-elle exactement ? Là. Maintenant. L'avidité lui disait : Tout. Mais c'était bien trop vague pour pouvoir être mis en application. Elle tourna la tête vers l'eldéenne, la détaillant une fois de plus. Cette dernière la regardait sans la voir, sourcils froncés, perdue dans ses pensées, le poing tremblant.

Cécilie se foutait ce ses putains de sentiments. Elle l'aimait ? Et bien tant pis pour elle. Ce que voulait l'humaine était bien plus simple. Elle voulait les soirées de lecture et de discussion. Elle voulait les confidences et les rires. Mais imprévisible comme l'étaient les sentiments du commun des mortels et des immortels, il fallait que l'humaine soit prête à la tuer avant qu'elle n'aille raconter n'importe quoi à n'importe qui... et elle ne pouvait profiter du reste avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête.

- Je me fout que tu m'aimes, je ne suis pas amoureuse de toi et je ne veux pas te faire miroiter quoi que ce soit pour éviter que tu me trahisses. J'ai besoin d'une amie, Shyn. Pas qu'une concurrente dont Dante se méfie. " lui lança-t-elle, droit dans les yeux, orgueilleuse et égoïste comme elle savait si bien l'être. " Si je me rends compte que tu essaies de te mettre entre lui et moi d'une quelconque façon, ou que tu parles de nous à qui que ce soit, je te tue. "

Et elle était mortellement sérieuse. C'était une promesse. Toute émotion avait quitté le visage de la daedhelle, qui se contenta de hocher la tête doucement.

Cécilie s'assit sur le coin du lit, droite et noble comme à son habitude, et redressa sa main, dépliant ses doigts pour vérifier qu'elle ne s'était rien casser. Ses phalanges saignaient un peu et elle gronda en les bougeant, mais tout semblait en ordre. Puis elle observa en silence l'eldéenne, et avisa au passage le mouchoir plié, resté sur le coffre.

Deux pas et elle le ramassait.

Un de plus et elle s'asseyait de nouveau près de Shyn'tae pour l'aider à se remettre bien sur la paillasse et sous la couverture.

La drow l'arrêta d'une main plus forte qu'elle n'aurait du l'être.

Le regard absent de Shyn'tae avait retrouvé de sa vigueur, brulant dans le regard de l'humaine. La fatigue de la drow semblait lointaine, même si elle savait que ce n'était que sa volonté qui lui permettait de croire le contraire. Le retour sur terre serait douloureux, mais Irulan avait tout dit. Elle venait de réaliser à quel point celle qu'elle pensait être son amie ne l'avait jamais vraiment comprise.

- Alors... Tu penses que je voudrais te posséder. Te séparer de Dante? Que si j'étais éconduite je te trahirais? Cécilie ouvrit la bouche, mais Shyn'tae l'interrompit, secouant la tête, dépitée.
- Evidemment que je n'hésiterais pas à honorer ton plaisir si j'en avais l'occasion. Parce que, chez les miens, c'est ce que les amis font. Mais j'ai vu depuis longtemps que cela ne t'intéressait pas. Or cela se partage au moins à deux.
La drow haussa une épaule et fit la moue, comme si elle avait rencontré un menu obstacle sur son chemin. Les yeux bleus la scrutaient de nouveau avec curiosité et distance.
-  C'est dommage, parce que j'adore ca, mais… tu n'imagines pas à quel point je m'en tape. Tu as raison. Je dois être amoureuse, aussi improbable que cela parait. De nos discussion, des soirées passées toutes les deux à rire et partager, de ton esprit, de ta curiosité,  de tes foutus secrets et de ta liberté.  

Elle s'arrêta un bref instant pour reprendre son souffle, mais enchaina avant que l'humaine ne puisse l'interrompre, le bras levé pour l'arrêter au moment ou elle tentait une fois de plus de prendre une inspiration.

- Si tu veux une amie, ne me menace pas. Si tu arrêtais de douter de moi à la place? Tu réalises le sort qui m'attend aussi si tu étais prise par les Eldéens?
Sitôt qu'elle avait réfléchi à la question, l'imagination de la daedhelle s'était mise à son service sans rechigner. Elle préféra ne pas s'attarder sur la question. "Si ce que tu veux c'est quelqu'un qui soit à ton service… autant se séparer tout de suite, ca t'éviteras plus de deceptions."
Shyn'tae espérait sincèrement que ce n'était pas ce qu'Irulan recherchait. C'était vrai, elle l'aimait. L'idée même de la perdre lui faisait mal au cœur. Mais il y avait bien plus d'une façon de perdre quelqu'un.

Elle allait se taire, mais quelques mots de plus lui vinrent à l'esprit. Elle frissonnait.

Aussi. Si tu veux me tuer, tu as intérêt à t'accrocher. Tu ne seras pas la première à essayer. Laisse moi juste quelques ennéades. Il y eu une pause, son visage s'était orné d'un sourire félin des plus effronté. Le bras sur lequel elle s'appuyait se mit à trembler dangereusement. "C'est qu'il faut faire la queue."

- D'accord. "

Simple. L'humaine hocha la tête. C'était un sourire qui avait fleurit sur ses lèvres. Une expression sereine et ô combien satisfaite. Elle la retrouvait enfin, un tant soit peu. Mordante. Joueuse. Cinique. Effrontée. Et elle en éprouvait un tel soulagement... Tout n'était pas perdu finalement. Loin s'en fallait même. La daedhelle retomba sur la paillasse, vidée. Cette fois, Lorsque Cécilie entreprit de l'aider à se remettre bien et rajusta la couverture, la daedhelle ne tenta pas de la retenir. Oui, c'était vrai, Shyn'tae devait l'aimer. C'était peut-être une faiblesse, mais, en admirant l'expression qui s'était dessinée sur le visage de son amie, elle s'en fichait.

- Tu sais... " Elle ouvrit la bouche et la referma en souffla un rire tranquille. Elle allait dire que si elle avait pensé que la trahison de l'eldéenne était probable, elle lui aurait menti ou elle l'aurait tué. Mais c'était faux. Un peu plus tôt, par pur égoïsme, elle avait pris le risque. Elle l'avait pris justement pour voir sa réaction. Parce qu'elle ne connaissait de l'amour que les contes, les jaloux, et Dante. Visiblement les eldéens procédait autrement et les Lamentations avaient tort. Elle allait lui dire que la tuer n'était pas une menace, mais bien une promesse. Elle aurait put lui faire la même pour lui éviter le Néant. Mais à quoi bon ? Alors elle laissa plutôt tomber avec son flegme si sérieux :

- Certaines tenue de servante que j'ai porté pour mes contrats t'iraient à ravir. " Elle laissa planer la phrase un moment, jusqu'à croiser à nouveau le regard de Shyn'tae. Ses iris bleus scintillaient d'une lueur amusée au milieu de son visage posé. Son amie avait haussé un sourcil, son oreille droite s'était inclinée, dans une expression d'intérêt que Cécilie connaissait fort bien. "Tu n'aimais pas ma tenue? Je l'avais faite moi-même!" Peut-être... pouvait-elle porter un peu plus attention à son apparence. Il n'avait jamais rencontré quelqu'un qui prenait aussi mal soin de lui, avait affirmé le guérisseur. Peut-être… que ca vaudrait la peine de l'écouter.

De sa main esquintée, Cécilie attrapa le mouchoir plié près d'elle et - grondant au passage - le délia au creux de sa paume. Deux grosses boulettes de lentilles aux légumes et aux épices trônaient là. Froides, elles ne dégageaient qu'une odeur infime, ayant presqu'imbibé le tissus d'une huile légèrement pimenté. Gigotant un peu du fait qu'elle n'était toujours pas assez souple pour trouver agréable d'être assise à même le sol, Cécilie finit par se rallonger à moitié en tenant la nourriture de façon à ce qu'elle soit la plus facilement atteignable pour la convalescente.

- Tiens, j'ai gardé ça de ce que la gérante a bien voulu me donner à déjeuner. Mehmet a dit qu'il fallait que tu manges. "
- Il m'a l'air encore plus casse pied que moi, mais c'était une très judicieuse remarque en effet.

Elle remonta brusquement la main qu'elle avait faillit laisser retomber sur le sol, ses phalange protestant au contact du bois. " Concernant la médecine, ses remarques sont souvent judicieuses. C'est bien ça le problème d'ailleurs... " Elle secoua légèrement la tête. " Et tu sais, si jamais les drows me capturent, ils ne sauront rien sur toi. Ils mourront ou je mourrai, mais ils ne pourront violer ni mon esprit ni mon corps si je n'y consens pas. C'est un des avantages de mon Art. " Shyn'tae hocha la tête. Elle pouvait le croire, tout était possible. "Faisons en sorte de ne jamais en arriver là en tout cas. Ca va ta main?
- Ça fait très mal. Mais je peux bouger les doigts alors ça ne doit pas être si terrible.

A peine avait-elle fini sa phrase que le ventre de Cécilie gargouillas subrepticement. Celui de sa consœur gronda ostensiblement en retour. Ses oreilles effilées s'étaient aplaties pour évoquer la mine d'un chaton pris sur le fait. Sur un regard de connivence, l'humaine détacha alors un petit morceau d'une des boulettes. " Hmm... C'est pas mal. ça ne vaut pas la tarte aux dattes et la brioche au miel qu'on a goûté au Crin d'écume, mais c'est vraiment pas mal... "
- Arrête de me torturer, fais moi gouter!

Shyn'tae arborait le plus sincère des sourires.

Sa camarade se décida à mettre fin au supplice.