[La Cahute] Un mois de recherches

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L'apparition >> a parte : Journal de Dante

Nuit du 3 au 4e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Principauté des Sept-Monts
Peu après le bain de minuit de l'humaine

La lune descendait déjà depuis un bon moment vers l'horizon lorsque deux silhouettes féminines retrouvèrent le chemin de la cabane. L'une grande et sèche, la peau sombre et les cheveux blanc. L'autre fine et frêle portant une robe de soie aussi noire que ses cheveux et ses mains. A l'approche, leurs sourires avaient déjà disparus, alertés par l'odeur âcre de vinaigre et d'humidité qui s'échappait de la porte entrouverte à pleines bouffées.

A l'intérieur, une tempête s'était abattue. Les meubles brisés ou retournés gisaient ça et là. Un épais buffet était aux trois quart tombé devant la porte de la chambre et des éclats trônaient au milieux d'objets divers s'étendaient jusque devant l'âtre. Le contenu des sacs présents dans la pièce a vivre était retourné. Du vinaigre imbibait les lattes du plancher... Et les deux femmes soupirèrent de concert. L'eldéenne passa par la seule porte restée ouverte pour vérifier que l'immense drow qui gisait sur le sol au milieu de la saumure était encore vivant. Sa consœur en robe de prêtresse de la mort se dressa de toute sa hauteur pour toiser l'homme qui était assit là, au milieu du carnage.

_____

Au fur et à mesure que l'acier de ses lames rencontre la pierre tiède dans sa main, l'homme se laisse aller au calme. Ce bruit, si insupportable chez les autres l'apaise et le calme. Lui permettant étonnamment de mettre de l'ordre dans ses idées. Il sait que le carnage va lui retomber sur le dos, mais il s'en fout.

La mission est que le drow vive, et il vivra. Les prunelles dépareillées ne quittent pas le trou de la chambre du drow. L'oreille, attentive, suit la respiration laborieuse du sombre. Avoir l'oreille de Shyn'Tae par contre, elle se serait tournée quand les femmes entrent dans la pièce...

Elles ne lui parlent pas. C'est bien, ca va lui permettre de finir la jumelle. L'ombre... et la superbe jambe... de Cécilie par contre attire son attention. Interrompant enfin son ouvrage, l'oeil vert se pose dans les ténèbres cerclées de bleu. Un oeil d'un vert vif, incisif, surplombant trois traces noirs à demi effacées sur sa joue abimée. Un mur serait plus expressif et même sa compagne ne saurait dire ce qui se passe dans cet esprit tordu en cet instant précis.

Et elle s'en va. Assis, l'homme ferme les yeux et écoute. L'écoute commencer à vouloir tasser le vaisselier. Sans un mot, il se lève enfin. Sans un mot, il l'aide à redresser le meuble ébranlé par la colère d'Urgoll.  Sans un mot, il la laisse s'engouffrer dans la chambre, remarquant la gestuelle et la posture régalienne de la jeune femme. Elle n'a pas sa place en cette masure miteuse. Deux pas suffisent à prendre possession du cadrage que porte qu'il occupe avec un naturel désarmant. Presque inquiétant. La voix grave s'élève dans l'air de la cahute sans émotion tandis qu'il la regarde prendre le carnet et le poser sur la table sans lire.  

…

Et comme d'habitude quand il est question de sentiments, il est d'une nullité crasse. Il essaye très fort de se faire comprendre.

- J'ai pensé toute la journée à ma connerie et comment je pouvais réparer... A chaque pas vers ici.. T'es en criss t'a le droit...  
- Non. Tu y a pensé deux heures pendant que j'allais prendre un bain après m'avoir accusé pour la millième fois d'être la geôlière à l'origine de tous tes problèmes. " répondit-elle en s'agenouillant à côté de son sac pour vérifier que son grimoire et deux autres livres bien particuliers étaient toujours dedans.

-Non... La voix grave ne marque aucune intonation particulière. J'y ai pensé au moment même où nos dents ont transpercé ton cou, quand j'ai essayé de te rejoindre comme on s'est toujours rejoint,  j'ai su que c'était pas bien... J'ai pas de magie pour aller te rechercher... Toi tu les a eues pour venir me chercher quand c'était le temps...

Il ajouterait bien quelque chose, mais Dante se rend compte que c'est hors de propos.  La Bête cogne, mais il l'ignore... Dante en a rien à cirer. Alors sans empressement, elle se relève pour sortir de la petite pièce... Et se heurte à l’opiniâtreté de l'homme qui l'empêche de sortir.

- Tu m'as droguée et tu as essayé de m'en tenir pour responsable. Maintenant laisse moi passer.
-Je t'ai, oui… J'aurais pas dû… Et c'est pas bien non plus... Si je t'avais laissée faire ce que Vous vous apprêtiez à faire... Tu aurais  fait quoi après?

Demande l'homme pragmatique. Avec une froideur qui n'a d'égale que celle de la jeune femme. Et pourtant, les trois traces sur sa joue continuent de le torturer inlassablement, faisant tressauter l'épiderme. T'aurais fais quoi avec trois cadavres? Termine t'il mentalement la question.

- Sûrement plus de choses qu'inconsciente et enduite de boue. Laisse moi passer.

Mais il ne se tasse pas au contraire même. Les prunelles dépareillées sont illisibles, recouvertes d'un voile.

-J'ai accompli la mission, je t'ai gardé ton imbécile de sujet d'études en vie. Et, si tu veux mon avis, t'en aura pas de besoin. Parce que, à mon avis, ton but, tu l'a atteint sans t'en rendre compte. Et que, à mon avis, ton immortalité tu l'a déjà.... T'a pas pris une ride, une cicatrice, depuis que je te connais.... Je vis p'têt pas dans ton monde de magie, mais j'ai des yeux.

Dante marque des pauses, ne disant pas ce qui serait dit sous le coup des sentiments. La voix grave garde son ton inhumain, sans émotions. Il dissocie ses sentiments et ses instructions, ce n'est pas constructif. Elle ne l'interrompt pas. Ce cobaye, ce n'était pas pour elle qu'elle le voulait à l'origine. Si elle voulait prouver que les dissociés pouvaient être soignés et projetés sans séquelle dans un nouveau corps, ce n'était pas pour elle non plus.

-J'ai respecté les paramètres que tu m'a donné…

La grande main s'abat sur le chambranle de porte avec fermeté

-J'ai merdé pour la technique. Je suis au courant. Je me suis excusé au puits.    
- T'excuser... Tu t'es posé en espèce de maître fat et bouffi d'orgueil, prétendant savoir ce que j'avais vécu. Tu m'as vomi à la figure que je t'avais donné des ordres et que j'étais en tort alors que tu a utiliser tes sédatifs sur moi et que c'est à cause de tes dosages qu'il s'est libéré. Tu m'as accusé de te traiter comme un chien et ce n'est pas la première fois. Oui, ce n'est pas la première fois. Alors si tu crois que quelques mots vont suffire à rattraper ça, tu te trompes.

Il y a un  moment de silence tandis qu'il la dévisage de cette façon impersonnelle et étrange.

-Je pourrais te retourner le tout. mais ca me tente pas... Je t'ai dis ce que j'avais à te dire, je cherche pas à minimiser mes deux erreurs d'aujourd'hui, je suis juste un putain d'homme... Le cahier il est à toi. Je l'ai fait pour toi. Lis-le, chie dessus... Brûle-le, je m'en balance.... Pour rattraper le coup, je sais que je peux pas.  J'aurais pu... Je...

Encore une fois, il se tait, ne veut pas laisser les émotions prendre le dessus sur le problème. Il inspire profondément, sentant avec un étrange détachement son agitation physique intérieure. Et se calme illico. Redevient froid et glacial.

-Je t'ai pas... Et je sais... En 14, après, j'ai décidé que le mal que tu m'avais fait ce jour là c'était pour mon bien... J'espère que quelque part dans ta tête de mule tu m'a entendu et écouté.

Et, pendant un moment, ils se regardent sans rien se dire. Et pourtant, il a un dernier truc à lui dire. Et c'est très difficile. Il repense aux vacances, a la plage, en l'an 14 , à Frontière. Aux bons et aux mauvais jours. Même ici, en ce moment, c'est un sentiment fort qui parle. Et même sans rien ressentir d'autre qu'une absence de sensations, ca le traverse de part en part.  

-Je t'aime, Cécilie de Missède. Comme tu es…  

Les trois traces sur sa joue se mette à le brûler comme de l'acide, mais il combat l'envie de se les frotter de plus belle. Sur ces derniers mots, une lueur étrange commence à flotter dans les yeux dépareillés. Alors tourne t'il le dos à l'Enchanteresse pour se diriger vers la sortie. Autant pour camoufler ce qui monte en lui que pour prendre l'air nécessaire à son bon fonctionnement.  

-Cette merde, si vous vous posez la question, c'est ton beau gosse gris qui l'a fait pendant que je me lavais… Aussi épais que je suis, j'aurais pas gaspillé de la bouffe.  Amusez vous bien avec, les filles…

Dante ne dit pas s'il part ailleurs que dehors, il ne dit pas si il va revenir non plus…

Inutile de s'en faire. Il est dangereux. Il n'a fait que ce qui lui semblait bien. Il nous passera la corde au cou. Il est un boulet au pied. Il est une entrave. Il est dangereux. Il reviendra. Elle le regarde se déplacer vers l'entré, plus raide qu'à l'ordinaire. Sa main la démange. Elle croise les bras. Elle déglutit. Ce serait si facile de lui courir après, de l'enlacer, de lui jurer que ce n'est pas grave. Si facile... mais insupportable pour un orgueil blessé et un cœur trahit.

_____

Lorsqu'Urgoll fut en état d'écouter quelques mots, rien ne lui fut cacher. L'intérêt qu'éprouvait Cécilie pour le lien qui l'unissait avec l'étrange petit animal qu'ils avaient vu et la force qu'un tel lien pouvait supporter. L'importance de revêtait son rétablissement pour ceux qui étaient dédoublés. La volonté qu'elle avait de comprendre comment son esprit, sa magie et son essence étaient entremêlées dans ce lien. Elle lui dévoila également qu'un jour, quand elle aurait suffisamment apprit, elle lui proposerait peut-être de retrouver un corps jeune et une vie libre du poids du passé... Mais avant cela, Shyn'tae et elle avaient beaucoup de recherches et d'expériences à mener.

Au fil des ennéades l'eldéenne eu l'occasion de poser toutes les questions qu'elle avait sur les Lamentations et même de tester nombres de ses idées. Les deux femmes étudiaient aussi Urgoll tout en le soignant et en le surveillant avec soin. Si l'intérêt de l'humaine était purement magique, elle laissait son amie s'occuper du drow comme elle l'entendait puisque sa santé mentale et ses secrets semblaient lui importer.

Au cours du mois de Favrius, une trentaine d'habitants de tous âges et de toutes situations disparurent dans les hameaux et les villages autour de Hanning. Un enfant qui était parti joué en forêt sans jamais revenir. Un bucheron retrouvé mort sans raison au pied de l'arbre qu'il venait de commencer à scier. Un berger dont le troupeau avait été retrouvé errant dans la région sans aucun signe de leur gardien. Les rumeurs susurraient qu'une Lamia avaient tués trois jeunes hommes retrouvés morts au petit matin sans aucune marque de blessure sur le bord d'une rivière ou d'un étang. En plus des morts suspectes et des suicides, certains avaient tout simplement disparus. On suspectait la vieille herboriste du village d'à côté d'avoir ouvert la porte du royaume des morts pour y perdre d'autres malheureux. D'autres prétendaient que les drows de Sol'Dorn avaient envoyés des espions pour capturer des gens et les changer en abomination qui dévoreraient leurs semblables. A moins que le nouveau Prince n'utilise ses sujets pour de sombres rituels comme le roi de Naelis l'avait fait ? La paranoïa gagnaient doucement la région.

Et pour une fois, c'était peut-être à raison...

Entre les murs de la petite ferme sur le versant d'un coteau, deux mages avaient eu besoin de sujet vivants et bien portant pour quelques expériences... Et en guise de paiement. Après avoir vendu un garçon vigoureux et docile contre un saphir de belle taille et une géode d'améthyste, elles avaient étudié toutes sortes de rituels en utilisant le bon de libre accès à la bibliothèque de Thaar que Cécilie avait obtenue de la main d'une Princesse marchande bien des années plus tôt. Des traités Nisétiens aux livres d'apprentissages classiques des rituels de spirites et de nécromancie, elles lisaient et décortiquaient les procédés aussi bien magique que folkloriques et alchimiques. Et si des plantes, la position des étoiles ou des formes géométriques pouvaient aider la magie à mieux circuler, elles n'allaient pas se priver de comprendre comment, pourquoi et ce qu'elles pouvaient en faire.

Bien que le but ultime de tout ça soit de faire passer une essence viable d'un corps vivant à un autre sans la détruire, il fallait bien commencer à se faire la main sur quelque chose. Et le quelque chose en question était la manipulation de mannes pour la création de berserker d'une part et la manipulation d'âme in vivo sans les briser d'autre part. Ajouter à cela les très longues heures à sonder, observer et parler à Urgoll lorsque Shyn'tae l'acceptait et Cécilie avançait sur le chemin des spirites à une vitesse peu commune.

En parallèle, l'eldéenne réapprenait doucement à se servir de sa magie, offrant et recevant conseils et aides de la même façon que son amie. Les quelques bijoux qui restaient à l'humaine et les quelques talents monnayables des deux femme leur avaient permis de se procurer de quoi compléter l'alimentation qui leur parvenait mystérieusement par porteur chaque ennéade et que Shyn'tae s'escrimait à accepter malgré l'agacement de plus en plus corsé de Cécilie concernant l'homme qui les espionnait toujours. Mais elles en tiraient également de quoi redonner à la drow la possibilité de s'occuper d'elle avec un certain confort. Certes, la situation n'était pas idéale, mais les jours se succédèrent rapidement... Jusqu'à ce qu'un mois entier se soit écoulé.

Mais revenons un peu en arrière, voulez-vous, parce qu'après que Cécilie ait plus ou moins signifié à Dante qu'après l'avoir sédatée, mordue, et agacée, il n'était plus tout à fait bienvenu, une autre avait tenté vaillamment de faire entrer quelques menues idées dans la tête du mâle.

Quête difficile, mais malheureusement pour elle, cette autre là n'avait jamais eu peur de l'échec.

Souvenons-nous.

Dante vient de quitter la pièce, laissant Cécilie seule. Cette dernière, satisfaite de voir la porte dégagée, après avoir jeté un regard au journal, se dirige vers Shyn'tae, relevant ses cheveux en un étroit chignon pour se mettre au travail.

Après s'être habillée, cette dernière l'était déjà. Dire qu'elle en avait  assez était un euphémisme. Au moins Urgoll lui-même faisait office de tapis de sol, et n'essayerait probablement de tuer personne, hormis peut-être quelques acariens. Mais que s'était-il donc passé ici ? Shyn'tae supposait que le haut prêtre de Zhak'bar devait être à l'origine du cataclysme, mais il manquait des pieces au puzzle...

Alors, pendant que les deux tourtereaux s'engueulaient comme jamais, l'Eldéenne, avait commencé à nettoyaer les dégats. Des éclats de pots en terre cuite, des morceaux de meuble, du… Elle ramassa un condiment et le porta à son nez. Des cornichons dans du vinaigre, un grand drow prostré dans du vinaigre…

- Mais qu'est ce qu'il t'a fait…Qu'est ce que tu as fait… La sombre avait soupiré, un genou à terre. Dans son esprit, des sensations contraires s'affrontaient. Shyn'tae ignorait si elle devait bouillir ou être désabusée.

Ses mains s'étaient ensuite portées sur sa sacoche dont le contenu avait été éparpillé sur le sol. Heureusement, seule une carotte avait été brisée. Sa préférée, mais ce n'était qu'une question de calibre, et de toute manière comme leurs homologues, ces objets finissaient toujours par perdre de leur rigidité au bout d'un moment:  Elle en trouverait sans doute une autre aussi bien, voire mieux.

Par contre, il manque quelque chose. Son oreille droite se tendit soudainement, et, lorsqu'elle se retourne vers sa comparse, une pelle pleine d'un mélange de vinaigre et d'éclats à la main, c'est Dante qu'elle suit des yeux jusqu'à la sortie.

- Je jette ca, je veux dire deux mots à Dante. Je reviens vite avec de l'eau. Va falloir tout laver. Murmure-t-elle, manifestement désappointée. Or Shyn'tae n'aime pas être désappointée.

Une fois sorti, Dante regarde de nouveau le ciel, Le velours indigo lui semble bien gris, la lune terne. Un renâclement alors attire son attention. C'est Ténèbres qui rechigne ainsi. Il est épuisé et la monture aussi, ils n'iront pas loin pour le moment. Il faut attendre que le jour se lève, sinon ils vont se casser le cou. Alors faut trouver où pieuter pour le reste de la nuit. Parce qu'il est hors de question qu'il retourne en dedans...

Reniflant une fois, Dante se met en frais d'aller chercher sa cape  pour pouvoir ensuite trouver un coin pour dormir, en hauteur. Le jour arrivera bien assez vite et il compte bien partir aux premières lueurs de l'aube.

- Dante, qu'est ce que tu cherches à accomplir?" La douce voix s'élève comme un murmure dans la nuit. Seule, la pelle pleine de bris de poteries brisées à la main, l'autre bras totalement détendu comme à l'accoutumé, la gracile créature de la nuit s'approche. Sans dire un mot, le fasciès de marbre, l’humain l'esquive en faisant un arc de cercle pour la contourner. Les prunelles dépareillées se posent, inexpressives, sur la drow, la surveillant, la jaugeant. Cette question, intéressante au demeurant, le laisse apparemment indifférent. Peut-être parce qu’il n’en saisit pas le sens. Le pied botté de cuir souple se meut en silence en pas de travers. De raide, sa posture s'assouplie.

De toutes les personnes qu’il n’avait pas envie de voir, celle là arrive en tête de liste, et cela doit se voir car la daedhelle ne fait pas mine de s'approcher. L'instant d'après, un soupir.

- C'est toi qui a pris la pierre d'Urgoll? Commence-t-elle.

Et la voix grave de rétorquer sans la laisser continuer. Elle ne s'élève pas, un simple murmure qui, pourtant, porte, une voix qui pourrait se faire entendre sans peine sur un champ de bataille.

Ahhhhh c'est donc ça. C'est un carnage dans la maison, c'est moi… Les pierres de cet imbécile, c'est moi aussi.

Dit il d'un ton détaché. Il s'arrête soudainement, et écarte les bras, inexpressif.

Si tu pense que je les ai, fouille moi. Sinon, t'à qu'à le torcher, tu les trouvera sûrement.

Interrompue, la drow est restée immobile, stoïque. Il y eu un silence avant qu'elle ne continue, le ton égal.
- Tu as fini? Tu sais quel est ton soucis? Au lieu d'essayer de régler le problème, Tu empires les choses en partant du principe que je suis là à vouloir te mettre tout… ca... sur le dos." La pelle à la main, elle enchaine aussitôt. Baissant les bras, Dante ne bouge toujours pas. Ne dit rien.

- Je ne sais pas pourquoi Urgoll a encore craqué. Tout ce que je sais c'est qu'une fois que c'est arrivé, tu es resté planté à attendre de voir comment on réagirait en revenant. Pourtant c'était pas difficile de deviner. Pourquoi tu as laissé les choses empirer...

Les choses empirer… Il aurait dû jouer au bon toutou et tout ramasser pour ces reines des chiottes? Les prunelles s'éclaircissent légèrement sous leur voile. Sinon, elle pourrait bien parler à un mur.

Les lèvres pincées, elle hésite. Il le voit bien et il s'en fout… Peut-être…  Les oreilles noires frémissent, se tendent, Shyn'Tae poursuit, sa voix s'est transformée en torrent. "Cécilie n'est pas entièrement juste avec toi, et elle te comprend probablement de travers, mais... Elle se sent trahie, et toi tu lui fais des listes de ce que tu lui as offert. C'est... tellement stupide, Dante! Comme si tu voulais manipuler son sentiment de culpabilité. C'est... Elle secoua la tête, et la colère, la révolte grandissait dans son regard. Révolte qui trouve un mur… un mur qui bouillonne derrière. Peut-être le perçoit t'elle, elle qui le connait tant. Peut-être pas.

- C'est pas... Tu ne peux pas faire ca. Ce n'est pas ce que tu voulais, j'en suis sûre. Ce n'est pas une sorte d'échange, vous ne vous devez rien l'un à l'autre !  Alors... Les mots sont décousus, au moins autant que ses idées. Elle a entre les mains un sentiment si inconnu, si inconcevable même qu'elle ne trouve pas les bons mots. Y-en-a-t-il seulement? Il penche la tête légèrement de côté. En lui, la Bête appelle à La Raison, mais Il ne lui répond pas.

-Juste à toi… T'a eu ce que tu voulais… Tu viens chouiner après parce que je joue pas au domestique? Tu viens me faire la leçon, toi? Toi…

Termine t'il, laissant la phrase en suspend.  Qu'est ce qu'ils y connaissent hein? Il aurait dû laisser la Bête le bouffer. Il pourrait faire des reproches à la drow mais à quoi bon.

- Ah. Tu as trouvé une coupable? Réfléchis-y sérieusement. C'est une bonne solution de facilité pour ne pas avoir à se poser de questions. La réalité c'est que nous ne sommes pas en compétition, on ne l'a jamais été.

Une erreur de formulation? de tactique? Tu es libre et reste… La mâchoire de l'homme se contracte infimement tandis qu'elle attaque sa brume avec ses mots. Si elle savait comment il l'envisage dans son esprit… Outre les milles et une morts en cinquantes nuances de rouges, il est assez pragmatique pour savoir qu'ils ne jouent pas sur le même tableau. Les drows... Sale engeance. Foutre la merde partout. Détruire... Il se sait injuste en cette seconde, mais Dante n'en a rien à foutre. Les prunelles dépareillées finissent par se poser directement dans le carmin de la drow.

-Toi, elle a besoin de toi pour atteindre son objectif. J'ai ... Pis c'est pas de tes affaires. Retourne ronronner sur ses genoux et amusez vous bien. V'zavez plus besoin du larbin de service.

- Stop. Elle tient à toi. Arrête de dire que tu es un larb…

Il se meut enfin, s'approche de Syn'Tae… un peu trop vite pour ne pas être menaçant. Elle recule d'autant, souple.

-Tu y connais quoi toi hein?

- Rien. J'y connais rien. Mais... je ne crois pas qu'il y ait besoin de savoir, pour une fois.

Il s'approche encore, l'acculant mine de rien vers le mur de pierre. Le rejet qu'il a essuyé au puit et à son retour le gruge..

-Il y a une promesse que je suis capable de tenir… Celui de me barrer sans rien dire quand elle pourra plus me blairer.  Grâce à ton copain et toi c'est le cas. La seule raison pourquoi tu respire encore, c'est qu'elle t'a à la bonne…

La drow serre la pelle plus fort. Cet humain ne comprend rien. Ou ne veut pas comprendre. Qu'il puisse renoncer aussi facilement… Cela la dégoûte, autant que de voir Urgoll dans cet état. Est-ce cela la fin de cette histoire? Une touche de haine, une pincée de paranoïa?  Ce serait risible si ce n'était pas lamentable. Lorsqu'on est incapable de chercher ses propres faiblesses, le mieux est de trouver des responsables.

Si elle savait pourtant. Les deux seules personnes qu'il a laissé s'approcher de lui… Elle ne peut savoir… Ce que ca lui a pris pour la laisser faire s'approprier un peu de son intimité.. L'homme s'approche encore, sous une impulsion qu'il ne saurait décrypter lui-même. Soudain, elle s'esquive de coté, vive comme le vent. Le mouvement brusque fait brûler un éclair de douleur dans sa poitrine blessée. Alors elle jette les tessons dans les prés derrière eux. et va vers le puit chercher de l'eau.

- Merci. Très aimable. Les mots résonnent, glaciaux.

Un éclat de rire sans joie, grinçant, accueille la remarque. Parce qu'il ne sait pas pleurer, ni demander de l'aide. Il était tout près et ne fait aucun mouvement pour l'empêcher de s'en aller. Ni ne s'éloigne lui-même. Posant la main sur la pierre fraîche, immobile, il se force à simplement respirer calmement. Lentement, parce que oui, ca lui prend du temps à cet imbécile, mine de rien les mots de la drows font leur chemin dans le crâne obtus. En même temps que la haine viscérale qu'il éprouve contre les sombres bat dans ses tempes. Comment elle pourrait le savoir pourtant, elle, rejeté par les sien, le petit chaton du caniveau.


- Ecoute… comme tu dis, je n'y connais rien, alors je n'ai même pas idée de comment tu pourrais réparer ca si tu en avais envie. Elle est aussi orgueilleuse que les miens. Si c'était moi... Je n'essayerais pas de lui démontrer qu'elle a tort, c'est voué à l'échec. Ne lui donnes pas l'impression de la surveiller. Peut-être du temps, des excuses sincères? Elle murmure, incertaine, alors que le seau plonge dans le puit.

-Je me suis excusé sincèrement deux fois… Je passerai pas ma vie à genoux. Et pour les mots je suis pas au bon niveau. Répond il simplement, le ton ayant encore changé.

- C'est pas ca... Je... Honnêtement, je ne sais pas. Tout ce qu'elle a dit à Cécilie, elle l'a fait par instinct. Tenter de donner des conseils? Cela n'a aucun sens, c'est impossible.

Non, elle ne sait pas... comment pourrait t'elle savoir? Se demande t'il tout en sentant sous ses doigts le relief pointu des vieilles pierres.

- Cela n'a rien à voir mais vu que je ne suis pas sûre de te revoir… je sais que tu ne m'as pas cru, mais, j'ai fait de mon mieux pour que la Premiere Flamme n'envoie pas la Doth'ka derriere toi. Dès que Sol'dorn tombera, elle tiendra la promesse qu'elle a fait à l'Obok Senger Kerath. Quoi que tu fasses, fais attention à toi. Krish a des moyens et des alliés. Elle a récupéré le seau et le pose sur le sol, l'eau clapote, se repend un peu au sol. Dilemme, elle dispose maintenant d'un seau et d'une pelle, mais d'un seul bras capable de les porter. Ridicule. Elle est ridicule.

Tournant lentement la tête, Dante rétablit le contact visuel avec la sombre. Les yeux plissés méchamment. La daedhelle, devant le silence, léve les yeux vers lui.

- Ce n'est pas une menace, c'est une information.
-Ce que j'y comprend moi c'est décarre…
- Ben les chances qu'ils te trouvent ici sont faible, il faut l'admettre. Et Sol'dorn n'est pas encore tombé.
-Ca ferait bien ton affaire avoue. Dit il doctement. Je me permet par contre de te rappeler que t'es à la même enseigne. Et ca La met en danger.  
- Aucune idée, et cette ignorance est un problème. Possible qu'il faille que je parte à un moment ou l'autre en effet. Mais… non ca ne fait pas mes affaires, à plein d'égards. Si c'était le cas, je ne serais pas là à essayer de…  Oh, laisse tomber.

Que la Doth'Ka vienne, il en fera son petit dej… Ou crèvera en essayant, ce qui ne sera pas grave du tout. C'est facile quand il n'y a pas de sentiment en jeu. La drow ramasse finalement le seau et reprend le chemin de la cabane en laissant la pelle sur le sol. Elle pourra la récupérer ensuite. Lui et Cécilie sont bien assez grands pour qu'une Eldéenne ne cherche à se mettre entre eux. Mais il est trop tard, c'est apparemment déjà fait. Dante se remet en mouvement pour intercepter la trajectoire, plus lentement cette fois. Il lui enlève le récipient et le pose à terre.

-T'a commencé, finit…  

Un soupir léger, à peine audible s'échappe de ses lèvres. Immobile, impénétrable, et attentif, Dante attend

- Ca ne me plaît pas d'avoir vécu votre complicité et de voir maintenant... Ca. Elle leve la main, comme pour désigner toute la scène. C'est vrai. J'ai… Les mains de la drow font quelques mouvements hésitants alors qu'elle cherche un mot qu'elle est apparemment incapable de trouver. "Je l'apprécie beaucoup... Je comprends votre position à tous les deux. Je n'ai aucune raison de t'écarter. Bon, d'accord, tu as été infect. Je pourrais vouloir me venger. Mais je ne vais pas faire de mal à Cécilie pour quelque chose d'aussi mesquin. Tu as juste failli me tuer après tout. Ca m'arrive assez souvent pour relativiser. De plus, ca allait bien mieux, tes compétences sont si différentes des nôtres. Je veux dire qu'on est peut-être douées avec le mystique, mais pour tout ce qui est matériel, c'est une autre paire de manches. Enfin, il y a le risque que maintenant tu cherches à me tuer à un moment ou l'autre. Donc non seulement ca me fait mal de voir cela, mais en plus ca ne m'arrange vraiment pas. "

Plus que ca même, Dante est un salaud mais il n'est pas aveugle sur ce point. Il a  bien vu comment elle la regardait. Il sait parfaitement ce que ca fait avoir Cécilie comme soleil. Le fait est que devant ces deux esprits si brillants, il se sait nettement désavantagé. Qu'elle essaye de le flatter en parlant de compétences basiques de survies devrait l'irriter… Mais en fait ca ne lui fait rien. Ca ne lui fait rien, parce qu'il sait que c'est vrai, et ca lui fait plaisir même s'il joue au grognon parce que c'est sa façon de montrer qu'il les aime. Que ca ne soit pas reconnu à sa juste valeur par contre, c'est autre chose. Mais ce n'est pas, pour lui, le noeud du problème.

Ya pas de positions à avoir. J'ai rompu mes promesses… Si je savais quoi faire pour réparer, je l'aurais fait.  

- Dans une promesse, il y a les mots et l'esprit. Aucune agressivité dans ses mots, peut-être parle-t-elle d'abord pour elle-même.

- Je peux ramasser mon seau?

Il la fixe toujours de ce regard étrange.

-Non J'y comprend rien et c'est chiant… Tu veux dire quoi par là, les mots et l'esprit?  
Shyn'tae reste un instant immobile, puis incline la tête comme pour le jauger. Qu'il a l'air maladroit et adorable à cet instant. Dangereux en même temps, c'est une combinaison séduisante. La drow commence à comprendre pourquoi son amie peut l'aimer. Dommage qu'il soit aussi chiant, quel gâchis… Lorsqu'elle lui répond, c'est toujours d'un murmure.

- Je vais essayer d'expliquer. Lorsque tu promets, il y avait ton intention, ce qu'on en comprend, et les mots que tu emploies. Probablement des grands mots, te connaissant un peu. Un sourire amusé colora son visage. Les mots sont… trompeurs. Ce qui compte ce n'est pas la formulation, s'y arrêter… Elle grimaça. C'est délétère, ca détourne du vrai sens de la promesse. Ce qui compte c'est l'intention et sa perception. Toi tu reviens sans cesse à cette promesse.

Tu as peur.

Ca te paralyse, ca te vide de toute forme de séduction, et ca la remplace par de la frustration, de l'incomprehension et des regrets.

C'est absolument insupportable, Dante.