Une infiltration toute en prouesses (Haldren)

fin d'automne de l'an 17 du XIe cycle
deux jours aprèsUne infiltration tout en délicatesse
7 heures du matin.

Il sera bientôt temps de partir. Si le lendemain du bal masqué fut sous le signe du brassage d'affaires, Dusko Rutsi doit bientôt laisser la place à Dante pour partir sur les routes, le programme étant de piquer directement à travers les terres de la Péninsule en évitant les villages pour rallier Sainte Berthilde.

Dans la pièce surchauffée cependant, il goûte pour la dernière fois avant un bail la merveille qui s'appelle eau chaude. bouilante même, la vapeur laissant des coulisses d'humidité sur la peau de miel de son torse et ses bras scarifiés et salements abîmés à la gloire de Zhak'Bar et Kiel. S'étirant tel un lézard, l'assassin déplie ses longues jambes le long de la cuve de cuivre profonde placée directement devant le foyer de sa chambre, ses longs cheveux coulant dans son dos comme milles fils de soie.

La sale gueule à la courte barbe ne sourie pas cependant, les yeux mi-clos il se détend, en pleine conversation intérieure tandis que sa main aux grands doigts caresse ses armes posées juste à côté de lui. Rien ne presse en ce moment, il est parfaitement dans les temps. C'est beau faire du tourisme même si ca reste un continent de merde.

Un frisson remonte le long de la colonne vertébrale de l'assassin, un frisson de mauvais augure qui fait dresser les poils sur sa nuque. Mine de rien, sa main droite s'enfouie sous l'eau, allant chercher son karambit. Oui, même dans son bain, il est alerte, le savon dans l'eau dissimulant son arme.

Le souffle du baigneur ralenti, il devient inconfortable, la sensation persistante troublant sa tranquillité.

Et Dante déteste qu'on trouble sa paix. Pour les rares fois qu'il y est.

Certaines personnes sentent instinctivement quand apparaître afin de profiter du moment idéal où leur interlocuteur sera parfaitement disposé à leur égard. Certaines personnes savent l'art et la manière d'intervenir pour faciliter la portée de leur argumentaire dans le cadre d'un débat à venir. Certaines personnes maîtrisent subtilement le ton, le lieu et la forme qui les avantagera pour aboutir à ce qu'ils recherchent.

Haldren ne faisait pas partie de ces personnes.

Un pas pressé se fit entendre dans le couloir où pourtant même les serviteurs avaient ordre de ne pas paraître lorsque Dante prenait son bain, tant l'assassin détestait voir ce rare plaisir être interrompu. Et pourtant oh outrage, quelqu'un approchait ! Sans aucune discrétion d'ailleurs, ce qui au moins indiquait qu'il ne devait pas s'agir d'un hostile adepte de la bonne vieille méthode du "couic dans ta baignoire" via laquelle tant de victimes furent envoyées de vie à trépas. Alors que le baigneur attrapait sa lame, un appel retentit :

Mon griffounet, mon joli oiseau, mon gros bec tout dur, où es-tu ?

En terme de niveau de catastrophe qu'annonçait le joyeux drille en approche, l'assassin devait hésiter entre le tremblement de terre et le tsunami. Quelques secondes plus tard la porte s'ouvrit avec fracas et une jolie rouquine à la poitrine opulente entra dans la pièce tout en tortillant vigoureusement du croupion telle une catin à la recherche d'un client.

Ah te voilà !

Cette voix... cette voix... Dante la connaissait bien et il ne s'agissait surement pas de la voix d'une simple servante à la recherche d'un pourboire moyennant quelques services à la personne. Beaucoup trop grave, hésitant entre une nuance ironique ou hautaine, cette voix ne collait pas du tout avec le corps d'où elle émanait. Joli corps au demeurant mais sur lequel l'assassin put voir briller de petites plaques multicolores où les reflets du soleil hésitaient en permanence sur la teinte à adopter.

La rouquine referma la porte de la pièce et plissa les yeux, comme si elle se concentrait. Les plaques multicolores se multiplièrent sur son corps et l'apparence de la servante humaine se liquéfia pour laisser apparaître un corps masculin, noir comme la nuit. S'ébrouant tel un chien sortant de l'eau, Haldren eut un grand sourire complice à l'assassin qui le fusillait du regard avant de reprendre du même ton enjoué qu'il aimait à adopter lorsqu'il arrivait au pire moment :

Sors tes fesses de là, sèches toi et habilles toi ! On a de la route à faire, je t'expliquerai en chemin.

Il aurait fallu plus que le ton glacial de l'Ombre pour désarçonner Haldren une fois ce dernier lancé dans un de ses grands projets qui se terminaient inévitablement par des catastrophes tout aussi glorieuses. Distinction, diplomatie, subtilité, ces termes voguaient à mille lieux au-dessus de sa tête et même un barbare wandrais aurait pu passer pour un être délicat en comparaison.

Allons mon Griffounet, ne fais pas ton prude nous n'en sommes plus là tous les deux ! Écoutes plutôt ce que j'ai à te dire, cela devrait t'intéresser. J'ai regardé attentivement chaque trajet recopié dans le carnet que nous avons... emprunté... lors de la fête.

S'installant confortablement sur un tabouret à proximité de la baignoire, le drow sortit de sa manche un parchemin qu'il brandit victorieusement, tel un général désignant l'adversaire du bout de son épée. Le déroulant, il pointa du doigt une ligne en particulier sans vraiment se rendre compte qu'à moins d'avoir des télescopes dans les mirettes, son interlocuteur ne verrait que ses gribouillis à moitié lisibles.

Regardes ce vaisseau poétiquement nommé la Belle Écarlate, chaque début de mois il fait un aller-retour direct depuis Langehack vers Thaar pour y emmener des tonneaux de vins et en ramener des épices. Eh bien pour son prochain voyage la Belle de Nuit devait bien appareiller depuis Thaar mais au lieu d'un trajet direct, le carnet indique un détour.

Ayant vaguement conscience de la difficulté à lire ses pattes de mouches, l'archimage brandit à bout de bras le parchemin en le flanquant presque sous le nez de l'humain tout en lui pointant une ligne où pouvait être lu "Hunken Morgagrund Bezeki Uzkul  - Isgaard, Deux Verges", suivi de la date du lendemain.

C'est du khazalide, en langue commune cela se traduit par "Transport du marteau de Mogar et du cadavre de son possesseur". Comprends-tu ? Le Morgagrund, mon choupinet ! Ce foutu marteau maudit ! Notre hôte a réussi je ne sais comment à mettre la main sur le Morgagrund, que l'on croyait perdu depuis la chute d'Almis ! Et son navire va passer par le delta d'Isgaard demain pour le récupérer !

Un grand sourire béat donnait un air assez niais au drow, qui semblait trouver absolument fascinant de pouvoir mettre la main sur une arme maudite par le Dieu de la Guerre lui-même et dont la dernière apparition en ce bas-monde avait causé la damnation d'un prêtre nain puis déclenché une guerre civile ayant ensanglanté le nord du Zagazorn. Depuis lors, les forces loyalistes du trône de Kirgan avaient reconquis Almis mais le marteau avait mystérieusement disparu avec son porteur.

Tout du moins jusqu'à ce jour, car si ce message s'avérait exact alors le corps indiqué comme faisant partie du chargement ne pouvait être que celui de Dun Eyr lui-même.

Et paf ! Et bam ! Un gnon en pleine gueule, une torgnole dans sa face, un uppercut en pleine mâchoire, et voilà l'archimage tout-puissant-overcheaté-lol-godmode qui se retrouve le cul par terre comme un blaireau de première ! Ah oui il l'a senti passer celle-là, l'Ombre n'y est pas allé de main morte (sic) pour exprimer son mécontentement face à l'intrusion durant ses ablutions. Il a beau être tout en nerfs le zigoto, quand il s'y met ça défouraille sévère et il peut en envoyer plus d'un au tapis. Haldren resta avachi à le regarder d'un air vexé, vaguement conscient qu'il avait peut-être / très légèrement / à la marge / potentiellement mérité cette raclée.

Aïe.

~~~~~ interlude ~~~~~

Oui, les moyens dont je dispose pour exprimer la souffrance de mon personnage restent notoirement limités et je me contenterai donc de cette brève exclamation. Après avoir rapidement reconstruit le quatrième mur qui vient de se faire démolir pour la énième fois, reprenons le cours de notre fantastique histoire.

~~~~~ fin de l'interlude ~~~~~

L'Ombre avait quitté sa baignoire pour sauvegarder sa pudeur en couvrant sa nudité de quelques vêtures lorsque le drow se releva maladroitement tout en se massant la mâchoire. La remarque glaciale sur l'inutilité de réfléchir à un fric-frac puisqu'ils ne pourraient jamais être sur place à temps pour intercepter la transaction ne l'arrêta pas, à cela il avait une réponse déjà préparée. Dément mais pas crétin, cette problématique de la distance faisait partie des cartes cachées qu'il possédait dans sa manche.

Et si je connaissais un moyen pour que nous y soyons dans l'heure ?

Un fin sourire étira les lèvres fuselées du sombre. Ainsi donc son compagnon n'était pas ignorant en matière de magie, ce qui était assez rare dans sa profession. Les assassins ou autres mercenaires connaissaient souvent les sortilèges les plus fréquents de la magie élémentaliste puisqu'il pouvait leur arriver d'en affronter à l'occasion d'un combat, mais les voyages dans un plan parallèle demeuraient une rareté dont peu avaient jamais entendu parler. Décidement ce gaillard regorgeait de surprises !

Oui on peut dire ça. Un voyage par les Ombres n'est pas des plus plaisants mais j'y ai déjà eu recours et je peux mettre ces moyens à notre service pour rejoindre Isgaard rapidement.

L'assassin l'interrogea alors sur le prix, sujet qui n'était jamais loin de ses préoccupations. La mission ne s'annonçait certes pas spécialement périlleuse puisqu'il s'agissait d'un ajout discret à un transport de routine. Ajouter des soldats à bord ou un navire d'escorte aurait valu au capitaine la certitude de devenir un cible pour tous les pirates de Thaar à Meca, malgré tout un imprévu arrivait rapidement dans de telles situations et justifiait un bon tarif. Sortant une bourse pansue de sous sa cape, l'archimage la posa sur la table.

Le même prix que la dernière fois tout de suite... et autant quand j'aurai récupéré le marteau.

Le drow savait parfois faire preuve d'une patience angélique, et une telle occasion se produisit durant que l'Ombre se préparait soigneusement à l'expédition. Lorsque l'on engage un professionnel, il faut lui laisser le temps de bien préparer ses outils pour s'assurer qu'ils seront pleinement disponibles lorsque le moment arrivera (en général ce moment suit de près un cri de "Au voleur, arrêtes-les !"). Bref, Haldren demeura stoïque et attentif tandis que Griffounet laissait la place à un combattant prêt à plonger dans la mêlée pour y amener mort et désespoir. Ce ne fut que lorsque la question du départ fut posée qu'il ouvrit de nouveau la bouche.

Tout de suite.

Après quelques consignes données à l'aubergiste au sujet des affaires qui repartiraient vers Thaar, les deux compagnons quittèrent les lieux et prirent la direction d'un entrepôt non loin servant de remise à de vieilles carrioles mais où personne ne passait plus. Des toiles d'araignées pendaient aux rares fenêtres, une odeur de moisie emplissait l'air et seuls les couinements de quelques rats en goguette brisaient le silence. Haldren semblait s'y reconnaître car il se dirigea sans hésiter en direction d'un coin reculé où un espace vide avait été dégagé. Vide ? Non, pas totalement car au sol se trouvait gravé un cercle de rituel à l'encre rouge... à moins qu'il ne s'agisse de sang séché ?

Un instant je vérifie que tout est en ordre.

S'agenouillant, l'archimage fixa attentivement chaque circonvolution du cercle de rituel avec l’œil d'un professeur vérifiant la copie d'un élève dans l'espoir d'y trouver une faute. Sa tâche accomplie, il eut un grognement de satisfaction et se plaça au centre du cercle, les yeux mi-clos, bras tendus devant lui. Au début il parut immobile puis ses longs doigts fuselés entamèrent une lente sarabande tandis que des paroles à peine murmurées s'échappaient de ses lèvres. Un froid glacial envahit la zone sans raison apparente tandis que devant le drow apparut un disque noirâtre de la taille d'une assiette. Les mouvements de main et les paroles s’accélèrent et comme en réponse le disque augmenta de taille, atteignant d'abord celle d'un enfant puis celle d'un homme adulte.

Comment le décrire ? Noir oui, mais pas un noir comme celui d'une nuit sans lune où celui de l'encre qu'utilisent les copistes dans les monastères. Ce noir là paraissait plus que la résultante d'une absence de lumière, il en venait de la négation même, d'une déchirure dans la structure de la matière qui mettait à nu le néant séparant les différents univers. Une sensation de malaise prenait aux tripes face à ce sortilège, sensation bien différente toutefois de celle qui accompagnerait un danger. Certes le danger existait, mais le malaise provenait surtout du sentiment de se trouver face à une anomalie magique violant même les lois physiques fondamentales qui régissent Miradelphia.

Tendant la main à son compagnon, Haldren reprit la parole d'un ton cette fois extrêmement sérieux :

Agrippe bien ma main et une fois de l'autre côté, ne la lâche sous aucun prétexte.

Une immense plaine ténébreuse s'étendait devant eux, morne et désertique si ce n'était de rares amas rocailleux et les ruines d'une antique construction près de laquelle erraient quelques formes gémissantes, des créatures difformes issues des pires cauchemars qu'Haldren qualifia de vulgaires charognards à la recherche d'une âme imprudente égarée dans ces contrées désolées. Au loin des montagnes se dressaient vers les cieux, labourées par des nuées d'orages dont les grondements s'entendaient distinctement malgré la distance. Des traces d'anciens cours d'eau se devinaient encore, mais aucun liquide ne s'y glissait plus et aucune végétation ne poussait sur leurs berges arides. Tout en guidant Dante, Haldren entreprit de parler, peut-être pour meubler cette immensité vide.

Les Ombres sont véritablement un lieu fascinant, et ce à plus d'un titre. Les premiers mages ayant pu y pénétrer crurent d'abord avoir affaire à un autre univers mais des études plus approfondies permirent d'identifier des particularités géographiques ou archéologiques étonnamment similaires à notre monde.

Un fin sourire étira les lèvres de l'archimage lorsqu'il se retourna vers son compagnon.

Les Ombres "sont" Miradelphia... ou plutôt elles sont ce qu'il resta de Miradelphia à la fin de la guerre des Dieux, voilà plus de dix millénaires. Un passé que le culte Pentien a soigneusement cherché à effacer, mais que les sages nisétiens et les prophètes d'Abyssea finirent par déterrer.

Tenant fermement le poignet de l'assassin, l'archimage lui fit faire un détour pour éviter les ruines et éviter d'attirer sur eux l'attention des créatures qui les hantaient. Leurs déplacements semblaient anarchiques et illogiques, une colline qui paraissait encore distante de plusieurs kilomètres pouvait d'un coup se retrouver derrière eux au clignement d’œil suivant, ou alors ne jamais s'approcher en dépit de leurs efforts pour l'atteindre. Malgré tout nulle fatigue ne saisissait les marcheurs et Dante aurait été bien en peine de déterminer depuis combien de temps ils avançaient ainsi. Quelques minutes ? Plusieurs années ? Impossible à déterminer, car si la faim se faisait sentir nulle faiblesse signe de fringale n'atteignait leur corps.

Il ne subsiste presque plus rien dans cette réalité abandonnée de notre monde... les lois de la physique elles-mêmes y sont chaotiques, le temps et l'espace se déforment au gré des caprices de l'entropie, ceux qui s'y perdent y errent éternellement car même Tyra n'a pas accès à ce lieu.

Un petit rire sardonique ponctua cette phrase, comme si le drow trouvait très amusant d'échapper pour un temps au sévère regard des Cinq.

Le changement de ton, la férocité non dissimulée, le désir de destruction, la haine sous-tendue, tous ces éléments firent mentalement sursauter l'archimage et éveillèrent chez lui une méfiance instinctive. Jamais Dante ne se laisserait aller à d'aussi longues phrases ni à des menaces vaines, l'assassin parlait peu et uniquement à bon escient. Pourtant cette phrase résonnait dans l'esprit d'Haldren comme si elle cherchait à ranimer d'antiques souvenirs, une flamme depuis longtemps éteinte qui ne demanderait qu'une étincelle pour brûler de nouveau. Tu le connais... tu l'as déjà rencontré... les interventions mentales d'Umbarion agaçaient souvent Baenfere, mais cette fois-ci force était d'admettre que l'elfe pointait du doigt la vérité. Le Prime Dragon, oui. Il y a longtemps. Bien longtemps. Je l'avais presque oublié.

Par quel extraordinaire concours de circonstances cela s'avérait possible importait peu, seul comptait aux yeux d'Haldren la façon d'utiliser cette information. Ami ou ennemi ? Le Foudre de Guerre ne comprenait aucune de ces notions, pour lui n'existait que la destruction et le carnage, le rendant aussi dangereux qu'imprévisible. Mieux valait forcer le pas et achever rapidement le voyage si ces lieux tourmentés tendaient à renforcer l'emprise du Maître des Cataclysme sur son compagnon de route. Fort heureusement Odélian approchait et il serait alors temps de regagner leurs pénates.

Si l'on en croit la prophétie d'Ilwuthan, ces créatures ne seront relâchés qu'au temps du jugement lorsque Alm'mirroanwë renaîtra des Ombres.

Le temps glorieux du jugement des vivants et des morts, lorsque Celui-qui-fut-Trahi séparerait les Justes des Mécréants comme le meunier sépare le bon grain de l’ivraie. Dix Cycles s'étaient écoulés depuis la prophétie, dix autres seraient peut-être encore nécessaire avant qu'elle ne s'accomplisse mais les êtres éternels ont l'avantage de ne point ressentir l'urgence. Revenant à l'instant présent, Haldren se rappela l'objectif de leur quête qui ne concernait nul divin, simplement deux compagnons désireux de s'approprier les biens d'autrui.

Nous y voilà. Je vais rouvrir le portail.

Du scepticisme ? Serait-ce du scepticisme que le prime Dragon laissait filtrer dans ses paroles ? Un être divin pouvait-il ainsi douter de l'existence du Sixième Dieu, alors que né lui-même de la volonté d'Othar il en connaissait les limites et les trahisons ? Mais bien entendu qu'il doute, tu crois qu'il gobe comme ça un nouveau panthéon dont sa divinité tutélaire a toujours caché l'existence ? Agacement du drow face à l'ingénuité de l'elfe. Je le sais bien espèce d'andouille, c'était une question rhétorique pour le lecteur ! Point besoin d'être un grand théologien  pour savoir qu'ébranler une foi constitue une action de longue haleine et que la visibilité du culte du Chaos était demeurée amplement trop parcellaire durant les derniers siècles pour avoir réussi à s'intégrer dans une cosmogonie unifiée. Toutefois une question mérite réponse, d'autant plus qu'une faible probabilité existait pour que l'incroyant rejoigne un jour les rangs des Justes.

Crapahuter serait un terme excessif car ce lieu est son tombeau. D'après la prophétie il ressuscitera à la fin des Temps, par contre pour savoir si ce sera dans un an ou dans mille Cycles.. osef ton pronostic, frère !

Voilà, ça c'est fait.

Quitter le monde des Ombres se fit par le même mécanisme qu'à l'aller. Je vais donc vous épargner les détails techniques sur l'ouverture d'un vortex entre les dimensions, c'est un procédé un chouillat compliqué et assez chiant à expliquer. Si vous souhaitez vous renseigner sur le sujet, je vous renvoie au fameux livre "La parabole des ténèbres" rédigé par l'archimage Kersart’h A’l Venther de Nisétis voilà plusieurs millénaires et dont il était déjà fait mention du temps de nos anciennes aventures avec Ilinsar puis Ethan. Plus intéressant fut le bruyant renvoi vomitif de l'assassin qui rappela le non-entrainement du corps humain à de telles expériences et incita Dante à s'interroger sur la récurrence de tels phénomènes lorsque de tels voyages interdimensionnels deviennent une quasi-routine.

Au début ça me flanquait la chiasse, mais maintenant ça va mieux.

Voilà, ça c'est fait.

Les deux voyageurs se retrouvèrent donc sur une petite colline située sur la bordure du delta d'Isgaard, vaste plaine alluviale où la frontière entre terre et mer devenait malaisée à définir. Trop humide et empli de moustiques pour attirer les touristes, sans grand intérêt archéologique ni culturel, le delta constituait cependant une plaque tournante du commerce triangulaire car elle donnait accès à la seule voie navigable en direction des Plaines du Brissalion et au-delà le mystérieux Zagazorn. L'autre chemin par l'Ouest consistait à rejoindre Thanor via l'Eris, mais les tempêtes fréquentes qui balayaient la zone la rendait impropre à la navigation plusieurs ennéades durant.

Dès lors, rien d'étonnant à y trouver plusieurs petits villages de pécheurs prospérant grâce à un flux économique permanent, dont Deux-Verges qui intéresse plus particulièrement notre récit. Quelques heures de marche amenèrent Haldren et Dante jusqu'aux portes de cette sympathique bourgade sentant bon la ruralité, où les traditions séculaires ancrent la vie quotidienne dans une harmonie perpétuelle avec le Nature. Autrement dit : c'est un lieu minable empli de pécores consanguins, et ça schlingue la merde ou le poisson crevé un peu partout. Mais les petits docks qui bordaient le front de mer permettaient à des navires cherchant la discrétion d'y faire escale sans que les autorités d'Odélian ne soient immédiatement sur leur dos.

Or justement, une cogue ventrue se trouvait accostée aux docks, portant pavillon des guildes de marchands langeciens... ce qui arracha un léger sourire à nos deux compères.

La discrétion ne comptait malheureusement pas au rang des plus grandes qualités (pas ailleurs innombrables) d'Haldren, dont l'ego surdimensionné n'avait d'égal que son incapacité latente à demeurer ailleurs qu'au premier rang d'une scène. L'archimage ignorait si un jour des géographes tenteraient de localiser le centre du monde, mais selon lui ce centre se trouvait précisément là où il se trouvait quand bien même il admettait que cela complexifierait naturellement la tenue à jour d'une cartographie cohérente. Et aux âmes chafouines qui rechignaient devant ce manque d'humilité, l'ancien Triumvir répondait avec le même geste vulgaire qui demeure aujourd'hui encore en vigueur dans les cours de récréation.

Un vrai gamin, je vous dis !

Bref, cela nous a éloigné du sujet qui consistait à demeurer discret dans ce petit village portant un doux nom phallique. Tâche déjà malaisée pour Dante s'il se trouvait connu dans la zone, mais encore pire pour un drow dont les origines raciales pouvaient constituer un lourd handicap dans une zone frontalière où ses séides ne venaient généralement qu'à la tête de leurs armées dans l'espoir de violer les chèvres et d'égorger les femmes. Ou le contraire ? Haussant mentalement les épaules, Haldren se concentra et marmonna quelques paroles à voix basse pour activer une transformation qui lui rendrait la vie plus facile.

Tu me laisses le contrôle ?

La question ne s'adressait pas à Dante, et la voix n'était pas celle narquoise et gutturale du drow, mais celle douce et chantante d'un natif d'Anaëh. L'air scintilla autour du corps de l'archimage, la peau ténébreuse se mit à pâlir comme une teinture passée à l'eau, la pupille rougeoyante lâcha un éclair avant de glisser lentement vers une jolie couleur émeraude, et en quelques instants ce fut un elfe qui posa un doux regard sur l'Ombre dont les traits tendus s'accentuaient dans un environnement hostile. Le nez délicat du Premier-Né se plissa comme si l'elfe ne parvenait pas à s'isoler correctement de l'odeur de putréfaction qui remontait des tas de poissons crevés.

Allons-y, mon cher ami. Cet endroit est un vrai cloaque putréfié et je préfère ne pas y demeurer plus de temps que le strict nécessaire. Il doit bien y avoir quelques tavernes sur le port, trouvons en une point trop miteuse où nous pourrons louer une chambre donnant vue sur le navire qui nous intéresse.

La suite ne serait qu'affaire de patience.

[justify]L'Ombre garda un silence absolu. Regarda de tout ses yeux le cinglé qui se déguisait en elfe dans un des bleds les plus racistes n'ayant jamais existés, pour ensuite quoi? Leur faire prendre une chambre dans une taverne d'un port miteux de province?

Aussi bien lancer un météorite en plein milieu de la place, ca serait plus discret. Soudainement, il ne la sent pas du tout cette mission. Le changement de voix, le changement de peau... Qu,est ce qui se passe bordel de merde. C'est un dédoublé lui aussi?  Est ce qu'il y a une place sur Miradelphia ou ya des moutons normaux qui bêlent en attendant d'être égorgés peinards, sans en croiser?

Mais bien sûr, toutes ces réflexions sont biens cachées derrière le regard inhumain. Il se sent néammoins obligé de remettre les pendules à l'heure en eldéen.

Je suis recherché, je fais tache dans le décor et j'ai un putain d'accent. Tant qu'à aller dans une taverne de ce genre, je ferais aussi bien d'aller cogner a la porte de la milice locale. Ca ira plus vite pour me pendre.

Il s'arrête pour réfléchir un instant.

En peau d'elfe tu va attirer l'attention patron. Tu va p'têt passer, mais pas moi.

Et sans rien ajouter d'autre, il se remet à regarder la topographie des lieux. De leur point de vue, il peut se faire une carte mentale de la bourgade. Quelques masures qui se changent en bicoque quand elles sont collées sur l'eau, flanquant trois entrepôts trop grands pour un port de cette envergure. La contrebande doit être lucrative dans le coin. Donc, il calcule quelques gardes supplémentaires à ce qu'il a initialement prévu. Ils doivent s'emmerder... Mais il ne parierait pas sa paye dessus. Surtout avec le marteau de Dun Eyr dans le coin. S'il pouvait monter sur le toit d'un des entrepôts sans être vu ni entendu... Malheureusement, il serait visible de loin d'un coté comme de l'autre.

Peut-être que si le suicidaire qui l'accompagne faisait une chouette diversion, il pourrait s'immiscer en douce. Et si il ça ne fonctionne pas, et bien, au moins il pourra sûrement choper des trucs chouettes au passage. Mais voyons... Réfléchir vite et bien... Et si?

Ca te tente pas, des fois, de te redéguiser en pute plutôt qu'en elfe? Tu chope un gus, tu me l'amène et je te le cuisine presto.

Se déguiser en fille de joie afin d'attirer quelqu'un entre les griffes de l'assassin ? L'elfe médita plusieurs secondes en essayant d'imaginer "qui" pourrait se révéler une source d'informations utiles, malheureusement les seules personnes qui lui venaient à l'esprit devaient se trouver à bord du navire et donc difficilement atteignables. Sans doute les marins qui allaient et venaient depuis le cogue jusqu'aux tavernes ou aux bordels se doutaient-ils de certaines choses, mais aucun d'entre eux ne saurait les renseigner sur les détails de la transaction qui devaient se dérouler en ce lieu. Soudain la lumière se fit jour dans l'esprit d'Umbarion. Quel idiot il faisait à tenter des approches compliquées au milieu de vulgaires humains, alors que les représentants de cette race inférieure pouvaient se manipuler comme des moutons.

J'ai une idée. Suis-moi et agis comme si tout était naturel.

Et d'un pas décidé, l'elfe suivit d'un assassin méfiant se dirigea en direction du quai, droit sur le marin qui montait la garde au pied de la passerelle en regardant d'un air morne la cohue avoisinante. Sans doute ne s'agissait-il pas du plus futé des matelots, plutôt du niais ou de la brute de service à qui quelque faute vénielle valait-elle cette garde ennuyeuse.

Bonjour mon cher ami, je souhaiterais voir votre capitaine.
Il ne reçoit pas, et surement pas les culs-vert comme toi. Dégage.

Un fin sourire éclaira le délicat visage aristocratique de l'intrus.

Ah mais je ne suis pas un cul-vert comme les autres. Votre capitaine m'a rencontré à Langehack et il souhaitait me revoir pour une importante affaire relative à votre... cargaison. La voix de l'elfe était devenue un chuchotement sur les derniers mots.

Seul un praticien de l'immatériel aurait alors pu sentir les flux arcaniques émaner de l'archimage et enserrer sa proie comme un filet. Toute manipulation mentale se base sur un savant équilibre entre vérité et mensonge, la part de l'un devant aider à faire gober l'autre comme le sucre camoufle l'amertume. En l’occurrence l'elfe proposait à sa victime deux doses de vérité, à savoir le passage du capitaine à Langehack et l'existence d'une cargaison inhabituelle ; pour deux doses de mensonge, à savoir sa rencontre avec Haldren et le souhait de le revoir. Mélangez soigneusement le tout, ajoutez une aura persuasive et vous obtenez...

HRP:

... un succès.

Haussant les épaules comme si toutes ces affaires ne le concernaient en rien, le marin s'écarta et laissa libre accès à la passerelle tout en crachant vulgairement dans l'eau pour signifier sa peu flatteuse opinion envers les relations de son capitaine. Conservant son air enjoué malgré la vulgarité du porc, l'elfe grimpa en sautillant la passerelle et prit la direction du gaillard d'arrière où se trouvaient les cabines des officiers sur de tels bâtiments. Tout en descendant un abrupt escalier, Dante sur ses talons, l'archimage se remémora le nom qui apparaissait sur les carnets volés à Langehack comme armateur du bâtiment.

Ouvrant la porte de la cabine du seul maître à bord après les Dieux, Haldren se retrouva face à un gaillard barbu dont l'haleine chargée d'alcool dénotait un amour immodéré de la dive bouteille. Malgré que toute sa nature elfique rechigna face à de telles effluves digne des pourceaux de Péninsule, Haldren demeura souriant et entra comme s'il retrouvait un vieil ami perdu de vue depuis trop longtemps.

Enchanté capitaine. Le seigneur de Paribert m'a envoyé vous assister afin de vérifier l'authenticité de la cargaison. Il tient à s'assurer que son argent n'a pas été mal placé et ceux de mon peuple sont parfaitement aptes à déceler d'éventuelles tromperies.

Voilà bien une mixture plus malaisée à avaler, car la vérité n'y tenait qu'une part moindre à travers les inquiétudes bien légitimes d'un marchand lorsqu'il cherche à acquérir une relique sacrée lui ayant mit à mal ses finances. Le reste tenait de la pure affabulation et il fallait espérer que l'art arcanique de l'archimage ne trouverait pas un esprit trop suspicieux ou bien entraîné à déjouer de tels pièges...

HRP:

... le Chaos semblait décidément favoriser son Élu en ce jour. A moins que le capitaine ne soit légèrement naïf, peut-être justement pour éviter qu'il ne se rende compte de l'importance de sa cargaison et ne soit tenté de filer la revendre en Ithri'Vaan au lieu de rentrer sagement à sa base.

Je... je l'ignorais mais soyez les bienvenus.

Avec un regard en biais à son comparse pour lui faire comprendre de jouer le jeu, Haldren pénétra dans la pièce et vint s'installer sur l'un des fauteuils devant le bureau. Désormais il allait falloir jouer serré et ne pas commettre d'erreur dans leurs paroles pour éviter que le sortilège ne se brise avant qu'ils n'aient pu obtenir les informations recherchées.

Toi t'es un pote, un bro, mon frère retrouvé ! Voilà ce que les suggestions mentales de l'archimage dictaient au capitaine du navire, affaiblissant et érodant sans cesse les défenses que chaque esprit tente d'élever contre de telles intrusions. Cela demandait de la concentration et des gouttes de sueur perlaient sur le front délicat de l'elfe mais l'enjeu valait bien quelques menus efforts. Avisant alors la sombre silhouette qui accompagnait son visiteur, le capitaine demanda craintivement :

Et lui c'est... ?
Oh, lui ? Mon valet de pied.

L'elfe continua en baissant d'un ton, tout en sachant bien que Dante entendrait aisément la suite au vu de la qualité de son ouïe.

Il n'est pas très futé bien qu'il s'en croit beaucoup. Je le garde car il ne demande pas de forts gages, même s'il est assommant à toujours avoir une opinion tranchée sur chaque sujet.
Ah ah, je connais ça ! Mon beau-frère est pareil, persuadé de tout connaître et une vraie teigne quand on le contrarie.

L'elfe et l'humain discutèrent amicalement quelques minutes sur les soucis de famille. Puis ils abordèrent la difficulté de trouver de la bonne main d'oeuvre corvéable à merci, dénigrant vertement les lois édictées par les Seigneur de la Péninsule qui ne permettait pas à une saine activité esclavagiste de prospérer comme en Ithr'Vaan. Rien de tel que d'appuyer sur les bons vieux mécanismes de la rancœur pour faciliter l'arrivée du sujet suivant qui allait se révéler plus délicat.

Parlons affaire capitaine. Le seigneur de Paribert est inquiet vis-à-vis de la cargaison car il redoute que ce soit de la contrefaçon. J'ai pour consigne de me placer sous vos ordres afin de garantir l'authenticité de la marchandise. Quand et où devez-vous la récupérer ?

Voilà l'instant fatidique, tout le reste n'avait été que des calembredaines pour préparer l'esprit de sa victime à cracher l'information que lui seule possédait.

HRP:

Se grattant la barbe dans laquelle une colonie entière de poux avaient du élire domicile au vu des repoussants reliefs de nourriture qui y pourrissait, le capitaine jeta un regard de conspirateur à son "ami" avant de murmurer avec un clin d’œil complice :

Ce soir même, dans une petite crique à trois milles à l'Ouest d'ici. Une cabane de douanier en ruines permet de trouver l'endroit. Nous devons appareiller au crépuscule et être loin au large à l'aube.

Haldren en était presque étonné de la réussite de son sortilège, mais il n'allait pas cracher sur sa bonne fortune. Décidément cet humain disposait d'une résistance aux manipulations mentales assez faible, peut-être à cause de sa surconsommation frénétique d'alcool. Tiens, est-ce que saouler une victime avant de fouiller son esprit fonctionnerait ? Umbarion se promit d'essayer avant de donner une petite tape amicale sur l'épaule de l'ivrogne et de rendre la main à Baenfere qui serait plus apte à gérer les regrettables événements devant suivre.

Le capitaine pâlit (malgré son teint rubicond) en voyant le drow qui se tenait devant lui, comprenant ce qui venait de se passer alors que les filaments mentaux s'échappaient de son esprit et lui rendait la pleine conscience de la situation. Se levant, Haldren se détourna du porc qui ne leur servait plus à rien tout en ordonnant.

Zhak'Bar, tue le.

Et le drow entreprit de fouiller la paperasse qui jonchait le bureau au cas où il y aurait trouvé quelque chose d'intéressant tandis que derrière lui se déroulait une scène que la décence m'interdit de relater ici.

Le drow avait eu le temps de récupérer quelques documents potentiellement utiles tandis que la Bête s'amusait à dépiauter le malheureux capitaine. La violence gratuite, la cruauté sadique, la déraison destructrice... tous ces sentiments demeuraient étrangers à Baenfere mais il se fichait totalement de laisser son acolyte s'y adonner à cœur joie. Instinctivement il sentait que mieux valait laisser quelques menus plaisirs à Zhak'Bar pour éviter que le Prime Dragon ne brise les chaines qui le retenaient. Déjà que se trimbaler en terre humaine pour un drow constituait un défi, inutile d'y ajouter une divinité en colère. D'une certaine façon, leur malheureuse victime servait d'offrande pour rassasier temporairement la soif de brutalité de la Bête.

La question sur le fait de rester en peau de drow fit sourire Baenfere qui rouvrit la vanne à Umbarion. Lorsque l'elfe eut reprit les commandes, il ne put s'empêcher de jeter un regard dégoutté à l'amas de chair informe. Comme désireux de s'éloigner afin d'échapper aux miasmes sanglantes de l'endroit, l’Éternel aux yeux d'émeraudes acquiesça en voyant les flammes qui progressivement viennent lécher la paperasse, puis d'un pas pressé il quitta les lieux en ordonnant sèchement :

Allons-y.

Depuis le quai, le spectacle de la cogue en feu était admirable et les deux compères restèrent un moment à l'observer en méditant tandis que les autorités portuaires tentaient vaille que vaille d'organiser une chaîne pour noyer les flammes. Efforts inutiles car l'Ombre avait parfaitement bien géré son affaire et le navire ne pouvait que finir comme une épave pourrissante le long du ponton.

~~~~~ Quelques heures plus tard ~~~~~

Le soleil se couchait sur l'horizon lorsqu'ils aperçurent enfin les restes de la vieille cabane des douaniers sise au sommet d'une falaise et dominant une crique bien abritée où nul rocher ne perçait la surface. Un endroit idéal pour des trafics aussi peu reluisants que celui qui devait s'y dérouler cette nuit-là.

Il faudrait se planquer en attendant que notre livreur arrive.