Vers Nisétis et l'au-delà!

Nehril jeta un regard mauvais en direction de la tour lorsque Lilyanna lui fit signe de le suivre à l’intérieur. Même si l’idée de jouer les lézards lui seyait mal, son rôle était avant tout de s’assurer que la nécromancienne reste en vie. Une chute malvenue et c’en était fini de leur expédition. Et de sa paye. Accessoirement.
Après qu’Ylas ait décidé de grimper à la suite de la jeune femme — dont il ne manqua pas de décocher un clin d’œil lorsque ce dernier vérifia que personne ne lorgner sur son postérieur — le mercenaire aux cheveux d’argents entreprit également l’ascension. Beaucoup plus léger qu’Ylas, il grimpa tel un chat derrière eux, se tenant à portée de Lilyanna au cas où cette dernière manque une prise et tombe dans le vide. Malgré toute sa bonne volonté, il du river son regard sur la seule partie de son corps qu’il pouvait surveiller de sa position : ses fesses. Qu’elle avait fort agréable.

Lorsqu’Ylas fracassa le panneau de bois qui entravait leur progression, Nehril reprit son escalade pour se mettre à leur hauteur. Il s’engouffra à leur suite à l’intérieur et entreprit de créer une mince flamme vermeille dans son poing pour les éclairer. Devant le manque de découverte qu’ils firent à l’intérieur, le mercenaire ne put s’empêcher de commenter avec cynisme :

— Apparemment toutes les ruines ne renferment pas de secrets. Même celles appartenant à l’ancienne Nisétis.

Ils entreprirent ensuite de redescendre, tâche durant laquelle il tâcha d’épauler ses deux compagnons, même si Ylas s’en sortait visiblement très bien sans son aide. Lorsque Lilyanna sauta les trois derniers mètres et qu’elle tituba, Nehril grimaça. Depuis ses mésaventures sur la plage, il savait qu’il fallait la surveiller attentivement pour ne pas qu’elle se blesse par mégarde. Avec un sourire, la nécromancienne finit par leur indiquer leur prochaine destination.

Nehril ramassa ses affaires et vérifia machinalement que son arme glissait toujours avec autant de facilité hors de son fourreau avant de reprendre la marche.

— Restons prudents, lâcha-t-il simplement en reprenant sa place à l’arrière de leur groupe.

Ylas resta silencieux. Il ne manquait pas d'irrespect envers son employeuse en ne lui répondant pas. Il avait cependant oublié un léger détail. Sa gourde d'eau était restée derrière lui, dans ses affaires et le sable brûlant. La gorge lui brûlait et il ne désirait qu'une chose : jeter l'eau, probablement tiède, au plus profond de son gosier. Tel un Tulio ou un Miguel, l'hybride était le naufragé assoiffé ne pensant qu'à une chose. Se raclant la gorge impatiemment, il fit signe à Nehril et Lilyanna son envie de redescendre. Lorsqu'il croisa le premier, il lui murmura d'une voix rauque :

Glissez vous dans sa tente ce soir... et je suis sûr qu'on vous retrouvera sous forme de goules. Leur compagnie lui manque plus que la nôtre.

Ricanant tout bas, Ylas entreprit la descente, faillit y laisser la peau plusieurs fois et finit par tomber à côté de Galborix auquel il sourit. Peu de temps après, une pierre suivie de près par Lilyanna frappèrent le sable et le demi-drow leva un sourcil étonné en voyant la prêtresse boiter. Il commençait sérieusement à se demander si Dame Ophelia avait eu une bonne idée en l'envoyant en expédition avec une telle compagnie. Mais un gentleblyat tel qu'Ylas ne posait pas de question qui puisse fâcher.

Rapidement, il se retrouva en tête de peloton et il lança un joyeux :

Mauvaise troupe... En avant !

Seul l'avenir ou un maléfice jeté par le plus impur des dieux auraient pu ébranler leur quasi-bonne humeur.

« Comme vous dites. »

L’hybride laisse donc passer Ylas devant, conformément au plan mis en place quelques heures auparavant et bien vite le silence s’installa alors que le groupe se dirigeait vers les méandres de ce fleuve à moitié mort. Qui se révéla d’ailleurs être complétement mort étant donné que l’eau à l’intérieur, piégée dans des petits marres, sentait bon le sel. Toutefois le groupe poursuivit, suivant le lit du fleuve et si ce que pensait Lilyanna se révélait être faux, elle avait toujours sa carte, son compas, l’Unique et Son Flambeau pour se débrouiller ce qui lui avait suffit sa vie durant.

Le lendemain, ou du moins la journée, passa assez rapidement, sauf pour les personnes désignées pour monter la garde pendant que les autres rattrapaient leur nuit passée à marcher ; lorsque vint le tour de la nécromancienne, elle lança un regard compatissant aux humains qui devaient subir la chaleur étouffante du désert et dormir dans ces conditions, ce qu’elle imaginait ne pas être très facile. Lorsque le soleil se coucha le camp fut remonté sur les chameaux imperturbables, qu’il fasse nuit ou jour, peu importe les extrêmes de températures, ils ne bronchaient pas, et la mauvaise troupe s’en alla à nouveau sous le ciel étoilé. La journée se répétait, longeant les méandres du lit du fleuve asséché, le groupe échangeait quelques mots, que ce soit sur le maniement d’une épée, son entretien, comment soigner une plaie, que ce soit avec ou sans flammes, comment s’occuper d’un cadavre, quelques théories magiques etc… rien de bien personnel cependant ; si l’hybride avait des questions à poser à Nehril, des restes de leur conversation à bord du Katrian, elle doutait qu’il ne lui accorde un jour une réponse et encore moins maintenant.

La seconde journée passé à l’abris relatif du soleil se passa comme la dernière et la nuit qui suivit fut très proche de la précédente. La nécromancienne commençait à se demander si l’entièreté du voyage allait finir par se ressembler et l’Unique décida de lui apporter une réponse.

A l’horizon se détachait un vaste nuage sur le ciel étoilé, après avoir prévenu ses compagnons Lilyanna, qui n’eut de cesse de regarder le nuage, se rendit vite compte qu’il avançait dans leur direction.

« Si ça vous dérange pas on va accélérer. »

N’ayant aucune idée de ce qui pouvait les attendre au loin, le groupe décida que le découvrir n’était pas forcément une excellente idée et les chameaux, comme les demi-elfes et demi-drows ainsi que les humains, s’empressèrent de marcher plus vite dans l’espoir de mettre une certaine distance entre eux et ce qui se tramait pas assez loin au goût de l’hybride. Ce qui se tramait non loin se trouvait être une meute de gorlocks mais ils purent la sentir avant de l’apercevoir, les vibrations du sol causées par leur nombre et leur course les trahissaient tout autant que le nuage qu’ils soulevaient. Malheureusement il devint très vite clair qu’ils en avaient après le petit groupe d’explorateur en marche pour Nisétis.

Nehril avait l’habitude des longues marches solitaires. De ces doigts longs et chauds qui venaient caresser doucement son visage à chaque lever du jour avant d’y planter impitoyablement ses ongles brûlants lorsque survenait l’après-midi. De ces jours qui se succédaient inlassablement à un rythme si effréné qu’on finissait par en perdre le compte. Paradoxalement même si ces conditions étaient peu attrayantes, le semi-elfe aimait ces voyages. Ces routes poussant à l’introspection, ce contact simple et rassurant avec la nature. Le silence…

Mais malgré tout ces points listés, il était cette fois-ci bien heureux de voyager avec d’autres individus. Seul, il aurait difficilement supporté le spectacle qui se présentait à lui : celui de ces terres sèches et désolées aussi tristes que déprimantes.

Ils avaient quitté le Katrian depuis deux jours déjà et ils marchaient ainsi depuis lors, suivant le cours de la rivière comme un mâtin suivant sa proie, n’échangeant que de rares paroles entre eux.
Ce territoire leur étant inconnu, bien qu’ils en aient chacun entendu des légendes ou des faits plus avérés de la bouche de quelques vieillards érudits, ils décidèrent naturellement d’organiser des tours de gardes durant la journée, lorsqu'il était temps pour eux de prendre un peu de repos. Cela ne gêna pas le semi-elfe ni le mercenaire demi-drow, les deux hommes étant habitués à ce genre de veille depuis bien des années. Quant à Galborix et Lilyanna, cela était un peu plus compliqué. Bien qu’il ne se souvint à aucun moment de les avoir entendus se plaindre, ils devaient insister pour les faire émerger de leur sommeil. Nehril en était cependant satisfait, car Lilyanna ou Galborix auraient très bien pu demander aux mercenaires de veiller à leur place.

Le deuxième jour, alors qu’il cheminait à l’arrière du groupe, Nehril distingua une fumée qui s’élevait au loin sur leur droite. Quelques instants après, Lilyanna sembla la remarquer également et les incita à presser l’allure. Nehril ne put qu’opiner derechef avant d’entraîner impitoyablement le chameau qu’il guidait dans son sillage. La fumée finit par s’éclaircir et Nehril put distinguer l’origine de celle-ci :

— Des gorlocks, lança-t-il d’une voix bien trop calme alors que le bruit de leur charge parvenait finalement à eux. Ils vont nous balayer si nous ne pressons pas le pas. Il faut courir. Allez !

En tant qu'ancien mercenaire, Ylas avait passé plus de temps à pied ou cheval que dans le confort d'une ville ou d'une auberge. Dans sa jeunesse, il n'avait pas approché une simple paillasse pendant près d'un an et demi tant les contrats s'enchaînaient. A peine une bière avalée pour laver la poussière du voyage qu'il repartait pour une autre aventure. A 70 ans, Ylas avait probablement vu plus de poussière que le foie des marins du Katrian n'avait vu d'alcool. Il marchait promptement, ne fixant jamais le même point, laissant son regard passer d'une ombre à l'autre. Les faux-mouvements qu'apercevaient les néophytes de la nuit n'était plus qu'un lointain souvenir pour lui.

Marcher de nuit ne dérangeait pas Ylas, au contraire, les tours de garde n'en étaient plus que facile. Mais comme tout à chacun, il ressentait le désir de se coucher quand l'aube venait. Les premiers rayons de soleil étaient synonyme d'un repos bien mérité. Lorsque vint le nuage, le demi-drow ne put que pousser un soupir désolé. Guidant ses compagnons dans l’obscurité, il laissa Lilyanna se charger de prévenir leurs compagnons. Tempête de sable, tribu zurthanne ou autre rendez-vous mystérieux... Les Terres Stériles n'étaient pas réputées pour leurs parties fines. Enfin si dans certaines caravanes d'esclaves sexuels itinérantes mais c'était une autre question.

Lorsque Nehril annonça la venue des gorlocks, suivis de près par les vibrations du sol et les grognements terribles des sangliers du désert, Ylas sentit son dos se couvrir d'une sueur froide. Il avait vu ces créatures déchirer le ventre d'un cheval d'un seul coup de défense ou encore piétiner un chien de berger dans la moindre vergogne. Le demi-drow abandonna ses compagnons l'espace d'un instant et courut vite et loin pour repérer le terrain. Quel ne fut pas son soulagement lorsque apparut une pente qui s'enfonçait dans le lit du fleuve dont ils suivaient le cours asséché. Avec un profond soupir de soulagement, l'ancien mercenaire revint auprès de ses compagnons et leur expliqua l'affaire. S'ils couraient vite et bien, ils pourraient avoir les gorlocks dans leur dos au lieu de leur flanc et tromper leurs poursuivants à l'embranchement. S'ils partaient au plus vite.

Nehril cravachez moi ce chameau à mort s'il le faut mais ne perdez pas nos vivres ! Galborix préparez vous à courir au lieu de tripoter votre épée !

Par réflexe plus qu’autre chose Lilyanna commença une prière à l’Unique pour commencer à incanter avant de se rappeler qu’aucun fragment de Souffle ne risquait de répondre à son appel ; à moins que ses créations ne l’entendent depuis le Katrian, ce dont elle doutait fortement, et puis même si c’était le cas, si jamais elles arrivaient ça serait sans doute trop tard de toute façon. La nécromancienne fut bien d’accord avec les dires de ses compagnons de voyage et sans s’arrêter de prier, cette fois plus pour se donner du courage que pour soumettre les flux à sa volonté, elle alla chercher une outre remplie d’eau qui pendait sur le flanc d’une des bêtes de somme que Nehril ne devrait, conformément à l’injonction d’Ylas, pas ménager. Elle actionna le fermoir qui maintenait son manteau solidement autour de ses épaules et elle se mit à courir en direction de la pente détectée peu de temps auparavant par le demi-drow.

Ladite pente, d’une dizaine de mètres de large, qui en soit n’était pas bien difficile à trouver, menait tout droit au lit du fleuve asséché et l’hybride espérait, bien naïvement sans doute, que ce serait suffisant pour dissuader les bestioles à leurs trousses. Comme il fallait mieux être prête à toutes les éventualités, surtout lorsque le plan de base est on ne peut plus bancal, Lilyanna débouchonna l’outre qu’elle avait dans les mains et observa la meute sauvage s’approcher en martelant le sol. Elle se tenait prête à leur faire prendre une douche au cas-où ils se montraient trop insistants.

Le vacarme se rapprochait. Le nuage de poussière, soulevé par la charge mugissante des bêtes n’allait pas tarder à les avaler. Le groupe courait à en perdre haleine, jetant à peine quelques coups d’œil derrière leurs épaules afin de jauger de l’avancement de la menace.
Nehril tirait impitoyablement sur les rênes du chameau dont il avait la charge, le pressant à avancer plus vite. Il lui démangeait de le laisser derrière, mais savait que l’animal était essentiel au succès de leur exploration des ruines. Il portait sur lui la plupart de leurs vivres et des réserves d’eau. L’abandonner à ces créatures était définitivement exclue. Pas s’ils souhaitaient éviter de faire demi-tour pour se réapprovisionner au Katrian.
Néanmoins à chaque pas qu’il faisait, cette irrésistible envie de le laisser derrière devenait plus forte. D’autant plus forte que semblait se faire sentir l’haleine fétide des gorlocks dans son dos.  

Situé à l’arrière du groupe, Nehril avait la vue la plus dégagée pour surveiller ses compagnons durant leur fuite. Il remarqua qu’Ylas se dirigeait sans une once d’hésitation vers le bord du chemin qui s’ouvrait sur le vide, sans doute dans l’objectif de se jeter directement dans le lit de la rivière. Doutant des tendances suicidaires du demi-drow, le semi-elfe se dit que le sol en dessous devait être relativement bas pour qu’il tente de l’atteindre ainsi. Il salua son courage, ou sa folie, et espéra qu’il ne se casse rien dans sa chute. C’était déjà beaucoup, mais Nehril décida que dans cette situation une once d’optimisme ne leur ferait pas de mal.
De son autre côté, Galborix courait juste devant Nehril, respirant aussi fort qu’un bœuf à l’agonie. Son oiseau de malheur ne cessait de pousser des croassements affolés tout en tordant sa tête dans tout les sens. Après s’être égosillé ainsi pendant un moment, il finit par décrire des cercles erratiques autour de la tête de son maître, battant des ailes si rapidement qu’il en perdit des plumes à un rythme que le mercenaire jugea plus qu’alarmant.
Quant à Lilyanna…

Nehril la chercha des yeux un moment, et la vit se précipiter sur le chameau pour en retirer une gourde d’eau. Suite à cela elle grimpa sur des rochers surélevés avec la visible intention d’asperger leur malheureux poursuivant de son arme redoutable. Les yeux du semi-elfe s’écarquillèrent alors qu’il prenait pleine conscience du geste inconsidéré de la nécromancienne. Et d’autant plus lorsque la roche s’effrita sous elle en la faisant dévaler la pente sur le dos avant de virevolter sur elle-même. Mu par un réflexe aussi prompt que bienvenu, il attrapa l’épaule de Galborix et fourra dans ses mains les rênes du chameau. Le mage manqua de trébucher sous sa poigne, mais les accepta en haussant un sourcil étonné.

— Guidez-le jusqu’au prochain renfoncement et mettez-vous à l’abri ! s’écria le mercenaire qui s’éloignait déjà de la mine penaude de Galborix.

Les gorlocks étaient tout proches. Nehril les voyait à présent. De ses yeux semi-elfiques, il distinguait clairement les deux cornes qui encadraient leur faciès rugueux. Il apercevait nettement ces petits yeux noirs, comme des charbons miroitants doucement à la surface d’un feu, qui les fixaient intensément. Il préféra ne pas se focaliser sur leurs défenses redoutables et tâcha de se mouvoir le plus vite possible en direction de Lilyanna. Après une longue chute, elle s’immobilisait finalement le long du chemin. Elle semblait désorientée. Peinait à se redresser.

Pourvu qu’il y parvienne à temps…

Les gorlocks étaient proches. Trop proches. L’épée du mercenaire battait furieusement dans son dos. Ses muscles lui brûlaient. Sa respiration était saccadée. Ses bottes frappaient le sol avec force. Manquaient de déraper sur cette surface graveleuse. Se propulsant en avant avec la pointe de ses pieds.

Les gorlocks étaient proches. Nehril voyait le visage de Lilyanna qui se décomposait lentement à mesure qu’elle prenait conscience de l’endroit où elle se trouvait. Les bras du mercenaire se tendirent en avant. Ses doigts s’agitèrent. Un craquement survint à son épaule. La garde d’Aeris l’avait percuté. Son corps entier grinçait comme un vieil arbre malade. Sa vue se brouilla sous la transpiration qui venait s’infiltrer dans ses yeux. Le vacarme était devenu assourdissant. Il ne restait que quelques mètres…

Les gorlocks étaient là ! La poussière se souleva brusquement, envahissant soudainement le chemin. Masquant l’endroit où les deux individus s’étaient trouvés plus tôt. La charge passa, semblant fracasser le sol sous leur pas. Lorsqu’elle retomba un peu, l’on découvrit que Nehril avait plaqué Lilyanna contre la paroi, l’écrasant sans état d’âme contre son torse. Après être resté ainsi un moment, le semi-elfe plissa les yeux avec un air surpris. Surpris de ne pas avoir été balayé. Surpris de n’avoir récolté que de simples blessures superficielles. Il s’écarta de la nécromancienne avec un grognement et se massa l’épaule.

— Imbécile, la sermonna-t-il en plantant son regard dur dans le sien. Ses yeux argentés brillaient de mécontentement. On ne repousse pas une horde de gorlocks avec une simple gourde. Et qui plus est à moitié vide…

Nehril fit quelques pas mal assurés en direction du chemin. La fumée retombait progressivement. Ils leur fallait trouver les autres. En espérant qu’ils aient survécu…

C'était une mêlée générale pour la survie. Tout esprit de corps - aussi ténu fut il - s'évanouit en un instant tandis qu'Ylas prenait ses longues jambes à son cou. Sans un regard pour Galborix et Nehril, il observa avec de grands yeux ronds la pose héroïquement stupide de Lylianna armée d'une simple gourde. Le demi-drow n'était vraiment pas certain que de l'eau serait capable d'arrêter 600 kilos de chair lancée à pleine vitesse. Loin de la prêtresse, il hésita une seule seconde à lui porter secours puis se décider à accélérer. Dévalant la pente qui se jetant dans le lit de la rivière, Ylas bénit les dieux lorsqu'il remarqua la faible hauteur et le sable qui l'attendait.

Avec un grognement, le mercenaire poussa sur ses jambes et exécuta un saut de l'ange parfait, digne des plus grands assassins. Se ramassant sur une épaule, il roula sur lui-même dans un jet de sable moins épique et bondit sur ses pieds. Déjà, le vacarme de la meute s'évanouissait au-dessus de lui. Collé à la paroi, de crainte d'attirer les gorlocks à lui, Ylas essaya d'entendre le moindre bruit, gémissement, bruit d'os brisé ou encore chair malaxée. S'étonnant du silence, il s'efforça de grimper à grands ahanements pour mieux découvrir Nehril et Lylianna enlacés. Gêné, réprimant la petite pointe de jalousie qui perçait son petit coeur endurci, il s'éclaircit la gorge.

Z'auriez pas de l'eau à me jeter à la figure par hasard ? Cette poussière m'assèche la gorge ! Où est le magicien ?

Et insistants, les gorlocks l’étaient, bien malheureusement et Lilyanna jeta sa gourde sur le plateau et, posant ses deux mains de chaque côté de ladite gourde l’hybride se hissa jusqu’à ce que ses genoux soient hors de la pente puis à partir de cet instant précis son cœur rata un battement et tout devint confus. Pendant un instant le sol et le ciel étaient difficilement différenciables et puis elle ferma les yeux et tenta tant bien que mal, plus mal que bien d’ailleurs, de ramener ses bras autour de sa tête mais ce fut plus ou moins en vain et un dernier choc envoya une vague de douleur remonter dans son dos dont les échos se firent sentir bien après l’impact en lui-même ; impact qui, comme si ça ne suffisait pas, chassa l’air de ses poumons. La nécromancienne prit une inspiration aussi grande qu’elle put et ouvrit doucement les yeux et devant elle des petits cailloux rebondissaient sur le sol et ce ne fut qu’une fois que sa vision se focalisa sur les gorlocks devant elle que son cerveau enregistra les secousses du sol.

Prise d’une panique impérieuse Lilyanna tenta tant bien que mal de se relever, de toute faire pour s’éloigner du passage de ces créatures qui, elles, n’allaient pas s’arrêter, mais elle se rendit bien vite compte qu’un de ses bras n’avait pas envie de lui répondre. Alors elle ferma les yeux et la première syllabe d’une prière à l’Unique passa ses lèvres, noyée par la charge des gorlocks. Elle ferma ses paupières aussi fort qu’elle put, comme si par sa seule volonté, pour peu qu’elle fut assez forte, suffirait à faire disparaître les bêtes sauvages. Mais ce ne fut pas le cas et à la place il lui sembla que son épaule se faisait broyer puis un nouvel impact lui aurait arraché un cri de douleur s’il n’avait pas encore expulsé le peu d’air qu’elle avait réussi à reprendre ; à la place elle se contenta d’un cri muet. Un grondement très proche de son oreille, qui fit trembler cette dernière et lui arracha un frisson, la poussa à ouvrir les yeux pour voir le visage de Nehril au-dessus du sien. Lorsque le mercenaire la lâcha, les jambes tremblantes de son employeuse n’eurent pas la force de la maintenir debout et elle glissa le long de la paroi rocheuse ce qui la fit souffrir davantage mais Lilyanna n’était plus vraiment à ça près.

Il fallut à l’hybride un bon moment pour reprendre ses esprits et lâcher le bout de roche qui lui avait fait défaut lorsqu’elle avait voulu se hisser au-dessus de la meute de gorlocks qui les avaient pris en chasse. La pierre roula le long de la pente en direction du lit de la rivière et elle fut soulagée d’être encore en vie. Ce que Nehril lui avait dit lui revint progressivement, par bribes et enfin Ylas apparut dans son champ de vision. La nécromancienne voulut lui répondre mais elle était encore haletante mais malgré sa respiration rapide elle se releva.

« J’ai lai... » c’était davantage un croassement qui passa ses lèvres plus que des mots et elle s’arrêta dans sa lancée, à la place elle remonta la pente et manqua de tomber lorsque sa jambe meurtrie par la chute décida de se dérober sous elle ; ce ne fut que grâce à des réflexes nés d’années d’escalade qu’elle se rattrapa à la paroi dont elle s’aida ensuite pour avancer afin d’aller récupérer sa gourde. Une gourde qui l’attendait en haut de la pente, n’ayant visiblement pas glissé autant que sa propriétaire. Cette dernière l’attrapa d’une main tremblante pour la porter à ses lèvres et se rendit compte que si elle avait échappé à la charge des gorlocks, une partie non négligeable de ce qu’elle contenait était doucement en train de s’évaporer après s’être gracieusement mélangé au sable. Ce qui n’empêchait pas l’eau qui décrassait sa gorge poussiéreuse d’avoir un goût divin. Revenant avec sa gourde, Lilyanna la tendit à Ylas. « Tiens et... »

La nécromancienne se racla la gorge dans l’espoir que les mots qui allaient suivre seraient plus compréhensible.

« Je sais pas où est passé Galborix. » Ni le reste de leur caravane d’ailleurs mais pour le moment elle n’avait pas encore réalisés qu’elle existait encore. Elle chercha tout de même Nehril du regard.

Le troupeau avait fini par passer. Le bruit de leur pas n’était plus qu’un écho lointain. Le vent s’était chargé de balayer les dernières volutes de fumée soulevées par la charge des gorlocks. Nehril fit quelques pas en avant lorsqu’il distingua Ylas qui revenait vers eux. Il lui accorda l’ombre d’un sourire, et n’arbora aucun signe de surprise à le voir en vie. Il semblait juste trempé, comme s’il avait piqué une tête dans une mare.

Une fois tous les trois réuni, ils entreprirent de retrouver Galborix ainsi que le chameau. Bien qu’ils n’entretiennent que peu d’espoir à son sujet. La bête aurait très bien pu s’enfuir ou finit emportée par la charge des gorlocks. Néanmoins c’est avec une véritable stupéfaction qu’ils les retrouvèrent tous deux. Recouvert d'une pellicule de poussière ocre, mais en bonne santé. Nehril asséna une claque sur l’épaule du magicien pour le féliciter avant de s’asseoir sur une pierre qui bordait la route.

— Prenons quelques instants de repos, puis remettons-nous en route. Tout le monde va bien ? s'enquit-il à l'attention du groupe.

Il prit une rasade d’eau claire avant de tendre la gourde récupérée sur le chameau en direction d’Ylas et de Lilyanna.

L'eau sembla un nectar divin. Le moindre grain de sable qui irritait la gorge d'Ylas disparut aussi rapidement qu'une hérésie chez les Drows et il se sentit presque aussitôt ragaillardit. Il suffisait presque d'un étang, même saumâtre, pour se laver et l'ancien mercenaire aurait été aux anges. Dans le fond, il restait ce reître, capable de passer des semaines le fessier vissé sur une selle. Tant qu'on ne lui demandait d'embarquer sur un navire... Encore que c'était chose faite désormais. Ylas était véritablement un gentleblyat combattant. Pour Dame Ophelia certes mais c'était mieux que de l'or. Même si la dame le payait grassement.

Plongé dans ses pensées, le demi-Drow ne remarqua que tardivement la disparition de Galborix. Voyant Nehril s'éloignait à la recherche de leur compagnon et leurs vivres, il espéra une seconde que l'homme n'avait pas essayé de combattre par le feu, la lame ou une gourde d'eau les gorlocks. Il n'était pas sûr que les bêtes eut apprécié de voir certains membres de la meute mourir dans d'atroces souffrances, ou du moins souffrir d'une petite averse.

Vous auriez pu ranimer une ou deux de ces bestioles pour votre compte si elles étaient mortes ? demanda Ylas innocemment à Lylianna. L'ancien mercenaire était curieux. Les secrets de la nécromancie étaient floues à ces yeux. Il n'aurait rien eu contre quelques mâchoires supplémentaires. Tandis que l'hybride lui répondait, Nehril revint avec les deux survivants, proposant une pause.

Nous devrions plutôt mettre une certaine distance entre nous et les gorlocks s'opposa Ylas. La journée devrait nous suffire pour nous reposer. Je préfère partir une heure après le coucher de soleil que de m'arrêter maintenant. Qu'en pensez vous ?

La question sortit Lilyanna de ses pensées, la faisant presque sursauter. Tournant la tête vers le demi-drow, elle haussa un sourcil, elle se demandait si, comme c’était souvent le cas, se cachait derrière ce genre de question un reproche quelconque et puis elle se rappela qu’il était un adepte du panthéon sombre et que la nécromancie ne devait pas vraiment le dégoûter.

« Oui. » Elle étancha à nouveau sa soif avant de poursuivre, se disant qu’une réponse laconique ne le satisfaisait pas vraiment. « A condition d’avoir un Souffle à portée de main, malheureusement les gorlocks n’en sont pas pourvus. »

C’était dans ce genre de circonstances qu’elle regrettait un peu de ne pas avoir de collègue vitaliste sous la main pour ne pas avoir besoin de tuer quelqu’un ; ou bien de ne pas être mage de vie elle-même bien qu’en réalité si elle avait emprunté cette voie sans doute ne serait-elle pas là en ce moment. Elle serait probablement encore à Thaar, à officier dans un temple de Kÿria dans une petite communauté d’elfes. Du moins c’était ce qu’elle imaginait, elle ne savait pas si lesdits elfes auraient acceptés une hybride dans le clergé de leur divinité principale. Finalement, même si ce qu’elle avait vécu pour arriver jusqu’ici n’était pas des plus faciles, elle ne regrettait rien. Ou presque rien. Elle lança un coup d’œil à Nehril, Galborix et Robert ; n’ayant aucune idée de pourquoi est-ce que le mercenaire avait appelé le chameau ainsi, Lilyanna ne pouvait que conjecturer sur la provenance du mot, sans doute un camarade qui lui fut cher. Les yeux rouges de la nécromancienne glissèrent vers Ylas sans qu’elle ne tourne la tête et un sourire en coin commença à se dessiner sur ses lèvres.

« J’ai besoin d’un Souffle mais une Flamme fera l’affaire. » Après avoir glissé ces quelques mots elle s’en alla en boitillant vers le reste de la caravane pour attraper la gourde que Nehril tendait. « Ça va. J’ai un peu mal partout mais ça va. »

L’hybride se massa l’épaule droite, sur laquelle elle était en partie tombée et grimaça avant de s’asseoir à son tour sur une pierre. Elle tira sur le ruban blanc qui maintenait sa tresse en épis de blé en place et cette dernière se désagrégea, se transformant en une cascade blonde et blanche qu’elle envoya dans son dos d’un mouvement de tête.

« Même si j’aimerais pouvoir repartir tout de suite comme vous le suggérez, Ylas, j’ai peur de que nous ne perdions davantage de temps en nous ralentissant qu’en nous arrêtant maintenant. De plus nous allons dans la même direction que les gorlocks donc pour mettre de la distance entre eux et nous il faudrait partir de l’autre côté ou attendre. »

Nehril opina à la déclaration faite par Lilyanna. Après ce qu’ils venaient de vivre, un instant de repos n’était en rien une perte de temps. Il leur permettrait en outre de repartir d’un pas plus léger tout en les rendant beaucoup plus alertes au moindre danger. Néanmoins, le demi-drow n’avait pas tort : les dernières ressources dont ils disposaient étaient rassemblées sur Robert le chameau, (qu’il avait aléatoirement nommé ainsi en rapport à une combinaison de sons qui lui paraissait amusante), et celles-ci ne tarderaient pas à fondre comme neige au soleil étant donné la distance qu’il leur restait à parcourir.

Le mercenaire aux yeux d’argent se redressa et entreprit de vérifier l’intégrité corporelle de Robert. Il fut soulagé de ne déceler que de simples écorchures au-delà de la saleté crasse qui recouvrait son poil jaunâtre. Il fronça son nez devant l’odeur nauséabonde qu’il exhalait, mais lui flatta néanmoins l’encolure en récompense de la bravoure dont il avait fait preuve face à la charge des gorlocks. Le semi-elfe nota ensuite la quantité d’eau qu’il leur restait avant d’en faire part à ses camarades.

— La perte de la caravane nous a coûté cher, révéla-t-il en croisant ses bras sur son torse recouvert d’une armure en cuir maillé. Nous devons à présent décider de ce que nous allons faire.

Il croisa le regard de Lilyanna.

— Nous avons assez de vivres pour quelques semaines si nous nous rationnons, mais l’eau sera davantage un problème. Trois choix s’offrent à nous : rebrousser chemin jusqu’au navire pour refaire le plein de nos réserves, poursuivre en espérant trouver une rivière moins sèche que celle que nous suivons actuellement, ou bien partir sur les traces de la caravane qui a été emportée par les gorlocks afin de récupérer ce que nous pouvons de nourriture dans les débris.

Ylas fronça les sourcils lorsque Lilyanna lui expliqua les besoins en terme de nécromancie. Il avait pourtant entendu parler des créatures drows lâchées sur le champ de bataille. Le mercenaire était presque certain que la prêtresse ne connaissait pas tout les tenants et aboutissants de son art. Croisant les bras, il la toisa l'espace de quelques secondes. Ses traits se détendirent cependant lorsqu'elle lui sourit et revint à une cosmogonie avec laquelle il était plus à l'aise. Tout du moins lorsqu'il ne s'emmêlait pas les pinceaux. Contrairement au Puy, les demi-drow de l'Estrévent n'étaient pas connus pour leur dévotion fanatique. Ylas se tourna donc vers Nehril et Robert.

J'insiste pour que nous continuions notre route. Le chemin inverse vers le navire serait un aveu de faiblesse. Autant abandonner l'affaire dans ce cas là. Les traits d'Ylas se durcirent l'espace d'une seconde alors qu'il observaient l'épais nuage de poussière que les gorloks laissaient derrière eux. Je ne compte pas faire un saut pareil tout les matins. A soixante-dix ans les articulations commencent à me tirailler... ajouta le mercenaire avec un sourire. Je pense qu'un bon rationnement devrait suffire. Galborix, il n'y aurait pas la moindre chance que vous sachiez faire ed l'eau à place des flammes ? Un hydromancien serait idéal...

Nehril observa Lilyanna avec un air impassible tandis que cette dernière leur exposait une autre solution. Il prit aussitôt la parole une fois qu’elle eut fini.

— Attaquer le troupeau est exclu, c’est une évidence, fit-il en jetant un œil vers la fumée qui s’éloignait au loin, mais si nous sommes capable de trouver quelques-unes de ces bêtes isolées : ça pourrait être jouable.

Le mercenaire fit jouer plusieurs fois son épée dans son fourreau, comme pour vérifier que celle-ci y glisser correctement.

— Néanmoins, les gorlocks sont des créatures qui voyagent en groupe. En trouver quelques-unes qui se seraient éloignées de ses congénères risque d’être un pari risqué.

Le semi-elfe saisit les rênes de Robert et les tira vers lui.

— Nous avons toutefois pris une décision. Ne rebroussons pas chemin, continuons pour voir si nous pouvons trouver une rivière moins sèche. De plus les gorlocks sont partis dans cette direction, avec de la chance quelques-uns se seront détachés du groupe…

Nehril rangea sa gourde sur le chameau et balaya ses compagnons du regard.

— Nous y allons ?

Une évidence, une évidence… elle ne voyait pas en quoi s’en était une mais elle ne répondit rien après tout ça n’allait pas vraiment être elle qui combattrait si jamais combat il devait y avoir et visiblement combat il n’y aurait pas. Faisant la moue, la nécromancienne ne détourna pas le regard de la colonne de fumée soulevée par ces maudits animaux. Elle s’étira ce qui lui arracha un grondement de douleur.

« Au contraire, d’ordinaire ils sont solitaires. En trouver un seul devrait être facile, faut juste attendre que leur horde se disperse. » Il fallait simplement savoir s’ils pouvaient se permettre d’attendre seul l’Unique savait combien de temps mais Lilyanna se doutait que dans peu de temps ladite horse serait dissoute, les gorlocks étant de nature agressive et territoriale. « En effet nous avons pris une décision. »

Un soupir plus tard l’hybride se leva pour poursuivre leur route.

« Heureusement qu’il est facile de faire la différence entre les sabots de chameaux et de gorlocks… » elle parlait à voix haute plus qu’elle ne voulait communiquer avec ses compagnons alors qu’elle inspectait les traces laissées par les animaux sur le sol. Il n’y avait plus qu’à garder les yeux en direction du sol alors que le soleil ne tarderait pas à se lever, de toute façon les yeux des autres seraient sans doute bien suffisants pour la prévenir d’éventuels dangers, sans compter ses autres sens. Heureusement pour Robert, son surnom de solitaire ne resta pas valide. En effet en continuant leur périple, le groupe retrouva deux compagnons du chameau qui avaient, visiblement, perdus une partie de ce qu’ils transportaient dans leur fuite. Pour ce qui était du quatrième et dernier animal cependant, nul ne savait ce qu’il était advenu de lui. « Arrêtons-nous là pour la journée, je n’en peux plus. »

Et pour cause, après une nuit de voyage, ils avaient poursuivi leur marche après la fin de la nuit, ce qu’ils n’auraient pas dû faire, surtout avec des réserves d’eau amoindries.

Bien qu'il ait eu finalement gain de cause, Ylas resta silencieux de longues minutes après que Nehril ait discuté. Il commençait à douter du bien fondé de la mission que lui avait donné son employeuse. Dame Ophelia ne connaissait certainement pas Lilyanna mais peut être que des recherches auraient pu s'avérer nécessaire. La prêtresse semblait plus maladroite qu'une enfant humaine, cinq cent quarante sept ans moins âgée. Evitant de regarder leurs comparses mercenaires, le demi-Drow se concentra plutôt sur la traque des chameaux. L'avantage d'avoir été un garde de caravane pour de nombreuses lui permettait d'avoir appris quelques astuces des chasseurs et autres guides.

Les chameaux n'iront jamais plus vite que des gorlocks. Soit ils les ont écrasés en route, soit ils les ont coursé. On devrait retrouver leurs traces... Par là.

Ce n'était guère plus qu'un grognement pour attirer l'attention de ses comparses sur la route qu'il fallait suivre. Jetant un regard en coin à Nehril, Ylas mena la marche pour quelques heures. Par chance, son instinct lui servit et deux autres chameaux furent retrouvés. Malgré le manque évident de fournitures, près du tiers de leurs vivres était éparpillé dans le désert, leur situation s'améliorait légèrement. Les bêtes n'auraient été frémissantes et puantes que Ylas aurait pu passer ses bras autour de leur cou pour remercier les dieux de ne pas les avoir laissé mourir. Se tournant vers Lilyanna, le mercenaire s'efforça de repousser son ressentiment et de lui parler sur un ton doux et rassurant.

Bonne idée. Je vais prendre le premier quart de veille. Nous allons devoir décider d'une direction à choisir pour être prêt ce soir. Une fois reposé, je pourrais peut être explorer les environs.

— Nous aurons au moins de quoi survivre pendant quelque temps, commenta le mercenaire qui, genoux à terre, rangeait les fournitures éparpillées sur le sol.

Ils avaient décidé de faire confiance à Ylas pour retrouver les chameaux en fuite, et bien leur prirent. Deux sur les trois bêtes furent retrouvés. Même s’il aurait dû se sentir soulagé par cette découverte, le mercenaire ne put s’empêcher de penser que cette perte n’était pas négligeable au regard de la situation précaire dans laquelle ils se trouvaient.

Après avoir écumé les environs pendant de longues heures, les voyageurs décidèrent de se regrouper pour prendre un peu de repos. Lorsqu’Ylas proposa de prendre le premier tour de garde, Nehril hocha la tête avant de préciser qu’il prendrait le second. À leur réveil, ils devraient suivre la rivière pour s’enfoncer plus avant dans les terres. Il grignota son repas frugal avant de s’emmitoufler dans sa cape.

Quelques heures plus tard,

La journée était bien avancée lorsque Nehril repoussa le tissu sombre pour s’approcher près du feu. Son regard croisa celui d’Ylas et le semi-elfe s’assit face à lui. Ils restèrent un long moment silencieux, la quiétude de la journée et les bruissements du vent venant à peine combler le vide qui s’installait entre eux. Le craquement du feu voilait légèrement la vision des deux hommes, apercevant mutuellement la silhouette de l’autre déformée par les flammes vermeilles.

Finalement Nehril jeta un œil en direction de Lilyanna et de Galborix qui dormait à poings fermés avant de lancer sans préambule :

— Que pensez-vous de tout cela, Ylas ? , lança-t-il d’une voix rocailleuse.

— Je ne suis pas payé pour penser, répondit laconiquement l’ancien mercenaire, en évitant de regarder trop longtemps le feu. Même en plein jour, son éclat et sa chaleur aveuglaient temporairement.

Nehril plissa les yeux, s'interrogeant tout de même sur les pensées de son comparse.

— Si vous voulez mon avis, ma maîtresse a eu tort de m’envoyer ici. Elle n’en tirera aucun avantage, à moins que cela ne soit la recherche de connaissance… Quant à moi… Disons que j’en suis venu à apprécier la compagnie. Un sourire déformé par les lèvres scarifiées du Drow s’épanouit sur son visage. Cette épopée me rappelle le temps où j’ai servi comme garde de caravane et mercenaire. Et vous, Nehril ? Qu’est-ce qu’un demi-sang fait au fin fond du désert ? L’appât du gain ?

Le regard du mercenaire se voila.

— L’appât du gain entre autres choses oui, confirma-t-il en inclinant légèrement la tête. Disons que… j’avais besoin de m’éloigner. De mettre certaines choses au clair dans mon esprit.

Le semi-elfe reporta son attention au cœur du foyer crépitant.

— Que cherche véritablement votre maîtresse en vous envoyant ici, Ylas ?

Le garde du corps de l’Aiguille Dorée resta songeur quelques instants avant qu’un rire sec et bas ne secoue sa poitrine. Secouant sa tête, il haussa les épaules.

— Si je vous le disais, je devrais vous tuer pour connaître de tels secrets. Ylas caressa d’un air distrait la poignée de son arme avant de reporter son attention sur Nehril. Par chance, je n’ai aucune idée de ce que recherche Dame Ophelia. J’ai beau être le chef de ses gardes, elle n’en reste pas moins une garce secrète. Elle a beau représenter la fine fleur d’Ashaï, elle n’en est pas moins capable de se défendre. Ele reste cultivée et je la soupçonne de cacher une passion pour le passé des peuples. J’imagine qu’elle veut que je ramène un vieux parchemin ou une gravure quelconque.

Ylas tendit le bras vers les fontes et en sortit un bout de viande. Croquant dedans avidement, il secoua vaguement le morceau déchiqueté en direction de Nehril.

— Dites.. Cette histoire avec notre ami commun, il aurait pas essayé de vous planter par-derrière par hasard ?

Les yeux grisâtres du mercenaire s’animèrent un instant avant de progressivement retrouver leur aspect terne. Ils papillonnèrent de droite à gauche avant de se poser à nouveau sur le visage du demi-drow.

— Xavier et sa bande, hein ? devina-t-il en secouant la tête avec un air las.  Je crains qu’ils ne se soient trouvés du mauvais côté de ma lame au mauvais moment. Comme vous l’avez dit, après m’avoir volé ma prime et laissé pour mort sur le bas de la route, ils ont été sourds à mes tentatives de vouloir régler ça d’une manière plus pacifique. Même s’ils ne méritaient guère ma sympathie, cette vaine boucherie aurait pu être évitée.

Nehril se redressa et sortit un couteau de sa botte pour s’en servir à cuir un morceau de viande.

— Je ne m’excuserais pas, continua-t-il placidement. C’était vos amis, j’en conviens. Mais je ne suis pas homme à passer outre ce genre de traîtrise. De plus, vous les connaissiez mieux que moi. Vous connaissiez leur propension à la violence. Est-ce que leur sort vous étonne vraiment ? Vous savez que pour nous les mercenaires, la roue finit toujours par tourner…

Ylas haussa les épaules.

— Les appeler des amis serait un bien grand mot. À vrai dire, j’ai été plus d’une fois tenté de lui retirer la tête des épaules à ce bougre. Vous savez ce que c’est malgré tout. Entre la Fraternité et le Code… soupira le mercenaire en faisant référence aux principes de vie des mercenaires. Le premier était que les hommes d’une même compagnie, ville ou région devaient se soutenir mutuellement, même dans l’adversité. Le second était un ensemble de règles et traditions tacites que tout à chacun respectait plus ou moins. La fameuse indépendance — traîtrise pour certains — des mercenaires trouvait leur origine ici. Ylas, sous ses airs de Drow sauvage, n’avait fait que les appliquer. Disons que l’affaire est réglée, voulez-vous ? Je ferai passer le mot et vous serez le bienvenu à Ashaï. Même le temps de vous faire oublier ailleurs.

À ces paroles, un poids quitta les épaules de Nehril. Il lui adressa simplement un geste de main en guise de remerciement. C’était bien peu de choses en comparaison au soulagement qu’il ressentait, mais le feu l’empêchait à davantage d’effusion de joie.

Ylas regarda attentivement le guerrier.

— Tu m’as l’air enclin à la violence parfois, mais tu n’es pas un mauvais bougre Nehril. Je parie que tes compétences vont au-delà de la simple escrime. Ma maîtresse aurait besoin d’hommes comme toi.

Nehril découvrit ses dents avec un air amusé.

— J’ai déjà travaillé un temps pour la noblesse, déclara-t-il en enfournant un morceau de chair cuite dans sa bouche. Je fus, il y a quelques années déjà, le garde du corps de la princesse marchande Maralina Irohivrah. Même si cela m’assurait la sécurité de l’emploi et un toit au-dessus de ma tête, cela a fini par me peser. J’avais l’impression de n’être qu’un chien en cage. Montrant ses crocs pour que la belle puisse vivre pleinement sa vie. J’ai fini par partir.

Le semi-elfe déboucha un mince flacon qui pendait à sa ceinture. Une eau-de-vie naine particulièrement forte à l’arôme fruité. Il y avait pris goût après y avoir trempé ses lèvres lors de l’une de ses innombrables beuveries avec Dante. Il grimaça lorsqu’il prit une gorgée et la tendit à Ylas.

— Je connais mon métier, Ylas. Cela va peut être te paraître prétentieux, mais je me sais habile à agiter une lame. J’ai survécu au périple de l’Aduram. J’ai combattu lors des jeux de Thaar. J’ai infiltré Sol'Dorn durant les massacres et je suis parvenu à m’en échapper vivant.

Nehril renifla et prit un air sombre. Il haussa les épaules.

— Mais tout cela... toutes ces expériences, finissent par lasser. Cette mission avec Lilyanna. Je l’ai accepté uniquement parce que je pense qu'elle déterminera ce que je ferais à l’avenir. Continuer à vivre de ma lame comme je le fais, me ranger pour devenir maître d’armes ou bien changer de vocation ? Nehril soupira. J’espère que ce voyage me donnera les réponses que je cherche. Je sais néanmoins que jamais plus je ne confierais mon sort à autrui. Je ne deviendrais pas à nouveau le laquais d’un autre. Ton offre m’honore, Ylas, mais je ne peux l’accepter. Pas encore…

Ylas siffla d’admiration. Celle-ci n’était pas feinte. Il avait bien jugé Nehril et ne regrettait absolument pas d’avoir à combattre aux côtés d’une telle lame. Survivre aux Jeux de Thaar, à Maralina et à Sol'Dorn. Ce n’était pas rien.

— Impressionnant. Je dois m’avouer vaincu. Je suis un bon combattant, mais c’est surtout grâce au sang de mon père. J’ai une plus grande force et meilleure allonge que la plupart des combattants de l’Ithri'Vaan, et je laisse imaginer les pillards du désert.

Ylas ricana au souvenir d’un de ces fameux guerriers. L’homme portait une lance. Et ne l’avait pas atteint, il lui manquait près de dix centimètres pour viser la tête malgré son arme.

— Je comprends. J’ai trouvé une nouvelle voie en servant Dame Ophelia. Elle ne voulait pas seulement un garde à ses ordres. Elle m’a payé une éducation, intégré à ses conseils privés. C’est marrant, j’aime pas trop les elfes. Ma maîtresse, elle, a une fascination presque… sexuelle pour eux. Je crois que ça vient de son passé. Tu peux toujours devenir concubin, je pense. Quelques cris en elfique et elle se pâmera devant toi…

Oublieux de toute retenue de gentleman, Ylas éclata de rire, et Nehril sous son rire contagieux se joignit à lui— réveillant de fait et en sursaut Lilyanna et Galborix — qui les observèrent sans comprendre se donner de grandes claques dans le dos.

Alors que les explorateurs du Katrian reprennent leur avancée, suivant ce qu'ils pensent avoir été autrefois le lit d'un grand fleuve, le passage entre les falaise en rejoint un autre, bien plus large. Suivent-ils leur instinct, les traces de plus en plus diffuses des Gorlocks qui les ont devancé ou la carte du destin leur serait-elle soudainement apparue sous les yeux ? Quel qu'il en soit, les explorateurs choisissent une direction et la suivent. Plus loin d'autres traces apparaissent, plus curieuses. Celles du passage de plusieurs bêtes bien plus grandes que des gorlocks, des traces aisément reconnaissables par quiconque a déjà voyagé en Ithri'Vaan : des païms. Cinq de ces immenses créatures seraient passé par là selon leurs estimations, dont un plus petit que les autres. Les traces viennent de l'autre coté du grand couloir naturel et continuent dans la direction empruntée par les explorateurs, qui confirment alors continuer de l'emprunter.

Le groupe de la pirate suit les traces bien visibles des païms depuis plusieurs dizaines de minutes lorsqu'à nouveau une décision doit être prise. Tout a commencé par un râle, à peine audible, alors que l'idée d'une pause était discutée. A bien observer, l'un des voyageurs remarque une butte de sable qui n'en est pas une. Un mouvement fait glisser du sable, révélant une main. Puis un autre glissement fait apparaître un visage, ou du moins en partie. Des lèvres asséchées d'où sortent un autre râle, et cette fois quelques mots peuvent être discernés. Des mots d'un zurthan commun que le disciple de Sakâsh traduira à ses compagnon comme étant un appel à l'aide. Le groupe de la pirate, pourtant, a n'a plus autant de réserve qu'il ne le devrait. Ils ignorent même s'ils en auront assez pour survivre jusqu'à leur retour. Alors seront-ils, malgré tout, la providence qui sauvera ce malchanceux inconnu ? Ou continueront-ils leur chemin en l'abandonnant à son sort ? Car après tout, qui sait ce qu'il fait ici ? La décision leur appartient.

Une fois le camp monté, Lilyanna s’écroula pour être réveillé plus tard afin de prendre son quart de veille. Ses yeux rouges observaient les alentours, passant sur l’horizon sans trouver quoi que ce soit sur lequel s’accrocher jusqu’à tomber sur les chameaux. Elle étouffa un bâillement et décida de faire le tour de la tente pour s’assurer que rien ne se faufilait dans un angle mort. Les chameaux ne semblaient pas être affectés par la chaleur écrasante du soleil, un peu comme la nécromancienne qui flatta le flanc de Robert, le plus fidèle de leurs animaux. Elle résista à la tentation de boire une gorgée ou deux, sachant pertinemment qu’elle n’avait pas réellement soif, elle s’ennuyait juste, et gâcher les ressources qu’ils avaient réussit à récupérer n’était pas une idée qui lui plaisait. Ce n’était pas vraiment du gâchis ceci dit mais ce n’était pas non plus nécessaire et vu leur situation, tout ce qui n’était pas nécessaire était à proscrire. Jetant sa tresse par-dessus son épaule, l’hybride murmura une prière à l’Unique avant de compléter son tour.

Enfin vint le moment pour elle de laisser sa place et de retourner se coucher pour le peu de temps qu’il restait encore avant la tombée de la nuit et la reprise de la marche. Une fois de retour sur les routes, bien qu’il ne s’agissait pas d’une route, Lilyanna poussa presque un juron en voyant de nouvelles traces mais heureusement pour les oreilles, probablement pas si chastes que ça, de ses compagnons, il ne s’agissait pas de créatures agressives, du moins tant qu’on ne les provoquait pas. Toutefois les païms avaient l’avantage de ne pas charger sans sommation, ce qui était toujours ça à prendre.

« Ils ne sont peut-être pas sauvages. » Elle ne savait pas vraiment quel était le pire, qu’ils le soient ou non. « Et je n’ai pas envie de finir avec des chaînes au Puy ou sur les marchés d’Ithri’Vaan. » Alors lorsqu’ils trouvèrent un zurthan demandant à l’aide, Lilyanna s’en approcha avec réticence. « On devrait mettre un terme à ses souffrances. » Dit-elle d’une voix glaciale.

À la tombée de la nuit, le groupe se mit en branle, guidé par le regard scrutateur d’Ylas. Comme à son habitude, Nehril fermait la marche, son épée battant régulièrement son épaule gauche au moindre de ses pas. Sa cape noire le couvrait partiellement, l’ayant rabattu sur le côté afin de laisser plus d’espace à son bras droit si jamais il devait dégainer.

Les premières traces qu’ils croisèrent n’attirèrent qu’une attention relative du semi-elfe. Il reconnaissait celles des païms, mais doutait de pouvoir les tuer afin qu'ils puisse s'en nourrir. Il n’avait guère envie de se voir à nouveau charger par des bêtes mugissantes.
La seconde apparition qu’ils virent fut celle d’un homme à demi recouvert par le sable. Sa main et une parcelle de son visage restaient visibles. De ce que percevait Nehril, l’individu était dans un état déplorable. À en juger par ses lèvres sèches et sa peau burinée, s’ils ne l’aidaient pas rapidement, il mourrait de déshydratation.

Les propos de Lilyanna firent foncer les sourcils du semi-elfe.

— Voir un homme dans ce coin du monde est déjà en soi surprenant, commenta Nehril en s’avançant pour déblayer l’homme. Qui sait les informations qu'il détient ? Peut-être connaît-il les environs ? D'éventuels points d’eau ?

L’ayant quasi extrait du sable, il le tira pour l’allonger non loin. Au-delà de son état de sécheresse inquiétant, le mercenaire nota que de nombreux tatouages recouvraient sa chair.

— Il n’est pas blessé, diagnostiqua-t-il de ses yeux sans éclat. Son seul mal est de souffrir de déshydratation. Nos réserves d’eau sont basses, mais avec ne serait-ce qu’une gorgée nous pourrions peut-être connaître ce qu’il fait ici.

Le mercenaire n’était en rien concerné par la santé de cet homme. Il laisserait Lilyanna décider. Il énonçait simplement les possibilités. Même si à ses yeux, tuer cette pauvre hère en ces lieux s’apparentait davantage à un meurtre qu’à un service rendu.

Lorsqu'ils repartirent à la nuit, Ylas se sentit revigoré. Les derniers jours n'avaient pas été de tout repos et son corps avait eu du mal à retrouver les habitudes d'une traversée du désert. Son dos se tordait sous les courbatures et il lui semblait que ses jambes avaient pris du volume sous la rétention d'eau. La journée de repos lui permettait de retrouver des forces et la conversation avec Nehril l'avait rassénéré sur la qualité d'au moins de ces compagnons de voyage. Il aurait aimé discuter avec Galborix mais l'homme n'appréciait guère la compagnie si ce n'était celle de son étrange oiseau. Fini le temps des coups d'épée, le mage se drapait dans un air mystérieux.

Ses talents de pisteur, loin d'être l'égal de celui d'un chasseur, lui permirent néanmoins de trouver et suivre le traces des païms. Le troupeau était synonyme de nourriture mais également la possibilité de trouver une oasis ou un point d'eau. Secrètement, Ylas espérait tout de moins ne pas tomber sur un campement zurthan. Les nomades du désert n'hésiteraient pas plus de quelques secondes avant de dégainer leurs cimeterres et essayer de les décapiter en l'espace de quelques secondes.

Si les païms sont seuls, nous devrons nous servir. Les Zurthan ou les fils d'Elda ne laissent jamais leurs précieux troupeaux sans un garde ou deux. expliqua Ylas à ses compagnons lorsque la question morale quant à tuer une bête se posa. Cependant, le débat n'alla pas plus loin alors qu'une question autrement plus importante se posait. En effet, les zurthan étaient là. Du moins un seul, ensablé et à moitié mort de soif. Ayant aidé Nehril, à le sortir de ce piège mortel, il l'observa quelques instants avant de secouer la tête.

Le laisser vivre ne vaut pas mieux. Il a beau l'air de ne souffrir que du manque d'eau, il est mourant. Sa peau ne brûle pas comme la nôtre. détailla Ylas aux pâles compagnons de l'expédition. Si nous lui donnons de l'eau, il risque de la recracher et vomir. On y gagnera juste un cadavre et un gâchis d'eau. Lilyanna sauriez vous demander à son Souffle en peine l raison de sa présence ici avant de l'accompagner dans la demeure de la Déesse de la Mort ?

Observant d’un oeil morne le demi-elfe se démener pour sortir le zurthan du sable, Lilyanna se demanda d’où venait ce soudain élan de clémence, clémence inconsidérée au vu de leur situation.

« Je peux apprendre ce qu’il sait sans avoir à… user d’eau. » Elle avait voulu dire gaspiller mais elle préférait éviter que Nehril le prenne mal. « Une gorgée ne suffira pas. »

L’hybride secoua lentement la tête. Elle pouvait comprendre l’envie de sauver une vie, c’était même louable, peut-être moins pour une nécromancienne que pour quelqu’un d’autre mais tout de même, cependant ils devaient penser à eux avant tout et cet inconnu mourant les mettaient en danger. Alors elle hocha la tête aux dires d’Ylas.

« Comme le dit Ylas s’il ne sait rien nous aurons tout simplement gâché de l’eau et comme vous le savez très bien nous n’en avons trop peu alors il vaut mieux l’achever plutôt que de le laisser à une lente agonie. » Elle se décida à finalement s’approcher du zurthan, restant à quelques pas, laissant son regard parcourir les tatouages. « Et oui, je peux… poser des questions à son Souffle mais pas avant un certain temps. »

Ce n’était pas vraiment ainsi que ça marchait mais elle n’avait pas vraiment envie de rentrer dans les détails maintenant alors qu’ils avaient encore tant de route à faire. Le zurthan leur faisait suffisamment perdre de temps comme ça, inutile d’en perdre davantage. Les doigts de la nécromancienne vinrent s’enrouler autour de la poignée de sa dague sacrificielle pour la sortir cérémonieusement avant de s’approcher du mourant sans regarder Nehril. Lilyanna s’agenouilla à son côté avant de murmurer une prière en nissétien et de planter la lame dans le cœur de sa victime. Elle répéta sa prière pour en appeler à l’Unique afin qu’Il lui accorde une fraction de son pouvoir. Les yeux fermés, la main tenant l’arme se positionna sur le pommeau de cette dernière tandis que sa dextre vint se placer sur son front, ses lèvres s’animant pour répéter les mêmes phrases, encore et encore. Puis les mains de la spirite se levèrent pour accompagner la sortie du Souffle. La petite boule de lumière jaune s’éleva en même temps que lesdites mains, restant entre ces dernières. Une nouvelle prière s’éleva de la bouche de la prêtresse. Ce qu’elle s’apprêtait à faire était un exercice qu’elle avait fait tant de fois qu’elle le faisait presque automatiquement, sans réellement y penser, le nombre de personnes prêtes à payer, souvent très bien, pour qu’un mage leur révèle ce que pensait ou voulait un proche décédé était bien plus important que l’on ne pouvait penser. Beaucoup lui demandaient également d’adresser un dernier message aux morts, parfois une marque d’affection, parfois une insulte, mais peu importait le contenu du message : lorsque la spirite leur confirma avoir transféré le message, c’était un mensonge. En effet elle ne pouvait pas communiquer avec les Souffles, seulement les lires. Peut-être existait-il quelque part un rituel qui le lui permettait mais celui-ci lui était inconnu.

Le Souffle se mit à vibrer entre ses mains puis à trembler tandis que les mots sortis de la bouche de Lilyanna changeaient une nouvelle fois alors qu’elle entamait une troisième prière, la répétant encore et encore. De la boule de lumière jaune vif qui tremblait entre ses mains, des éclats se détachèrent, se désintégrant petit à petit, disparaissant juste avant de toucher le sol. La couleur révélée par la disparition de ces éclats n’était plus jaune mais fluctuante, passant d’un bleu sombre à un à un rouge agressif en passant par un blanc total. Mais ce n’était pas le seul changement, sous la carapace se désagrégeant, le Souffle changeait également de forme ; la surface colorée de la sphère s’agitait de remous, parfois des pics de couleur apparaissaient comme si ledit Souffle tentait de se défendre, sans succès.

Entre ses mains il se désagrégea un peu plus avant d’être complétement mis à nu. La main droite de la nécromancienne trembla pendant une seconde avant de s’éloigner brusquement de la boule de lumière, prenant avec elle un fragment du Souffle. Le gros dudit Souffle descendit jusqu’à la dague de la nécromancienne. Entonnant une nouvelle prière, Lilyanna entreprit d’enchaîner le Souffle à l’arme tandis que le fragment désolidarisé quelques instants plus tôt descendit plus lentement, longeant l’acier de la lame pour s’immiscer dans le cadavre. L’hybride rouvrit les yeux après avoir terminé une dernière prière et sa main gauche attrapa sa dague sacrificielle pour la retirer lentement avant d’en essuyer le sang sur les vêtements du zurthan et de la ranger. Elle se leva ensuite, reprenant une vieille prière pour terminer son rituel. Le corps fit pris de soubresauts qui tournèrent vite en convulsion de plus en plus violentes au fur et à mesure que les paroles s’échappaient de ses lèvres. Enfin le cadavre devint brusquement immobile, comme une marionnette dont on venait de couper les fils puis, comme pris d’un second souffle, le zurthan se releva et tenta de se jeter sur Lilyanna avant d’être arrêté net et de baisser les bras le long de son corps alors que sa tête tomba en avant jusqu’à ce que son menton touche sa poitrine.

« Reprenons notre route. »

Ajoutant le geste à la parole, Lilyanna et sa nouvelle goule repartirent sous la douce lumière du Flambeau d’Aluthen.

Légèrement à l’écart, le mercenaire observait impassiblement le rituel de Lilyanna. Il ne tressaillit pas lorsque la lame plongea impitoyablement dans le corps du pauvre homme. Ses yeux ne se détournèrent pas du visage qui se détendait progressivement alors que l'étincelle de vie le quittait. Il ne put toutefois s’empêcher de penser qu’ils avaient décidé bien hâtivement du sort de cet homme. Quelles informations ce dernier possédait-il sur ces lieux ? Avaient-ils le droit de manipuler de la sorte ce qu’il lui restait de vie ?

Le semi-elfe ne savait quoi penser de cet acte. Son côté pragmatique et insensible lui dictait que cela restait la meilleurs solution : il s’agissait d’un acte miséricordieux envers une âme qui souffrait. Qui plus est, il n’était guère plus qu’un homme de main recruté pour assurer la sécurité de Lilyanna. Gaspiller ainsi leurs réserves de nourritures et d’eaux aurait été mis en péril la survie du groupe.
Mais une autre voix, plus ténue, plus faible, résonnant sans cesse dans son esprit, lui susurrer que ce qu’ils avaient fait n’était rien de moins qu’un meurtre froid et cruel.

La main sur son arme, Nehril s’avança d’un pas lorsque le corps se mit à tressauter. Il fut en quelques instants aux côtés de Lilyanna, son regard froid s’attardant longuement sur la nécromancienne et sur le cadavre. Quand celle-ci leur fit signe de se remettre en route, Nehril hocha la tête en reprenant sa position à l’arrière du groupe. Il tapota amicalement l’épaule d’Ylas en chemin et rajusta son épée sur son dos. Il ne jeta pas un nouveau coup d’œil vers le cadavre de l’homme.

La voix dans sa tête s’était tue.