[fernel] - Bonjour monsieur (Aaron)

Les choses avaient bien changées au château de Fernel. Des travaux étaient en cours, certes, mais il n'y avait pas que cela. Elezar avait pris une place que l'on pouvait presque qualifier d'intendant. Aaron était passé de second Conseiller temporaire à unique Conseiller de la Dame Louise. Et puis, il y avait sa garde-robe, fraîchement remanié avec l'aide de la jeune femme. Lui n'y tenait pas vraiment mais elle avait insisté. S'il devait rester, il valait mieux qu'il ait la tête de l'emploi au lieu de toujours ressembler à un mercenaire près à reprendre la route. Il avait donc céder sa veste en cuir, sa chemise blanche et son pantalon épais contre un ensemble mieux assorti et de meilleure facture, choisi par la demoiselle. Il faisait également un peu plus attention à sa coiffure et à la taille de sa barbe afin de paraître plus soigné. Cela faisait longtemps qu'il n'avait autant pris soin de lui...

Ce matin-là, Aaron s'était rendu dans la cours pour discuter avec les maîtres artisans. Même s'il avait toute confiance dans les compétences de son enfant, il continuait à s'assurer que tout se déroulait pour le mieux. Les retards n'étaient pas vraiment un problème mais il fallait surtout s'assurer que les travaux étaient conformes aux plans. Passant près d'un jeune tailleur de pierre, il s'arrêta, quelque peu interloqué.

-C'est le contre-poids du monte-charge ?
-Yep, m'sire.
-Il me semble un peu volumineux, non ?
-J'fais qu'respecter les m'sures d'vot' fils moi. Dit-il avec dédain, n'acceptant visiblement pas qu'un adolescent dise à un homme qui avait le double de son âge ce qu'il devait faire.
-Je peux voir ? Demanda Aaron en tendant une main vers l'artisan.

Ce dernier râla mais s'exécuta et un morceau de parchemin plié atterrit entre ses doigts sans la moindre délicatesse. Devant le gaillard quelque peu agacé qu'on ait à redire à son travail, le Conseiller déplia le bout de papier et consulta les notes et calculs d'Efren. Si le contenu était assez nébuleux pour lui, tout ce qui l'intéressait, c'était le résultat.

-Qu'avez-vous pris comme unité de mesure ?
-Des paumes, comme c'est marqué !
-Sauf que ce sont des pouces.
-Quoi ?...

Aaron retourna le parchemin, indiquant l'emplacement de l'unité qu'il aurait dû prendre.

-Ce sont des pouces. De plus, le contre-poids est à la même échelle que le monte-charge. Ce bloc est trois fois plus imposant que celui sur ce papier.

L'artisan, bien qu'en colère, ne pouvait que regarder encore et encore ce qui se trouvait sous ses yeux et constater sa propre erreur. Alors il ne répondit rien, et ce malgré la réprimande plutôt légère du Conseiller. Il s'était déjà fait engueuler pour moins que ça. Railler aussi. Mais là, le type se contentait juste de lui dire qu'il avait tort. Il lui reprit le plan un peu brusquement et finit par marmonner deux trois mots pour signifier qu'il allait recommencer avant de se détourner du quarantenaire.
Ce fut à ce moment-là qu'on alpagua ce dernier et l'interpellé se retourna pour découvrir une silhouette qu'il n'avait fait qu'entrapercevoir de très loin depuis son arrivée.

-Messire Claude. Fit-il en le voyant.

Son prénom, il l'avait obtenu de la jeune Anaëlle mais elle n'avait guère voulu lui en dire plus. Le simple fait de la questionner l'avait mise en panique et il avait bien vite renoncé à en savoir plus afin de ne pas l'effrayer davantage. Il ne lui avait certes jamais fait le moindre mal mais il n'en demeurait pas moins un homme d'un certain âge. Sans doute lui rappelait-il un peu Geoffroy, aussi ne cherchait-il pas insister lorsqu'il voyait qu'il la mettait dans une situation inconfortable.

-A vrai dire, Messire Redinem et moi-même n'occupons pas les mêmes fonctions donc on ne nous sollicite pas sur les mêmes sujets mais si je peux vous répondre, je le ferais. Le tailleur de pierre reprenant son ouvrage, Aaron s'en éloigna, tant pour le bruit que pour les éclats qu'il risquerait de se prendre après l'avoir passablement énervé. En quoi puis-je vous aider ?

Aaron écouta le récit de celui qui était en réalité le frère de Louise. Il se retint d'hausser les sourcils lorsqu'il se présenta comme un humble herboriste et il ne put qu'avoir une pensée pour Elezar. S'il ne voulait pas se mêler de ce qui ne le regardait pas, c'était le prendre pour un idiot que vouloir lui faire croire que le vieil homme n'était qu'un simple parfumeur. Un homme qui marchait dans les ombres et qui était capable de torturer quelqu'un durant une nuit entière n'était pas un citoyen ordinaire. Alors lui faire croire que son fils n'était qu'un petit artisan, c'était comme tenter de lui faire avaler une couleuvre... Fort heureusement, Dante ne semblait pas l'entendre ainsi et remarqua lui-même que le fait qu'il utilise un autre nom pour voyager signifiait qu'il n'était pas ce qu'il prétendait. C'était assez bien joué s'il ne voulait pas que leur relation commence sur de mauvaises bases.
Cependant, le Conseiller se retrouva quelque peu ennuyé par sa requête. Il souhaitait vraisemblablement qu'il l'aide à se rabibocher avec sa sœur mais il avait frappé à la mauvaise porte. Aaron entreprit donc de lui expliquer sa position avec le calme qui le caractérisait, s'assurant que personne de pouvait les entendre.

-Je suis désolé, je crains de ne pas pouvoir vous aider. Je ne sais pas ce que Louise attendait de vous et j'ignore même pourquoi elle vous a rejeté en découvrant votre identité. J'ai quelques idées potentielles sur ce qui aurait pu lui déplaire mais, sans en avoir discuté avec elle, je risquerai de vous envoyer vers une fausse piste. Sans compter que je ne suis pas certain qu'elle apprécierait que je me mêle de vos histoires de famille.

Aaron croisa les bras en entendant que l'objet de la dispute entre le frère et la sœur le concernait aussi. Il imaginait mal un estrevin désapprouver leur relation, aussi chaste soit-elle. Les classes sociales n'étaient pas un obstacle dans le pays du soleil car on savait que même un bouseux pouvait mériter sa place en haut lieu si on lui donnait la chance de montrer ses talents. Tout était affaire de capacités et non de sang et de titres car, même si ces derniers jouaient un rôle, ils pouvaient s'hériter comme s'acquérir. Une ancienne mendiante n'était-elle pas Princesse Marchande à l'heure actuelle ?
Dante ne fit pas plus de mystère quant au sujet qui le chagrinait et il semblait évident que Louise ne lui avait pas fait part de la situation qui entourait l'exécution de Geoffroy. Peut-être n'en avait-elle pas eu le temps. Ou peut-être son frère avait mal amené le sujet. Il semblait en effet convaincu que cette attente était volontaire de la part de sa sœur, ce qui était totalement faux.

-Ce sera forcément un mauvais moment à passer pour Louise. Quelque soit son ressentiment à l'égard des traitres, elle sera responsable de la mort d'êtres vivants car c'est elle qui a prononcé leur sentence. C'est un véritable fardeau qu'elle s'apprête à porter. Pourtant, je pense qu'elle a conscience d'avoir besoin que cette étape soit passée pour pouvoir reprendre pleinement sa vie, elle mais aussi son peuple. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la raison pour laquelle l'exécution n'a pas eu lieue.

Aaron marqua une pause. Il s'apprêtait à expliquer à un étranger comment les choses fonctionnaient en Péninsule. Certes, le sujet commençait à devenir pesant pour tout le monde, d'autant que l’échafaud avait été construit spécifiquement pour cette sentence mais la situation n'avait rien d'inhabituelle en réalité. Mais comment lui expliquer la choses simplement ? Il préféra ne pas entrer dans les détails mais simplement lui exposer la situation dans son ensemble.

-Dans ce pays, les exécutions sont des actes très officiels et codifiés, surtout lorsqu'il s'agit d'un noble. On ne procède pas à la mise à mort de quelqu'un comme on veut, quand on veut. Certaines personnes doivent être présentes, certains Seigneurs, de même que certains cultes. Il faut convier tout ce petit monde à se déplacer, attendre leur réponse, repousser l'échéance en cas d'empêchement de certains. Cela prend beaucoup de temps. Si nous avions pu, nous aurions réalisé les exécutions depuis longtemps pour pouvoir définitivement passer à autre chose et que le spectre de la trahison de Geoffroy et de ses complices ne plane plus au-dessus de nos têtes. Malheureusement, cela aurait été contraire au protocole et Louise serait passé pour faible, impulsive et irrespectueuse envers la tradition et les autorités compétentes en la matière.

Autant Elazar lui était plaisant par certains aspects et répugnant par d'autres, autant Dante ne lui inspirait pas les meilleurs sentiments. Et même s'il s'en cachait, affichant une mine courtoise et toujours légèrement souriante, il n'aimait guère la tournure de ses phrases et les sous-entendus qu'elles renfermaient. Il se trouvait dans un autre pays, il était normal que les codes qu'il côtoyait soient différents. Il avait eu cette même sensation en Ithri'Vaan, un pays auquel il ne s'était pas vraiment habitué d'ailleurs. Pour autant, il n'en avait pas tenu rigueur aux locaux et avaient laisser leurs coutumes se faire sans émettre d'avis ou de jugement.

-Geoffroy reste un noble. Même emprisonné, il a le droit à quelques égards. Les choses sont ainsi faites ici. Répondit calmement le Conseiller.

Dante aborda la question des travaux en cours et s'inquiéta de la sécurité de la région avant de proposer son aide. Les assassinats étaient moins courants que les batailles chez les Nordistes mais rien n'était jamais acquis, hélas. Il ne pouvait difficilement refuser son avis puisqu'il le proposait.

-Aucune attaques en prévision, non, mais les manigances de Geoffroy ont montré certains failles. A commencer par le fait qu'il n'y a tout simplement pas assez de soldats à Fernel pour protéger le château et le domaine en même temps. Et pas assez d'habitants pour nous priver de plus de main d'oeuvre par un recrutement. Nous aménageons donc les défenses du château afin qu'il soit défendable par un effectif plus réduit et créer ainsi une patrouille qui circulera régulièrement sur les terres. Nous envisageons aussi de prendre quelques chevaliers en renfort. Quant à votre expertise, elle sera la bienvenue mais je ne suis pas le maître d'oeuvre. Celui qui se cache derrière ces plans n'est autre que mon fils, Efren. Aaron jeta un œil autour de lui mais ne trouva pas l'intéressé. J'ignore où il se trouve pour le moment mais vous le reconnaîtrez facilement si vous le croisez. C'est le jeune homme roux avec un bandeau sur les yeux.