Il n'y a ni lieu ni heure pour rencontrer ses voisins ~ Louise et Clémence

Louise lève un nez légèrement rosi vers le ciel, observant le temple avec un intérêt non feint. Les grandes fenêtres, les pierres claires, la largeur du bâtiment, ce bel escalier grâce auquel les fidèles peuvent se rendre à l’intérieur, tout cela est très beau, évidemment, et elle apprécie grandement l’opportunité qui lui est offerte de pouvoir visiter un tel édifice sur sa longue route vers Papincourt. La châtelaine a un sourire. Tout petit.

- Il y a quelques points communs en effet, les monuments à la gloire de la déesse ont tous des similitudes. Je n’ai jamais visité celui de Serramire, le croyez-vous ?

Louise esquisse un sourire en demi-teinte. Non. Elle n’a jamais pu le visiter car les rares fois où elle aurait pu le faire, elle était soit accompagnée de ses parents qui avaient bien d’autres choses à faire, soit…Le visage d’un palefrenier en bel habit fit irruption dans ses souvenirs, chassant son sourire. Son dernier séjour en la capitale du Duché a été une véritable humiliation pour la châtelaine. Le Duc n’avait pas annoncé son identité, se jouant de la jeune femme avant de proprement la réexpédier d’où elle venait sans lui offrir ce qu’elle était venue demander : un soutien. Au-delà de l’humiliant moment où Sa Grâce avait souri avant de s’en aller, cela n’était pas sans lui rappeler qu’un autre était entré dans sa vie en proposant son aide, à ce moment là. Un autre qui lui a également tourné le dos. Un trouble est visible, de la part d’Andran et de Clémence. Un trouble qu’elle dissimule aussitôt sous un sourire aimable.

- J’irai peut-être un jour, pour faire une réelle comparaison.  Je préfère donc entrer, mes hommes ont besoin de prier pour les leurs.

Louise se tourne vers son escorte. Ils opinent tous de la tête avant de grimper les marches, en silence, un silence que rompt la châtelaine pour répondre à Clémence.

- Je reviendrai aux beaux jours, pour voir cela.

Les membres de l’escorte de Louise marchent tout en se jetant des regards de biais. Enguerrand fronce les sourcils, ne dit rien et observe sa Dame, avec un soupçon d’inquiétude.

A l’intérieur, les hommes se dirigent vers des bancs pour prier. Ce que ne fait pas Louise. Non. Elle est ici à titre exclusivement informatif et consensuel. Tout cela n’éveille en elle qu’un intérêt purement « touristique », rien de plus. La vérité est qu’elle a perdu toute sa foi en la DameDieu, qui l’a si sévèrement malmenée ces dernières ennéades qu’elle a désormais tourné ses prières vers d’autres. Elle reste pourtant parfaitement polie, discrète et respectueuse des prières de ses hommes, s’éloignant pour ne pas entendre ce qui ne lui est pas adressé. Elle avance donc, entre les colonnes, touchant les pierres du bout des doigts, pensive et triste. Elle peut bien se permettre un petit moment de solitude, près des myriades de bougies qui éclairent un coin du temple.

Que fait-il ? Où est-il ? Il devrait être là. Et il ne l’est pas. Alors, une ombre se rappelle à elle, juste dans son dos, murmurant à son oreille des paroles qui l’empêchent de perdre contenance. Une ombre aux yeux vairons.

- Une louve ne pleure pas.

Elle passe sa main droite sur son bras gauche, grimaçant légèrement à cause d’une douleur tenace, puis inspire et expire profondément. Elle n’a rien à faire ici. Néera l’a abandonnée, comme tous les autres en qui elle a eu confiance. Son visage se ferme en un instant avant qu’elle ne renifle avec dédain. Réajustant sa cape, elle se dirige à nouveau vers Andran et Clémence, affichant en un instant un sourire poli.

- C’est vraiment très beau. Je vous remercie d’avoir bien voulu nous y conduire. Je vais attendre mon escorte sur le parvis. J’ai déjà dit tout ce que j’avais à dire à la dame. Je ne voudrais pas vous retenir davantage, Messire, Demoiselle…C’est déjà fort aimable à vous d’avoir bien voulu prendre de votre temps afin de nous faire découvrir cet endroit…

Dit ainsi, cela ressemble à une fuite. Ce qui n’est pas loin d’être le cas. Si elle a des griefs envers la déesse, ce n’est pas une raison pour priver les autres d’un réconfort, aussi factice soit-il. Alors elle se dirige vers la sortie, le plus calmement du monde.

Les visiteurs et leur guide de circonstance ne tardèrent pas à entrer à l'intérieur du Temple, dans lequel la chaleur n'était pas réellement plus présente. La grandeur du bâtiment et de ses pièces les rendait plus difficile à chauffer, cela n'entravant pourtant pas l'aura mystique dégagée par les lieux. Andran ne cachait pas son étonnement après que Louise lui confiât n'avoir jamais visité le Grand-Temple de Néera de Serramire. Tant pour le pèlerinage que par piété personnelle, lui-même ne manquait jamais une occasion de s'adresser à la DameDieu. Bien que cela ne se ressentait pas toujours à l'extérieur de son cadre intime, la Déesse dominait sa vie autant qu'Othar. Dans tous ses voyages, et les Cinq seuls savent qu'ils furent nombreux, il n'a que rarement omis de se réfugier dans leurs temples.

« J'irai bien assez tôt pour me faire mon propre avis. » répondit-il en gloussant. Non pas qu'il souhaitait ardemment faire ce voyage, lui qui mystifiait Sainte-Deina depuis sa première visite, mais simplement parce qu'il n'y couperait pas s'il était amené à se rendre à Serramire. « Mais, durant les beaux jours comme durant les plus froids, cet endroit reste agréable et protecteur. »

Andran suivit du regard l'escorte si discrète de Louise s'installant pour s'adresser à la DameDieu, non sans cacher un amusement bienveillant. En ce qui le concerne, il ne ressentait pas le besoin de s'adresser à elle, se satisfaisant de ses prières régulières pour ne pas paraître trop exigeant envers la Mère. Clémence avait été convertie de force, même si elle n'aurait jamais échappé à la règle pour pouvoir vivre avec son chevalier. Aujourd'hui, elle était plus spirituelle et elle semblait apprécier l'être, ce qui réjouissant Andran qui partageait ses instants religieux avec elle. Ses frères, quant à eux, n'étaient pas des fidèles pectines et donc ne priaient certainement jamais. De loin, le chevalier observait l'escorte de Louise comme un prêtre satisfait de les avoir convaincu de prier pour soulager leur Souffle, jusqu'à ce que Louise fit preuve de plus d'empressement.

Le berthildois plissa un œil, arquant le sourcil opposé, interrogatif devant son départ presque précipité du temple, incapable de lui adresser quelques mots. Sa bouche dessina plusieurs grimaces toutes aussi interrogatives car il en arriva à se demander s'il n'avait pas commis une maladresse envers elle. Lui, ou Clémence, d'ailleurs, pour peu que cela changeait quelque chose. Le chevalier était figé, les yeux se portant sur l'escorte de la Dame de Fernel, puis sur sa compagne, haussant les épaules d'un air incompréhensif et hésitant. Il était rare de voir une personne réagir aussi étrangement dans un édifice aussi rassurant, mais le chevalier ne voulait pas interrompre cette séance de prière pour ceux qui voulaient parler à la DameDieu. Il s'agissait d'une règle élémentaire.

Il attendit que tout le monde ait terminé pour annoncer que Louise était sortie, Andran n'étant pas assez intime avec elle pour lui demander des comptes, si ce n'est même qu'elle ne lui en devait. Nul doute que ses hommes en sauraient plus, même si cela ne saurait apaiser l'étonnement du chevalier. La plupart du temps, les gens se précipitaient vers la DameDieu plutôt que de l'esquiver. Du moins c'est ce qu'il voyait très souvent, pour ne pas dire quasiment tout le temps.

« Je n'ai pas compris sa réaction… » avoua Andran à Clémence, le ton et le regard toujours hésitant. « Ai-je commis une maladresse ? » demanda-t-il alors, lui qui en avait déjà commis une avec la jeune femme. Il préférait s'assurer ne pas être la cause de ce léger remous.

Clémence avait ouvert la bouche et avait hésité mais, finalement, ses lèvres s'étaient de nouveau scellées, laissant la Dame de Fernel s'esquiver. Elle l'observa s'éloigner sans un mot et son regard à la fin interrogateur et inquiet croisa celui de son compagnon. Son attitude était vraiment étrange mais, à la réflexion, ce n'était pas la première fois que le comportement de Louise la chiffonnait. Elle avait l'impression de comprendre seulement maintenant... sans pour autant connaître la raison profonde qui l'animait.

Le couple attendit que les Hadjaoui fassent le tour du lieu, plus intéressés par l'architecture et le décorum que par la valeur spirituelle du lieu. Ils n'étaient pas néérites ni pentiens. Ils croyaient en différents Dieux mais sans en prier aucun. Ou si rarement... Du temps où il était gladiateur, Aimé avait quelques mots pour Othar avant d'entrer dans l'arène mais il était facile de comprendre que ce n'était pas sa divinité de prédilection.

Finalement, le groupe se forma de nouveau à mesure que les soldats achevaient leurs prières et que les estrevins finissaient leur tour des lieux. Andran fut contraint d'expliquer la disparition de Louise puis il questionna Clémence, cherchant à comprendre ce qu'il aurait pu mal faire. La belle métisse se fit songeuse et soucieuse à la fois.

-Je ne crois pas que ce soit ce que nous avons pu dire ou non... Dit-elle finalement. Elle ne vous semble pas... distante avec nous ? Je veux dire, elle fait preuve de respect mais elle semble plutôt froide. Le moment où elle m'a semble le plus chaleureuse, c'est quant elle a répondu à la question d'Aimé tout à l'heure. Elle me donne plutôt l'impression d'être... blessée.

Elle se tourna alors vers l'homme avec lequel la Dame avait échangé tant de regards depuis leur rencontre. Des regards qui semblaient davantage dû au rang qu'il occupait aux côtés de sa maîtresse qu'à un lien véritablement intime.

-Je me trompe ? Questionna-t-elle alors que son ton laissait entendre qu'elle comprendrait s'il ne pouvait pas lui répondre.

L’homme en question est son maître d’armes. Un serviteur loyal qui a vu tous les événements de Fernel depuis tant d’années…Le grand homme doit avoir à peu près une quarantaine d’années, il est digne et il se dégage de lui une certaine prestance, une distinction discrète qui en fait une personne appréciée à la fois de ses compagnons d’armes et de sa Dame. Lui aussi a suivi du regard le départ de la châtelaine, sans en être surpris. Le fait que leurs hôtes posent des questions était pratiquement inévitable et il prend le temps de répondre, regardant d’abord la sortie puis Andran et Clémence, pour répondre d’une voix posée et grave :

- Votre clairvoyance est admirable, dame. Dame Louise a en effet traversé bien des épreuves ces derniers mois. Le décès de son dernier parent vivant, sa mère, Dame Elisabeth de Paville. Elle a du faire face et déjouer un complot vieux de plusieurs années, qui avait pour but de la priver de sa seigneurie. Elle a toujours vécu protégée de tout et elle a été obligée de prendre brutalement sa place sur le devant de la scène, si je puis dire…Elle a fait exécuter sans faiblir des personnes qui avaient toute sa confiance et qui l’ont trahie.

Le souvenir du corps de Sylvie se balançant dans le vent, suspendu au gibet dressé dans la cour intérieure du château pour l’occasion se rappelle à lui. Tout autant que le corps de Geoffroy de Hansfelt, le traître ignoble qui voulait en faire son épouse. Un homme aux apparences respectables mais aux mœurs dépravés et abjects.

- Elle est jeune, elle a donné sa confiance facilement et elle en a payé le prix. Elle le paye toujours, d’ailleurs.

Lui aussi est au courant de ses déconvenues avec les hommes. Il faisait partie de son escorte quand elle a pris la route vers Serramire pour rencontrer le Duc. Il était là quand elle est revenue à l’auberge, les traits pâles et tirés, digérant une humiliation cinglante qui la hante encore. Il était là aussi quand il a vu ce grand homme qui a à peu près son âge se rapprocher de la châtelaine, il a vu les regards qu’elle lui lançait, ses tentatives affectueuses d’être jolie pour Aaron qui a disparu du jour au lendemain. Et il était là quand ses pleurs ont résonné dans tous les couloirs du château, jusqu’à ce qu’ils se taisent et qu’elle prenne la décision invraisemblable de chevaucher jusqu’à Papincourt, d’apprendre à manier les armes et à se battre, sans relâche, pratiquement tous les soirs. Un fin sourire apparaît sur le visage plein de bonté d’Enguerrand, tandis qu’il ajoute :

- Mais je ne suis pas inquiet. Dame Louise n’est pas une dame comme les autres. Elle a été blessée, oui, mais elle se relève. Elle apprend. Et elle avance. Je suis très fier de chevaucher avec elle.

Les autres hommes acquiescent en silence, faisant bloc derrière Enguerrand.

- J’ai prié la DameDieu de lui accorder un peu de paix et le soulagement des souffrances qu’elle ne montre pas. Tout ceci est très récent, je vous parle de faits dont les derniers se sont produits il y a une ou deux ennéades, pas plus. Elle n’a pas voulu être impolie, ni distante vis-à-vis de vous, seigneur, dame, je pense simplement qu’elle a des griefs envers notre Mère et…qu’elle ne parvient pas à les exprimer. Tout cela prendra du temps, je présume…

Enguerrand ajuste sa cape et sourit aimablement, visiblement ravi d’être là, en si bonne compagnie.

- Je vous remercie d’avoir pris un peu de votre temps pour nous mener ici. Prier nous a tous apporté de la joie, et c’est un peu à vous que nous la devons, seigneur, dame ! Je m'appelle Enguerrand Lagarde, pour vous servir.

Clémence rassura son compagnon, qui affaissa les épaules, rassuré de savoir qu'il n'avait pas commis d'impair. Un mot, une phrase, ou même une intonation pouvait susciter des réactions impulsives lorsqu'une personne était encore troublée par des évènements récents. En l'occurrence, ils étaient tous frais pour ce qui concerne Louise, et ce qu'elle semblait avoir vécu à Fernel. Comme il s'agit d'une petite seigneurie dont le lien féodal ne s'inscrit pas dans la lignée des Saint-Aimé, ils n'étaient pas parvenus jusqu'ici. Pourtant, ce genre d'évènements violents avaient souvent tendance à traverser les frontières. Mais, Andran pouvait mieux comprendre les raisons pour laquelle Louise paraissait distante, même si, dans la même situation, il aurait sûrement cherché refuge auprès de Néera plutôt que de lui tourner le dos.

« Elle est jeune : elle a du temps pour se relever de tout ces évènements. Tant qu'elle a votre soutien, il n'y a aucune raison qu'elle n'y parvienne pas. » dit le chevalier à Enguerrand. Pour avoir également vécu des évènements tragiques, il savait d'expérience que le soutien de ses proches était le meilleur moyen de relever la tête. « Espérons au moins que cette journée lui ait donné quelques espoirs sur ses semblables. »

La noblesse était jonchée de parasites et de serpents, Andran ne pouvait le nier. Son propre mentor en avait été un, avant qu'il ne l'arrête dans la douleur et l'incrédulité. Mais, autour d'eux se trouvaient des personnes bienveillantes, appréciables et honorables. Andran en avait rencontré de tout type, du seigneur louable au génie militaire ou du souverain bienveillant à l'écoute de son peuple. Il était sûrement trop tôt pour savoir ce que deviendrait Louise en tant que souveraine de ses terres, mais elle était si agréable avec Clémence. Comment l'imaginer différente avec ses propres sujets ?

« Ce fut un plaisir, Enguerrand. Après tout, je crois que nous en avions besoin également pour nous changer les idées. » répondit Andran avec un sourire. Il regarda Clémence ainsi que ses frères, pensant et espérant qu'ils partageaient son avis. « Si tout le monde en a terminé ici, nous ferions mieux de rejoindre Dame Louise à l'extérieur. »

D'un geste accueillant, Andran convia Clémence et ses frères, ainsi que les gardes de Fernel à sortir du Temple. Le crépuscule s'approchait dangereusement, ces diverses conversations ayant occulté le temps qui passe. Le chevalier ne savait pas si elle serait ravie de savoir qu'Enguerrand ait évoqué les évènements récents, même si elle en aurait certainement parlé s'il lui avait posé la question.

« Tout le monde a terminé ses prières, Dame Louise. Je crains hélas que cette visite ne soit la seule que nous pourrons vous offrir pour aujourd'hui. » annonça-t-il en inclinant légèrement la tête. Il lui adressa un léger sourire. « J'espère au moins qu'elle ait pu vous détendre avant votre longue périple. Il est plus aisé de voyager l'esprit plus tranquille. »

Bien que Clémence ait du mal à comprendre la vie de noble et tout ce qu'elle impliquait, ce que décrit son garde ne manqua pas de la toucher malgré tout et elle eut un regard en direction de la grande par laquelle la Dame avait disparu. Elle ressentait de la compassion pour elle. Elle savait ce que c'était que de perdre un parent mais elle ne saurait imaginer ce que c'était que d'être trahie par les siens. Elle pensait à ses frères et sœurs et même à Andran mais elle ne saurait concevoir une telle chose. Alors le vivre vraiment... Elle aurait voulu pouvoir l'aider mais elle ignorait comment.

L'Inquisiteur invita tout le monde à ressortir et la belle métisse prit le bras qui lui était offert. Ils retrouvèrent Louise dehors et l'estrevine n'osa pas ouvrir la bouche. Elle essayait de réfléchir à toute vitesse à une façon de lui apporter plus de douceurs que la Damedieu ne semblait pouvoir le faire avec elle. Son regard oscilla entre la Dame et Enguerrand qui se trouvait près d'elle mais elle ne parvint pas à trouver quoi faire ou quoi dire. Et puis, finalement, quelque chose lui vint en tête.

-Nous allons vous raccompagner afin que vous rentriez avant la nuit. Dit-elle d'une voix paisible et un sourire amical mais sans laisser au petit groupe la possibilité de refuser. Dans quelle auberge êtes-vous ?

Lorsqu'ils eurent la réponse, elle attira discrètement Andran afin qu'ils reprennent la tête du petit groupe afin de les guider. Ils pouvaient ne pas se laisser raccompagner jusqu'au bout mais Clémence aurait au moins l'information qu'elle voulait : leur lieu de résidence.

Louise avait attendu patiemment, dehors, tout en haut des escaliers, en marchant en silence. Au moins, de là où elle se trouve, elle a une vue imprenable sur la cité et ses alentours, et ce paysage aide à son apaisement. La châtelaine n’est pas une demoiselle difficile à contenter. C’est une dame du Nord, attachée à ses terres, à la beauté de la nature et attentive au spectacle constant qu’offre les paysages qu’elle traverse chaque jour. De plus, elle a ainsi eu l’occasion de profiter d’un peu de solitude, chose qui ne risque pas de se reproduire de sitôt, tout au long de son périple vers Papincourt.

Seule, elle a pu au moins remettre un peu d’ordre dans ses pensées, des pensées toute entières tournées vers son domaine, vers ses chevaux, vers lui. Encore. A nouveau un pli froisse son front ordinairement lisse, elle secoue la tête.

La vision d’un si beau paysage ne suffit pas. Partout où elle regarde, elle s’attend à le voir surgir. Elle approche du bord de la plus haute marche, observant l’horizon. Puis finit par se mordre la lèvre. Elle se rappelle à quel point sa mère affectionnait se poser de la sorte à la fenêtre de sa chambre, le regard dirigé vers le sud, attendant le retour hypothétique d’un homme aimé entre tous et qu’elle n’a jamais revu. La comparaison, la similitude lui étreint la gorge. Affreusement. Il lui faudra tout l’empire qu’elle possède sur ses émotions pour recomposer un visage affable et doux pour tous ceux qu’elle a laissé dans le Temple et qui la rejoignent à l’instant.

Elle se tourne vers le petit groupe, polie et aimable. Même si tout ce à quoi elle aspire, en cet instant précis, c’est le réconfort et la certitude d’une consolation donnée par un vif échange avec son maître d’arme suivi d’une carafe de vin. Le lourd sommeil instillé par l’alcool l’aidera, comme depuis quelques jours, à ne plus se réveiller en sueur ou en larmes.

- Je vous en prie, Andran, vous avez été un hôte admirable, j’ai eu grand plaisir à visiter le temple et la ville en votre compagnie à tous.

Elle incline poliment la tête avant de passer sa main droite sur son bras gauche tout en regardant Clémence qui offre de les raccompagner.

- Nous demeurons à la Belle Poulaine, ce n’est pas très très loin de l’endroit où nous nous sommes rencontrés, Demoiselle. J’accepte volontiers votre offre.

Elle laisse le joli couple prendre les devants et suit, entourée de ses hommes, s’emmitouflant dans ses fourrures. C’est que la nuit tombe vite et avec elle le froid d’un hiver encore tenace.

Andran élargit son sourire jusqu'à dévoiler ses dents devant les compliments de Louise. Il acquiesça discrètement à la proposition de Clémence de les raccompagner, puisqu'il l'aurait certainement formulé si elle ne s'en était pas chargée. Rien n'assurait que Louise et son escorte retrouveraient leur chemin, et la nuit était suffisamment lointaine pour se permettre ce dernier geste accueillant et chaleureux, d'autant plus que le froid se faisait plus perçant.

« Je sais où se situe cette auberge. Elle n'est effectivement pas loin. Allons-y. »

Sur ces mots, le couple se donna la main et mena la marche, devançant l'escorte de Fernel ainsi que les deux frères de Clémence. Après toutes ces années vécues ici, Andran connaissait Cantharel comme sa poche, jusqu'au nom et la localisation exacte de toutes les auberges et boutiques prisées de la ville. Il s'y orientait parfaitement, et cela leur permit de ne pas interrompre le trajet et d'arriver rapidement à destination.

« Nous y voilà ! » déclara Andran en se tournant vers Louise et son escorte. « Comme promis, vous êtes revenus avant la tombée de la nuit. » reprit-il en adressant un clin d'œil et un sourire espiègle.

Les deux amoureux raccompagnèrent le groupe jusqu'à leur auberge grâce à Andran qui trouva l'établissement sans la moindre hésitation. Sa compagne, tant qu'elle, était un peu perdue le temps de retrouver les ruelles qu'ils avaient parcouru durant leurs emplettes et où ils avaient rencontré la Dame. Là, le chevalier fit un dernier trait d'humour et tout le monde échangea les politesses d'usage avant que les deux groupes ne se séparent.
Alors que son ami allait les conduire pour rentrer, Clémence le retint pour lui glisser quelques mots à l'oreille. Plutôt que de rentrer, l'Inquisiteur les ramena à la boulangerie de tantôt où ils passèrent commande. Un peu avant l'aube, on livrerait un lot de viennoiseries locales pour le petit déjeuner des fernellois. Quelque chose de savoureux et qui tenait au ventre sans pour autant l'alourdir. Le repas parfait pour des voyageurs. Un petit mot serait remis à Louise avec quelques lettres maladroitement manuscrites.

En espérant vous apporter un peu de réconfort.
Clémence Acciari