[Fernel] -une journée de repos (Louise)

fin deuxième ennéade de Karfias, an 18 du XIe cycle.
Chambre de Dante dans le château de Fernel.
En après-midi.

Ce qui est lassant quand on est "malade" C'est la panoplie de gens qui n'arrêtent pas de venir vous voir à toute heure du jour et de la nuit. Ce n'est qu'au matin, après une deuxième visite d'Elazar, que Dante a fini par se lever et verrouiller la porte, avant de se coucher devant, à son habitude. Alors seulement s'octroie t'il quelques heures de repos.

Il se réveille sur l'heure du midi, avec une dalle monstre. la Faim gronde dans son estomac, il devra bientôt se mettre en chasse... Mais Dante reste assez lucide pour préserver son appétit. Ca ne l'empêche pas de tirer une tronche de tout les diables quand il voit qu'on lui sert un putain de bouillon de poulet. Très clair... Il reste cependant cantonné à son rôle, remerciant la servante avant de refermer la porte derrière elle... Et de boire le tout d'une traite... Machouillant les légumes mous avec dédain mais ne rechignant pas sur la bouffe. Ensuite fouille t'il et déniche ses ultimes lichettes de viande de sa réserve personnelle. Les machouillant, il se met alors à faire les exercices nécessaires pour préserver sa souplesse et sa force, dans l'intimité de sa chambre à coucher surchauffée pour la majorité des gens, sauf pour lui.

Il a une journée de repos avant de retourner vadrouiller... Alors autant en profiter.

L'assassin est suspendu par les jambes au baldaquin, en train de faire ses redressements avec son paquetage pour faire travailler ses cuisses et ses bras, quand ca toque à la porte. Il l'a verrouillée, donc il est tranquille... L'Estreventin ne prend pas la peine de répondre. Si c'est un domestique, il va revenir plus tard et si c'est le vieux, il va passer par dessous.  

Sauf que ce n’est ni l’un ni l’autre. Un bruit de clé s’introduisant dans la serrure attirera probablement son attention. Le mécanisme s’enclenche, dans un tout petit clic, avant que la porte ne s’ouvre, révélant Louise. Pâle, les yeux cerclés de cernes, vêtue d’une robe de velours bleu, simplissime, les cheveux tressés et dans lesquels se mêlent des rubans bleu ciel. La châtelaine n’a pas dormi d’un sommeil réparateur, ses rêves étant hantés par des souvenirs heureux et d’autres qui le sont moins. Elle reste sur le pas de la porte et observe le spectacle, soupirant par le nez, avant de tout bonnement entrer, sans rien dire, et de fermer la porte, à nouveau à clé.

- Espèce de sauvage…Descends de là tu veux ? Tu vas te faire mal.

La châtelaine avance dans la pièce, les mains jointes sur le devant, sans sourire, les traits tirés, avant de poser un regard terne sur lui.

- Malade hein ? Pourquoi ai-je l’impression que tu n’es pas plus malade que moi, mh ?

Elle regarde ailleurs, silencieuse, un bref moment. A-t-il joué une comédie ? Certainement. Personne ne se remet d’une fièvre pareille en deux jours. On en sort toujours affaibli, on doit garder le lit et manger des bonnes choses pour se refaire une santé. On ne fait pas le pitre sur les barres transversales d’un baldaquin qui a probablement quatre fois son âge…

Elle le regarde à nouveau, hochant la tête

- Visiblement, je me suis inquiétée pour rien. Tout le monde s’est inquiété pour rien…

Louise passe une main sur son nez, faisant de son mieux pour garder son calme et une apparence digne.

- Je te laisse à tes…exercices. Le repas du soir est servi à 18h30. Sauf si tu veux manger dans ta chambre…vu que tu es en souffrance.

La châtelaine secoue la tête et s’éloigne déjà, cherchant la clé sur le trousseau, les sourcils froncés.

- Les hommes…

Le bruit de pas qui arrive le fait s'arrêter et tendre l'oreille. Légers comme ceux d'une femme... Le bruit de la clef dans la serrure le fait se tendre et se préparer à une attaque. La porte qui s'ouvre, emmenant dans son sillage le parfum de Louise le fait se détendre.

Allo.

Lui dit il simplement, la tête en bas, ses cheveux d'encre frôlant le sol. De son angle de vision, elle a l'air vannée.  

- Espèce de sauvage…Descends de là tu veux ? Tu vas te faire mal.

Elle s'avance dans la pièce tandis qu'il laisse tomber son bardas au sol. Les grandes mains vont aggripper la barre.  

- Malade hein ? Pourquoi ai-je l’impression que tu n’es pas plus malade que moi, mh ? Visiblement, je me suis inquiétée pour rien. Tout le monde s’est inquiété pour rien…

D'un coup de rein, une pirouette, et voilà notre gymnaste bien campé sur ses deux pieds, les mains sur les hanches.

Mauvaise question. La mienne est plutôt : Est ce que quelqu'un a posé des questions gênantes à notre sujet?

Dit il, d'une voix taquine, avec un léger sourire soulevant le coin de sa grande bouche.

- Je te laisse à tes…exercices. Le repas du soir est servi à 18h30. Sauf si tu veux manger dans ta chambre…vu que tu es en souffrance.

Une main s'abat sur le chambranle de la dite porte. Une grande main aux grands doigts. Un souffle chaud sur sa nuque un bref instant avant qu'il ne la prenne carrément dans ses bras pour  la coucher et la border dans son propre lit.

Tu es épuisée...  Tu ne vas nul part cet après-midi. Tu me veille, je suis malade. Ce qui veut dire que tu te recouche et que tu profite au moins jusqu'au souper. La porte est verrouillée... Personne ne peut entrer.

Dit il en roulant sa cape et en bouchant le bas de la porte, poussant le vêtement pour enlever l'accès, puis scellant la serrure. Ensuite, il se met à inspecter les murs à la recherche d'un passage secret.

Ca fait deux fois que... père... vient me voir. Dit il d'un ton étrange. Je ne m'endors plus et je m'ennuis, mais je dois attendre demain... Toi, comment va va? Père ne t'a pas passé un interrogatoire?

- Mais qu’est-ce que…Hey !

Cette main qui s’abat sur la porte la fait sursauter. Ce souffle chaud dans sa nuque la fait frémir. Ces bras qui se saisissent d’elle comme si elle n’était rien la laissent totalement désarmée. Elle ne fait pas le poids face à lui, elle le sait. Soupirant par le nez, roulant des yeux pour regarder le baldaquin dont les plis sont désormais désordonnés, elle le laisse l’installer sur son lit, inspirant profondément tout en suivant sa progression des yeux.

- Tu n’es pas sérieux…Je ne peux pas disparaître de la sorte…Et qu’est-ce que tu fais avec des habits là ? Personne ne…hooo…Je vois…

Elazar. Si le maître des Ombres parvient à entrer et voit Louise dans le lit de Dante, le souper risque de finir en pugilat.

- Père prépare son départ. Il sera occupé un long moment…Au moins…Il prévient, lui.

Demeurer en sa compagnie au moins un peu, elle en a envie, bien sûr. Surtout en ce moment. Louise ferme les yeux, prend un oreiller et le serre dans ses bras pour y enfouir son visage. Comment elle va ? Elle est détruite, se sent vide à l’intérieur, vide en son cœur, vide en son esprit et est constamment au bord des larmes mais sinon ça va…Bien sur, elle ne dira rien de toute cela, elle se contentera d’un bref :

- Aaron est parti de Fernel et ne reviendra probablement pas. Quant à Père, il m’a simplement demandé s’il devait le tuer. Comme ça. Tranquillement.

La chatelaine se recroqueville dans le lit, et ferme les yeux, avant de sourire, un drôle de sourire en coin.

- Père…Je t’en prie, Dante. Il n’a posé aucune question, il était bien trop occupé à me consoler. Il est resté une bonne partie de la nuit, tu sais…et quand je me suis éveillée, il n’était plus là. Je pense que je lui en ai trop demandé, il est âgé, je devrais pas faire ça…Mais…Tu étais malade, je n’ai pas d’amie ici, juste des serviteurs…Je ne pouvais venir ici et te déranger avec mes états d’âme…Alors je me suis endormie à ses côtés. Il a été compréhensif. Et n’a posé aucune question sur toi. Ou sur ce qu’il s’est passé là bas. Rien du tout.

Elle caresse la couverture du bout des doigts en songeant à cette chemise qu’elle a si fort maltraité une bonne partie de la soirée avant de céder à l’appel du sommeil.

- Ce que tu cherches est derrière la tapisserie. Il faut pousser les pierres noires et tirer la pierre blanche vers toi.

Louise dit enfin :

- Père voudrait même me passer un interrogatoire, je sais comment l’éviter. Sois tranquille à ce sujet. Il suffit que je le prenne dans mes bras et que je le regarde avec de grands humides pour qu’il sourit et se détende. Il est tellement, constamment…raide. Il était tout le temps comme ça avant, quand tu vivais avec lui ?

Elle soupire d’aise de parler un peu avec lui. Même s’il est affairé à chercher les dieux seuls savent quoi. Impossible de le garder en place, ce garçon.

- Dante…Tu ne peux pas rester tranquille deux minutes et venir près de moi juste un peu ? Je ne cache d’assassins ou des chasseurs dans mes tapisseries. A eux, je leur donne des chambres et à manger, je leur donne même ma personne et des chevaux, tu vois…

- Il n’y a pas grand-chose à dire. Il est parti pour suivre je ne sais qui je ne sais où pour faire je ne sais quoi, en abandonnant son fils ici, mais il m’appelle son amour, tu comprends, ça doit certainement m’aider à encaisser sa défection…Puis il ne s’appelle même pas Aaron, en vrai. La vérité est que je ne sais même pas qui il est…

Louise parle d’une voix rauque. Elle a passé une mauvaise nuit et les prochaines ne s’annoncent guère mieux compte tenu du départ imminent des deux autres hommes de sa vie. Elle ne pourra pas rester seule dans ce château bien longtemps, aussi a-t-elle déjà donné des ordres dont les couloirs sont en train de bruisser à tous les étages.

Elle l’observe revenir près d’elle, observant avec attention ce regard si semblable à celui de son père et hausse les épaules.

- C’était une façon de parler, Dante. Ça s’appelle l’humour. Même moi je peux m’y risquer parfois, tu vois, mais visiblement, c’est un échec complet. Je sais ce que vous êtes tous les deux, et je vous aime. Vous n’avez rien à craindre ici. Parce que le danger, en ces murs, c’est vous. Pour tous les autres, sauf pour moi. Tu n’as rien à me payer, tu ne me dois rien du tout. Tu seras toujours chez toi, ici, tant que tu respectes mes règles.

Elle a un sourire en prononçant ces mots-là, puis redresse un peu la tête, surprise, pour passer la main sous l’oreiller, sursautant au contact froid et dur du métal.

- Une fille ?

Soulevant l’oreiller, elle découvre alors l’arme et hausse un sourcil. Disposée là comme ça sur le drap, elle est très belle, cette lame. Elle en saisit la poignée avec délicatesse, avant de se coucher sur le dos, approchant l’arme pour la contempler de plus près.

- Elle vient de Thaar ? Et comment as-tu obtenu mon sceau ??

Elle regarde Dante qui vient de s’affaler à côté d’elle, puis reporte son attention sur l’arme, une lueur éclairant son regard.

- Mes lettres. Tu as utilisé mes lettres, n’est-ce pas… ?

Un sourire étire ses lèvres, tandis que ses doigts courent sur les détails, appréciant la légèreté et la maniabilité de cette arme. La première qu’elle reçoit. Elle se redresse sur un avant-bras et parle à voix basse, tout en regardant ce cadeau magnifique :

- Je n’ai pas de nom à lui donner, je suppose que cela viendra en son temps. Quant à savoir l’utiliser…Je demanderai à Enguerrand de m’apprendre les bases sur le chemin qui mène à Papincourt. Je me rends aux noces de Lohie de Brandevin et de Tibéria de Soltariel. J’en ai pour trois ennéades de chevauchée, en comptant large, donc je suppose que je serai en mesure de pouvoir me défendre un minimum en arrivant là bas…L’on dit que les gens du Sud ont le sang vif. S’il s’avère que l’un d’entre eux essaye de me démontrer cet état de fait, d’une manière ou d’une autre, je tâcherai de le modérer avec toute la froideur de mon sang du Nord. Et avec ceci. Je ne veux plus qu’on me dicte ma conduite, ni qu’on me fasse du mal.

Louise dépose la lame sur la table de chevet, avec d’infinies précautions, puis, avec la même nonchalance et le même naturel qui l’a fait s’installer sur le lit comme un pacha, elle s’approche et se blottit contre lui, tout comme elle s’est blottie contre son père une grande partie de la nuit.

- Merci…C’est un très beau cadeau, j’en prendrai soin.

La châtelaine profite sans honte de sa situation, trouvant un réconfort infini contre ce grand corps toujours secoué de spasmes. Elle ferme les yeux, chuchotant des paroles douces, tout en posant sa main sur lui :

- Tu devrais voir un guérisseur pour tes tremblements…

La chatelaine écoute les conseils, les yeux mi-clos. Se battre pour sa survie, elle ne sait pas ce que c’est. Se battre tout court non plus, d’ailleurs. Cependant, elle sait, elle sent que si cela doit arriver, elle ne se rendra pas sans combattre, même si l’issue est presque inévitable. Parce que c’est ce qu’elle a fait toute sa vie et que les conséquences sont tout simplement désastreuses. Alors…

- Merci pour les conseils. Je noterai ça sur mon calepin de voyage. Trois idées neuves par jour, que père a demandé. Frapper l’oreille, déstabiliser, tailler les services trois pièces.  Pour ce dernier point, ce n’est pas bien compliqué. Il suffit de m’approcher comme une putain le ferait et de dire ce qu’ils veulent entendre à leur oreille. Je l’ai déjà fait, je peux recommencer si ma vie est en jeu.

Le souvenir de la virilité de Geoffroy dans sa main la fait renifler de dégoût. Elle se rappelle parfaitement le regard de son conseiller déchu, plein d’espoir et de désir, et elle se rappelle aussi celui de son père, il y avait une espèce de fierté dans ce regard acier, une fierté et autre chose encore, qu’elle ne saisit toujours pas.

- Aaron…Père m’a fait en l’essence la même proposition. Et je te fais la même réponse qu’à lui. Je m’en occuperai moi-même. Je ne veux juste pas que le fils paye pour lui. Efren sera traité ici comme il l’a toujours été, avec égard et affection. Père y veillera en mon absence.

Louise rouvre complètement les yeux à l’explication de Dante avant de se redresser pour s’éloigner de lui.

- Ça te fait mal ??? Mais…

Et ce qu’ils ont partagé dans ce refuge alors ? Et tous les gestes qu’il a pour elle, c’est douloureux ? Il la retient pourtant, la replaçant là où elle était, d’autorité. Louise n’ose plus faire le moindre mouvement. Elle garde soigneusement ses mains sur elle, elle ne le touche pas, elle y veille avec le plus grand soin.

- Père reste toujours très vague quand il parle de toi. J’ignore pourquoi.

Elle ne dit rien pendant un long moment puis reprend, pleine de sarcasme :

- La valeur d’un contact dépend de celui qui le subit. Si c’est douloureux, le mien ne doit pas valoir grand-chose.

Toujours immobile, le visage fermé, elle murmure :

- Que t’est-il arrivé ? C’est pour apaiser toute cette douleur que tu t’es infligé des marques pareilles ? Je demande parce que j’ai connu un paysan comme ça. Il se taillait l’avant-bras pour ne plus penser à ce qu’il a fait avant de rejoindre Fernel, des choses terribles d’après ce que m’a dit la guérisseuse, sans entrer dans les détails. Il en est mort d’ailleurs…vidé de son sang, il avait coupé trop profond…

Louise ne répond rien pendant de longues, très longues secondes. Elle réfléchit, sagement blottie contre Dante, sans bouger. C’est très certainement désagréable pour lui, ce long contact. Pour Louise, par contre, c’est ce qui s’apparente le plus à un moment de paix. Et Neera sait certainement à quel point cette femme a besoin de paix intérieure. Durant de nombreuses ennéades, elle a été comme une petite branche pleine de feuilles vert tendre, souple et mince, malmenée par des vents de tempête. Des vents de trahison, d’horreurs absolue, de mort et de désespoir. La petite branche qu’elle est a plié, s’est couchée sous les assauts, mais n’a pas rompu. Elle a perdu quelques feuilles dans l’histoire, probablement les plus jolies d’entre elles, mais d’autres poussent pour les remplacer. Louise n’est pas morte, malgré tout ce qu’elle a vécu, des situations qui aurait rendu fou beaucoup de gens.

Elle inspire profondément. Non, la branche est toujours là, elle croît, elle s’épaissit et gagne en fermeté au fil des jours. Plus les tempêtes essayent de la détruire, plus elle s’accroche. Et, en l’essence, Louise s’accroche aux seules certitudes qu’il lui reste, aux branches solides. Son vrai père, sur lequel elle pourra toujours compter, elle le sait. Son frère, pour lequel elle éprouve des sentiments confus, mais sincères. Elle sait ce qu’ils sont. Tous les deux. Le journal de sa mère l’a éclairée, les agissements de son père dans les geôles n’ont fait que lui confirmer des mots posés sur le vieux parchemin de ce journal, les gestes, les attitudes de son frère, avec Sylvie, sa façon de surveiller tout, d’être toujours en mouvement et en alerte…Bien sûr qu’elle sait, même si elle ignore les détails.

Tout cela n’a aucune importance pour Louise. Aussi redoutables, craints, voire même détestés, ou recherchés en dehors de ces épaisses murailles qu’ils soient, elle leur a laissé, à tous deux, la chance de montrer une attitude digne envers elle. Qui ils sont. Et ce qu’elle a vu ne l’effraye pas le moins du monde. L’un et l’autre sont là pour elle, lui apprendre, lui montrer les choses telles qu’elles sont, et en cela elle leur est infiniment reconnaissante. Cela les place, tous deux, sur un piédestal déchargé de tous les menteurs dispensateurs de poudre aux yeux qu’ont été Geoffroy, sa mère, Eudes, et même Aaron…Calel…Peu importe comme il s’appelle, finalement, il ne vaut guère mieux que tous les autres qui lui ont menti. Il a fait comme tous les autres, finalement. Il est parti. Tant pis pour lui.

- Ma peau…C’est une page sur laquelle tu as déjà commencé à écrire, Dante.

Elle esquisse un sourire en songeant à leur nuit dans ce refuge. Oui. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a laissé une empreinte profonde en l’esprit de Louise, bien plus qu’en son corps. Louise ne peut cependant s’empêcher de lever les yeux au ciel avant de se redresser et de le regarder, sans ciller.

- Tu parles de cela comme le font ces vendeurs de babioles dans les rues de Serramire, des souvenirs de pacotille qui finiront aux ordures ou oubliées dans le fond d’un tiroir.

Louise regarde ses mains, paumes vers le ciel.

- Je choisis mon bras faible. Mon bras gauche. Là. Juste à côté du cœur.

Elle indique le haut de son bras gauche, tout en parlant, de sa petite voix rauque, déterminée.

- Pas le fer chaud. C’est comme cela que les fermiers marquent leur bétail. Je ne suis à personne et je ne suis pas un animal. Donc…choisis. Peu importe le moyen. Tant que c'est efficace.

De la manière le plus naturelle du monde, elle tire le petit lacet qui retient le haut de sa robe, dévoilant ses épaules. Elle est tranquille, elle est même sereine, pas intimidée un seul instant. Après tout…Ce n’est pas comme si elle avait encore quelque chose à lui cacher, n’est-ce pas…

- Ma peau…C’est une page sur laquelle tu as déjà commencé à écrire, Dante.


Oh... Elle a dit ça?

La Bête en sa tête a un sourire plein de crocs. Bavante dans les méandres de la psychée de son hôte. A ses côtés, La Raison croise les bras, un sourire amusé à la gueule.

Une page sur laquelle on a déjà commencé à écrire. Intéressant... On peut se donner comme défi de marquer chaque once de l'épiderme de la bonne Femme. On commence par où?

Marque la mienne... Gronde l'alter ego, dont le grondement se répercute dans tout son être à défaut d'être audible. Au sourire de Louise répond le même de Dante. L'homme baisse le nez, la regardant légèrement par en dessous. les prunelles d'ambre foncé et de vert vif.

P'tain, j'ai la Dalle...
Moi aussi, mais n'oublie pas la mission Dantechou.
Elle exige, on donne
et on monte l'ardoise, C'est Elazar qui payera la note
Combien vaut la vie du vieux croûton à ton avis?
Je ne sais pas... On a encore du crédit à ce niveau?
En masse... Peu importe ce qui se passe, on quitte demain
Oui, parce que moi aussi j'ai tellement Faim!!!
Nous ne pourrons pas tenir trois jours de plus.
Détruire Elazar en transformant son agnelle en loup, la convertir au Dogme... La Destruction par la Destruction, par le sacrifice de ma souffrance, Bénie par et dans le sang et la Douleur... Ainsi soit il.  

Il regarde les mains, paumes vers le ciel... Il sourit intérieurement. La novice...

- Tu parles de cela comme le font ces vendeurs de babioles dans les rues de Serramire, des souvenirs de pacotille qui finiront aux ordures ou oubliées dans le fond d’un tiroir... Je choisis mon bras faible. Mon bras gauche. Là. Juste à côté du cœur.


Et elle choisi le lieu, près de son coeur... Invitant le dieu à investir sa pauvre chair de mortelle... Et réglant par là même la question. Il ne la mordra pas. De toute façon, avec sa Faim, si il plante les crocs dans cette chair, il ne s'arrêtera pas. Planter les dents, mordre Louise est la réclamer comme sienne et il n'y a qu'une personne qui mérite cela. Même si ses morsures disparaissent.

- Pas le fer chaud. C’est comme cela que les fermiers marquent leur bétail. Je ne suis à personne et je ne suis pas un animal. Donc…choisis. Peu importe le moyen. Tant que c'est efficace.


Il hausse, puis fronce les sourcils, ce qui donne à sa physionomie un air inquiétant. Elle oublie qu'il a été marqué plus d'une fois au fer chaud. C'est limite vexant quand on y pense, immobile, il la regarde plonger tête premier dans les pleiks... Demandant, exigeant d'être damnée.

Oui, c'est comme ca que c'est faiblards m'ont appelés.
Même pas foutus de se l'infliger à eux même.
Non t'es mon élu mec. Tu m'amuse trop encore.

La voix grave s'élève alors dans l'air, murmure intense. Elle pourrait croire avoir un prêtre devant elle.

Tu es certaine de ton coup? Il n'y aura pas de retour en arrière.
comme pour tout le reste.…

Il tend la main alors.

Donne-moi ta Fille et laisse moi te parler de Zhak'Bar. Ensuite tu décidera si cela correspond au mode de vie que tu veux suivre désormais. Dit il calmement, se demandant comment commencer à prodiguer son enseignement de façon à ne pas l'effrayer. Ici, en Péninsule, vous avez des dieux aimant. Des dieux pour les moutons. Faire le bien, vivre selon des principes moraux. La fidélité, mais la moitié des vôtres sont infidèles. La vérité, mais vous vous voilez la face des mensonges. Faire le bien dans un but purement altruiste, quand nous savons pertinemment que l'altruisme est toujours un prétexte pour se donner bonne conscience. La Vérité, il n'y a ni Bien ni Mal... Ce n'est qu'une chaîne pour que les moutons restent dans des cadres bien définis de la société. La Vérité c'est que les Forts dominent les faibles. Ils mentent, manipulent, dominent, ostracisent. La Vérité c'est que tu as le droit de mordre quand on te mord... Tu as le droit de répliquer quand on te blesse... Tu as le droit d'aller chercher le plaisir où et avec qui tu veux. Tu as le droit d'écraser et de Détruire tes ennemis ou ceux qui se dressent sur ton chemin sans sourciller. Tu as le droit de vivre la vie dont tu as envie.

Il marque une pause avant de reprendre.

Les gens quand ils entendent Zhak'Bar, ils pensent catastrophe à grande échelle. Destruction, Chaos... C'est vrai, mais pas toujours. Il est celui qui nous pousse à vivre et dépasser nos limites. A écraser ceux qui nous bloque la route sans émotions ni remord. Il est le Prime Dragon... As tu déjà vu créature plus protectrice et fidèle qu'un dragon? Zhak'Bar a un dogme... Il est simple et ce résume deux phrase. Dominer ou mourir. Je m'explique, mieux vaut une vie courte à debout en vivant pleinement qu'à genoux devant les statues vides des dieux ou en écoutant quelqu'un d'autre que nous même. La destruction appelle la Destruction... Celui qui veut détruire ta personne ou ceux à qui tu tiens mourra, tout simplement. Il n'a pas de prêtres, il n'a pas de temple. Il est ici...

Il pointe le coeur de Louise et le sien. Il ne pointe pas sa tête, elle le penserait fou.  Oui, il a un peu, beaucoup, présenté le dieu de façon romantique. Il faut le vendre, pas faire peur à la jeune femme.

Est ce que Zhak'Bar correspond à ce que tu veux devenir?

Louise se détourne un instant pour récupérer l’arme déposée sur la table de chevet, en silence, pour la tendre à Dante, tandis qu’il parle.

- Zhak’Bar ?

Le nom ne lui est pas inconnu, même s’il est de ceux dont on ne parle que peu, dans cette partie de la Péninsule. L’enseignement prodigué à Fernel lui a tout de même apporté quelques notions et connaissances de ces autres cultures qui parcourent le monde. Elle n’a jamais rencontré de Drow. Jamais. Tout ce qu’elle en sait, c’est ce qu’elle a pu en lire, ce qu’elle a pu entendre par les caravanes marchandes qui sillonnent les villages, des bruits, des rumeurs. On les dit immenses. Forts. Sans peur. Et on les dit aussi très agressifs, vindicatifs. Mauvais. Adeptes de choses horribles qui font trembler les paysans d’effroi. Oui, elle n’y connait rien, parce que comme pour tout le reste, elle a été tenue soigneusement à l’abri des dangers. Et Dante, comme le loup de l’histoire, souffle sur ces abris pour lui montrer la vérité d’un monde cruel, obsessivement misogyne et parfaitement détestable. Un monde dans lequel tout le monde ment. Elle a un sourire.

- Zhak’Bar est-il un dieu pour les Loups ?

Elle regarde son frère sans ciller, hochant légèrement la tête.

- Est-ce qu’il protège les cœurs et les souffles des intentions mauvaises ? Parce que c’est tout ce que je souhaite. Tu le sais depuis notre rencontre sur la route de Serramire, les menteurs, les beaux parleurs, les charlatans, toute cette racaille de basse fosse hante mes pas comme les mouches suivent les pots de miel. J’ai prié, toute ma vie, tous les jours, pour protéger les autres, sans me protéger moi-même. Et regarde où j’en suis…Abandonnée à mon sort dans un château, par une mère trop faible pour réagir et qui m’a menti toute sa vie, par un homme en qui j’avais placé mes espoirs les plus secrets et les plus sincères, trahie par un autre qui avait toute ma confiance, depuis ma naissance…Qui croire en ces conditions, Dante, si ce n’est sa propre famille, les seuls qui sont toujours là et qui ne me feront pas de mal ?

Louise a un regard luisant de choses totalement indéfinissables avant de reprendre, d’une voix douce.

- Mourir debout plutôt que vivre à genoux…

Cela lui plaît et correspond à ce qu’elle désire au plus profond d’elle. Vivre libre. Vivre comme il lui plaît. Dépasser ses limites. N’écouter qu’elle et plus personne d’autre, pour toutes ces choses qui la concernent.

- On peut faire le bien tout en vivant la vie qu’on souhaite. Que je souhaite. Et je ne veux plus qu’on me dicte ma conduite. Je ne veux plus qu’un homme me fasse du mal. Je ne veux plus être enfermée dans des carcans imposés par des principes que personne ne respecte de toute façon. Je veux agir selon mon propre code de conduite et faire ce qui est juste, pour tous, à commencer par moi.

La chatelaine dit alors, dans un sourire :

- Je continuerai à faire le bien pour les gens de Fernel comme je l’ai toujours fait. Pas parce que cela me donne bonne conscience mais parce c’est comme cela que je vois les choses et mon devoir. Ces gens sont innocents et n’ont que moi, ce château et ses défenses pour les protéger. Je ne vaudrais guère mieux que tous ces hommes qui m’ont fait du mal si je les abandonnais à mon tour. De chaos et de destruction il ne sera jamais question à Fernel. Par contre…

Louise regarde la lame puis son frère :

- …plus jamais je ne laisserai quiconque me faire du mal, briser mon cœur ou insulter la confiance que je donne. Il ne correspond pas tout à fait à ce que je veux devenir mais…Si Zhak’Bar peut m’apporter un rempart contre ce que je refuse de supporter désormais, si le Prime Dragon peut apporter cette puissance dont j’ai besoin alors…qu’il en soit ainsi. Les autres Dieux ne m’ont pas entendue…peut-être que lui, il écoutera.

La loi du plus fort règne... Mais le plus fort n'est pas celui qui est le plus grand ou le plus costaud. Regarde moi... Si j'ai l'air d'un géant à Fernel, à Thaar je suis de taille moyenne. Je n'ai ni la carrure d'un guerrier, ni la résistance d'un chevalier. Je suis un chasseur. ... Et il est mon dieu

Que je le veuille ou non.

La Bête ronronne son plaisir.

C'est ce que j'aime avec toi, tu as toujours une façon de tourner les mensonges en vérité. Il t'a appris ca de bien.
Tu me déconcentre. Tu veux la marquer Tienne?
Oui, susurre Zhak'Bar en montrant des crocs dégoulinants.  
Alors ta gueule, j'essaye de lui répondre.  

Patiemment, l'estreventin prend le temps de répondre à ses questions. Il a cerné Louise... Ce n'est pas bien difficile. Le plus dur est de lui dire ce qu'elle veut entendre, de la façon qu'elle l'idéalise mais sans mentir. Les prunelles de l'homme restent intenses dans la pénombre de la pièce au volet fermé.

- Non, il ne te protégera pas le coeur ni le Souffle, parce que ça, c'est notre tâche à nous, pas la sienne. La sienne est de nous donner la Flamme de nous dépasser et de rendre la monnaie de sa pièce à ceux qui osent nous faire du mal, nous menacer ou nous brimer de quelque façon que ce soit. Il te donne la capacité de déceler pour que nous puissions avoir la possibilité de contrer les intentions mauvaises comme tu les appelles. Retour à l'expéditeur. Oeil pour oeil et dent pour dent, et même au delà. En ayant l'oeil clair, tu les verra venir de loin ces bonimenteurs. Tu apprendra à les décrypter. Ne les vois pas comme des échecs, mais plutôt comme des Epreuves pour t'apprendre, t'éduquer et t'endurcir dans la Flamme de l'expérience.


Il s'interrompt, regardant un moment la Fille dans sa main, la poignée bien trop fine pour sa grande main. Il sent la pierre du manche se réchauffer sous sa poigne.S'étirant, il prend un des linges à côté de la bassine d'eau et se met à nettoyer la lame minutieusement.

- Bien, mal, je te l'ai dit, ce ne sont que des mots. Tu peux prendre soin des tiens. De tes terres et de tes gens. Ce n'est pas incompatible avec le reste. Comme les Flammes, elles peuvent réchauffer comme tout engloutir. Ca dépend de l'intention


Tu lui a caché tout un pan de mon dogme non?
T'inquiète pour ca, elle le trouvera toute seule quand quelqu'un viendra la faire chier ou s'attaquer à Fernel ou a moi ou Elazar.
Elle a le sang chaud et est impulsive. Peut-être que elle n'éclatera jamais...
Si elle pète, ca sera grandiose... Va falloir trouver le moyen que le vieux m'attaque et qu'elle le surprenne... Ou qu'elle en ait tout simplement marre..
Alors elle deviendra Mienne... Tu est détestable
Tu m'en dira tant. Tu me flatte...

Louise regarde l'arme qu'il est en train de laver... Puis recroise son regard qu'il soutient sans peine.

- Non Louise, il ne sera jamais LE rempart, il sera plutôt celui qui te donnera la force de dire non, c'est assez. Après c'est TA volonté qui vient en jeu. Dominer ou mourir. Il y a plusieurs façon de dominer, plusieurs façons de mourir qui n'incluent pas toujours la mort physique. Tu l'a expérimenté. La Louise de l'auberge n'est plus. Maintenant je vois Louve. Quand tu sera en détresse, le feu dans ta poitrine, ca sera lui qui voudra te donner la force de sa colère et de la rage... C'est à nous de l'utiliser au mieux de la façon de notre choix.  


Le sourire de Dante s'élargit. Il lâche le linge et prend la pierreavant de commencer à aiguiser la lame.

Je vais être prêt dans quelques instants... Personne ne m'a demandé de le suivre... J'aurais pu dire non. Il s'accorde parfaitement avec qui je suis. Suis je mauvais pour autant?

Il marque une pause, vérifie la pointe de l'arme du pouce. Avant d'effiler encore un peu

Oh, je peux te garantir qu'il t'écoute, et très attentivement. Il a juste une façon très personnelle d'agir... Alors, accepte tu Louise, d'être marquée comme disciple de Zhak'Bar? Accepte tu les Epreuves qu'Il va t'envoyer? Relève tu le défi de vivre pleinement debout et Libre, griffes et crocs sortis?

- Non. Tu n’es pas mauvais. Tu es juste différent.

Louise inspire et expire, réfléchissant à ce que vient de dire son frère, tout en écoutant distraitement la lame crisser contre la pierre.

La loi du plus fort. La vengeance. Œil pour œil, dent pour dent. La flamme. La force de dire non.

- Comme je ne suis pas mauvaise. Je pense tout simplement de façon totalement différente de tous ceux qui m’entourent.

N’importe qui aurait vu d’un très mauvais œil la façon qu’a son père de se mouvoir dans les Ombres. Les gens, dans le Nord, n’aiment pas la Magie. Elle, ça la fascine littéralement. Elle aime sentir ces petits picotements sur sa peau, ce frisson intense qui la traverse de part en part quand Elazar surgit des Ténèbres et fait danser les ombres tout autour de lui. Autour d’elle. Elle se souvient parfaitement de ce moment si tranquille, si paisible quand, installée sur les genoux de son père pour se consoler d’une nouvelle déception, elle a senti cette danse tout autour d’eux. Elle AIME ça.

Les gens, dans le Nord, n’aiment pas les étrangers. Elle, elle les accueille. Parce que l’Autre, c’est une source de savoir. C’est une somme d’expérience dont elle peut tirer parti, profit, dont elle peut apprendre. Et Louise a soif d’apprendre. Tout, tout le temps, partout. Sa curiosité insatiable prend parfois le pas sur la prudence, mais malgré cela elle demeure vive, enjouée, créative, prête à tout pour ceux qu’elle aime.

Est-ce donc si compliqué de la comprendre, elle qui pense d’une manière différente, qui voit les choses sous un autre jour ? Sur bien des points, elle se sent seule avec ses opinions, sa façon d’appréhender les choses. Elle sait que son éducation en a fait un parfait petit exemple de noblesse péninsulaire mais ce n’est pas ce qu’elle est au fond d’elle. Elisabeth le savait et a tout fait pour réprimer ce qu’elle est, sans doute afin de lui éviter les souffrances qu’elle-même a endurées avant de venir s’enterrer ici, dans le nord de la Péninsule. Et avec quels résultats ? Louise a brûlé, on a éteint la flamme mais sous la cendre, la braise a couvé, attendant un Souffle qui lui permettrait de brûler à nouveau, avec bien plus d’intensité cette fois. Et la châtelaine sourit en songeant à cela…

- J’ai toujours pensé que le seul moyen de se sentir bien, c’est de vivre en compagnie d’une personne qui me comprendrait, qui partagerait mes idées. Mais…Cela semble impossible. Ce que je cherche est impossible. Je pensais avoir trouvé un alter ego en Aaron. Un homme serviable, chevaleresque, toujours prêt à faire le bien, un homme qui protège les siens, ceux qu’il aime. Et regarde le résultat…

Elle a un rire. Un rire affreux et sans joie, tandis qu’elle le regarde tester le fil de la lame à l’aide de son pouce.

- Le seul moyen de me sentir bien, c’est d’être en accord avec moi-même. Et pour y parvenir, je sais que je dois apprendre à dire non. Je dois voir les menteurs, les tricheurs.

La châtelaine penche la tête, un bref instant, puis dit, d’une voix douce :

- Alors je préfère vivre debout, griffes et crocs prêts à tuer et à mordre, plutôt qu’on me fasse du mal, une fois de plus. Car cette fois sera celle de trop. Celui qui essayera s’en mordra les doigts. Parce que c’en est assez. Je ne supporte plus cela, je ne supporte plus de vivre en essayant d’être celle qu’on voudrait que je sois. Je veux être moi. Tout le temps. Comme dans ce refuge.

Louise n’a pas un regard pour Dante en évoquant cela. Il l’a libérée, ce soir-là. Et elle ne pourra jamais oublier ce qu’elle a ressenti dans ses bras. Jamais. Une satisfaction intense et un bonheur bien plus grand encore. Plus de chaînes, plus de barrières, plus d’entraves. Il n’y avait plus qu’elle, sous les grandes mains de Dante. Louve. Pas Louise. Elle esquisse un rapide sourire en y songeant…

- Je relève le défi. J’accepte.

Il est temps de bénir dans le sang la Fille de Louise. Dante a sa petite idée. Une grande main aux grands doigts se pose sur l'épaule de la jeune fille tandis qu'il lui tend le linge.

Mords là dedans. Ca va faire mal, je ne te le cacherai pas... Et ne bouge pas. Je t'invite à dire une prière si tu en es capable, ca va t'aider à canaliser et à apprivoiser la douleur.

Puis, il la pousse sur le lit et la maintient, pendant qu'il va chercher un autre linge dans la pile prévue pour lui éponger le front.

Se placant à genoux dans le lit, il lui coince le bras entre ses cuisses. Puis regarde l'épaule. Dans sa tête la Bête jubile, ce qui donne une teinte particulière à son oeil vert.

Tu ne va pas réciter la prière drow?
T'en penses quoi? Bien sûr que non, je vais lui pas lui dire de foutre le bordel partout et tutti quanti. Lui faut du romantisme à celle là. Toi et moi, nous savons qu'elle est mon offrande et tu es dans ma tête. Pas besoin de faire peur à l'agneau.

Tranquillement, la lame se met à danser sur l'épaule. Un trait après l'autre, le sang coule, écarlate et capiteux, tachant les linges. La douleur ne vient pas tout de suite, elle vient ensuite. Ensuite quand il enlève des bandes de peau d'a peu près deux millimètres de large, qu'il dépose sur un des linges, révélant la plaie dans toute sa sombre splendeur, tarabiscotée, version simpliste du grand dragon qu'il arbore à la cuisse. D'environ 10 centimètres par 5 centimètres, en haut de son sein gauche. Juste hors de portée des décolletés convenables. La gueule de la créature et ses griffes sont dirigées vers le coeur de Louise.

L'odeur du sang l'attise... non, il ne la mordra pas.

Reste couchée... Ca saigne trop. Je ne veux pas que ca s'infecte ni laisser de traces et je n'ai pas d'alcool dans ma chambre.

Se penchant, Dante se met alors à lécher la nouvelle plaie, encore et encore, jusqu'à ce qu'elle arrête de saigner. Si Louise essaye de se dérober, il ne fera que gronder sauvagement. Ce sang, ce fluide écarlate et riche, est son paiement pour tout ce qu'il s'est infligé. Et ca apaise momentanément sa Faim. Elle ne goûte pas mauvais, mais il a connu meilleur. Une fois que Dante sent que louise est calme et que le saignement est terminé, il se redresse et prend le linge qui a receuilli les fines lanières de peau et les dépose sur la table de chevet, avant de sortir un petit pot d'onguent à base de gomme de sapin, de miel et de lavande. Tranquillement, il en tartine la zone et couvre le tout. Puis, il lui tend le pot.

Deux fois par jour. Et ne soit pas dans les environs d'Elazar pour la demi heure qui suit. C'est ma recette personnelle et il sait ce qu'elle sent. Comment te sens tu?

Elle prend le linge, le tord, de manière à en faire un rouleau épais et le laisse la coucher, coincer son bras entre ses jambes. Son œil luit d’une étrange façon, elle se fait cette réflexion avant de placer le tissu entre ses dents, hochant la tête dans sa direction, de manière à lui faire comprendre qu’elle est prête.

Quant à canaliser la douleur…Non…Justement. Elle ne veut pas. Bien au contraire, elle veut tout ressentir, sans se cacher, pour une fois.

Lorsque la lame commence sa course sur la peau fine, elle ouvre grands les yeux tout en retenant son souffle. Ses doigts s’agrippent désespérément aux draps alors qu’une plainte sourde s’élève de sa gorge. Elle ressent chaque goutte, chaque petit filet de sang chaud rouler sur sa peau brutalisée, elle sent le liquide refroidir presque instantanément. Déjà, une suée luit sur son front affreusement pâle. Et ce n’est rien à côté de ce mouvement qu’il a, soulevant l’épiderme pour en arracher méticuleusement des lambeaux très fins.

Sa vision se trouble, un hurlement lui fait courber le dos, avant qu’elle ne se pose sur les draps. Au milieu des éblouissements provoqués par une douleur atroce, il y a un visage qui se dessine. Les yeux clos, alors même que Dante continue son ouvrage, concentré, sa poitrine se soulève à un rythme rapide. Les petites ombres aux griffes acérées dansent sur son cœur désormais, relâchant la plaie suintante de son palpitant meurtri. Elle saigne tout autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Et ce visage qui reçoit son sang, ce visage qui cristallise toute sa souffrance, c’est celui d’Aaron. Un Aaron couvert de carmin, le visage d’un homme qui finit par s’y noyer.

Louise a un rire, un rire totalement fou alors qu’il termine son œuvre. Elle perd beaucoup de sang et il lui semble que son bras brûle, il lui semble que son bras n’est plus qu’une plaie, une douleur qu’elle chérit pourtant, qui ne la terrifie plus, parce qu’elle est adressée à quelqu’un qui n’est pas là. Là, elle souffre parce qu’elle l’a décidé. Elle a mal de son propre fait, de sa propre volonté. Et elle y trouve un apaisement étrange, presque atroce. Cette fois, elle a décidé et cette décision est pleine de sens pour Louise même si elle sera sans doute parfaitement ignoble pour quiconque verra cette marque sur son bras.

Il règne dans la pièce une odeur étrange, métallique. Une odeur de sel et de rouille.

- … ?

Le contact de sa langue rugueuse sur la chair à vif est aussi, si ce n’est plus, douloureux que lorsqu’il a arraché les lambeaux de peau. Oui, elle se débat cette fois mais se fige au grondement sauvage qui s’extirpe de la gorge de son frère. Une fois de plus, le rire sinistre se fait entendre, tandis qu’elle mord le tissu avec violence. Après de longues secondes, il s’arrête pourtant, appliquant un baume sur la plaie qu’il recouvre d’un bandage, tout en donnant ses recommandations.

La châtelaine respire profondément, les yeux mi-clos, le visage trempé de sueur. Le bâillon tombe, elle murmure :

- Je me sens bien…J’ai la sensation d’être en paix…tout va bien…

Elle rouvre les yeux sur son frère et esquisse un sourire pâle :

- Tout va bien Dante…Tu as du sang sur le menton. Lave ça avant de l’oublier…

Louise flotte entre deux états, un état situé entre la profonde langueur et la plus fervente euphorie. Une sensation étrange, qu’elle ne comprend pas. Elle tend une main vers lui, pour qu’il y joigne la sienne, dans un geste totalement désintéressé et parfaitement représentatif de toute l’affection qu’elle lui porte.

- Merci…