Le pas d’Aislinn était lent ; son regard courait partout autour d’elle, comme à la recherche de quelque chose. De temps en temps, elle marmonnait quelques mots étouffés ; Clémence, qui marchait à ses côtés, ne peut en saisir que quelques brides. « C’était plus grand dans mon souvenir, » revenait souvent.
Il était décidémment très étrange pour la jeune Noblegriffon de s’aventurer ainsi dans Seram Seram ; lors de sa dernière visite, quelques six années plus tôt, elle était une enfant encore. Elle avait vécu une petite année dans la plus grande ville portuaire d’Etherna, dans des conditions particulièrement précaires. Si elle devait être honnête avec elle-même, elle avait craint sa propre réaction quand elle avait compris que leur route de retour les amèneraient dans ce lieu de son passé. Qu’elle se découvrît capable de errer ainsi dans les méandres de ce qui, à l’époque, lui avait paru être une impitoyable prison était une source d’apaisement bienvenue pour elle.
Quitter Thaar pour mettre de la distance entre elle et la tombe et la présence de Salem s’était révélé salutaire. Que leur longue excursion se soldât par le retour de Clémence, l’une des sœurs Hadjaoui perdues, parmi les siens finissait de soulager ses épaules d’un poids.
Il était tôt encore et les deux femmes débouchèrent un peu par hasard sur le port en lui-même ; Aislinn espérait être en mesure de parler au capitaine du bateau qui devait les emmener dans quelques jours jusqu’à Thaar. Ce dernier trouvait toujours une nouvelle raison de repousser leur départ depuis une demi-énnéade déjà et la bourgeoise, qui déboursait la majorité de la somme qui lui servait de salaire, commençait à s’en agacer. « Je regrette Maître Gerio, » souffla la Rivoise à sa compagne de marche en lui décochant un regard las. Se rendant compte que Clémente avait peu de chance de savoir de qui il s’agissait, elle précisa d’elle-même : « Le capitaine du navire qui nous a amené de Thaar jusqu’à Isgaard. Il était parfait. » Et d’ajouter, après une petite pause. « Merci de m’accompagner. »
Elle aurait aimé que Digne pût venir aussi, mais Aislinn avait eu peur que sa présence n’attirât celle de Courtois et la dernière chose qu’elle souhaitait était de laisser une chance au plus bourru des Hadjaoui vexât le capitaine Macron plus encore qu’il n’avait eu l’occasion de le faire.