Un retour vers le passé

Elenwënas, VIe ennéades du mois de Favrius, An XVIII, Cycle XI
Cité de Lante, Zazagorn

Cela faisait déjà plus de quatre ennéades qu’ils voyageaient. Quatre ennéades à traverser la péninsule et les wandres. Tout cela pour un but précis; rejoindre Lante. Certes, le trajet avait été long et périlleux, mais les deux amants avaient pris leurs temps. S’arrêtant quand ils voulaient pour observer le paysage ou pour découvrir de nouveaux horizons. Tout cela semblait si différent pour Miriel. Pour une fois, le voyage n’était pas pour quelqu’un d’autres, mais pour elle seule. Et plus ils avançaient, plus elle devenait nerveuse. Qui aurait pu la blâmer? Peut-être était-ce une erreur… Peut-être que la famille de sa protectrice la chasserait. Déjà que les nains étaient une société des plus fermés, y arriver en tant que demie-drow lui semblait du suicide. Peut-être plus que la péninsule. Ou peut-être qu’elle ne trouverait rien, et que ce voyage serait vain. Qui sait? Au final, elle souhaitait simplement tourner la page. Peu importe ce qu’elle trouverait à Lantes.


Ils s’arrêtèrent sur un vallon, et Miriel arrêta son cheval, observant de ses yeux cendrés la cité qui se dressaient devant eux. Son cheval hennisse d’impatience et Miriel tira rapidement sur les rennes pour tenter de le calmer. « Nous y sommes… » murmura-t-elle plus pour elle que pour Grayle. Elle pouvait sentir les battements de son cœur s’accélérer. Elle tourna son regard cendré vers l’humain avant de lui sourire, tentant tant bien que mal de cacher sa nervosité. « Prêt? » Elle acquiesçât en attendant sa réponse, et remit son étalon en marche, descendant doucement le vallon pour rejoindre la ville. Des informations qu’elle avait réussie à obtenir, on lui avait conseillé de commencer par Lante, l’enclave était ouverte aux étrangers et c’était la façon la plus aisée de commencer à avoir des réponses. Quoiqu’elle n’avait pas réellement de plan, outre de commencer à questionner certains nains dans une taverne. Éventuellement, elle tomberait bien sur une quelconque bride d’information.


Ils arrivèrent finalement à l’entrée de la cité, et furent rapidement interpeller par le guet. Miriel savait que c’était à eux, qu’elle devait présenter sa demande, on l’avait d’ailleurs dit qu’il y avait de très fortes possibilités que ces derniers la renvoient sans demander son reste. Elle se retourna vers Grayle, l’air inquiète avant de lui dire en olliyan; « C’est maintenant ou jamais. J’espère qu’ils nous permettront d’entrer. Ils vont certainement nous demander de nous désarmer, alors si tu as quoi que ce soit sur toi, il faudra l’enregistrer. » Elle s’approcha vers l’un des nains du guet avant de le saluer de la tête. « Bonjour. » commenca-t-elle dans leurs langues. Si le tout était compréhensible, elle se doutait bien qu’elle ferait quelques erreurs de syntaxe, mais au moins elle n’avait pas oublié ce que Royna lui avait enseigné. « Mon nom est Miriel Navanrete, et voici mon partenaire; Grayle Gardair. Nous souhaitons accéder à l’enclave s’il vous plait. » Elle tenta de lui faire un sourire, mais elle se doutait bien que ce dernier pourrait voir la nervosité sur son visage. Cette quête était si importante, ce n’était pas le moment de tout faire foirer.

Gabil Œil-Givre, dit « Le Sanclameur », était l’intendant du Guet de Lante. Natif du Lörn, ancien guerrier d’un clan réduit, ayant rejoint Lante dès les premiers jours du Voile, il aura participé à tous les évènements de la cité, en terme d’Enclave. Il aura participé au murage de l’Enclave, lorsque le Général Poing-De-Fer à son époque, décida de fermer les frontières et d’expulser bon nombre d’humains. Il aura aidé plus qu’à son tour, lors de la construction du Guet, et en aura été nommé Intendant. Jamais, on ne le vit sourire. Jamais, on ne le vit plier. Il avait été le marteau du pouvoir Nain lorsque, durant les longues années d’autarcie, il avait obtenu les pleins pouvoirs sur qui avait le droit d’entrer dans l’Enclave, ou non. Combien d’Humains avait-il fait ramener manu-militari à la frontière ?

Mais cela, c’était avant. Il n’y a pas si longtemps certes – deux années à peine -, mais Gabil avait compris que, dorénavant, s’en était fini de l’isolationnisme, et de l’autarcie. Cela ne lui plut pas forcément, au début. Mais fidèle à son poste, il accepta ses ordres, et devint plus enclin à accorder les accès, pour peu que l’individu face à lui ne lui éveille point de soupçons. Gabil parlait évidemment Khazalide, la langue Naine – aussi nommée Khuzdul – mais également la langue commune, très importante pour le commerce ici.

- Mirie Navarente. Répéta-t-il après l’intéressée, alors qu’il ne leva point le tête pour le moment. Très procédurier était le Sanclameur. Grayle Gardair. Il note à nouveau. Il ne coupa pas la parole aux deux voyageurs, mais reprit, une fois qu’ils eurent terminé. Professions ? Demanda-t-il aux deux visiteurs. Sceau du mur ? Le sceau du mur était l’attestation écrite en runes, dispensée lors de leur passage par l’Hunzrung-Langk. Elle était obligatoire. Il se saisit de l’inventaire et de l’attestation, et feuilleta les deux documents. Puis, il jeta enfin un œil sur la cargaison, et ses deux interlocuteurs. De passage, ou besoin d’une échoppe ?

Le Sanclameur portait bien son nom, il n’était pas loquace. Il n’était pas agréable. Mais il faisait son travail. Et sans doute qu’une fois cette porte passée, l’Enclave serait plus simple à parcourir.

L’hybride observa attentivement le nain alors que ce dernier commençait à noter leurs noms. Elle lui donna d’une main tremblotante les papiers avant de répondre aux questions de ce dernier; « Euh… mercenaire? » dit-elle en se demandant si elle ne venait pas de faire une erreur. Elle avait oublié de se renseigner sur les nains et les mercenaires extérieur. Les prunelles cendrées croisèrent finalement celles du nain avant de reprendre la parole; « Une auberge serait apprécié, après un si long voyage nous voudrions nous reposer. Par contre, votre aide serait très apprécié. » Elle passa doucement ses mains gantées derrières sa nuque, semblant jouer avec quelques choses, avant d’enlever le collier qu’elle n’enlevait jamais. La chaîne était finement travaillée, mais solide et un pendentif orné de pierre bleutée et d’argent était habilement taillé. Elle soupira, avant de le tendre au nain, « J’ai reçu ce collier de ma mère adoptive il y a plusieurs années, et je suis à la recherche de sa famille. Es-ce que c'est quelques choses qui vous soit familier?» Si le nain tournait le bijou, il pouvait voir quelques inscriptions runiques, que Miriel n’avait jamais réellement comprise. Bien qu’elle parlait la langue, l’écrire était une toute autre père de manche.


Sans le vouloir, elle se mit à tripoter ses mains, nerveuse. Avait-elle bien fait de donner son collier a cet étranger? C’était la dernière chose qui lui restait de Royna, la dernière chose qui lui restait de la femme qui l’avait élevée. Miriel se retourna vers Grayle avant de lui échanger un sourire gêné, et en lui tendant la main pour que ce dernier la prenne. Elle avait réellement besoin de réconfort a ce moment précis…

Gabil Œil-Givre resta imperturbable. Il avait noté les informations données par les voyageurs, mais ces informations ne lui plaisaient absolument pas. Oh, ça non. Les mercenaires existaient déjà dans le Nord. Des clans de guerriers s’étaient spécialisés dans ce genre de travail, se formant en compagne intra ou inter-claniques, et parcourant les landes et les montagnes pour remplir les très nombreux contrats qui apparaissaient un peu partout dans les cités Naines, et certains, plus courageux – ou sans doute plus fous – se rendaient jusque par-delà les Wandres, pour louer leurs services à quelques seigneurs et propriétaires terriens de la Péninsule. Depuis l’an 14, les Péninsulaire subissaient les affres de la grande migration des vermines.

En quelques mois, l’immense majorité des vermines qui peuplaient le Zagazorn – gobelins principalement – avait disparu, dans une migration comme l’histoire n’en n’avait jamais connue. Des milliers, des dizaines de milliers, sans doute même des centaines de milliers de ces créatures, quittèrent les profondeurs des montagnes et se jetèrent en direction du Sud, s’écrasant sur l’Hunzrung-Langk. Nombre d’entre eux parvint à passer toutefois, dépassant les lignes Naines et grimpant les escaliers pour sauter par-dessus le mur. Mais les victimes furent nombreuses. Le bûcher des corps des vermines abattues, dura toute une ennéade, jour et nuit incluses. Alors, devant cette infestation, plusieurs compagnies de mercenaires Nains fleurèrent le filon, et proposèrent leurs services, à grands renforts d’écus et de souverains sonnants et trébuchants.

Mais les mercenaires d’autres races ? Ceux-là étaient sans doute les pires. Car Gabil, bien que Lantais, se souvenait de la courte époque où Sardar, village humain, était la source de nombreux malheur aux environs du Brissalzif. Unique enclave Humaine dans les terres d’Arkham, peuplée d’hommes provenant de Serramire, le village fut la zone d’accueil de tous mes mercenaires Humains en disgrâce, et des criminels en fuite. Ils attaquèrent moultes caravanes Naines, et créèrent moultes victimes… Le village fut purifié. « La purge de Sardar », comme on l’appelle. Alors voir une femme aux traits étrangement pâles, se dire mercenaire… Cela ne lui plaisait pas, pas du tout.

Puis, ce fut le mâle. L’homme prit la parole. Artisan. Ou du moins, il espérait l’être. Chez les Nains, il serait sans doute un marmot essayant de tailler une branche d’arbre, mais certainement pas un artisan accompli. Mais ces choses-là, légèrement – ou pleinement – chauvines, n’avaient pas lieu d’être, ici. Toutefois, il aurait dû s’arrêter là. Si l’artisanat pouvait faire l’objet d’une certaine indépendance, l’humain pouvant louer une échoppe et se lancer dans un commerce entre le Nord, et l’endroit d’où il vient… Il lui serait impossible de labourer les terres du Zagazorn, car celles-ci étaient interdites aux non-Dawi, et surtout… Seuls des Nains pouvaient posséder un lopin de terre. Et l’attitude de l’homme, éveilla quelques soupçons. Il tourna autour de la femme, glissant un baiser soi-disant discret. Se moquait-il de quelqu’un ? Se moquait-il des Nains ? Ainsi donc, se présenter au Guet de Lante n’était rien pour lui, qu’il se permette telle familiarité au sein d’un peuple des plus pudiques ? Qu’il se permette telle familiarité alors que son sort était littéralement entre les mains du Sanclameur ? Ah, les Humains…

- Bien. Il tamponne les laisser-passer écrits en runes et à l’encre bleu marin, d’un tampon aux armoiries de Lante sur une cire rouge. Les terres de Lante vous sont interdites, étrangers. Et point de contrats pour vous. Point de lame à louer par ici.

Il tend les laisser-passer, et s’intéresse maintenant au médaillon. L’ouvrage, le métal, et les formes de l’objet, trahissaient l’origine de sa construction. C’était typiquement un bijou réalisé par les Nains. De cela, Gabil en était certain. Il tourna la pièce, et pu apercevoir quelques caractère runés : Pied-de-Bronze.

Un clan Lantais. Un clan de marchands. Un clan qui, s’il n’était pas des plus productifs – étant donné leur taille moyenne – était tout de même bien apprécié, car il étaient de très bons voyageurs, capables de réaliser tout ce qu’il fallait pour amener marchandises et commandes, d’un point A à un point B.

- Ce médaillon porte le nom du clan « Pied-de-Bronze ». Les membres de ce clan sont dispersés dans ce monde, mais leur loge est ici, à Lante. Mais la cité vous est interdite. Trouvez leur échoppe, dans l’Enclave. Ils en possèdent une. Et vous, ouvrier, gardez vos mains dans vos poches, lorsque vous êtes face aux Nains.

Et d’un geste, il indiqua aux gardes de laisser passer le duo. Et lorsqu’ils eurent repris leurs affaires, et commencer à marcher, Gabil reprit son travail, en appelant le groupe suivant.

Miriel regarda le nain devant elle, définitivement ils n’avaient pas fait la meilleure des impressions. Il fallait dire que les mœurs Vaanies étaient bien loin de celles du Zazagorn, elle l’avait bien expliqué à Grayle, mais à croire que ce dernier avait simplement tenté de la rassurer à sa manière…. Elle lui lança un regard neutre, tentant de lui rappeler silencieusement qu’ils ne pouvaient pas nécessairement montrer de l’affection en public avant de retourner son regard cendré vers le nain grincheux qui l’accompagnait. « Ce n’est guère mon intention. Aussitôt que j’aurais les informations que je veux, nous repartirons pour le sud. Je ne suis pas ici pour tenter de décrocher un contrat, vous avez ma parole. » Puis les informations arrivèrent. Miriel écouta avec attentions tout ce qu’il disait, buvant ses paroles alors que ses yeux brillaient d’espoir. Pied-de-Bronze… Cela lui rappelait quelques choses, une histoire que Royna lui avait racontée alors qu’elle était bien jeune, sur un dénommé Thizag Pied-de-Bronze, un marchand bien influant qui avait traversé la péninsule de long en large. Elle se souvenait particulièrement de l’histoire ou le pauvre nain avait troué ses braies tellement son ventre était devenu grand à force de boire de la bière…. Ouais bon, l’histoire semblait beaucoup plus drôle lorsqu’elle était enfant et que sa protectrice le racontait…


« Merci Beaucoup, ces informations sont très appréciées. » L’hybride lui fit un sourire timide avant de recommencer à marcher, attrapant ses affaires au passage. Une fois dans l’enclave, Miriel se retourna vers Grayle avant de pousser un soupir de soulagement; « J’ai peine à croire que l’on est réussi à entrer… Et je suis sacrément chanceuse d’avoir réussi à avoir autant d’information en si peu de temps… » Elle aurait cru que cette activité aurait été bien plus difficile, mais en réalité Royna semblait venir d’un clan connu. Ce qui faciliterait peut-être les choses. Ne restait qu’à chercher cette fameuse échoppe maintenant. Le couple s’arrêta rapidement un nain qui les dirigea rapidement à l’échoppe. Ils marchèrent pendant quelques minutes avant d’arriver devant un bâtiment de pierre. Le même symbole qui se trouvait sur son pendentif était gravé à l’entrer. Miriel regarda la porte, insécure. Sa respiration s’accélérait, et la nervosité montait en elle. C’était le moment. Et s’il lui riait au nez? Au moins, cela fermerait à jamais la porte de cette horrible vie. Le chapitre se terminerait ainsi et ils n’auraient qu’à en commencer un nouveau. « Je suis prête. » murmura-t-elle, tentant tant bien de se convaincre, mais en réalité elle pouvait sentir ses mains tremblées…

Rhomilda Pied-de-Bronze était une naine tout à fait sympathique. Force était de constater qu’un clan de commerçant voyageurs, tel que celui des Pied-de-Bronze, avait l’esprit plus ouvert que le commun des nains, bien moins enclin – ou bien moins mis en face des étrangers – à tolérer ou à apprécier les étrangers. Mais le clan était habitué à user ses souliers et ses montures sur les routes du Zagazorn, et celles de Péninsule et d’Ithri’Vaan, depuis des décennies, et avec cette usure, viennent fatalement les rencontres. Et des rencontres nait l’ouverture d’esprit.

Aussi la naine était-elle heureuse de croiser de potentiels clients. Non pas qu’elle n’en n’ait point, mais les mouvements Drows dans le lointain Sud ont eu tôt fait de provoquer une diminution des commandes commerciales via l’Oliya, et ce faisant, une diminution des bénéfices chez les commerçants de Lante, bénéficiant à l’Enclave de Thanor. Des clients qui se déplacent, c’est donc une sorte de bénédiction.

Après les avoir salués, et avoir demandé ce qu’elle pourrait faire pour eux, la naine ferma la porte et aussi rapidement qu’elle le pu, rejoignit son comptoir. Un homme laissa place à une femme au teint étrangement pâle, qui semblait aussi gênée que… Confuse ? Ou émotive ?

- Tout va bien ? J’peux faire quelque chose pour vous aider ? Si vous chercher des marchandises, des objets, les Pieds-de-Bronze sont capable de tout trouver partout sur Miradelphia !

La nervosité de l’hybride semblait palpable et même Grayle ne réussissait pas à atténuer cette dernière. Sans attendre, Miriel s’approcha du comptoir, portant son attention sur la petite rouquine qui lui faisait face. Elle ne put cacher sa surprise! Elle ressemblait tellement à Royna! Les mêmes perles émeraude, le même sourire accueillant qui créait deux petites fossettes alors qu’il s’élargissait. La même aura de calme. Définitivement, les deux naines semblaient de la même famille. Ou peut-être était-ce ses souvenirs qui lui jouait des tours? Cela faisait déjà plusieurs années qu’elle ne l’avait pas eu, et pourtant chaque jour elle se rappelait ce que sa protectrice avait fait pour elle. Chaque jour elle remerciait le ciel d’être tombé entre ses petites mains potelées.


« Enfin… » L’hybride passa doucement la main dans ses cheveux avant de soupirer. Elle ferma les yeux un moment avant de les rouvrir, portant de ce fait son regard cendré vers la rouquine qui se tenait devant elle. « Cela va peut-être vous paraître insensé, mais je suis à la recherche de quelqu’un. » Quelqu’un? C’était le mot le plus improbable qu’elle aurait pu utiliser. Miriel n’était pas à la recherche de quelqu’un mais de quelques choses. Elle était à la recherche de ses racines, d’une famille qui l’accepterait et elle regretta soudainement de se trouver dans cette échoppe. Et si on lui disait non encore une fois? L’hybride enleva doucement son collier avant de le déposer sur le comptoir, devant la naine. « C’est une longue histoire, mais je suis à la recherche de la famille de Royna. » Elle soupira, laissant son regard balayer le sol, l’air légèrement honteuse, ne sachant aucunement comment annoncer la nouvelle. « Je lui dois beaucoup, c’est elle qui m’a élevée. Du coup, je voulais… euh… retrouvé sa famille. » Ou ma famille. C’est ce qu’elle aurait voulu dire. Miriel aurait finalement voulu trouver un endroit qu’elle pourrait appeler la maison. Non pas qu’elle souhaitait rester pour l’éternité à Lantes, mais si au moins elle savait qu’elle avait des gens qui l’accueilleraient à bras ouvert, cela serait déjà un plus.

La jeune Naine aux boucles rousses et aux épaules robustes, dévisagea la jeune femme – ou était-ce une autre espèce, elle ne pourrait le dire tant les traits semblent humains – et l’homme, cherchant des détails sur eux pour deviner leurs provinces d’origine, leurs identités… Ou ce qu’ils pouvaient bien chercher ici, si loin dans le Nord.

Les premières paroles de la femme, lui firent hausser un sourcil. A la recherche de quelqu’un ? Ici, à Lante ? Qui donc pouvait bien se targuer de traverser la frontière, et de rechercher quelqu’un aussi loin dans le Nord, dans l’Enclave de Lante ? Cherchait-elle un nain, ou une naine ? Et si oui, de quel droit ! Ici, elle n’avait ni prétention ni pouvoir d’aucune sorte, loin s’en fallait d’ailleurs.

Et puis vinrent les explications. Un collier fut ôté, et déposé avec une douceur inégalée sur le comptoir pourtant bien rustre de cette échoppe des plus simples. Et un nom… La famille de Royna… Royna Pied-de-Bronze. Disparue depuis longtemps, son corps, jamais retrouvé d’aucune manière que ce soit. Il n’existait ni témoignage de sa présence quelque part sur Miradelphia, ni indice sur ce qui avait pu lui arriver. Etait-elle morte ? Etait-elle en vie ? Avait-elle fait l’objet d’un enlèvement ? Où était-elle… Rhomilda agrippa sans s’en rendre compte le pendentif qui était le sien, et, mordillant sa lèvre, et soufflant d’inquiétude, elle plaça sa main libre sur le médaillon déposé, et de ses doigts épais, cornés, et tannés, en devina les tours et les contours, les runes et les marques d’une existence bien longue.

- Dronthagi ! Dit-elle en soufflant, avant de laisser choir sa pogne gauche depuis son collier jusque sur le comptoir, dans un geste semblable à la colère. Qui es-tu, étrangère ? Et comment as-tu connue Royna, ma mère adorée ? Je t’écoute…

L’hybride ne put s’empêcher de sursauter alors que la naine soufflant un mot colérique avant d’écraser son point sur la table. Pouvait-elle réellement la blâmer? Royna était une personne beaucoup trop bien pour cet univers de malheur, et elle méritait beaucoup mieux comme fin. Miriel baissa les yeux, évitant le regard de la rouquine, alors que son regard sembla s’assombrir. Elle devait le dire. Elle devait LUI dire. Sans s’en rendre compte l’hybride avait serré les poings à son tour, de la colère? Disons un mélange des plus explosifs entre cette dernière et la honte. Honte de ne pas avoir réussie à la sauver. Honte de ne pas avoir tenu sa promesse et surtout, la honte de ses origines. Elle avait tenté tant bien que mal d’avancer, et si Royna n’avait pas fait partie de sa vie probablement qu’elle n’aurait jamais survécu aussi longtemps. Miriel soupira, avant de relever le regard, plongeant ce dernier dans des prunelles qui lui rappelait vaguement sa protectrice.


« Mon nom est Miriel Navarante. Ma mère était une péninsulaire, une esclave au Puy d’elda. Une esclave trop jolie qui a fini par attirer l’attention de son maître. Elle est morte en couches, et une naine, Royna, me prit comme protégée… »


Elle laissa la nouvelle faire son effet, car soyons honnête, apprendre que votre mère était devenue esclave dans le pire endroit qui existe n’était pas un événement bénin en soi. Mais le pire s’en venait…


« Il y a quelques années, Royna m’a aidé à m’enfuir du Puy et m’as donné ce pendentif. » Dit-elle désignant du bout des doigts le seul souvenir qu’elle avait conservé de sa protectrice. « Pendant les années qui ont suivi j’ai tenté de retourner au Puy pour aller la sauver, mais quand je suis arrivée il était trop tard. » Il valait mieux éviter les détails de sa mort brutale. Les images qui hantaient ses nuits étaient son fardeau, pas celui de la fille de sa protectrice. Miriel baissa les yeux alors que sa voix craqua; « Je suis désolé… » Ses yeux semblèrent s’embuer de larmes. Encore aujourd’hui parler de la mort de Royna était difficile, elle ne pouvait même pas imaginer comment se sentait la naine…

Le récit de l’étrangère à la peau pâle fit passer Rhomilda Pied-de-Bronze par tout un éventail d’émotions. Royna, sa douce mère, s’était retrouvée dans les geôles de ces créatures immondes, de ces êtres sombres, imparfaits, impurs, maléfiques, horribles… Il y avait des risques à être un « Pied-de-Bronze », à vadrouiller partout sur le continent pour être toujours le premier à négocier le meilleur accord, la meilleure marchandise… Mais là… C’était la goutte de trop.

Depuis des années, plus personne au sein du clan n’avait eu de nouvelles de Royna. Tous espéraient que cela ne soi qu’un malheureux contretemps. Que cela ne soit qu’un long détour, sur une très longue route. Mais plus les années passaient, et plus le clan dû se rendre à l’évidence… Au mieux, Royna s’était trouvée une vie, et s’était arrêtée. Au pire… Au pire… Sa Braise-Vie était retournée dans les Derniers Halls.

Royna Pied-de-Bronze a été tuée dans les geôles des Drows. Au cœur d’une geôle humide, sur un sol malpropre, dans un environnement sombre, dans la solitude, la misère et… La souffrance. Tant de tristesse, trop de tristesse…

- Ma pauvre mère… Ma pauvre mère… Vous avez donc traversé tout le continent, pour retrouver la famille de celle qui vous a protégée ? C’est un honneur de vous rencontrer… Je crois… Oui, je crois que si ma mère s’est occupée de vous, c’est parce que vous êtes quelqu’un de bien… Merci, d’être venue jusqu’ici.

Sa voix était faible, son timbre tremblotant. Elle était touchée et émue… Et bouleversée. Vraiment bouleversée.

L’hybride ne savait quoi faire pour rassurer la petite naine en face d’elle. Et qui aurait pu la blâmer? Elle qui venait d’apprendre la mort de sa mère disparue depuis plus d’une centaine d’années… L’hybride baissa doucement les yeux au sol, l’air honteuse. Elle aurait réellement voulu la prendre dans ses bras, tenter de la rassurer, mais les mots lui manquaient. Il fallait dire que cette rencontre était loin d’être comme elle l’avait imaginé. Disons qu’elle ne s’était pas attendue à ce que sa protectrice ait, elle-même des enfants. Peut-être que cela expliquait beaucoup de choses, notamment l’attitude protectrice de cette dernière pour un enfant qui n’était pas le sien. « Je comprends que c’est difficile, et je suis désolé de vous amener des nouvelles aussi horribles. Il n’y a pas un jour qui passe sans que je me rappelle ses enseignements. C’est grâce à elle si je suis en vie. » Miriel soupira doucement, tentant de remettre de l’ordre dans son esprit alors que ces yeux s’embrouillaient de larmes. Si Royna n’était pas intervenue à sa naissance, elle aurait forcément été sacrifié à Natha. Après tout, un mélange d’humain et de drow était bien loin de la perfection pour ces derniers. Miriel releva doucement son regard pour rencontrer les prunelles émeraude de son interlocutrice. « Votre mère était un être exceptionnel et la moindre des choses était que j’apprenne la nouvelle à sa famille. Je suis désolée, j’aurais aimé en faire plus, mais cela est mon fardeau, pas le vôtre. »

L’hybride serra les poings, avant de baisser une nouvelle fois le regard, elle ne savait plus trop ou se mettre… « Je crois que nous devrions partir, et vous laissez diriger cette nouvelle en paix. Si jamais vous avez plus de questions, nous serons à l’auberge un peu plus loin. » Son regard se porta sur le médaillon que la naine tenait toujours entre ses doigts, allait-elle lui redonner? Elle ne pouvait pas le laisser partir… C’était la dernière chose qui lui restait de Royna.

Rhomilda n’était pas une naine parmi les plus chauvine de ce royaume du Nord. Du fait de son éducation, et de l’histoire de son clan, les Pied-de-Bronze, Rhomilda avait toujours côtoyé les autres races, ou du moins, ceux qui osaient venir aussi loin au Nord pour faire du commerce. Aussi n’était-elle point aussi raciste, ou chauvine, disions-nous. Mais elle demeurait fière, tout de même.

Et ce qui la peinait le plus, c’était de savoir que sa défunte mère, sa tendre mère, sa douce mère, avait été entre les mains des sombres, ces créatures abjectes, ces monstres légendaires… Ces êtres qu’il faut à tout prix anéantir, ou garder loin de chez soi. Pauvre Royna… Pauvre mère, morte dans un endroit oublié des dieux.

Les mots de Miriel, puis ceux de Grayle, homme qui se présenta tardivement, mais qui eu au moins la décence de le faire, jouèrent largement dans la balance. Et Rhodmila décida alors d’une chose…

- Ma mère vit à travers vous deux… Que ce soit par l’éducation qu’elle vous a donnée, Miriel… Et par la vie sauvée, la vôtre, Grayle. Je reconnais bien la mon adorable mère… Je… Elle racle sa gorge, et prend une grande inspiration. Finalement, elle sort de sous sa tunique, un épais trousseau de clés, en décroche une dans un cliquetis musical, et la dépose sur le comptoir, face à Miriel. Lante se targue d’avoir les meilleures auberges de tout le Zagazorn, grâce, notamment, à la proximité des champs, des forêts, des élevages et des meilleurs clans de brasseurs. Toutefois… Je ne peux me résoudre à vous laisser y vivre tous les deux, jusqu’à notre prochaine discussion. Prenez cette clé. C’est celle de la loge des Pied-de-Bronze. Vous mangerez et passerez la soirée avec mon clan, et moi-même. Et demain… Nous parlerons.

Et elle tendit finalement la clé, épaisse et longue, faite en fer, qu’elle tint entre son pouce, son index et son majeur.