Une fuite vers le passé [PV Lynn&Illynora]

Début de la 4e ennéade de Karfïas
21e année du Onzième Cycle
Forêts Nord du Protectorat

Tu étais à peine rentré de ton entrevue avec les Dawis et tout s’était enchaîné si vite. À une bonne nouvelle une mauvaise s’était immédiatement attachée, et à nouveau tu t’étais retrouvée sur la route. Puisse T’sisra suivre tes recommandations, qu’elle ne souffre pas trop de ton absence, et que cela suffise à ce que les choses se passent au mieux. Car pour l’heure, difficile pour toi de lui accorder plus qu’une infime part de tes pensées. La situation actuelle mérite toute ton énergie, et vous n’aviez aucune idée d’où commencer.

- Ils ont tous été déclarés disparus dans les trois derniers jours, c’est bien ça ?

- C’est bien ça, et tous au cours de sorties en forêt.

- Et les soldats qui les accompagnaient ?

- Tous disparus aussi. Et les patrouilles n’ont trouvé aucun signe particulier de lutte sur nos sentes habituelles.

- Des liens entre les disparus ?

- Pas que l’on sache. Ou du moins si, entre certains, mais rien qui les relie tous. Pour l’instant, Enimë pense que c’est probablement un coup des Ornedhels, vu qu’ils ont été particulièrement agités ces derniers temps. la tension dans la voix du soldat laisse à penser que l’hypothèse lui semble lui aussi la plus plausible C’est pour ça qu’il a préféré faire appel à toi. Il paraît que tu sais… tes sourcils se froncent, et les mots meurent dans la gorge de l’elfe d’armes ...que tu sais trouver les mots avec les elfes des clans.

Des enlèvements. Pour quelle raison est-ce que les Ornedhels de l’Epine Dorée pourraient-ils bien soudainement se mettre à enlever des Citadins ? Cela ne faisait tout bonnement pas de sens. Surtout sachant les mauvais rapports entre Pierre et Bois dans cette part de la forêt. Si les Noss cherchaient à en tirer une rançon, ils l’auraient tout de suite fait savoir, autrement ils ne se seraient pas embarrassés de nouvelles bouches à nourrir.
De ton côté, c’est plutôt à la Lune Rouge que tu attribues ces disparitions. Certes, la forêt est calme. Certes, les Chants sont paisibles. Certes, vous n’aviez trouvé aucun signe de combats, ni traces de pas profondes, ni traces de sang, ni branches brisées. Mais s’il y avait une chose dont tu es certain, c’est que vous ne savez actuellement plus rien d’Anaëh. Les vôtres auraient facilement pu être confrontés à une créature capable de les confronter sans avoir à verser leur sang.

- Pour le peu que je sais des clans du Nord, ça ne leur ressemble pas. et tu trouves cela d’autant plus inquiétant Alors en attendant d’en savoir plus, je vous propose de faire les tours des abris connus dans cette part de la forêt. Avec un peu de chance, quelques uns des disparus s’y seront regroupés.

Tu te penches légèrement, poussant Hatolwenn à se rapprocher d’Alagosdil. Puis tu soupires. Ta main vient à ton visage, et après avoir retiré ton masque, tu offres un sourire désolé à Lynn. Sachant que c’est son passé au sein des clans qui lui a valu d’être appelée à cette mission, tu imagines qu’il doit non seulement être pénible pour elle d’avoir à supporter les préjugés des Maleregeois, mais encore plus dur de constater que ce à quoi elle faisait face à Alëandir n’était rien en comparaison des dissensions existant dans d’autres protectorats.

- Je me dis que ce serait probablement une bonne idée de rejoindre Rindanim. Qu’est-ce que tu en penses ?

La tenue du moment:

Plutôt qu’une réponse en mots, tu offres un hochement de tête entendu à l’archère. Puis ton visage retrouve le couvert de ton masque, et fort de grandes enjambées de ton Marchevent, tu reprends les devants de l’expédition.

- Direction Rindanim ! tu pointes la direction du bout de ton sceptre On accélère un peu la cadence, qu’on arrive avant la nuit.

Que vous arriviez avant la nuit et que tu puisses te permettre de relâcher ton attention. Derrière la gangue de métal, voilà des heures déjà que ton regard est animé des coruscations de l’éther. Des heures que tu guettes, prêt à réagir au moindre mouvement suspect de la Trame. Des heures que tu auras finalement été le seul à tirer dessus. Seulement tu n’as pas le choix. Aucun d’entre vous ne l’a. Petit groupe que vous êtes, vous êtes tous d’autant plus tenus de faire preuve de vigilance.

Depuis la Lune Rouge, c’était là la direction que semblait prendre les choses. À cause des étranges phénomènes auxquels faisaient régulièrement face convois et patrouilles, leur format était en pleine transformation. Aujourd’hui, rares devenaient les processions comprenant ce qui est pourtant normalement un nombre conventionnel de Souffles. Au lieu de cela, soit vous étiez très peu, soit vous étiez – à votre échelle – très nombreux.

Être nombreux, c’était se donner de plus grandes chances – s’il le fallait – de combattre les plus dangereux des monstres réapparus au sein de la Sylve.
Être peu nombreux, c’était se donner de plus grandes chances de passer outre leur attention, et de les éviter. Être peu nombreux, c’était aussi être moins inquiétants aux yeux des elfes des clans, qui pour certains percevaient vos bandes armées comme de potentielles attaques à leur territoire… et puisque vous deviez composer avec des clans parmi ceux se méfiant le plus des Citadins de leurs terres…

Vous étiez cinq. Juste cinq.

D’abord il y avait Unqua, le pisteur Maleregeois chargé de vous « guider » à travers la région. Grand, la musculature fine et sèche comme l’écorce d’un jeune arbre à son premier hiver, les cheveux d’un blond extrêmement pâle, et le regard perçant souligné par de profondes cernes – témoignage de siècles d’ardu service plus que d’une fatigue de l’instant – il était tout ce que l’on attendait des elfes de sa région. Pour le meilleur et pour le pire.

Puis il y avait Aisto. Etenirili d’origine, tu ne pouvais t’empêcher de te dire qu’il aurait tout à fait eu sa place auprès de tes congénères des montagnes. Mais c’est en Alëandir, auprès des Aigles, qu’il se sera installé. Taciturne, le visage souvent pensif, encadré par les mèches de sa chevelure noire de jais, et ses épaules rondes quasi toujours légèrement ramenées vers l’avant, l’elfe avait l’air bien patibulaire. Seulement, tu sais pour avoir pendant une décennie maintenant côtoyé de près l’armée royale qu’à défaut d’être bavard, il saura – s’il le faut – faire parler sa claymore avec éloquence.

Lynn, tu la connais d’un peu plus près. Car elle est souvent de ceux que mobilise le Mainyth. Tu la connais d’un peu plus près aussi parce qu’elle fait partie de ceux à qui tu sais devoir faire attention. Lynn est fragile. Elle a été brisée une fois, et jamais le vase brisé ne se débarrasse de ses fêlures. Seulement là où Lynn s’est reconstruite elle a gagné une expérience que peu d’autres elfes ont. Une manière de voir les choses différente de la majorité des Citadins, mais qui vous est d’autant plus précieuse.

Et en dernier il y avait Illynora. Illynora dont l’expérience était presque parfait opposé à celle de Lynn. Une Citadine partie se perdre hors des murs, et qui avait su se trouver sa place dans un microcosme auquel elle était au départ totalement étrangère. Illynora qui était cependant la seule parmi vous à ne pas être une elfe d’arme, et qu’il vous faudrait protéger coûte que coûte.

Tu scrutes autour de toi, observant les ondulations de la canopée à travers laquelle percent les derniers rayons du soleil, et les murs de la forteresse abandonnée il y a peu qui s’approchent à grands pas.

- Une préférence pour le quartier dans lequel vous voulez poser le campement ? Tu lances sur le ton de la plaisanterie Personnellement je me serais bien installé dans l’amphithéâtre.

Une plaisanterie faite pour aider à oublier la douleur du souvenir récent des longues processions d’elfes quittant leurs foyers, et les larmes des enfants qui ne reverraient jamais plus les murs entre lesquels ont grandi plusieurs générations de leurs ancêtres. Une plaisanterie pour éviter de trop repenser au choix difficile que tu as fait, il y a quelques années de cela, face à des Cités que le Voile avaient condamné à péricliter.

C'est alors qu'elle s'apprêtait à prendre le départ afin de mener davantage d'investigations sur les maladies touchant l'Anaëh qu'un messager était venu trouver Illynora ; d'abord peu enjouée face à l'utilité qu'elle pourrait avoir dans une telle affaire, ce n'est que dès qu'elle appris les objectifs exacts qui lui avaient été attribués qu'elle avait décidé de prendre part aux investigations.

Habituée à évoluer chez elle, l'alchimiste n'était guère enjouée quant au fait de naviguer sur des routes dangereuses avec d'autres personnes ; A ses yeux, trois étaient suffisants mais le destin avait voulu qu'ils soient cinq en ce jour. Pour l'occasion, elle porte une tenue habituelle composée d'une tunique serrée, d'un pantalon relativement court que l'on oserait pas appeler short dans cet univers, ainsi qu'une cape verte se terminant par une capuche qu'elle portait d'ailleurs sur la tête, masquant partiellement son visage. Cette cape était attachée en un point au niveau du cou, se détachant seule si elle venait à être bloquée quelque part.

L'équipement qu'elle avait emportée était un simple sac entourant la totalité de son bassin, telle une ceinture ample. A l'inrérieur, elle avait attaché différents produits, qu'ils soient cosmétiques ; des préparations très simples afin de soigner des blessures basiques ; quelques ingrédients basiques ainsi que des graines comestibles. Son équipement d'intervention médical de base ne la quitte pas aujourd'hui non plus, si ce n'est qu'elle ne possède rien d'autre qu'un mortier en bois et aucun matériel de préparation spécifique, bien trop lourd.

Illynora est plus silencieuse qu'a l'accoutumée, se concentrant exclusivement sur la symphonie autours d'elle ; le mouvement des plantes, l'intuition, c'en est presque une méditation. Elle ne releva nullement l'intervention de Lynn, ce qui signifiait de toute évidence qu'elle était en accord ; rester immobile était signer sa perte. Tout ce qui rampait, courrait, parfois même volait, avait une très bonne prise sur une cible tout à fait immobile.

Le crépuscule pointait à l'horizon, rendant la forêt si douce un endroit de ténèbres, les arbres majestueux projetaient leur ombre au sol telles des lances acérées, menaçant tous ceux qui emprunteraient les chemins forestiers de l'Anaëh.

La soigneuse prit la parole d'une voix douce afin de répondre à Artïon, a priori sans percevoir le second degré.

- Je préfère nettement me reposer dans un arbre a proximité, si d'aventure cela ne vous pose pas de problème.

Sa démarche se fit plus lente, son regard se portait déjà sur quelques cimes alors qu'elle levait la tête aléatoirement au film de son avancée.

- J'ai appris à craindre le sol voyez-vous, certaines menaces sont trop massives pour escalader, d'autres sont trop occupées pour lever le museau.

Elle fronça les sourcils un bref instant, concentrée dans sa tâche.

- Mais bien évidemment libre à vous de vous enfermer au ras du sol entre des murs avec des issues limités.

Illynora fit un sourire appuyé totalement faux, une arrogance crasse qu'elle réserve à elle même vu qu'elle ne croise le regard d'aucun de ses interlocuteurs ; ce petit sourire signifiait bien des choses selon l'interprétation qu'on en avait, allant peut-être d'un mépris à peine discernable vis à vis des habitants de la cité, tout comme il aurait pu être interprété avec ironie. Chaque sensibilité y trouvera son compte sans qu'elle-même n'ait d'arrière pensée spécifique, malgré son comportement orgueilleux qui n'était pas sans rappeler celui de ceux qu'ils recherchaient afin de tirer au clair ces disparitions.

- Naturellement.

Tu hoches la tête en réponse aux préconisations de Lynn. Plus qu’un endroit où passer la nuit, les ruines de Rindanim étaient potentiellement une première étape dans vos recherches. Après tout, depuis que la nature reprenait le dessus sur les murs de pierre laissés derrière vous, nombreuses de ces Cités avaient été réappropriées par les Ornedhels. Avec un peu de chance, il en serait de même ici, et les Souffles présents sauraient vous donner quelques indices auxquels vous raccrocher.

Une fois les portes de la muraille passées, d’un bond, tu descend de ta monture, comme pour mieux t’imprégner du paysage qui vous entourait. Ce n’est pas la première fois que tu visites l’une des « anciennes » Cités, et pourtant, tu es chaque fois aussi impressionné. Car tout est à la fois si semblable et si différent. Rien n’a changé. Les bâtiments que vos ancêtres ont construit se tiennent toujours droits et fiers. Épargnés par l’usure. Quoi de plus normal après tout. Votre départ est jeune. Quelques années ne suffiront pas à éroder le travail de vos artisans. Mais quelques années ont suffi pour que la nature les étreigne et menace de les dévorer. C’était beau et effrayant à la fois, cette manière qu’avait la forêt de s’insinuer par le moindre interstice, d’embrasser la moindre courbe, et de recouvrir, comme un drap de mousses et de lianes, le moindre de vos murs.

C’est à la fois magnifique et terrifiant, de voir la Sylve épouser les formes de votre architecture. De voir les arbres se jeter presque à l’horizontale, pour offrir à vos tours des bras subérifiés. D’écouter le silence ayant remplacé la multitude de voix qui animait auparavant ces rues. La solitude. C’était le sentiment le plus prégnant parmi ceux t’ayant assailli depuis votre arrivée. Pas un Souffle que ton lien avec les arcanes ne t’ait donné de débusquer. Et la nature elle-même se faisait discrète, réservée, comme endormie.

- Il n’y a pas l’air d’avoir Souffle qui vive ici. et c’en est même inquiétant C’est étrange…

Lentement l’astre solaire plonge derrière l’horizon. Les restes de la Cité s’illuminent de douces flammes bleues. La scène t’arrache un doux sourire. Tu avais vu la même chose à Faeldolen. Le spectacle à la fois profondément triste et si chaleureux des lueurs abandonnées derrière eux par les Taledhels. Les lueurs dont même les Ornedhels respectaient le caractère sacré. Un peu de lumière pour oublier le silence pendant que vous inspectiez la ville.

Vide. La Cité était vide. Entièrement dominée par la Sylve. Au point que les chants des oiseaux nocturnes eux-mêmes s’inclinent devant ceux des Premiers-Fils. Pas de prédateurs à craindre entre ces murs, ou si peu. Ce serait là au moins un danger en moins à craindre au moment où vous poseriez votre campement.

- Le plus raisonnable serait de s’installer dans les tours palais. tu déclares, le front plissé derrière ton masque de fer On y aura l’avantage de la hauteur en cas de problème. tu marques une pause Et c’est l’endroit qui a l’air le moins envahi par la végétation.

Habituellement ce dernier critère ne t’aurait fait ni chaud ni froid. Seulement… la Sylve entre ces murs ne t’inspire pas confiance. Pas le moins du monde.

Illynora souffla du nez nonchalamment en voyant la non-réaction d'Artiön, sans doute car elle appréciait tout particulièrement se plaindre auprès de lui de diverses choses ; il avait visiblement rapidement prit le pli. Elle ralenti très légèrement la cadence afin de se mettre à hauteur de ses compagnons à l'arrière, laissant ainsi le décisionnaire un peu plus en avant.

Son visage n'affiche pour l'instant nulle inquiétude, car bien qu'elle soit à moitié concentrée sur ce qui l'entoure, ce qu'elle perçoit intérieurement ne l'affole pas. Aucun mouvement brusque, aucune attaque immédiate, rien ne semble perturber le sentiment si particulier que lui offre ce lieu. Son coeur bat différemment des autres endroits auxquels elle est habituée, sans doute car les racines ayant brisées le sol, les lianes barrant l'accès à certains bâtiments et les quelques petits animaux ci et là évoluent dans des conditions tout à fait différentes que dans la nature sauvage.

Les choses dans cet endroit évoluent lentement, mais avec une détermination à toute épreuve et une force à peine croyable.

- Je pense qu'aucun de nous ne dormira cette nuit, peu importe ou nous nous reposerons, lâcha t-elle à voix basse auprès de Lynn.

Si elle avait bien analysé ce qui l'entourait, elle doutait que sa comparse puisse fermer l'œil ici au vu de la façon défensive avec laquelle elle progressait - sans doute à raison - depuis que leur chemin s'était joint. Elle-même contemplerait la symphonie, car ce lieu abritait un caractère sacré certain et elle ne perdait nullement une occasion d'analyser chaque souffle qu'elle pourrait percevoir aux alentours. Quant à Artiön, ce géant qui lui donnait mal au cou ne se laisserait pas distraire avec la responsabilité d'un groupe.

Elle n'avait que peu discuté ou entrevu quoi que ce soit de spécial a propos d'Aisto ou Unqua, bien qu'elle n'imaginait pas le guide de l'expédition s'endormir comme un loir au vu de l'incertitude des lieux.

- Devrions-nous faire une visite plus approfondie des lieux avant d'y établir un campement ? Nous ne savons même pas si la végétation à endommagé les fondations des structures, les endroits en hauteur n'en seront-ils pas davantage affectés ?

Avec beaucoup de réflexion, elle venait de trouver un autre sujet à remettre en question, bien qu'elle jugea cette fois-ci sa question tout à fait légitime. Elle préférait se fondre dans son environnement que de le dominer, et après toutes ces années dans la nature, elle se rendait compte que leur façon de faire était devenue drastiquement différente. Elle en comprendrait presque les nomades sur différents aspects culturels.

Alors qu'elle attend une réponse, l'Alchimiste sort de sa sacoche un petit contenant en bois parfaitement taillé qu'elle ouvre, ce dernier sentait une forte odeur de pomme avec des notes de fruits sous la forme d'une sorte de pommade ou de cire gluante.

- Pas en quelques années à peine en tout cas.

Tu interjectes pour appuyer les mots de Lynn. Murailles et Palais sont dans chaque Cité les plus anciennes de vos constructions. Bâties du temps où vos artistes et artisans étaient encore inspirés par les murmures de L’Aînée elle-même et de ses Ëalas. Si le Voile, dans toute la puissance que la Sylve y déployât avait à peine réussi à les écorcher, c’est qu’il faudrait bien des années encore avant que le bois ne déloge la pierre. Pour ce qu’en disent les maigres rapports des expéditions menées là-bas, même en Aduram après des Cycles de violence, restaient encore debout des bâtiments de l’ancien Linoïn.

- Quant à dormir... tu observes les alentours avec toujours autant d’appréhension ...on organisera des tours de garde, comme d’habitude. tu réprimes un léger rire On risque de ne pas tenir bien longtemps si on refuse de dormir.

Et dormir il ne faudrait pas trop tarder à s’y résoudre. La nuit était tombée durant votre procession vers le palais. La ville est grande. Il faudrait des heures pour correctement la fouiller. Et l’obscurité ne vous aiderait pas à découvrir quoi que ce soit. Tu aimerais savoir d’où vient ce malaise, seulement il fallait bien s’y résoudre, en poursuivre l’origine dans ces conditions serait prendre des risques inconsidérés. Il vous faudrait vous contenter de ce qui se trouvait face à vous. De votre environnement proche. De là où vous vous installeriez pour ce soir.

- On n’aura pas le temps d’inspecter la ville, mais quitte à s’installer dans le palais, autant le passer au peigne fin.

Aussi finement en tout cas que vous en étiez capables privés de la pleine acuité de votre vue. Et – tu n’arrives pas à te l’enlever de la tête – peut-être étais-ce cela qui vous avait fait défaut, parce que malgré ce désagréable sentiment de danger imminent, rien ne semblait poser de problème. La cour, les jardins, l’Aile d’accueil, le palais dans son entier n’était rien de plus qu’un immense bâtiment abandonné, grignoté par la végétation. Ici il n’y avait rien de plus que racines et lianes s’entremêlant autour des piliers, mousses grimpant aux murs et papillons nocturnes à la recherche de fleurs de nuit.

- Ici, ça devrait le faire.

Ce qui avait été la salle d’audience du Protecteur de Rindanim. Une grande pièce ronde entourée d’immenses fenêtres de verre… ou de ce qu’il en reste, donnant sur ce qu’il reste de la Cité en contrebas. D’ici de jour vous auriez pu voir tout ce qui bouge en direction du palais, ou presque. Mais surtout, d’ici vous pouviez entendre ce qu’il se passe autour du palais.
Tu retires ton masque, et soupires un grand coup. Monter le camp ici, en plein milieu d’une salle de pierre, avait quelque chose d’à la fois irréel et presque… amusant. Parce qu’ici, les ressources à votre disposition n’étaient plus les entrelacs de liane à tresser ou le tapis de feuilles mortes à rassembler en un ersatz de coussin, mais les restes de véritables matelas et coussins, ternis par l’abandon mais à peine rongés par le temps.

- Lynn, tu peux m’aider à retirer mon armure ? Le camp était monté, tes nerfs quelques peu déliés Désolé de ne pas avoir eu d’arbre à te proposer Illynora, mais au moins on n’est pas vraiment au sol.

Quelques peu déliés seulement. Restait maintenant à espérer que la nuit ne vous réserve pas de surprise.

Illynora écoute attentivement les réponses de chacun bien qu'elle semble concentrée. Elle plonge deux de ses doigts dans le mucus visqueux puis tend le bras silencieusement, en badigeonnant les murs autours d'elle. Ceci n'était guère le comportement que l'on adoptait dans un endroit ou l'on se sentait en sécurité, ce qui trahissait son calme relatif apparent. L'alchimiste ne procédait pas par ordre logique afin que l'on ne les suive pas, elle avait déposé ci et là la mixture, sur des bâtiments complètement au hasard afin d'en saturer certains lieux. L'odeur était nettement têtue pour tout être doté d'un sens de l'odorat développé.

Ce genre de petites préparations servait à masquer l'odeur du corps aux animaux possédant des sens aiguisés, notamment à tous les dérivés de félin adorant monter aux arbres pour déloger des proies potentielles, servant également de répulsif car relativement agressif pour eux ; une odeur amplifiée plusieurs centaines de fois devenait une abomination. Il attirait cependant les végétariens a l'odorat modérés, qui eux même serviraient de proie aux plus gros carnivores, contrairement aux elfes se trouvant aux alentours. Les insectes seront aussi de la partie, mais cette préparation était sans danger.

On ne trouvait nullement de pommes dans les forêts profondes, il y'a donc fort a parier que la magie d'Illynora avait fait son œuvre dans la composition même du produit.

- Certes.

Un seul et unique mot prononcé d'une voix douce venant de balayer ses arguments précédents. Ils avaient raison, nul besoin de batailler là dessus.

- Votre ouïe est fidèle à sa réputation, il ne reste plus à espérer que personne ne ronfle. Je veillerai toute la nuit, si bien évidemment cela ne dérange personne. Sa majesté aura le privilège de me porter afin que je puisse récupérer pendant la journée.

Un sourire amusé vint se dessiner sur son visage, masquant maladroitement le fait que ce n'était pas de son plein gré qu'elle ne dormirait pas, mais bien par inconfort car sa première impression naïve s'était estompée ; après une plus ample écoute de la symphonie, quelque chose ne tournait pas rond ici, et si ce n'était pas les dalles ou les murs fragilisés, elle ne comprenait pas d'où lui venait cette impression de danger et cette prudence excessive. La fouille des lieux ne dénota rien d'anormal pour autant.

Quelques instants plus tard, le petit groupe était arrivé à destination et se situait donc dans cette pièce principale dont certaines fenêtres étaient cassées. Illynora emporta plusieurs poignées de feuilles qu'elle disposa ci et la contre la fenêtre entre elle et le verre, puis trois longues lianes avant de s'installer silencieusement à une fenêtre salie par les années d'abandon. On y dinstinguait à peine l'extérieur, assez pour voir ce qui s'y allait se mouvoir dans la nuit.

- Pas de feu, d'aucune sorte. Pas d'étincelles. Pas de magie. Pas de lumière aussi faible soit-elle. Pas de bruit. Sans vous ordonner bien sûr, vous êtes libre d'allumer un feu de joie si cela vous chante, mais mon bon sens se doit de s'exprimer.

Afin de ne pas être vue depuis le contrebas, elle enleva sa cape et la mis par dessus elle en guise de couverture, la capuche a l'envers masquant a moitié son visage. Ainsi entre ça et les feuilles, elle cassait les formes de son corps et une fois immobile vue de loin, elle pourrait être une pierre ou un morceau de bois sans que l'on ne distingue sa silhouette, pour le peu que l'on détecterait quelque chose.

- Je n'aime pas du tout cet endroit Artïon, mais je te remercie d'avoir considéré ma requête.

Au moins c'était chose dite, car si lui ne se sentait pas en sécurité entre des murs, elle qui avait appris a évoluer en extérieur depuis de longues années était encore moins à l'aise. Elle se sentait comme un animal en cage en proie à son bourreau. Rien à voir avec les murs vivants et rassurants de la capitale dont la symphonie était familière. Les oreilles d'Illynora se baissent par moments, témoignant sa crainte et trahissant ses sentiments malgré un visage impassible.

Elle resta silencieuse, écoutant attentivement la symphonie. Les longues lianes qu'elle a emprunté auparavant trainent sur le sol de la pièce et bougent sans un bruit. Elle semble les entrelacer en une solide corde, ses mains ainsi que ses mouvements sont masqués par le pan de la cape devant elle, rien n'est perceptible depuis l'extérieur. Chaque geste est lent et doux, ne perturbant que peu l'environnement. Son visage est tourné vers le silence glaçant extérieur, elle y jette un regard défiant le monde sauvage. Sa respiration se fait bien plus faible alors qu'elle se concentre attentivement sur la symphonie, sur ce qu'elle ressent.

- Pas plus que tes ongles ne te font mal aux doigts.

Tu ris sans vraiment rire. Kaëlistravaë te l’avait fait remarquer la dernière fois qu’elle t’avait vu nu. Les écailles d’or gagnaient du terrain sur ton dos, et s’y disséminaient maintenant par endroits telles de miroitantes tâches de rousseur, là où elles n’étaient auparavant confinées qu’à la forme tracée par les tatoueurs du Sanctuaire. Ce que cela pouvait bien vouloir dire, tu n’en avais aucune idée, si ce n’est le sentiment que la Créature de légende t’observe, d’une manière ou d’une autre.

- J’espère pour toi que les insectes ne m’empêcheront pas trop de dormir heri Pas-de-Feu.

Libéré de ton armure, et le haut de ta combinaison te retombant sur les jambes, tu pars t’installer dans un nid fait d’un amoncellement de matelas ramollis et de draps légèrement humides. Tu n’es pas encore allongé que tu te sens soudainement lourd, frappé par les conséquences de l’invisible effort auquel tu t’es livré toute la journée durant.

- Parce que si demain je n’ai pas la force de te porter… tu bâilles ...on te laisse ici, c’est moi qui te le… tu bâilles à nouveau ...dis.

Tu t’es allongé, et tu t’es immédiatement écroulé. La fatigue aura été plus forte que tes appréhensions, et la responsabilité, tu l’avais abandonné à tes camarades, te contentant de dormir ton sceptre entre les bras, espérant être prêt à t’en servir si jamais ton sommeil venait à être perturbé.

La nature siffle un insidieux murmure. Quand votre attention s’égare les Chants s’excitent. Quand votre Ouïe est titillée ils font silence à nouveau. Une mélodie tordue, discrète, fébrile, résonne en ces lieux. Elle est un reflet de ce qu’elle aurait dû être, une médiocre imitation de la normalité, se voulant tromper des Souffles trop aguerris, et des oreilles trop fines.

La Sylve attendait un moment qui n’était pas censé venir. Le moment où vous auriez tous fermé les yeux, l’instant où vous vous seriez tous faits cibles faciles. Mais vous vous refusiez à abaisser votre vigilance. Vous vous refusiez à vous séparer. Vous vous refusiez à vous abandonner à elle. La Sylve s’était presque fatiguée de vous attendre, presque résignée à vous laisser à votre sort, quand celle-qui-vous-garde flancha.
Sans un bruit, avec une cruelle lenteur, les lianes cherchèrent les chevilles des endormis et des veilleurs épuisés. Glissant, glissant lentement jusqu’à pouvoir s’en saisir. Pour tous sauf Lynn, qui était déjà à leur merci. Pour tous sauf Lynn, qui même sombrant dans la folie vous donna à tous une chance d’échapper à la mort.

Le cri de l’archère, puis le fracas pas de l’alchimiste t’arrachèrent à ton sommeil sans rêves. Tu secoues la tête, roules les épaules, et sans prendre le temps de reprendre conscience de ton environnement, te saisis de ton focaliseur et pars à la poursuite des deux demoiselles, faisant bien peu de cas de la vrille que tu arraches en te lançant dans ta course. Unqua et Aisto de même se lèvent en catastrophe, les mains partagées entre se saisir de leurs armes et retenir leurs pantalons.

- Lynn ! ton sceptre te tourne entre les mains, tu arraches littéralement des fils à la trame, réduisant au silence la pulse du monde pour toucher celle de l’archère Concentres-toi sur ma voix !

Le corps et l’esprit sont intimement liés. Les maux du corps induisent la folie. La folie endolorit le corps. À Lynn, victime de sa psychose, tu imposes le calme. Tu essaies d’imposer le calme. Les arcanes que tu diriges partent la lécher, mais si tard… ce à quoi vous avez échappé, elle en est finalement seule victime. La vigne se retire brusquement, emportant avec elle sa proie. Infligeant à son corps autant de douleur que tu essaies de lui en épargner. Et vous…

- Pas question qu’on la perde de vue !

Illynora resta silencieuse pendant un long moment, observant du coin de l'œil Unqua qui avait abandonné l'idée même de faire un feu. Il le fallait, sans doute car transformer une des tours en phare était une bien piètre initiative, quand bien même ils furent en forêt. Depuis certaines cimes, on pouvait voir une lumière a une distance importante, ainsi que les ombres se projeter sur les vitraux de la pièce.

Elle observa attentivement Lynn se débarrasser de son armure afin de satisfaire une certaine curiosité désintéressée. Son regard regagna la pénombre, elle avait prit la peine de lancer un sourire sincère qui, même si Artïon n'avait pu le constater directement car elle avait tourné la tête, l'avait très certainement entendu. Cette attention particulière et cette taquinerie l'avait touchée.

L'Alchimiste avait toujours vécue dans les tirades, le conflit, la répartie bien emmenée. Une douce joute était pour elle plus important encore que n'importe quelle attention. Elle ne répondit pas, sans doute car elle avait été prise au dépourvue et ne savait pas quoi dire de plus.

La nuit passait, les longues minutes alors que la respiration de ses camarades rythmait le temps passant. Elle les imaginait tous endormis, alors elle entonna un petit chant a peine perceptible.

Melmë nóren sina
núra ala Eäro nur
Ilfirin nairelma
ullumë nucuvalmë
Nauva i nauva

Elle continua ainsi pendant de longues minutes, telle une berceuse à un nourrisson tout en continuant de tresser inlassablement ces lianes qui finirent bientôt en une solide corde d'une longueur respectable. Elle chantait l'amour de sa terre, la dévotion infaillible envers ses croyances, le départ des souffles, la sagesse des millénaires. Parfois, sa voix se teintait de crainte ou l'on devinait une plainte silencieuse sans larme, telle un temps orageux sans pluie.

Elle ne fût tirée de ses songes qu'au réveil de Lynn, elle s'interrompit sans détourner le regard du lointain. Déjà en contrebas, quelques lucioles s'étaient rassemblées le long des bâtiments recouverts du gel sucré, éclairant à peine une nuée d'insectes. Aucune créature n'était venue se perdre ici pour l'instant, si ce n'était de petits rongeurs léchant maladroitement les dalles, a défaut de pouvoir atteindre les murs.

Illynora ne tourna la tête en direction de la porte, alertée par le bruit d'un objet chutant sur le sol, elle pencha la tête l'air interloquée, sans prononcer un seul mot. Son regard se porta d'abord vers l'entrée, puis il se baissa vers le sol pavé alors qu'elle se concentrait exclusivement sur son audition, elle se demandait ce qui était en train de se produire. Elle n'avait ressenti aucune menace pour l'instant, ni ne sentait rien d'anormal dans l'air. Elle n'avait aucune idée de la situation. Elle s'apprêtait à réveiller Artïon, mais en fût empêchée par la suite des évènements.

Au premier cri qui transperça le silence, Illynora s'était déjà levée, son objectif primaire était de savoir pourquoi Lynn se mettait dans cet état et surtout si il y avait un danger. Dans la précipitation, elle laissa tomber la corde au sol et ne prit même pas le temps de sortir une lame quelle qu'elle soit ; après tout elle n'avait rien ressenti.

- Lynn ? Lynn ! s'exclama t-elle d'une voix modérée.

Elle ne devait sûrement pas être loin, ainsi elle avait quitté la pièce au moment ou Artïon émergeait afin de se précipiter auprès de Lynn. il y avait deux danger en ce bas monde : Les adversaires et les fous.

- Tu as mal quelque part ? Il se passe quoi ? Réponds moi.

Sa voix est douce et mesurée, presque maternelle bien qu'un léger trémolo trahissait une nette inquiétude, mais aussi a cause de sa vitesse de course. Elle ne comprend aucunement la raison de cette situation si ce n'est qu'elle ne doit pas la perdre. Illynora se rendit compte finalement de la scène dès lors qu'elle avança plus en avant dans le couloir et décida instinctivement de ne lutter a aucun moment contre la vigne, préférant faire preuve d'agilité afin de s'écarter au dernier moment tout en gagnant du terrain sur Lynn.

Alors qu'elle s'approche de plus en plus, elle se concentre sur le focalisateur à son doigt et commence déjà à visualiser sa magie, car la sienne avait la particularité de ne fonctionner qu'au contact direct et demander une concentration particulière.

Comme un seul être, branches, lianes et racines auparavant inertes se délègue la possession de Lynn. Vous lui donnez la chasse à toutes jambes, mais la jeune archère immobilisée court à travers les feuillages ayant percé la roche à une vitesse ahurissante, vous forçant à éviter – autant que vous le pouvez – les obstacles jonchant votre chemin. Et en toi l’inquiétude monte en flèche, car pour l’instant vous êtes à l’intérieur. Pour l’instant la direction dans laquelle la Sylve peut l’emporter est évidente, mais la sortie du palais n’est pas loin, et là… là…

Tu ne peux rien pour Lynn. Pas pour l’instant. Mais tu peux vous aider vous à ne pas la perdre. Ton sceptre compte les heures, s’illumine aux couleurs de l’éther, et sans que tu ne ralentisse le pas, souffle des forces arrachées à la Trame à tes camarades. Tant que tu canalises ils ne s’essouffleront pas. Tant que tu restes concentré leurs corps auront autre part où puiser que dans leurs propres réserves.

- Courez aussi vite que vous pouvez, je m’occupe du reste.

Vous perdez du terrain. Vous perdez du terrain et arriver dehors est la promesse d’en perdre encore plus. Tu pestes intérieurement, et ton discours intérieur devient un râle sonore lorsqu’au-dessus de vous, le ciel nocturne vous fait la promesse à laquelle vous vous attendiez tous.

- Suivez-moi ! Unqua brise la formation, s’élançant en direction d’une masure délabrée proche Je crois que j’ai compris où est-ce que ces choses l’emmènent.

Qu’aviez-vous d’autre comme option ? Tu décides de suivre le pisteur, mettant tes pas dans les siens sans plus réfléchir. Aurais-tu eu les pensées plus libres que tu aurais remercié Aegden de t’avoir rééduqué à l’art de la varappe et de la course en milieu urbain. Car Unqua vous a mené sur les toits. De plafond en rempart et de rempart en plafond vous sautez, grimpez, et plongez, le pas assuré que vous le permet le clair de Lune. La nuit n’est pas noire, mais il fait trop sombre maintenant pour distinguer la silhouette de votre Soeur à travers la canopée. À la place, ce sont vos oreilles, cherchant le son, cherchant le bruissement qui la poursuit, qui vous indiquent si vous faites toujours bonne route. Et il semblerait que oui.

- Stop !

Unqua vous arrête, en haut d’un rempart, pour vous donner l’occasion d’observer le terrible spectacle se jouant en contrebas. À vos pieds, le Sanctuaire de Kÿria, et à son centre, l’Arbre-Maître de Rindanim. Autour de l’arbre maître, des formes vivantes, animées, celles qui semblaient jusque-là absente de la Cité. Vivantes, animées, mais faites d’écorce et de liège plutôt que de muscle et d’os. Des prédateurs tout végétaux, faisant leur ronde autour d’un cimetière.
Pour chaque félin de bois gît un félin de chair. Pour chaque oiseau de feuilles gît une carcasse emplumée. Et au centre de ce cimetière, la prochaine proie de l’Arbre-Maître. Lynn.

La course effrénée au travers du dédale construit par les vivants semble interminable, et la nature qui jusqu'à présent battait plus fortement qu'ailleurs au sein de la symphonie était désormais en proie à un chaos effrayant, à tel point qu'Illynora ressentait une boule au ventre permanente comme si quelqu'un lui avait infligé un coup dans ses entrailles sans que la douleur de l'impact ne se soit estompée.

Elle progressait, tant bien que mal, motivée par la voix de Lynn à poursuivre. Elle était désormais presque à portée, sa main n'étant qu'a deux ou trois enjambées de son objectif. Dès que la corde végétale tourna brusquement vers la sortie, l'alchimiste perdit alors un bon mètre de progression. Elle ne pouvait pas se vanter de pouvoir faire des virages aussi aigües. La liane se contentait de tirer sans réfléchir afin d'arriver à sa source, et elle, devait devinait en permanence quel serait le prochain mouvement.

Illynora ainsi que Lynn finirent par se retrouver non loin de la pénombre tamisée par les lumières naturelles, mais aussi par la lune transperçant les hauts sommets. L'air se fit plus froid dans cette allée donnant sur l'extérieur, et même si elle était habile et habituée à évoluer à de tels rythmes, elle ne pouvait le faire tout en esquivant se qui se présentait à elle : De nombreuses lianes décidées à freiner sa progression. Lynn venait d'être entrainée dehors.

Elle la talonnait, essoufflée et frustrée, elle tendit la main une dernière fois, concentrée sur son art qui était toujours canalisé entre ses doigts au cas ou elle parvienne à l'atteindre, mais du végétal vint s'interposer dans l'encadrement de la porte de sortie, créant comme un filet qui avait pour but de la bloquer complètement dans son élan. Elle était trop proche pour s'arrêter tant elle fût prise par surprise, et sa main n'eut d'autre choix que de rentrer en contact avec le végétal froid d'une texture presque caoutchouteuse.

Ce dernier fana en une seconde en un bruit de morve désagréable à entendre, les différentes feuilles, la texture, tout changea rapidement et tomba au sol en différents sons de gouttes d'eau ; il semblerait que tout ce qui avait été relié à cette barrière végétale venait d'être transformé en sa composante majoritaire : La Chlorophylle. Dans cette situation, impossible de ne pas perdre l'équilibre et ainsi, l'alchimiste tomba au sol avant de rouler sur un mètre.

D'un geste vif, elle se releva aussitôt mais elle avait perdu toute trace de Lynn. Illynora souffla longuement, cherchant sa respiration mais aussi une alternative, et le salut vint en la proposition d'Unqua. N'étant pas en état de réfléchir, elle obéit par réflexe et suivit le groupe avec une aisance relative : Elle était habituée à évoluer dans la nature, pas sur les bâtiments, ce qui lui fit prendre un léger retard sur ses camarades, retard qui sera rattrapé dès lors que l'évolution se fit dans la canopée.

L'ordre donné stoppa net Illynora qui peinait à se remettre de l'effort qu'elle venait de fournir malgré l'intervention d'Artïon. Elle tourna sa tête a gauche et a droite, comptant le nombre de personnes ayant pu suivre ; sans surprise, Aisto était aussi à leur côté et ils étaient donc rassemblés les quatre, cherchant à récupérer leur cinquième membre.

La symphonie qui bat ici est beaucoup plus forte que là ou ils étaient précédemment, à tel point qu'elle en eut la nausée. Les feuilles bougeaient d'une façon anormale, le bois avait prit possession de souffles dont les anciennes enveloppes gisaient ci et là, l'endroit avait été abandonné à une nature vengeresse. Peu importe ce qu'ils allaient faire, elle savait qu'elle allait passer un sale quart d'heure. Se battre n'était jamais quelque chose d'élémentaire pour Illynora, mais se battre contre les forces qui étaient à l'œuvre ici l'était encore moins.

- Je croyais qu'il était interdit d'attaquer le vivant sans raison dans un lieu de culte dédié à Kÿria ? On fait quoi ? demanda t-elle à l'oreille d'Artïon en une question qui restera imperceptible pour le reste du groupe.

Elle n'avait aucune idée de comment procéder et pour cause : Elle n'était ni stratège ni guerrière, et pas assez zélée pour foncer dans le tas. La seule chose qu'elle savait, elle le tenait de son instruction religieuse et ne comprenait aucunement les enjeux qui se jouaient ici, ou du moins pas en détail.

Illynora eut un haut le coeur et manqua de rendre, elle ne se sent pas bien du tout.

Tu observes avec grand peine le triste spectacle se jouant devant vous, le coeur battant la chamade alors que la mort se rapproche lentement de l’une des vôtres. Combien de temps avant que la Sylve inflige à Lynn ce qu’elle avait infligé à toutes ces autres victimes ? Tu n’en sais rien et c’est ce qui te terrifie. Aucune des carcasse ne semble en mauvais état. Les animaux sont presque entiers. Décrépis, certains d’entre eux soufflant un horrible fumet de pourriture, mais presque entiers. Tu aimerais te dire que c’est là la promesse d’avoir un peu de temps… mais qui sait vraiment ?

Dominer. Écraser. Remplacer. Colère et peur cohabitent ici en une dégoûtant harmonie. Dominer. Écraser. Remplacer. La véritable crise existentielle semblant animer l’Arbre-Maître de Rindanim t’étreignait le coeur. Que vous arriviez à arracher Lynn d’ici… et après ? Les meurtrissures de la Sylve resteraient les mêmes. Les vrilles vengeresses ne vous laisseraient probablement pas fuir la Cité, et même si c’était le cas, la mort continuerait de dominer cet endroit. Vous ne pouviez pas laisser un Sanctuaire dans cet état.

- Je te laisse aller le rappeler au Sanctuaire lui-même si tu veux ? tu réponds d’un ton pincé avant de hausser la voix, que tous t’entendent distinctement On récupère Lynn, coûte que coûte.

Deux épées et une alchimiste. Voilà tout ce que vous aviez pour affronter une armée de créatures végétales mues par la colère du plus puissant arbre de la région. Un défi impossible en somme. À moins que…

- Illynora. tu l’interpelles sans la regarder, ton regard encore accroché à votre « adversaire » Combien de temps il te faudrait pour fabriquer un élixir qui puisse calmer un arbre de cette taille ?

Les oreilles d'Illynora passent de bas en haut vivement dès la première réponse d'Artïon. Elle enlève la main de sa bouche avant de se redresser tant bien que mal, sans avoir rendu quoi que ce soit. L'Alchimiste entrouvrit la bouche afin de répondre à la question, mais la ferma aussitôt. La réponse qu'elle allait apporter n'était sans doute pas la bonne alors elle continua de réfléchir.

Au final, tout dépendait du mal qui touchait l'arbre ; "Autant de temps que ce qui sera nécessaire pour trouver le mal qui le ronge" aurait été sa première réponse, avant qu'elle ne repense à ce qui empoisonnait les mulots en Anaëh, ce qui avait changé la composition des plantes et augmenté leur agressivité ainsi que leur poison. Quel était le pourcentage de chance que le mal ayant altéré la végétation ait altéré cet arbre ?

Le lieu était loin mais les effets étaient une altération du fonctionnement soit guères différents, et récemment l'on avait constaté que le poison issu des plantes avait empiré et les symptômes avec. Avait-elle devant elle la forme finale de ce qui allait se produire non loin de la Cité ?

Illynora se pinça les lèvres. Elle avait étudié le poison, soigné les animaux et enfin, étudié en partie les changements qui opéraient dans les plantes, dans cet ordre. C'était donc l'étude la plus récente et de facto, la moins aboutie. Elle aurait bien eu besoin d'un cerveau supplémentaire, ainsi elle se mit à penser à voix haute au cas ou il aurait une autre idée.

- Si c'est la même altération que les plantes de la forêt d'Alëandir mais dans sa version originelle, on a l'option de calmer l'arbre définitivement en le détruisant, ce qui me prendra une energie considérable pour un effet moindre, et de plus je ne sais pas ce qui adviendra de moi.

Faire fâner un arbre était un jeu d'enfant pour elle à condition qu'elle ait assez de magie et de puissance. Mais pour quelque chose de cette taille, c'était très peu probable, même si elle venait à y laisser sa vie au passage. Altérer un arbre si imposant était un doux rêve éveillé, pour un résultat qui ne serait pas immédiat. Mais après tout, elle ne perdait rien à proposer tant que cela leur faisait gagner du temps.

- Ou alors je peux le calmer temporairement avec une préparation, par chance j'ai emporter le matériel primaire donc d'ici dix minutes je peux avoir une solution de prête. Ca qui prendra une minute à agir pour une durée d'une demi journée d'effet au vu de la taille de l'arbre. Je n'ai pas assez d'ingrédients pour plus.

Illynora n'avait pas tout emporté avec elle, mais par chance, elle avait emporté un peu de tout afin de soigner les mulots et les plantes qu'elle croiserait en chemin. Elle commence à sortir le matériel d'alchimie afin de gagner du temps au cas ou il opterait pour cette option.

- Pas question de détruire un arbre-maître ! Aisto s’emporte

- Ni de t’envoyer à la mort pour une maigre chance de réussite.

Tes yeux sont rivés sur Lynn, tes sens accrochés à la pulsation qu’elle impose à la Trame, et ton coeur laissé perméable aux humeurs de la Sylve folle. Tu ne sais pas combien de temps vous avez devant vous, alors à la moindre arythmie, au moindre Cri, tu veux être prêt à intervenir. Mais comment ?
Tu réfléchis à la dernière proposition d’Illynora, seulement tu le sens, et elle le sait, mais le phénomène auquel vous faites face n’a rien à voir avec celui s’étant emparé des bois Lëandrins. Rien… ou peut-être que si ? Non. Ce n’est pas la même chose, mais peut-être l’essence du phénomène est-elle assez proche pour que les élixirs de l’alchimiste soient tout juste assez efficaces. Vous n’aviez pas d’autre option après tout, alors rien ne vous coûtait d’essayer.

Toujours à l’affût du moindre mouvement, et du moindre indice, tu termines d’enfiler la combinaison dont le torse te pendait jusque-là sur les hanches.

- Tiens. Unqua tend à Illynora une petite fiole J’ai toujours une petite fiole d’eryolis sur moi. Avec un peu de chance ça pourrait serv…

- On n’a plus le temps !

Tu frappes de ton sceptre au sol, offrant depuis votre perchoir ton soutien au corps de Lynn, que les épines de sa prison venaient de percer.

- Illynora. Tu restes ici, essaies de nous fabriquer un semblant d’antidote. tu te tournes vers les deux autres Les autres, avec moi, on descend, on libère Lynn, et on essaie de gagner autant de temps que possible. tu te retournes à nouveau vers Illynora Fais attention à toi, et au moindre souci, rejoins-nous en bas, ce sera plus simple de te protéger.

Unqua, Aisto et toi plongez vers le danger, les regards rivés sur la quatrième combattante se débattant au sein de sa cage de ronces. Maintenant au coeur du cimetière, l’odeur de charogne était insupportable, et la Dissonance presque assommante. Qu’à cela ne tienne, lames au poing, vous les braveriez pour libérer votre Soeur.

La claymore d’Aisto tranche à travers ce qui fut un Phish Oura, le sabre d’Unqua lacère le fantôme végétal d’un jeune santiël, la hampe de ton sceptre cogne contre une imitation de Nieläv et rapidement, vous voyez une lueur d’espoir.

La lame d’Aisto tranche les liens de Lynn, et ta magie lui rend assez de ses forces pour qu’elle puisse se battre. Mais l’espoir aura été de bien courte durée. Car animés d’une fureur redoublée, le liège, les lianes et les racines à travers lesquels vous aviez déjà scié se lient à nouveau. Sans un élémentaliste, sans végétaliste, et à vous quatre seuls, vous n’aviez aucun espoir de vaincre.

- Unqua, passe-lui ton arc !

Vous ne pouviez que tenir en espérant que l’alchimiste termine de préparer ce qui serait votre salut.

La fameuse combi (mais sans la veste du coup):

Bien évidemment, il avait opté pour la solution la plus simple et surtout la plus efficace. Elle n'avait pas tout son matériel loin de là, mais le mortier et la magie allaient tous deux suffire quand il s'agissait de créer un antidote, le tout en un temps record. Temps record qui se comptait tout de même en minutes car n'importe qui se devait de respecter la base ainsi qu'un temps de canalisation cohérent.

Illynora prit silencieusement le flacon à la volée sans faire perdre de temps à Artïon et ne répondit à aucune de ses phrases, il avait parfaitement raison et elle s'y était d'ailleurs attendu ; par contre elle ne s'attendait nullement à ce qu'il demande un antidote spécifique. Elle haussa les épaules une fois devant son mortier, peu lui importait au final.

Elle mit la fiole devant ses yeux et l'agita, s'attendant à y voir du pollen ou des pousses, mais vit une solution déjà préparée. Si il demandait l'antidote, c'était sans doute du poison. L'alchimiste roula des yeux, contrariée. Elle se saisit de cinq flacons dans sa main gauche entre chaque doigt. Dans sa main droite se trouve la fiole de poison, qu'elle cale entre ses dents afin de libérer son emprise ; elle débouche ensuite de ses doigts désormais libres les cinq bouchons qu'elle met dans une poche de sa ceinture avant de s'accroupir.

La jeune femme réfléchissait a comment procéder ; allait-elle altérer la solution directement dans le flacon ? Altérer la solution dans les cinq flacons un par un, le tout au risque de se louper ? Son regard se posa en contrebas avant qu'elle ne soupire, son souffle créant une buée sur l'extérieur de la fiole entre ses dents. Elle s'en saisit et en versa le contenu dans le mortier sans réfléchir davantage.

- Pas le temps.

Plutôt que d'opter pour la solution la plus complexe elle opta pour la plus simple et mis donc le poison a l'air libre dans ce contenant qui lui permettait un contact direct. Sa main gauche était toujours prise mais cela ne semble pas la déranger, les flacons ne bougent pas de leur position initiale et c'est avec grâce qu'elle survole le mortier de son catalyseur. Cela allait prendre un temps considérable pour une telle quantité déjà extraite et ce pour plusieurs raisons. La première était qu'elle travaillait dans l'urgence, dans une situation de stress, avec un poison commun certes mais qu'elle ne manipulait pas tous les jours.

Habituellement, Illynora pratiquait ses incantations dans sa tête en son for intérieur, mais entre la symphonie, entre les combats et le stress, elle ne parvient pas à se concentrer, plutôt que d'effectuer son rituel en elle-même, elle décide donc de le parler en elfique à voix basse, assez pour qu'elle l'entende.

- Mère entendez-moi, que ma volonté soit translucide, que ma main ne tremble pas...

Lentement, elle ferme les yeux ; se privant d'un sens, elle fût assaillie par les sensations malsaines de cette symphonie désarticulée, de la nature hurlante et des souffles blessés.

- Car je suis telle l'enfant, curieuse et innocente, capricieuse et insolente, consciente et instinctive, j'accepte le guide et brandit haut ma foi, répondant à l'envie qui m'étreint, car la voie que j'arpente est en moi. A Kÿria Gilthoniel o menel palan-diriel, le nallon sí di-nguruthos ; A tiro nin, Fanuilos.

Ne voyant nullement ce qui pouvait se passer autours d'elle, l'alchimiste se concentra sur son doigt alors que sa main se dépose a quelques millimètres du liquide, elle ressent une énergie descendre lentement de sa peau, rentrant en contact avec le liquide qu'elle inspecte inconsciemment. Elle ressentait différentes choses, avait des flash très brefs sur la marche a suivre, et c'est au final son instinct le plus primaire qui lui rappelait comment se comportait ce poison. Le vivant lui parlait, elle se transposait en lui, comprenait sans mot et sans théorie comment tout cela fonctionnait en partie. Elle se doutait, elle devinait la concentration, elle entrait dans la substance, en décodait l'algorythme naturel.

Sans ouvrir les yeux, elle ressent du mouvement sur le sol en contrebas, violent, colérique, alors que la forêt se défend de cette intrusion et de cette interruption. Les armures végétales se retournent, cherchant déjà du regard ceux qui furent à l'origine de la création du désordre dans leur ordre, quelques feuilles volaient ci et là, tranchantes comme les griffes d'un félin, quelque chose commence à escalader le rempart et monte dans sa direction sans qu'elle ne sache ce dont il s'agit.

Sa focalisation se recentre sur sa préparation, elle prend une grande inspiration qui sembla durer une éternité, et c'est en soufflant qu'elle insuffla sa volonté. Un frémissement très léger commença a se faire voir dans le mortier, les transformations opérées produisaient de l'agitation à une échelle imperceptible a l'œil nu, et l'agitation à ce niveau était synonyme de chaleur. Cette dernière ne devait pas être trop importante, alors Illynora arrêta immédiatement son rituel avant d'ouvrir les yeux.

La solution était devenue brouillonne, floue alors que différents débris flottaient ci et là. Elle était en perpétuel mouvement, mais au bout d'une minute, elle se figea complètement, translucide comme de l'eau pure.

Il y avait ici assez d'antidote pour une personne fortement intoxiquée. Du taux d'intoxication dépendait la dose à administrer, cela allait de soi.

La jeune femme prit le mortier et en transféra le contenu en un unique flacon des cinq qu'elle tenait toujours en main gauche. Elle reposa le contenant au sol et reboucha la totalité des flacons, les vides s'en allaient avec les vides, l'antidote quant à lui se vit être mis en sécurité dans la pochette avant.

Elle se mit sur le rebord du rempart, jaugeant la hauteur, cherchant des yeux un danger sans le voir, quoi qu'elle le ressente et s'apprêtant à sauter, sans interpeller quiconque.

- Elle est là haut. tu pointes les remparts du nez entre deux passes d’arme Et on sort d’ici quand elle sera en bas.

En espérant qu’elle ne tarde pas trop. Au combat, le temps est long. La moindre seconde dure une éternité. Les corps et les sens excités par vos instincts de survie rongent petit à petit dans vos forces. Si la guerre est une  affaire de longue haleine, si parfois les batailles s’allongent, le combat n’est jamais bien long. Car les combattants fatiguent vite, et les combattants épuisés ont tôt fait de mourir. À ce rythme, vous aussi auriez tôt fait de mourir.

Naturellement, votre groupe se met en formation. Et tout aussi naturellement, votre formation se brise et se reconstruit au fur et à mesure des assauts de la nature folle. D’abord dos à dos, chacun assurant les arrières de vos voisins, vous aviez fini par légèrement vous écarter, fonctionnant en deux duos plutôt qu’un quatuor.
Aisto et toi étiez devenus une muraille, qu’Unqua et Lynn, vos plus agiles combattants, quittaient et retrouvaient en une irrégulière danse, tranchant ce qui pouvait l’être de leurs fulgurantes lames. En retour, le bouclier d’Aisto et le pied de ton sceptre s’écrasaient contre les créatures assez téméraires pour pourchasser vos poids-légers. Mais vous êtes en sous-nombre, et vos adversaires refusent de tomber. L’endurance vient à vous manquer, et avec l’endurance qui s’étiole, les blessures se multiplient. Et bientôt, face aux assauts répétés, tu as peur que ton Art ne suffise plus à vous tenir debout.

- Illynora tu en es où ?

Tu hurles à l’alchimiste qui s’affaire aussi vite qu’elle peut, la détresse te montant à la gorge… pour constater – juste à temps peut-être – qu’aussi féroce que vous soyez, vous quatre, vous ne l’êtes pas assez pour accaparer l’attention de la nature sauvage. Parce que simplement vous acculer ne lui suffisait pas, la Sylve d’entre ces murs avait rejeté son attention sur celle qui aurait dû être votre salut. Illynora était en danger.

- I Ëmel apsimnë
    La Mère me pardonne

Ton sceptre court entre tes mains, tu imposes un tempo effréné à ce que la pulse vitale n’habite plus. À travers la maille de ta combinaison les écailles dans ton dos, en réponse à celle enchaînée à ton focaliseur brillent d’une lumière qui n’éclaire pas. Comme tiraillée entre la philosophie de vie de celui qui te l’a offerte et la réalité de ton sortilège, le morceau d’Or vivant frémit avec une écoeurée passion. Tu arraches à la bénédiction du dragon la sublimation de tes forces, poussant le symbole de Paix à répondre à ton rageux désespoir.

N’est-il pas de plus grande guérison que celle qui relève les morts?

De sombres arcanes dansent autour de toi. Ton sceptre est dévoré des mêmes fuligineux qui enlacent ce qui il y a quelques minutes encore était immobile. Tu n’es pas fier de ce que tu fais, mais tu ne vois pas d’autre solution. Ton esprit se fracture et se fait légion avec une dégoûtante facilité. Tu es ici et partout à la fois. Tu es elfe et félin. Tu es elfe et volatile. Tu es elfe et kerkand. Tu es mage et défuntes proies. Tu es toi et ton armée.
En bras, près de vous, les mâchoires d’un gedalë au regard vide s’écrasent sur le bois comparativement fragile d’une des silhouettes protéiformes qui vous agressent. En haut, près de l’alchimiste, un melnleth aux pattes rapiécées s’élance à travers les branchages pour se jeter sur le Tréant dont la souche qui tenait lieu de bras s’apprêtait à s’abattre sur Illynora. La bête et le bois tombent ensemble, pout s’écraser au bas des remparts. Un peu de temps gagné, juste un peu.

- Illynora, maintenant !

Dès lors que l'ordre lui fût intimé, Illynora arrêta de réfléchir et s'élança du haut du rempart avec aisance, s'agrippant ci et là aux différentes prises que lui offraient la nature. Une perturbation violente dans la symphonie la prit par surprise, elle manqua a plusieurs reprises de lâcher prise tant elle était malade ; car malade, elle allait l'être tôt ou tard à ce rythme.

La menace qui allait l'anéantir quelques secondes auparavant s'écrase en contrebas dans un bruit sourd, déchirant un peu plus la symphonie, car ayant arraché par endroits lors de différents chocs les différentes lianes qui courraient contre la façade. Au bout d'une poignée de seconde, Illynora arrive finalement en bas avant de s'effondrer. Par instinct peut être, elle se relève immédiatement, elle s'approche courbée en position d'esquive. L'alchimiste n'a toujours pas pris le temps de sortir une arme.

Illynora progresse sur sa lancée, elle ne s'arrête pas et se dirige directement en direction de l'arbre. Là ou elle se situe - pour l'instant - peu d'ennemis semblent la menacer, mais ce ne serait pas le cas d'ici quelques mètres au rythme ou elle progresse car devant elle se dresse un nombre conséquent de protecteurs sylvains, sous diverses formes d'ailleurs. Qu'ils soient félins ou oiseaux de bois. Elle était agile, elle pourrait tenir un petit moment, mais elle ne pesait rien face à l'agilité et la vivacité d'un félin, fusse-t-il végétal. Illynora profitera de l'effet de surprise sans doute, mais si il y'avait un chat c'était lui, ce qui laissait deviner celle qui jouait la souris.

-  ARTIÖN.

Elle ne prononça que son nom, il saurait sans doute quoi faire au vu de la direction qu'elle empruntait. Elle n'était pas capable d'user de magie dans ces conditions, et ses seules armes étaient des scalpels qui n'étaient pas du tout adaptés pour tenir une défense face à de telles créatures. Mais a bien y réfléchir, peu importe l'arme utilisée cela ne changeait pas grand chose.

Dans la foulée, elle plongea sa main dans une des poches de sa ceinture à la recherche d'une solution, sans en trouver. Elle n'avait embarqué ni poison, ni quoi que ce soit qui allait pouvoir servir de diversion ne serait-ce qu'une seconde. Du bout des doigts elle avait bien touché son scalpel, mais il ne servirait à rien dans l'immédiat ; sa meilleure chance était son agilité, pas sa combativité qui était inutile.

Elle n’arriverait pas à traverser en direction de l’Arbre-Maître à elle seule. Un passage. Elle avait besoin qu’on lui ouvre un passage. Illynora était devenue la menace principale pesant sur la domination de la Sylve folle au sein de ces murs, et la Sylve aurait tôt fait de s’en rendre compte. Rapidement, les assauts s’abattant sur votre quatuor se font moins nombreux, et les forces sylvestres se tournent vers l’alchimiste.

Tu cours en sa direction, ton corps un obstacle de plus à ajouter à ton armée de non-morts. Tu tires à toi les créatures les plus puissantes parmi les impies marionnettes, et tu continues la danse commencée il y a maintenant bien trop longtemps. Crocs, griffes, ou queues s’écrasent contre le bois et les feuilles tentant de s’opposer à l’avancée de l’alchimiste. Sceptre, lames et bouclier s’écrasent contre ceux s’essayant à la rattraper.

Illynora arrive jusqu’au tronc, le moment fatidique se présente, et « ton » félin à pointes lui donne une ouverture. Des griffes aussi solides que l’acier plongent dans l’écorce et en arrachent un pan pour exposer l’aubier. Ne restait plus qu’à espérer maintenant qu’Illynora sache assez garder son calme pour remplir sa part du contrat.