[Erignac] Il est certainement un dernier secret à révéler | Clémence

Panahos 13 Karfias de l'An XVIII du Onzième Cycle,
Erignac, Marquisat de Sainte-Berthilde, Royaume de Péninsule.

C'est à Erignac que vivait le frère d'Andran. C'est ici qu'il le reverrait pour la troisième fois en l'espace de quelques mois, ce qu'il n'aurait jamais cru faire il y a même pas une année. Les relations qu'entretenaient les Straggen étaient étranges, probablement plus complexes qu'il n'y paraît. Ce n'était que le début, mais, pour l'instant, cela s'avérait prometteur. Nul doute que leurs compagnes respectives parvenaient inconsciemment ou consciemment à apaiser leur rancœur et leur tristesse… mais pas leur anxiété. On ne pouvait pas tout avoir.

Erignac était une ville du Marquisat située entre Saint-Aimé et Cantharel. Un de ses nombreux avantages était sa relative proximité avec la capitale du Marquisat, ce qui permettait aux deux frères de communiquer facilement. Reynard n'avait pas tarder à savoir qu'Andran était revenu il y a quelques ennéades, et Clémence avait préféré lui rappeler son invitation. La dernière fois que le chevalier était venu à Erignac, il n'était resté que le temps d'une soirée, sans prendre le temps de revisiter cette demeure qui était la sienne lorsqu'il était enfant, ni pour connaître ses propres neveux. Cette fois-ci, Andran escomptait bien y passer plus de temps, priant les Dieux que ce périple se déroule au mieux.

Il fallait à peu près une journée de voyage pour rallier Erignac à cheval. Les routes qui y menaient n'étaient pas d'aussi bonnes qualités que la Route du Nord ou la route menant à Olysséa, mais assez sûres pour un voyage sans heurts. Partis à l'aube de Cantharel, Andran et Clémence arrivèrent peu avant la fin de la journée. Plus il approchait de cette ville qu'il avait tant damné, plus la gorge du chevalier se nouait. C'était comme une épreuve : un moment difficile sans que l'on sache à quoi s'attendre. Nul doute que Clémence l'avait senti inquiet durant tout ce trajet. Elle connaissait bien son fiancé, maintenant, d'autant plus que ce n'était pas le genre de choses qu'il parvenait à masquer. S'il pensait à autre chose lorsqu'ils discutaient pendant le voyage, il s'angoissait aussitôt lorsqu'il songea à cette soirée et le lendemain. Cela paraissait irrationnel, Andran en était conscient, mais c'était plus fort que lui.

Une fois arrivé au domaine Straggen à Erignac, les deux visiteurs laissèrent le palefrenier s'occuper de leurs montures et Andran confia son épée au valet qui le reconnut. Il ne put s'empêcher d'adresser un sourire timide à Clémence, et lui serrer la main comme si c'était elle qui était anxieuse. Peut-être l'était-elle aussi, d'ailleurs, mais certainement moins que lui. À peine le portail franchi que son cœur s'était mis à battre la chamade. Son esprit ne cessait de lui répéter que tout allait bien se passer pour qu'il se détende, en vain. Ce n'est pas le petit garçon qui pleurait jusqu'à se faire entendre au parvis du domaine qui le rassurait.

« Le petit dernier d'Anne-Lise est très bruyant. Je ne sais pas si elle vous l'avait dit. » remarqua Andran à l'attention de Clémence alors qu'ils étaient devant la porte d'entrée. Elle était certainement habituée aux gamins indisciplinées, elle qui avait un neveu tout aussi excité. « Hilda est d'une humeur beaucoup plus sage… normalement. »

C'était ce que lui avait raconté Anne-Lise, lorsqu'ils avaient trouvé l'occasion d'échanger à ce sujet. La belle rouquine fut d'ailleurs surprise de voir Andran et Clémence dans un tel moment d'inconfort. Il y avait mieux, comme message de bienvenue. Cela amusa le chevalier de la voir si apprêtée alors que, pour l'heure, elle devait calmer son enfant qui, visiblement, s'était fait mal. D'un geste, Anne-Lise les invita à rejoindre Reynard et Hilda, dans le salon. Le maître de maison était en train de réajuster la robe de sa fille qui souriait malicieusement.

« Ah ! Andran, Clémence ! Venez, venez ! » les invita-t-il en se relevant. Reynard avait le sourire aux lèvres malgré la mine réservée et méfiante de sa fille. « Je suis ravi de vous revoir, cela faisait un moment. »
« À qui le dis-tu… » répliqua Andran, qui s'approcha néanmoins pour le saluer. Il se montra bien plus hésitant devant sa nièce. Il ne se contenta que dans caresse gênée sur ses cheveux. « J'ai eu… un empêchement, une mission dans le Sud… C'est Clémence qui m'a rappelé que vous nous avez invité… avant mon départ. »
« Papa ? C'est eux tonton et tata ? » demanda la petite fille, soutirant le sourire des deux frères, bien que le cadet était gêné.
« Oui, ma chérie. Allez. Installez-vous, installez-vous. J'imagine que le voyage a été long. Anne-Lise va sûrement bientôt revenir. Le petit s'est cogné la tête mais ça devrait aller. »

Clémence serrait elle aussi la main de son compagnon. Elle s'efforçait de se montrer plus détendue que lui, affichant un doux sourire et posant sur lui un regard paisible. A dire vrai, pour les avoir rencontré à son anniversaire, elle n'avait pas vraiment de raisons de s'inquiéter. Le couple s'était montré très ouvert quant à ses origines et sa situation. Ils avaient été plus que courtois envers elle et semblaient réellement heureux à l'idée de les revoir. Ils ignoraient encore leurs fiançailles qui dataient de quelques ennéades seulement, ce serait l'occasion de leur annoncer. Était-ce pour cela qu'Andran était aussi tendu ? Peut-être pas mais cela ne devait certainement pas l'aider en tous les cas.

A leur arrivée, ils perçurent bien vite les pleurs d'un enfant et le chevalier en fit un sujet de conversation. Elle lui répondit avec un sourire bienveillant. Dans toute maison où vivait des enfants, il y avait forcément un peu d'agitation. Que le garçon hurle ainsi, ce n'était sans doute rien de grave. De sa main libre, elle prit doucement de biceps de son compagnon tout en venant se serrer un peu contre lui.

-Tout ira bien, Andran.

Elle avait répété ses mots bien souvent depuis que le rendez-vous avait été pris mais elle ne montrait aucun signe d'impatience ou de lassitude. Elle était toujours calme et posée, son attitude elle-même appelant le chevalier à se détendre. Lorsqu'ils passèrent devant la pièce où se trouvait Anne-Lise, elle vit sa gêne et lui adressa un regard conciliant afin de lui faire savoir qu'il n'y avait pas de mal. C'était généralement lorsqu'on essayait de contrôler davantage ses enfants que les situations dérapaient... Ils rejoignirent donc Reynard un peu plus loin, découvrant la petite fille qui n'était autre que la nièce d'Andran. Clémence fut amusée par la question qui était aussi curieuse qu'innocente. Elle ne sentit pas sur elle de regard particulier, comme si sa couleur de peau n'avait pas la moindre importance.

-Ce sont des choses qui arrivent. Répond-elle avec douceur à son futur beau-frère, son accent lui faisant rouler un peu les r. Surtout s'il savait que nous allions venir.

Même si le petit garçon ne les connaissait pas vraiment, dire à un enfant que quelqu'un allait venir apportait nécessairement son lot d'excitation. Les parents auraient beau essayer de le tempérer, ils ne pourraient pas toujours éviter l'accident malheureux qui provoquerait bosse et larmes.
Le jeune couple pris place côte à côte sur un canapé, le chevalier se faisant le plus galant des hommes en accompagnant son installation avant de prendre place lui-même. Peu habituée à être traitée avec tant de délicatesse, elle adressa un regard tendre et un sourire gêné à son amant avant de reporter son attention sur son frère aîné et la conversation qui allait se tenir. Son rôle, ce jour-là, était d'aider à rendre la situation moins gênante entre les deux frères et sans doute Anne-Lise et les enfants seraient-ils d'une aide précieuse dans cette entreprise.

Andran et Clémence s'assirent côte-à-côte sur un canapé, se tenant toujours par la main. Reynard et sa fille avaient pris place sur un canapé identique en face d'eux. Devant eux, une table basse en bois d'acajou était prête pour supporter les coupes de vin qui seront servis pour l'apéritif, et probablement un verre d'eau ou de jus de fruits pour les petits. Cependant, Reynard avait préféré attendre Anne-Lise, qui revint un peu plus tard en tenant son fils par la main. Moreth avait encore le visage rouge, les yeux humides, et le nez coulant.

« Excusez-nous… Le petit est intenable depuis deux jours. Il fallait bien que ça arrive… » soupira la mère, qui aida son fils à s'installer à côté de son père avant d'aller s'asseoir sur le fauteuil juste à côté du canapé.
« Rooooh ! C'est normal. » tempéra Reynard qui prit le bras de son enfant pour désigner Andran, puis Clémence. « Hein ? C'est qui eux ? C'est tonton et tata ! Tonton Andran, là. Et tata Clémence. »
« Et tonton Andran il est plus grand que papa ! » s'exclama la petite fille d'une voix malicieuse accompagnée d'un sourire espiègle.

La remarque fit sourire les adultes, dont les deux frères qui n'en avaient jamais discuté. Le chevalier a toujours été le plus grand, même lorsqu'il était très jeune. Il était plus grand que la plupart de ses frères d'armes, il avait été plus grands que ses camarades à Eyroles. Cela se manifestait surtout lorsqu'il était avec Clémence, qui était plutôt très petite par rapport à lui. Au delà de ces réalités, la remarque d'Hilda avait eu pour effet de parvenir à détendre l'ambiance, même si le petit Moreth était toujours collé à son père, bougon et méfiant devant les deux inconnus. Andran se détendait peu à peu. Tout ira bien, avait répété Clémence.

L'apéritif débuta tranquillement. Si le chevalier n'était pas friand d'alcool et qu'il se l'interdisait en temps normal avec son train de vie de Marcheur Austère, il accepta de s'écarter de ses règles pour ce soir. Il but le vin qui lui était proposé. Les enfants, et surtout la petite Hilda, ne tarissait pas de questions à poser à Andran ou à Clémence, la curiosité prenant vite le pas sur sa méfiance. Il n'était pourtant pas facile d'explique des concepts comme la chevalerie et l'amour à un enfant de six ans, mais Andran essayait de se montrer le plus clair possible en expliquant les choses simplement, tout en occultant les aspects les moins agréables. Il aurait été malaisé pour lui de parler de guerre et de mort, même s'il s'efforçait de se montrer juste et honorable comme le voulait Néera. Par ailleurs, Clémence eut également droit à des questions innocentes sur ses différences : sa couleur de peau, son accent… et cela s'enchaînait sur des questions comme “c'est quoi l'Estrevent ?” et “mais comment vous vous êtes rencontrés alors ?” Ils étaient des enfants, ils ne se rendaient pas compte. C'est pourquoi Reynard mit fin à cette séance de questions, car il savait bien que les deux petits s'aventuraient dans une intimité difficile à comprendre et à révéler.

Anne-Lise proposa alors de passer à table lorsque l'apéritif se termina tranquillement. Reynard s'installa en bout de table, à côté de son épouse. Andran, lui, tira la chaise de Clémence pour la laisser s'installer en face de Moreth, avant de s'installer en face d'Anne-Lise, et la petite Hilda était à côté de son petit frère. Les premiers mets furent apporter par les valets de Reynard. D'un coup d'œil, Andran ne put s'empêcher de vérifier que Clémence se tenait correctement, car il savait que tout n'était pas facile à apprendre pour elle. Mais elle était parfaite, comme toujours. Cela le rassurait plus qu'elle ne pouvait l'imaginer.

« Vous savez, Clémence, nous avons ce point commun que nos maris partent parfois longtemps loin de nos maisons. » évoqua Anne-Lise de sa voix douce et chaleureuse. « Si un jour vous vous sentez seule, n'hésitez pas à venir me rendre visite. Je sais à quel point cela est difficile, surtout lorsque l'on n'y est pas habituée. Erignac est plus facile à rallier que l'Estrevent, j'imagine… »
« Cela ferait certainement plaisir aux enfants. » commenta Reynard, en regardant ses deux enfants dont Hilda qui hochait frénétiquement la tête. « Mais, vous avez certainement encore beaucoup de choses à faire dans votre maison, n'est-ce pas ? Vous parvenez à faire avancer les travaux même en l'absence d'Andran ? »

L'apéritif se déroula de manière très simple et Clémence vit Andran se détendre petit à petit. Elle-même se sentait soulagée. Pour lui, mais aussi pour elle. L'impression qu'ils lui avaient laissé la fois précédente était toujours là. Ils n'avaient aucune appréhension quant à ses origines et l'acceptaient telle qu'elle était. Evidemment, les enfants se montrèrent un peu curieux, lui posant une foule de questions à son sujet. Douce et patiente, Clémence leur répondit de la façon la plus simple possible. Elle parla de sa mère qui avait une peau plus foncée que la sienne et qui était née dans le désert. Elle parla de son extradition, mais sans évoquer les troubadours ni l'esclavage, seulement du fait qu'Andran l'avait sauvée, afin d'en faire un héro à leurs yeux car c'était ce qu'il était après tout. Et lorsqu'ils devinrent un peu trop envahissant, leur père les rappela à l'ordre et elle lui adressa un regard reconnaissant. Il devait sans mal imaginer que sa vie n'avait pas été facile et qu'elle ne souhaitait pas en parler. Mais il était difficile d'arrêter des enfants lorsqu'ils étaient lancés. Au moins, la séance de questions étaient terminées.

Alors qu'ils étaient tous passés à table et que le repas commençait, Anne-Lise fit une proposition à la belle métisse. L'attention la touchait. Elle ne saurait comment la mettre en oeuvre sans escorte... mais cela ne retirait rien à la gentillesse de l'invitation. Elle eut un sourire amusé en voyant les enfants de nouveau tout excités à l'idée de la voir revenir chez eux.

-Merci. Lui répondit-elle sincèrement. Je vous retourne l'invitation, pour quand nous aurons terminé suffisamment de chambres pour vous accueillir tous les trois.

Ce fut au tour de Reynard de prendre la parole, s'intéressant à la demeure du jeune couple. Pour s'y être rendu et y avoir dormi, ils savaient qu'il restait encore beaucoup à faire pour la remettre au goût du jour et équiper les chambres afin d'être en mesure de recevoir convenablement. Ils avaient fait le strict minimum en vue de leur visite mais l'accueil n'avait sans doute pas été digne de personnes de leur rang. Ils avaient été bien indulgents de ne pas leur en faire le reproche.

-Eh bien, notre chambre est terminée, ainsi que la salle de bain. Nous allons commencé à nous intéresser de plus près aux chambres d'amis. Et la cour arrière prend forme également. Je procède depuis un mois à plusieurs plantations et j'espère finir à l'automne. Au printemps prochain, il devrait y avoir bien plus de fleurs et un kiosque remis à neuf.

La cour était pour ainsi dire nue à leur arrivée. Bon nombre de couples n'auraient sans doute pas acheté cette demeure mais l'idée de pouvoir la modeler comme bon leur semblait avait séduit Andran et, par la suite, Clémence. Cela demandait du travail mais les pièces qui étaient achevées étaient des plus confortables et il y faisait bon vivre.

Clémence raconta comment elle était parvenue à s'occuper durant l'absence de son chevalier. La proposition d'Anne-Lise était plus qu'appréciable, et Andran avait confiance en elle pour l'aider à s'intégrer plus facilement encore en Péninsule. Malheureusement, il n'a jamais pu et ne pourra jamais être toujours présent pour protéger et aider sa fiancée, mais il était serein à l'idée que d'autres veilleraient sur elle à sa place lorsque cela serait nécessaire. Le chevalier se sentait déjà à l'aise à l'idée que son frère et sa belle-sœur ne transitent pas par lui pour s'adresser à Clémence, ce qui prouvait qu'elle avait sa place dans leur famille, malgré ses différences. Elle-même n'avait pas besoin de lui pour leur répondre. Andran en vint à se demander si sa peur des nobles disparaissait petit à petit, où si elle ne ressentait aucune méfiance envers sa famille parce qu'elle risquerait gros en s'en prenant à elle.

La suite du repas se déroula tranquillement, et Clémence put décrire grossièrement ce qu'elle avait réalisé comme travaux dans leurs chambres, leur salle de bain ou encore le jardin. Andran ne savait pas vraiment pourquoi Reynard s'intéressait à ce genre de détails, mais il avait vraisemblablement plein de questions à se poser à ce sujet. Il est vrai que, la dernière fois que l'aîné était venu, seules deux salles étaient terminées. Peut-être se posait-il des questions sur comment il pourrait y être accueilli à l'avenir ? Andran se posait certainement bien trop de questions sur le pourquoi du comment. C'était un sujet comme un autre, qui dériva sur un autre, et ainsi de suite jusqu'à la fin du plat de résistance.

« Dis-moi, Andran. Sans vouloir te… te presser. Tu… Enfin, vous… vous comptez vous… vous marier, non ? » demanda finalement Reynard, alors que ses serviteurs avaient débarrassé la table du plat de résistance. Il commençait à rougir car il ne savait pas vraiment comment aborder le sujet sans paraître abrupt. « Tu te souviens de ce que tu m'as dit, quand tu es venu ici la première fois ? »
« Quand Anne-Lise m'a demandé si j'étais marié ? » demanda le chevalier, qui s'empourpra à son tour. Son frère aîné hocha la tête, et Andran ne put s'empêcher de sourire comme un enfant pris au piège dans sa bêtise. Il regarda Clémence, comme s'il devait attendre son consentement pour lui révéler sa demande en mariage. Il lui prit la main et la serra doucement. « Il me semble que je t'avais dit que cela pourrait rapidement arriver oui… ou quelque chose dans ce genre. Hé bien… C'est arrivé. Avec Clémence, nous allons bientôt nous marier. »
« C'est vrai ? C'est une bonne nouvelle ! » s'exclama la rouquine avec un sourire.

La gêne que ressentaient les deux frères s'évanouit pour laisser place à un nouveau florilège de questions. Où et quand ce mariage allait se dérouler, quelles décorations ont-ils prévus pour la célébration, quel repas pour l'après-cérémonie… Cette fois-ci, c'était Anne-Lise qui se montra intarissable de questions. Elle évoqua même le lieu de la nuit de noce ! Elle devait être une femme profondément romantique pour y songer et en parler d'une manière aussi douce. Mais Andran lui fit rapidement comprendre qu'il avait simplement demandé la main de Clémence l'ennéade dernière, et donc qu'ils n'avaient rien préparé pour l'instant. La réaction quasiment déçue de son frère et sa belle-sœur l'amusa, mais pour l'instant, les choses en étaient pas bien loin. La famille de Clémence n'était même pas au courant, c'est dire.

« Mais alors… quand vous parliez de l'aménagement de vos chambres, vous avez également préparé celle de vos futurs enfants ? » demanda Anne-Lise, avec un sourire affectueux et bienveillant. Andran devint pâle. Il n'était pas gêné, il était terrifié. Ce sujet, il ne l'avait jamais abordé et pour cause. Son passé douloureux pouvait être parsemé de naissances involontaires, et surtout terriblement difficiles pour Clémence. Mais, cela, la belle rouquine n'en savait rien. « Avoir des chambres d'amis, c'est une bonne chose, surtout lorsque vous en avez beaucoup avec votre famille. Ceci dit, il ne faudrait pas oublié vos fils et vos filles. »

Andran lui prit la main et Clémence lui sourit avec bonheur et un brin d'appréhension car elle savait qu'il s'apprêtait à leur annoncer leurs fiançailles. Son cœur se mit à battre la chamade puis s'arrêta soudain à l'intervention d'Anne-Lise. Elle étira alors un nouveau sourire, radieux et soulagé. Ils semblaient véritablement heureux pour eux, voire même enthousiastes. Ils leur posèrent mille questions et la belle métisse en aurait presque eu la tête qui tournait... Oui... Il fallait qu'ils pensent à tout cela et bien plus encore. Le lieu de la cérémonie, celui de la réception, les tenues, peut-être le thème si cela se faisait en Péninsule, la liste des invités, et puis la date ! Et comment allaient-ils logés leurs familles qui venaient de plus ou moins loin ?!
L'esprit de la jeune femme tournait à plein régime, établissement mentalement une liste, notant ce dont le couple déjà marié leur parlait... Mais à chaque fois qu'elle songeait à quelque chose, elle avait l'impression d'avoir déjà oublié tout le reste. Il faudrait qu'elle prenne des notes...

Son compagnon mit un terme à cette situation qui provoquait presque l'angoisse de la future mariée qui avait soudain l'impression que se noyer dans les tâches qui leur restait à accomplir en vue de leur mariage. Oui, ils avaient encore du temps devant eux. Sauveur et Aerianna se marieraient bientôt et ils profiteraient de l'occasion pour leur annoncer la nouvelle. D'ici-là, ils pouvaient réfléchir à ce qu'ils voulaient, avancer les rénovations des chambres et commencer à préparer ce qui pouvait déjà l'être. Clémence prit discrètement une grande inspiration pour essayer de s'apaiser mais elle eut à peine le temps d'afficher un nouveau sourire qu'Anne-Lise aborda un sujet qui n'était encore jamais venue dans les discussions du jeune couple. Les enfants.

Clémence sentit son corps pâlir et se refroidir aussitôt. Elle n'avait jamais songé à cela. Andran voudrait peut-être des enfants. Certainement d'ailleurs. Elle ne lui avait jamais dit... L'occasion ne s'était jamais présentée et ils travaillaient déjà si dur à chasser ses craintes de l'acte... Le fait de tomber enceinte était une perspective si lointaine qu'elle ne lui était même pas venue à l'esprit. Elle ne pouvait et ne voulait pas cacher la vérité à son fiancé... Et il serait bon qu'ils en parlent avant le mariage d'ailleurs. Mais elle craignait soudain qu'il la quitte en apprenant la nouvelle...
Terrifiée à cette idée, Clémence prit son verre et but quelques gorgées pour essayer de masquer ses émotions. Puis elle esquissa un sourire forcé et fuit le regard de leurs hôtes. En cet instant, elle aurait voulu pouvoir sortir mais elle savait que cela ne se faisait pas. Alors elle tiendrait bon... tout en priant pour que cette journée prenne bientôt fin.

Andran était noué, incapable de formuler une seule réponse satisfaisante à sa belle-sœur. Devant le silence de leurs invités, Anne-Lise et Reynard se regardèrent, étonnés, mais surtout gênés de la situation. Sans le vouloir, la belle rouquine avait évoqué un sujet plus difficile qu'il ne l'était pour elle. À côté de son chevalier, Clémence était encore plus pâle que lui. Si le sujet était venu à être évoqué de manière tout à fait innocente, Andran ne voulait pas contraindre Clémence à l'évoquer devant sa belle-famille. Il savait pertinemment que le sujet des enfants était lié à son passé, passé dont Reynard et Anne-Lise ne savaient rien. À sa réaction, le chevalier pensait comprendre qu'elle était certainement tombée enceinte au moins une fois, et que l'enfant lui avait été arraché… si elle ne l'avait pas sacrifiée elle-même. Il était néanmoins rare qu'une mère s'ose à commettre un tel sacrifice.

« Je… je suis terriblement désolée si je vous ai froissé. Je ne voulais pas… » s'excusa Anne-Lise d'une voix troublée. Elle était démunie, le regard fixé sur son mari, espérant qu'il dise quelque chose pour radoucir cette ambiance morose.
« C'est un sujet que nous n'avons pas abordé et… »
« Je n'insisterai pas. Je comprends. »

Le mal était pourtant déjà fait. Malgré elle. Pourquoi ? Pourquoi était-ce un sujet si difficile ? Généralement, les femmes rêvaient de devenir mère, de donner la vie et d'élever ses enfants. Elles abordaient ce sujet comme elles racontaient un doux rêve. Andran essayait de se montrer réconfortant, en lui prenant la main ou en lui caressant le visage du bout de l'index. Cela s'avérait inefficace, comme toujours lorsque Clémence avait un poids sur le cœur et qu'elle était obligée d'en parler pour s'en libérer. Reynard avait beau faire amener le dessert, personne n'y avait touché, l'appétit coupé par ce silence glacial. Ce repas qui avait si bien commencé s'achèvera sur une note bien amère. Dans tout ce marasme, les enfants étaient également ébahis, ne comprenant rien du tout à la situation. Ils étaient bien évidemment trop jeunes pour comprendre.

« Annie, il commence à se faire tard. Il vaut mieux coucher les enfants. » finit par dire Reynard, lorsque les enfants terminèrent leur dessert. Ce n'était pas tout à fait vrai, mais c'est le seul prétexte qu'il avait trouvé pour mettre fin au repas. Il adressa un clin d'œil à son frère en se levant, qui hocha la tête pour le remercier.
« Tu as raison. Allez, debout les enfants. On y va. »

Comme tout enfant de cet âge, Hilda et Moreth refusèrent d'aller au lit, et bougonnèrent leur mécontentement. Cependant, ils furent impuissants face à l'autorité de leur père, et Andran et Clémence furent enfin seuls. Le chevalier remarqua que sa princesse avait bu beaucoup de vin, ce qui le rendait encore plus réticent à évoquer le sujet, même s'ils n'étaient que tous les deux. Il craignait désormais qu'elle s'emporte dans un élan de tristesse, de désespoir ou de colère, et qu'il soit incapable de la canaliser. Pourtant, Andran avait là l'occasion rêver d'aborder ce sujet, car cela faisait un long moment qu'il pensait aux enfants. Après une longue inspiration, Andran prit la main de Clémence, et posa son autre main sur sa joue pour qu'elle trouve son regard. Il n'appréciait pas mettre sa dulcinée au pied du mur, mais Clémence n'avait pas le choix. Elle devait lui parler.

« J'ai toujours porté vos secrets, mon amour. Celui-ci est le seul que vous ne m'ayez jamais révélé. » dit Andran, qui posa son autre main sur la joue de Clémence. Ses doigts se murent dans de légères caresses. « J'aurais espéré un meilleur moment pour évoquer un tel sujet mais… »

Mille questions agitaient l'esprit du chevalier. Avait-elle donné naissances à des enfants ? Si oui, combien ? Qu'en avait-elle fait ? Que sont-ils devenus ? Peut-être même était-elle stérile, que ce soit depuis toujours ou depuis un accouchement difficile ? Que lui avait-elle caché pour qu'elle se sente si triste et apeurée ? Il était même possible que ces enfants aient été les victimes des bandits dont il avait sauvé sa belle. Andran voulait l'encourager à lui parler, à lui révéler ce dernier secret comme elle l'a toujours fait. Mais il craignait la réponse. Non, il ne craignait qu'une seule réponse. Parmi tout ce qu'elle avait bien pu vivre, Andran serait terrassé d'apprendre que Clémence soit stérile. S'il était parti jusqu'en Estrevent pour lui déclarer sa flamme et espérer vivre à ses côtés, s'il lui avait demandé sa main pour l'épouser, il voulait également que ce soit elle qui porte ses enfants.

« Aussi lourd soit ce fardeau, aussi terrible soit votre passé, je serai toujours là pour vous aider à vous en défaire. » promit-il, les larmes aux yeux et le cœur battant la chamade. Alors qu'il avait toujours ses deux mains posées sur ses joues, Andran posa son front contre celui de sa belle. « Allez, Clémence… je suis votre fiancé mais je suis toujours votre protecteur. Confiez-moi ce secret… nous en supporterons le poids ensemble. »

Le repas se poursuivit... laborieusement. Les discussions étaient difficiles à relancer, quelque soit celui qui s'y essayait. Andran et Clémence étaient terrifiées mais pour des raisons totalement différentes... Lui devait se demander quel secret sa compagne avait encore et elle comment il prendrait la nouvelle. Son compagnon faisait tout pour la rassurer par de petites attentions mais elle avait tellement peur... Elle tenta de lui adresser quelques sourires forcés qui se voulaient rassurants. Il ne méritait pas de se morfondre dans ses craintes, même si elle savait que ses maigres réponses ne pourraient l'apaiser cette fois.
Lorsque le couple se leva pour emmener les enfants se coucher, la belle métisse poussa un soupir discret. Elle était soulagée tout en appréhendant le moment qui allait venir. Elle ne capta pas le signe entre les frères, trop occupée qu'elle était à prier pour que les bambins cessent de lutter contre l'autorité de leurs parents. Lorsque la porte se ferma enfin, Clémence retira sa serviette de ses genoux et la posa à côté de son assiette. Elle avait bu quelques verres mais elle n'était pas saoule. Elle serra la main d'Andran qui avait pris la sienne et se tourna volontiers vers lui à sa demande, posant ses doigts sur ceux qui étaient venus trouver sa joue. Elle n'avait aucune intention de l'éviter, elle avait dépassé ce stade. Mais cela ne l'empêchait pas de craindre sa réaction... Car le moment était venu de tout révéler. Et il n'y avait pas mille façon de le lui dire. Alors elle se lança, tout simplement.

-Je ne suis pas stérile, si c'est ce que tu crains. Ou pas tout à fait... J'ai... déjà porté des enfants. Mais je n'en ai jamais mis au monde. Aucun n'est resté dans mon ventre plus d'un mois.

Voilà, c'était dit. Son ventre pouvait être fécondé mais, pour une raison qu'elle ignorait, elle n'en avait jamais gardé un seul assez longtemps pour qu'il voit le jour. Mais cela n'expliquait pas pourquoi elle ne lui en avait jamais parlé avant. Car elle n'avait pas la moindre intention de le lui cacher ou de lui mentir.

-Je... Nous avons traversé tellement de choses ensemble... Affrontés tellement de mes démons... Et encore aujourd'hui... Que je n'y pensais plus. Et, quand tu m'as demandé de t'épouser, je n'ai pas songé que peut-être tu... voudrais des enfants...

Elle n'avait d'abord pas cru à sa liberté. Puis avait été contrainte d'adopter le pentianisme avant d'être totalement prête. Puis il lui avait fallu croire aux sentiments d'Andran. Leur permettre de se rapprocher, sans plus craindre son passé, étape par étape. Puis il y avait eu ce malentendu... Leur séparation, très lourde. Son départ Ithri'Vaan. La visite d'Andran. Son retour en Péninsule. Leur maison. La mission du chevalier. La progression de leur relation intime. Leurs fiançailles... Au milieu de tout cela, elle avait perdu de vue toutes ces fois où elle s'était retrouvée prise de terribles maux de ventre avant de saigner quelques heures. Une situation qui l'arrangeait bien à l'époque, pour des raisons évidentes.

-Je me suis toujours plu à croire que quelque chose m'empêchait d'avoir des enfants. Que Néera voulait me préserver de l'horreur que serait de devoir porter, mettre au monde et élever la progéniture d'un monstre.

Aucun de ces hommes... Absolument aucun n'avait eu la moindre délicatesse avec elle, ne s'était soucié de ce qu'elle ressentait, dans son cœur et dans son corps. Le plaisir, elle le découvrait avec Andran, le seul homme en qui elle avait une totale confiance, en dehors de ses frères. Et les larmes se mirent à couler sur ses joues alors qu'elle avait soudain peur de le perdre.

-Mais je... Je ne peux pas te l'assurer. J... Je ne sais pas si je pourrais avoir des enfants un jour...

Les larmes coulaient de plus en plus abondamment tandis que sa seconde main venait elle aussi retrouver celle qui s'était posée son autre joue. Elle ne voulait pas qu'il la quitte et serrait ses doigts de toute ses forces pour le garder près d'elle.

-Je suis désolée, Andran... Dit-elle avant que sa voix ne s'étrange dans un grand sanglot.

Sans réellement hésiter, certainement parce qu'elle n'avait pas le choix, Clémence se confia à Andran sans omettre les détails. Chaque révélation lui perçait le cœur comme si la jeune femme l'embrochait avec une épée et la tournait dans la plaie jusqu'à tant qu'il s'arrête de battre. Le chevalier affrontait difficilement le regard de sa fiancée malgré le poids des larmes, de la douleur et du désespoir. Il contractait sa mâchoire jusqu'à s'écraser les dents pour ne pas éclater en sanglots, et à chaque fois qu'il déglutissait sa salive, il avait l'impression d'avaler la pointe d'une dague. Il ne saurait dire s'il ne pleurait pas devant Clémence par orgueil ou par dépit.

Si Clémence n'avait pas ses mains agrippées aux siennes, il aurait certainement déjà baissé les bras. Les paumes et les doigts du chevalier étaient trempées de ses larmes qu'elle ne parvenait plus à retenir depuis quelques minutes. Pourtant, pour la première fois, Andran, la gorge nouée et le cœur serré, n'avait pas les mots. Ni pour réconforter Clémence, ni même pour se réconforter lui-même. Il était tout simplement impuissant, si ce n'est déjà résigné. Il en avait souvent rêvé, de ces fils et de ces filles qui l'auraient rendu fier. Assez souvent pour croire qu'il les aurait avec Clémence lorsqu'elle était lui était revenue. Ils auraient eu la peau légèrement plus hâlée ou les cheveux plus sombres que les hommes du Nord, mais pas suffisamment pour susciter la différence et la méfiance. Finalement, Andran n'avait plus réellement de quoi y penser.

N'importe quel homme, noble qui plus est, se serait levé et aurait tourné les talons. Même si Andran ne pouvait pas imaginer sa vie sans la présence d'au moins un enfant. Il n'était pas capable non plus de trahir Clémence, alors même qu'il venait de lui donner sa parole. Cela ne le rendrait pas plus heureux, ni plus tranquille, et ce serait là faire preuve d'une cruelle lâcheté. Après toutes ces difficultés surmontées, pourquoi en rajouter ? Pourquoi les dieux se montraient si cruels ? Pourquoi la seule personne qui avait gagné son cœur ne pouvait pas lui donner des fils et des filles ?

« Je… que sera notre vie sans… sans… » bafouilla-t-il, la voix étouffée par la tristesse. Il baissa le regard en fermant les yeux, espérant refouler les larmes qui se firent plus insistantes. « Pourrons-nous… pourrons-nous seulement être heureux si… si nous… si nous ne pouvons voir grandir nos enfants ? » Le cœur déjà meurtri, ces derniers mots le firent céder aux pleurs. Toutes les larmes qu'il contenait depuis de trop nombreuses minutes perlèrent sur ses joues jusqu'aux mains de Clémence. « J'ai toujours rêvé d'un… d'un fils comme moi… un chevalier qui… qui brandirait son épée pour protéger les autres et qui… qui serait valeureux et dévoué… mais… »

Chacun de ses mots étaient enroués par le sanglot et la tristesse. La voix habituellement grave et rocailleuse du chevalier devenait presque aiguë à chaque sanglot qu'il ne réussissait pas à retenir, à moins d'être complètement étouffée. Andran ne parvenait même plus à Clémence dans les yeux, ni même à apaiser sa détresse le temps d'une phrase. Que la maison de Reynard soit en flammes qu'il la laisserait le consumer. Qu'un tortionnaire lui arracherait le cœur qu'il n'en ressentirait pas la moindre douleur. Incapable d'apaiser sa tristesse et son désespoir, le chevalier laissa sa tête tomber sur l'épaule de Clémence, relâchant ses joues pour l'enlacer et lui arracher une étreinte. Il enfouit sa tête dans le creux de son épaule, et éclata une nouvelle fois en sanglots.

Clémence le prit dans ses bras comme elle put et le garda contre lui aussi longtemps qu'il pleura. Personne ne vint les déranger. Peut-être entendait-on les pleurs depuis l'autre côté de la porte ou peut-être personne n'osa entrer. En tous cas, ils restèrent seuls de longues minutes dans un silence seulement entrecoupé de sanglots. La métisse n'avait rien à lui répondre pour l'apaiser... Peut-être Néera les bénirait d'un ou plusieurs enfants ou peut-être son état était-il irréversible... Elle n'avait aucun moyen de le savoir et ne savait pas quoi faire...

Croisant Reynard et Anne-Lise, le couple prit poliment congé mais leur tristesse se lisait nécessairement sur leur visage. Ils se rendirent dans leur chambre sans un mot, se changèrent et se couchèrent. La nuit fut à la fois courte et longue. La belle métisse ne dormit presque pas et elle n'osa pas se glisser dans les bras d'Andran pour réclamer un peu de réconfort, de peur de le réveiller ou de le déranger alors que lui se comportait de manière plus distante depuis qu'ils avaient quitté la salle à manger. Au petit jour, ils se levèrent, se préparèrent et rejoignirent les autres pour le petit déjeuner.
La matinée fut emprunte d'une grande gêne chez les deux fiancés. Le chevalier était bien silencieux et peu loquace avec tout le monde, y compris avec elle. Il n'avait plus pour elle ses petits gestes de tendresse dont il la couvait toujours. Et tandis que lui était triste à l'idée de ne pas avoir d'enfants, Clémence sentait monter en elle l'angoisse qu'il la quitte pour cela... Ce serait une raison valable de rupture après tout... Et elle éprouva de plus en plus de peine à essayer de sourire à leurs hôtes dans un souci de politesse. Le déjeuner se déroula avec tout autant de lourdeur et les maîtres des lieux échangèrent plus d'un regard. Lorsqu'enfin le repas prit fin, les deux parents allèrent coucher leurs enfants pour la sieste, laissant les fiancés entre eux... dans un silence de plomb. Les retrouvant dans le salon, toujours murés dans leur désespoirs, Anne-Lise s'approcha de la belle estrevine.

-Vous parliez de vos jardins hier. Peut-être pourriez-vous trouver l'inspiration dans les nôtres ? Allons prendre l'air toutes les deux.

Et, sans lui laisser vraiment le choix, Clémence la suivit, non sans un dernier regard en coin pour Andran à qui elle ne savait plus quoi dire... Les deux femmes se promenèrent quelques minutes, la Dame lui parlant de leurs plantes et de la floraison qui était resplendissante cette année-là. Mais dès qu'ils furent loin du bâtiment principal, elle cessa son petit manège.

-Clémence, je n'ai pas vraiment l'intention de vous ennuyer avec les arbustes et les rosiers. Elle lui prit la main et l'attira vers un banc à s'assit, l'amenant à l'imiter. Là, elle prit également son autre main et plongea son regard dans le sien. Que s'est-il passé ? Demanda-t-elle avec autant de douceur que de rigueur.

Elle n'avait pas l'intention de lui laisser le choix. Cela faisait des heures que les deux amoureux n'avaient pas échangé un mot alors que, la veille, elle avait vu les étoiles dans leurs yeux lorsqu'ils parlaient de leur projet de mariage. Tout avait basculé en un rien de temps. Clémence ne voulait pas en parler mais l'autorité de la mère de famille était forte et elle comprenait qu'elle ne demandait pas une réponse : elle l'exigeait.

-Je... J'ai dit à Andran... que je ne pourrais peut-être pas avoir d'enfants...

Les traits d'Anne-Lise muèrent lentement de l'interrogation à la compassion. A travers ces quelques mots, elle comprenait toute la situation : la tristesse dans leurs yeux, les silences de plomb, l'attitude d'Andran... La Dame prit quelques instants pour intégrer la nouvelle et trouver quoi répondre.

-Vous avez dit "peut-être" ?
-J'en ai porté... Ils ne restent pas en moi.
-Le fait que vous soyez tombé enceinte est bon signe. Cela signifie que vous êtes fertile. Répondit-elle sans se soucier du pourquoi du comment de ses grossesses qui ne la regardait pas finalement. Et puis, cela ne lui permettrait pas de l'aider à régler le problème de savoir comment c'était arrivé.
-A quoi bon si je les perds tous... Andran y tient tellement... J'ai peur qu'il me quitte.

De l'avouer à voix haute fit couler les larmes de la belle estrevine qui porta une main à ses lèvres. Anne-Lise, n'écoutant que son cœur, passa un bras autour d'elle pour la réconforter.

-Je suis persuadée qu'il ne le fera pas. Ce serait contraire à ses principes.
-Qu'il reste par principe mais me déteste pour le priver de descendance est pire encore.

La Dame ne dit rien. Elle n'avait pas vu de colère dans les yeux du chevalier mais comment savoir ce qu'il pensait ? Elle ne le connaissait pas assez bien pour cela. Tout comme elle ne connaissait pas l'estrevine et son histoire, ce passé qui l'avait conduite en Péninsule pour y être sauvée par un preux chevalier en armure. Mais alors qu'elle se faisait le bref résumé de ce qu'elle savait, elle pensa à une chose.

-Clémence. Dans votre ancienne vie, avant de rencontrer Andran... Étiez-vous bien traitée ?

La jeune femme resta interdite quelques instants.

-Je... Pourquoi ?
-Certaines femmes sont plus fragiles que d'autres pendant la grossesse. Peut-être êtes-vous simplement plus délicate que les autres ! Andran a les moyens de faire en sorte que vous vous ménagiez. Et aviez-vous accès aux soins également ?
-Non... Les premiers que j'ai reçu... C'était le lendemain de notre rencontre.

Anne-Lise lui sourit, serrant légèrement l'épaule de la métisse qu'elle avait dans la main.

-Alors je suis certaine que votre situation peut trouver un dénouement heureux. Elle se leva soudain. Venez. Il ne faut pas que vous laissiez Andran continuer à se morfondre dans sa tourmente.

Ses doigts tenant ceux de Clémence, elle la fit se mettre de debout, passa son bras autour du sien et l'entraîna pour retourner vers le bâtiment principal. Essayant de la rassurer et de lui donner du courage sur le chemin du retour, la Dame la conduisit jusqu'à son compagnon qui se trouvait avec son frère. Les époux s'entendirent pour s'éclipser et ils les laissèrent seuls. L'estrevine chercha quelques instant le courage de prendre la parole. Et, bien avant les solutions offertes par Anne-Lise, ce fut une tout autre pensée qui se formula en premier dans sa bouche.

-Je ne veux pas te perdre, Andran. Déclara-t-elle alors que les larmes revenaient de plus belle couler sur ses joues en silence. Mais je comprendrais... si tu...

Elle ne pouvait pas finir sa phrase... C'était trop dur... Et, de toute façon, il en avait compris le sens, non ?

Ni les mots, ni cette étreinte, ni rien ne pouvait apaiser la tristesse d'Andran. Et pourtant, il sentait sur son dos les bras de Clémence qui le serraient contre elle, même si elle ressentait probablement la même détresse que lui. D'ordinaire si peu démonstratif et toujours prompt à taire ses émotions du mieux qu'il le pouvait, le chevalier ne parvenait pas à mettre fin à ses larmes. Si la seule personne au monde qui avait les clés de son cœur ne parvenait pas à le soulager, comment une nuit de sommeil ou le temps pourrait l'y aider ? Cela faisait plusieurs minutes, déjà, que Clémence s'était confiée, et Andran avait toujours l'impression que son cœur était broyé par un étau. Le flot de larmes qui montaient jusqu'à ses yeux finit par s'interrompre, mais la peine, entremêlée avec de la colère, se lisait toujours sur son visage. S'il avait été seul, il aurait certainement hurlé de toutes ses forces, jusqu'à se faire entendre des dieux eux-même pour qu'ils viennent conjurer le sort.

Le silence finit par succéder aux sanglots, même s'il était glacial et morose. Si Reynard et Anne-Lise ne s'étaient pas permis de s'immiscer dans leur discussions, ils comprirent rapidement que quelque chose n'allait pas. Les deux fiancés avaient encore le visage froid et maussade baigné de larmes. Ni la rouquine, ni son époux n'avaient osé leur demander de se confier, car ils savaient pertinemment que cela aurait été vain. Andran se coucha avec Clémence dans la chambre que Reynard avait prévu pour eux, même s'il aurait préféré s'enfuir d'ici pour trouver quelque chose ou quelqu'un sur qui déchainer le poids de sa colère et de sa tristesse. Il s'allongea de sorte de tourner le dos à Clémence, sans un mot, sans un geste, sans un baiser. Le chevalier aurait certainement du lui témoigner de l'amour et de la compassion, mais il n'était qu'un homme dont le cœur était gelé. Il ne pouvait pas plus lui témoigner de la haine ou de la rancœur.

La nuit lui avait paru plus longue que la Malenuit elle-même. Andran l'avait passé à ruminer et à refouler les dernières larmes que ses yeux pouvaient encore libérer. Comme la veille, il n'accorda aucune attention à Clémence, et se montra encore plus froid avec son frère et sa belle-sœur. La famille dégustait son petit déjeuner dans un silence pesant, seulement interrompu par les enfants qui ne comprenaient pas ce qu'il se tramait. Andran, lui, ne mangeait rien. Il regardait les murs, le sol, le plafond, les meubles, les enfants… au milieu d'un cimetière, il ne trouverait rien de plus triste que lui-même. Il regarda Anne-Lise s'éloigner avec Clémence dans le jardin, il regarda les enfants sortir de la pièce pour aller jouer dans leur salle de jeu, il regardait Reynard qui le regardait déjà depuis quelques minutes… Andran était la Mort parmi les vivants.

« Viens, Andran. J'ai quelque chose à te montrer. » lui dit l'aîné, qui avait une idée derrière la tête. Avec Anne-Lise, ils avaient certainement discuté de comment ils parleraient avec les deux sans leur donner le coup de grâce.

Sans montrer la réelle volonté de le suivre, Andran se leva et suivit son frère. Reynard l'emmena jusqu'à l'étage, dans une grande salle pierreuse et peu accueillante. Plusieurs râteliers supportaient des épées de taille et de style différents. Il y avait également d'autres armes, et même des mannequins supportant des armures. Le chevalier avait oublié que cette maison avait une salle d'armes, mais ce n'est pas ce qui le gênait le plus. Il voyait clair dans le jeu de son frère, et il ne voulait certainement pas rentrer dedans. Reynard ramassa deux épées assez émoussées, en lança une à Andran, et prit un bouclier.

« Ce n'est pas une bonne idée, ça. » dit-il d'un ton froid. Il tenait l'épée du bout des doigts, la pointe touchant le sol. Il ne voulait certainement pas blesser son frère dans un élan de colère.
« Pour toi, si. Pour moi… hé bien, on repassera. J'encaisserai. » répondit Reynard en haussant les épaules. Était-il seulement conscient qu'il pouvait y perdre la vie, vu l'état de son frère ?
« Reynard… »
« Non, non, non. Tu attaques, et j'encaisse. »

Reynard savait pertinemment ce qui allait arriver. Il n'était pas un amateur de combats, et probablement un bien faible guerrier comparé à Andran. Tout ce qu'il voulait, c'est que son frère cadet extériorise la colère et la tristesse qu'il a accumulé depuis hier. Mais, Reynard n'avait certainement pas pensé qu'Andran se déchainerait à ce point là. Tenant son bouclier devant lui, les coups du chevalier étaient plus puissants que la mâchoire d'un dragon. L'aîné résista à chacun des assauts de son cadet, jusqu'à ce qu'il assène un coup tellement puissant qu'il perdit le contrôle de son arme, qui s'écrasa sur le sol. Andran était au bord des larmes.

« Allez… qu'est-ce qu'il s'est passé hier pour que tu en casses le bouclier ? » demanda Reynard, en posant son épée et son bouclier cabossé.
« Elle ne peut pas avoir d'enfants… Clémence… elle est peut-être… » bafouilla Andran, la voix étranglée.
« Oh… oui… je vois. »

Reynard s'était isolé avec Andran pour qu'il puisse se confier au cas où Anne-Lise ne parviendrait pas à convaincre Clémence de lui parler. Cela dit, il n'était pas aisé de discuter de l'intimité d'une femme entre hommes, d'autant plus que le chevalier ne pouvait pas affirmer qu'il était fertile. Mais l'intimité d'une femme était un sujet probablement trop complexe pour deux hommes comme eux. Reynard n'aurait qu'à prévenir Anne-Lise pour qu'elle puisse en parler avec le couple.

Après une longue accolade entre les deux frères, ils redescendirent pour retourner au salon. Andran se sentait légèrement mieux, maintenant qu'il avait déchainé sa colère. Il n'échapperait pas à une conversation avec Clémence, et Reynard l'avait averti qu'il le pourchasserait dans tout le Marquisat s'il daignait même quitter cette maison sans la belle estreventine. Peu après qu'ils soient revenus dans le salon, Anne-Lise et Clémence revinrent de leur discussion dans le jardin. Sans attendre, elle et son époux quittèrent la pièce, laissant les deux fiancés dans l'intimité de la pièce. La mâchoire serrée et la gorge nouée, Andran ne savait même pas quoi lui dire, pas même s'excuser de la froideur dont il a fait preuve depuis le début de la journée. Après tout, ce n'était pas de sa faute si elle était… dans cette situation. Pourtant, malgré cela, c'était à lui que Clémence pensait. Elle qui n'aurait peut-être jamais d'enfants de sa vie, elle songeait, avant tout, à l'importance qu'avait Andran à ses yeux.

« Si je voulais te quitter ? Te chasser de notre maison et te dire que je ne voudrais plus jamais te revoir ? »

Une pointe d'amertume se mêla à la tristesse dans sa voix. C'est ce que n'importe quel homme voulant des enfants aurait fait. Mais, le chevalier ne voulait pas perdre Clémence. Comment pouvait-elle en douter ? S'il ressentait une telle peine, ce n'est pas parce qu'elle ne pouvait pas avoir d'enfants, c'est parce qu'il voulait que ce soit elle qui porte les siens. Andran n'avait jamais imaginé une autre femme porter ses enfants dans son ventre. À quoi ressemblerait son fils s'il n'héritait pas des traits de la seule et unique femme qu'il avait aimé de toute sa vie ? Alors que Clémence était au bord des larmes, Andran sentit les siennes remonter jusqu'à ses yeux. Il s'approcha de la jeune femme jusqu'à se tenir en face d'elle. Il posa ses deux mains sur ses joues, fit remonter son visage pour qu'elle le regarde dans les yeux, et l'embrassa sur le front.

« Je ne le ferai pas. Moi non plus, je ne veux pas te perdre. » confessa le chevalier, en essuyant les larmes sur les joues de Clémence, alors qu'une larme perla sur la sienne. Ses mains glissèrent derrière le dos de la jeune femme et l'attira à lui pour la prendre dans ses bras, posant sa tête contre la sienne. « Dites-moi seulement qu'il y a de l'espoir… » sanglota-t-il, alors qu'il était à deux doigts de céder. Il resserra l'étreinte sur Clémence, comme si la sentir dans ses bras l'empêcherait de pleurer. « Dites-moi seulement que ce n'est pas irréversible, que… que… que nous pourrons avoir des enfants… ensemble… »

Ses larmes coulèrent plus drues, mais toujours en silence, tandis qu'Andran achevait la phrase qu'elle avait été incapable de terminer. Oui, c'était bien ce qu'elle craignait... Elle ferma les yeux et, lorsqu'elle les rouvrit, il était là, à quelques pas d'elle, la rejoignant. Elle le vit prendre son visage en coupe avant de prononcer ces mots qu'elle avait peur de ne pas entendre. Lorsqu'elle le sentit l'attirer dans ses bras, elle ne se fit pas prier et vint chercher cette étreinte qu'il lui refusait depuis la veille. Elle retrouvait la tendresse perdus de ses gestes alors qu'il la serrait un peu plus chaque seconde. Mais alors que ce contact retrouvé l'apaisait, elle entendit la détresse dans sa voix. Oui... La question n'était toujours pas résolue... Elle n'était pas certaine de devoir faire le deuil de ce futur enfant ou non... D'autant plus après la discussion qu'elle venait d'avoir avec une femme infiniment plus expérimentée qu'elle.

-D'après Anne-Lise... Oui. Dit-elle alors que sa voix était étouffée par les vêtements d'Andran.

Lentement, et presque avec difficultés, elle se redressa, conservant son compagnon dans ses bras. Elle releva son regard vers lui. Elle n'était pas convaincue et, surtout, elle avait très peur de lui donner de faux espoirs et qu'il lui en veuille si jamais cela ne marchait jamais pour eux...

-Je n'ai pas... vraiment répondu à ses questions, mais... Commença-t-elle pour lui faire savoir qu'elle était très loin de lui avoir révélé ses secrets. Elle a compris dans quelles conditions je vivais. Avant de te rencontrer.

Elle lui en avait déjà parlé, puis il avait compris certaines choses aussi lorsqu'elle avait eu la fièvre quelques mois auparavant et, le reste, il pouvait aisément le deviner. Elle avait trimé toute sa vie, elle avait été malmenée et violée souvent. Un bébé aurait dû être bien accroché pour parvenir à voir le jour dans ces conditions, non ?

-Elle pense... Que je suis fragile... Sur ce plan-là. Que le fait qu'on ne m'ait pas ménagée et... que je n'ai jamais eu accès à des soins a... accentué... mon état.

Anne-Lise avait peut-être raison... Mais Clémence ne pouvait se réjouir tout à fait. Rien n'était garanti et la possibilité qu'il lui en veuille à tout jamais planait au dessus de sa tête comme une épée prête à s'abattre sur elle.

-Andran... Je ferais tout ce qu'il faut... Mais je suis incapable de te dire que ça ne marchera jamais comme je ne veux pas te donner de faux espoirs et que... tu finisses par me détester parce que je n'y serais pas arrivée... Je crois que ça me terrifie plus que de tout le reste... De voir la colère dans tes yeux quand tu me regardes... Et de te sentir distant, comme depuis hier soir...

Même que de l'idée de passer à l'acte était une perspective bien plus douce que cette éventualité... Ce qui pourrait lui arriver de pire aujourd'hui, c'était de perdre l'affection de son compagnon. Elle ne voulait pas qu'il décide de continuer avec elle en étant certain qu'ils auront des enfants et que l'absence de ces derniers alimente sa colère et sa rancœur. La situation de ces dernières heures lui avaient fait plus de mal que l'idée d'être peut-être stérile et de ne jamais connaître le bonheur d'être mère. Elle pouvait se passer d'enfants pour être avec lui... Mais elle, elle subissait seulement cette situation. Celui qui avait le choix, c'était lui...

“Je ferai tout ce qu'il faut”. Ces mots résonnèrent comme l'ultime espoir auquel Andran était prêt à se raccrocher pour que Clémence puisse être la seule et unique mère de ses enfants. Il le désirait pour lui, pour elle, et pour eux. Après avoir lutté pour gagner son cœur et pour qu'elle reste auprès de lui et pour qu'ils vivent heureux ensemble, le chevalier ne voulait pas se résigner tant qu'il y aurait l'ombre d'une chance. Par Néera, se séparer d'elle, qui plus est pour une telle raison, lui fendrait le cœur. Il ne le voudrait encore moins alors que la jeune femme ne pensait qu'à lui depuis hier soir. Pas une seule fois elle avait évoqué ce qu'elle ressentait à l'idée de ne pas avoir d'enfants. Pas une seule fois elle s'était effondrée à l'idée que ce bonheur lui échapperait peut-être. Tout ce qu'elle voulait, c'est qu'il ne lui tourne pas le dos.

« Je n'ai pas envie de te perdre à nouveau, Clémence. » confessa-t-il en desserrant son étreinte pour trouver son regard. Les larmes aux yeux, il passa la main dans ses cheveux pour les lui caresser et lui déposa un baiser sur le front. « Je… je souhaite… de tout mon cœur… et je sacrifierai n'importe quoi pour que… pour que ce soit toi, et toi seule qui… qui porte mes enfants. C'est avec toi que j'en désire. Je veux qu'ils aient tes yeux ou ton sourire… les mêmes qui me rappellent pourquoi c'est toi que j'aime. »

Clémence était l'élue de son cœur, la plus belle femme du monde, celle qui le rendait heureux et celle qu'il veux toujours épouser. Andran ne pouvait pas s'imaginer un seul instant s'en séparer, l'imaginer loin de lui, et laisser son cœur se meurtrir à petit feu dans le regret et la honte. Alors, il resterait près d'elle, parce qu'il l'aimait, et ne serait que le spectre d'un homme s'il la laissait s'en aller. Avoir des enfants ne le rendrait pas heureux si ce n'est pas Clémence qui les lui donnait. Au plus profond de son cœur, il le sentait, il le savait. Sinon, Andran ne serait jamais allé en Estrevent pour la retrouver.

« Je resterai avec toi, mon amour. Je te le promets. » jura Andran, d'une voie résolue, comme si la tristesse s'était envolée le temps de ces quelques mots. Il l'embrassa une nouvelle fois sur le front et posa son doigt sur son menton pour qu'elle lève la tête vers lui. « Rien n'a changé dans mon cœur. Tu es toujours la femme que je veux épouser. » affirma-t-il, en passant les doigts sur les joues de Clémence pour chasser ses larmes. Il essaya de lui sourire afin de se montrer rassurant, malgré l'émotion, et approcha ses lèvres pour lui prendre un baiser. « Je t'aime, Clémence. Et si Anne-Lise pense que nous pouvons avoir des enfants, qu'il existe un infime espoir pour que cela soit réalisable, alors je veux que nous nous battions pour y parvenir. Toi seule peut me rendre heureux. Jusqu'à la fin de mes jours, ce sera toi… ou personne. »

Clémence eut un sourire timide et gêné alors qu'Andran lui expliquait pourquoi il voulait des enfants d'elle et de personne d'autre. Elle qui ne s'était encore jamais projetée comme mère -non pas parce qu'elle ne le voulait pas mais parce qu'il n'y avait jamais eu assez de place dans son esprit pour cela- se plut à imaginer ses traits combinés à ceux de son compagnon sur un bébé. Son cœur se serra de bonheur et de tristesse alors que ce désir naissait véritablement en elle en même temps que la crainte grandissante que cela n'arrive jamais.
Le chevalier continua à se déclarer. Il n'y avait plus de distance entre eux. Il était aussi tactile qu'avant, aussi doux, aussi démonstratif, aussi tendre... Dans ses mots et dans ses gestes. La main dans ses cheveux, elle la prit pour la poser sur sa joue et ferma les yeux, profitant de ce contact qui lui avait tant manqué. Il voulait toujours d'elle. Il voulait toujours qu'elle soit sa femme, même avec la menace qu'ils finissent leurs jours seuls, tous les deux. Ils se battraient, oui, mais le fait de savoir qu'il resteraient à ses côtés, qu'ils traverseraient tout cela ensemble lui réchauffait le cœur et la rassurait.

Finalement, Clémence passa ses bras autour du cou d'Andran et vint dissimuler sa tête dans son cou. Elle le serra aussi fort qu'elle le put, profitant du fait de l'avoir retrouvé pour se combler de tout ce qui lui avait manqué durant ces dernières heures et qu'elle craignait de ne jamais retrouver.

-Je t'aime, Andran... Je n'imagine pas ma vie sans toi.

Et pas parce qu'elle était perdue dans un pays qui n'était pas le sien et que sans sa protection elle ne serait plus en sécurité. Elle l'avait suivi... et elle le suivrait, où qu'il aille. Tout comme elle était la seule femme à avoir éveillé son cœur, il était le seul homme à avoir su apaiser ses peurs. Son passé avait pris fin le jour où il avait affronté trois brigands pour la sauver, elle : une inconnue, une esclave et une étrangère. Tout ce temps, malgré des hauts et des bas, il était resté à ses côtés pour la protéger. Pour lui, elle avait accepté de quitter son pays et sa famille mais aussi de laisser ses barrières tomber les unes après les autres. Elle avait même risqué sa vie pour sauver la sienne dans cette maison en flamme... Elle ferait tout pour lui...

Après de longues minutes, elle se redressa pour trouver les yeux de son compagnon. Il semblait un peu plus serein, même si l'épée flottait toujours au-dessus de leurs têtes. A présent, ils étaient deux pour lutter contre elle. Elle observa son visage, caressa ses joues, fixa ses yeux... Puis elle se hissa pour venir l'embrasser. Elle lui offrit un baiser plus long que le précédent et plus chargé en émotion aussi... Suivi d'un autre, plus amoureux encore que le précédent. Plus elle l'embrassait, plus elle avait envie de continuer, se rapprochant de lui jusqu'à se trouver totalement contre lui, dans ses bras.

-Tu m'as manqué, Andran... Souffla-t-elle entre deux baisers.

Il ne s'était pas écoulé une journée depuis son aveu mais les émotions avaient été si intenses que, maintenant que les choses s'arrangeaient, tout se contrebalançait dans l'autre sens... Une main de la belle métisse atteignit la nuque du chevalier tandis que l'autre se refermait sur sa veste au niveau de son épaule. Soudain, elle sentit une vague de chaleur remplir son ventre et elle se recula un peu brusquement, ses doigts solidement accrochés aux bras de l'Inquisiteur. Sa respiration était forte et rapide, ses joues étaient roses et elle n'osait plus regarder le chevalier dans les yeux. C'était la première fois que cela la prenait aussi soudainement... Le désir... Mais, si c'était surprenant, ce n'était pas seulement ça qui l'avait fait arrêter. Ce n'était ni l'endroit, ni le moment...

-Pardon... Je n'ai pas peur... Je... J'ai... Chercha-t-elle à le rassurer. Elle peinait à finir sa phrase et à prononcer ces mots qu'elle n'avait jamais dit auparavant... Mais un sourire bienheureux se dessina sur son visage malgré tout alors qu'elle essayait toujours de reprendre son souffle et d'apaiser ses sens. Elle se pinça les lèvres, comme pour essayer de s'en cacher. Avait-elle vraiment le droit de se réjouir maintenant ? Sa réaction pouvait paraître étrange...

Andran sentit son cœur se dénouer lorsqu'il sentit les bras de Clémence s'enrouler autour de sa nuque. Il sécha ses larmes et adressa un sourire timide à sa fiancée, comme s'il était gêné de se montrer démonstratif avec elle. Il avait le sentiment d'être faible devant Clémence lorsqu'il ne parvenait pas à rester impassible, et à paraître lucide malgré ce qu'il ressentait. Avec cette femme, il ne pouvait pas demeurer insensible, surtout lorsque le sujet lui tenait à cœur, comme celui de la paternité. Quand Clémence le voyait distant et froid comme cela était arrivé à plusieurs reprises, Andran avait l'impression d'être cruel avec elle, alors qu'il avait simplement besoin de solitude. C'était le cas cette nuit. Il n'avait aucun reprocher à faire à la jeune femme, et il souhaitait rester seul justement pour ne pas la blesser. Reynard l'avait certainement compris lorsque son frère cadet s'était muré dans le silence. Il avait alors choisi d'encaisser la colère de son frère plutôt qu'il ne se déchaine sur Clémence, ce qu'il n'aurait pas fait dans tous les cas.

L'abandon n'était pas non plus une option. Clémence avait envisagé cette possibilité, et cela l'effrayait. Pourtant, Andran n'y avait pas pensé ne serait-ce que l'espace d'une seconde. Il ne l'avait même pas envisagé lorsqu'il était seul avec Reynard, même si ce dernier l'avait évoqué pour le lui interdire. Andran ne pouvait vivre sans Clémence. Il avait souffert de leur séparation, depuis cette soirée à Diantra jusqu'à son départ en Estrevent. La voir partir alors qu'il essayait de regagner son cœur l'avait tellement attristé que tous ses frères d'armes l'avaient craint. Maintenant qu'elle était revenue pour lui, et seulement pour lui, pour lui prouver qu'elle l'aimait toujours, ce serait la trahir que de s'en aller sans elle.

« Je suis désolé… je… je n'apprécie pas que… que tu me vois dans ces états-là. J'ai toujours peur de… de te faire du mal sans le vouloir. » s'excusa le chevalier pour ponctuer les tendres baisers qu'ils s'étaient offerts. Il laissa ses bras s'agripper sur le dos de Clémence, et resserra doucement leur étreinte, comme s'il voulait sentir tout son corps et pas simplement la chaleur de ses lèvres. « Tu m'es trop précieuse pour que je te fasse du mal. »

Quand il était débordé par les émotions, Andran était difficilement contrôlable, d'autant plus que ses sentiments pour Clémence les décuplaient. Elle en avait déjà fait les frais, malheureusement, et il ne voulait pas commettre cette erreur une nouvelle fois. Ce n'était pas à elle de subir sa colère, sa tristesse, et encore moins la violence de mots qu'elle ne mérite en aucun cas. C'est pour cela que Reynard s'était dévoué pour prendre les coups à sa place, d'ailleurs. Anne-Lise devait obtenir les confidences de Clémence pendant que Reynard calmerait le chevalier de sorte qu'ils puissent se reparler. Ils avaient certainement imaginé que ces retrouvailles soient fortes en émotions, et les avaient donc laissé tranquilles.

Le silence qui régnait dans la pièce depuis quelques minutes était bien différent de celui du matin ou de la nuit. Il était léger, suave, agréable, aux antipodes du froid glacial de ce matin. Andran et Clémence en profitèrent pour retrouver les contacts physiques dont ils avaient besoin. Jamais il n'aurait pensé que ce séjour chez son frère se déroulerait ainsi. Il avait eu cela de bon que l'amour qu'ils se vouaient étaient toujours aussi fort. Andran se sentait bien dans les bras de Clémence. Tellement bien qu'il ne put cacher sa stupeur lorsqu'elle s'éloigna de lui. Il se demanda aussitôt ce qu'il avait fait, car il n'avait eu aucun geste sensuel à son égard… pas dans un tel moment.

« Je… » hésita le chevalier, les joues s'empourprant de timidité. Il étira un sourire timide mais amusé, car jamais il n'aurais pensé que Clémence puisse ressentir du désir à un endroit si peu propice à l'intimité. Ils étaient dans le salon d'Anne-Lise et Reynard tout de même. Ils pourraient venir d'une minute à l'autre pour s'enquérir de leur conversation, sans imaginer la situation si les enfants les voyaient. Andran se rapprocha de Clémence et trouva une nouvelle fois ses lèvres. « Je crains que nous devrons patienter ce soir pour cela. En attendant… »

Andran lui adressa un nouveau sourire, plus espiègle et malicieux cette fois-ci, comme s'il s'apprêtait à lui faire une mauvaise plaisanterie. Puis, il courba légèrement le dos et passa le bras derrière les jambes de Clémence afin de la faire basculer vers l'arrière, et la rattrapa de son autre bras avant qu'elle ne s'écrase sur le sol. La belle estreventine était légère, et lui était musclé : il pouvait la tenir sans peine. Andran emmena sa fiancée jusque dans les jardins, baignés dans le soleil, et la déposa très doucement sur un banc placé en dessous d'une arc parsemé de fleurs en dessous duquel ils profitaient d'un peu d'ombre. Il s'assit à côté de Clémence, et, alors qu'il passa le bras derrière son dos pour l'attirer à lui, la jeune femme posa sa tête sur son épaule. Andran préférait l'odeur fleurie du jardin de son enfance pour profiter de son amour.

« Nous passions beaucoup de temps avec Reynard lorsque nous étions jeunes. Je suis heureux de savoir, qu'avec Anne-Lise et lui continuent de l'entretenir pour que ce jardin soit toujours aussi magnifique. » commenta-t-il en se blottissant un peu plus contre Clémence. Il soupira d'un air détendu. « Nous aurons beaucoup à faire pour que le nôtre soit aussi beau, mais nous y arriverons. » ajouta-t-il avec un sourire. Clémence avait déjà fait beaucoup dans leur jardin. Il se souvenait encore de leur baiser lors de leurs retrouvailles, alors qu'elle était maculée de terre mais qu'il n'en avait rien à faire parce qu'elle était toujours aussi belle. Le chevalier lui embrassa les joues avant de replacer une mèche de cheveux derrière son oreille. « Je pourrai rester là, avec toi, sans jamais m'en lasser. »

Toujours agrippée aux bras d'Andran, celui-ci vint quérir un nouveau baiser, ce qui était presque cruel dans son état. Cependant, maintenant qu'elle était capable d'appréhender le désir, elle se mesura dans sa réaction et lui rendit son baiser aussi sagement que cela lui était possible. Il avait raison et c'était bien pour cela qu'elle avait voulu prendre ses distances, même si son geste avait pu paraître brusque. Elle lui répondit d'un sourire contrit et gêné et pourtant heureux, tout en baissant les yeux. Ce que "ce soir" lui paraissait loin... Que n'avaient-ils pas choisi de se retrouver dans leur chambre pour discuter ? Personne n'aurait osé venir frapper à leur porte, contrairement à ce salon tout public.
Ne pouvant voir le regard du chevalier, Clémence ne sentit pas la plaisanterie venir... Elle se retrouva soudain en train de tomber... dans les bras de son compagnon. La surprise lui avait fait pousser un petit cri et ses bras étaient venus s'accrocher à lui comme ils pouvaient.

-Qu'est-ce que tu fais ?! Demanda-t-elle, béate, curieuse et rieuse à la fois.

Andran semblait aller beaucoup mieux. Comme toujours après qu'ils aient discuté de ce qui n'allait pas, tout revenait à la normale. Et peut-être même plus encore cette fois-ci... Car elle avait eu envie de lui et lui se retrouvait à lui faire une petite plaisanterie avant de la conduire dans les jardins, la portant comme une princesse.
Finalement, se laissant faire, elle laissa sa tête venir se poser sur l'épaule de son compagnon tandis qu'il les emmenait jusqu'à un banc un peu à l'écart. Là, elle se blottit d'autant plus contre lui et il la serra délicatement dans ses bras. Il lui parla d'un fragment de son enfance et, pour une fois, sans colère ni amertume. Elle le remarqua et cela la fit sourire avec tendresse. Elle était heureuse qu'il soit parvenu à dépasser tout cela. Il en avait besoin pour mieux être en mesure de se tourner vers l'avenir. Il le prouva d'ailleurs par ses mots, en évoquant leur propre jardin qu'ils allaient s'attacher à faire resplendir lui aussi. Un peu comme le futur qu'ils s'apprêtaient à partager.
Andran lui embrassa les joues et elle ferma les yeux. Son désir était plus tendre mais toujours présent malgré tout. Elle le regarda, si près, se retenant de lui offrir un baiser afin de ne pas risquer de raviver sa flamme, même si elle pourrait la prévenir cette fois et mieux la maîtriser. Elle lui sourit avec affection et vint lui caresser barbe et pommettes d'une mais douce. Elle admirait ses traits tellement plus lumineux qu'au matin. Elle sentait toute la pression de ces dernières heures retomber et la fatigue la gagner mais elle était heureuse d'être là, à ses côtés.

En réponse à sa déclaration, elle plongea sa tête dans son cou. Les yeux fermés, elle écouta le cœur de son amant ainsi que le calme qui les entourait. Elle se sentait si bien, assise là, dans les bras de l'homme qu'elle aimait, au milieu des chants d'oiseaux, sous la brise printanière et baignant dans le parfum des fleurs. Elle se sentait soudain plus sereine... si bien qu'elle s'endormit. Cela ne dura pas longtemps, quelques minutes, dix tout au plus... Mais cela lui fit un bien fou. Ce qui la réveilla en douceur, ce fut les rires des enfants qui jouaient quelque part hors de leur champ de vision. Et elle sourit, malgré ce petit pincement au cœur qui la fit se blottir un peu plus contre Andran. Ils essaieraient d'accéder au même bonheur, eux-aussi.

Andran appréhendait la suite et la fin de cette journée avec beaucoup plus de sérénité. Dans les bras de sa fiancée, il rattrapait ce moment d'intimité dont ils n'avaient pas pu profité cette nuit, même si les enfants de Reynard s'avéraient parfois bruyants à l'intérieur. Nul doute qu'ils voudraient profiter de cette belle journée pour s'amuser dehors et gambader sur l'herbe. Le temps s'écoulait lentement lorsque le chevalier était avec Clémence, et il le ressentit d'autant plus lorsqu'il remarqua la présence d'Anne-Lise et Reynard sur la terrasse de leur jardin. Ils ne leur suffirent d'un rien pour comprendre que le couple allait beaucoup mieux, mais Anne-Lise ne put s'empêcher de venir vers eux, leur adresser quelques mots d'encouragement sur le sujet des enfants, mais également les prévenir qu'elle voulait que ses enfants puissent également profiter de cette douce journée printanière. Andran et Clémence n'insistèrent pas pour rester seuls plus longtemps, et c'est main dans la main qu'ils rejoignirent leurs hôtes sur la terrasse. Reynard avait fait préparé une tisane et les cuisiniers du domaine commençaient déjà à préparer le repas du midi, qu'ils dégusteraient en plein air.

Après le déjeuner, Andran proposa à Reynard de profiter de la journée pour faire connaître Erignac à Clémence. Cela leur permit de raviver quelques souvenirs de leur tendre enfance, et également de les partager avec la belle estreventine, mais également avec Hilda et Moreth. Durant leur flânerie, ils voguèrent de la grande-place jusqu'au château, passant devant les temples de la ville et les quelques boutiques qui pouvaient faire la fierté de la ville. Erignac était une petite ville dont il ne fallait pas beaucoup de temps pour en faire le tour, contrairement à Cantharel. Cette promenade eut pourtant le mérite de détendre un peu plus l'atmosphère. Andran ne pensait plus à sa tristesse de la veille, et encore moins à son appréhension à se ronger les ongles dont il avait fait preuve à l'idée de passer quelques jours chez son frère. Ils retournèrent à leur domaine peu avant le repas du soir, qu'ils purent apprécier dans une humeur jouasse et apaisée. Andran, aux antipodes de l'homme maussade qu'il était ce matin, se montra souriant, tendre et proche de Clémence. La soirée s'acheva sur une note douce et agréable, les sourires fichés sur toutes les lèvres et une humeur plus enfantine car le chevalier se montrait plus à l'aise avec ses neveux. Il était beaucoup moins hésitant à l'idée de leur témoigner de l'affection et à s'amuser avec eux. La famille partagea un dernier moment de convivialité devant la cheminée du salon avant de se séparer pour aller se coucher.

Pendant que Clémence se changeait derrière le paravent que Reynard leur avait mis à disposition, Andran, lui, se changea devant le lit. Il posa ses vêtements sur une chaise, au pied duquel était posé sa besace qui contenaient ses tenues de rechanges. Sans tergiverser, il prit le premier qui lui vint sous la main, et l'enfila avant que Clémence ne reparaisse de derrière le paravent. Par dessus son épaule, le chevalier la regarda, les yeux pétillants, se diriger vers la coiffeuse pour brosser ses cheveux, alors qu'il était toujours torse nu. ll repensait à ce qu'il s'était passé ce matin, et songeait à raviver la flamme, maintenant qu'ils étaient cachés derrière l'intimité de leur chambre. Clémence était magnifique même lorsqu'elle était de dos, et qu'elle ne faisait que coiffer ses cheveux noirs. Andran hésitait. Il regardait sa fiancée comme s'il cherchait lire dans ses pensées ou dans ses gestes pour connaître ses envies. Finalement, le chevalier se leva et s'approcha de sa belle compagne qui pouvait l'apercevoir dans le reflet de son miroir. Debout juste derrière elle, il trouva son regard à travers la glace, et passa les bras sous ses épaules pour la serrer doucement contre lui, ses deux mains posées sur son ventre. Là, il commença alors à lui embrasser la joue, et laissa ses lèvres cheminer doucement vers le bas, sur le cou puis sur ses épaules. Andran étira un sourire charmeur, amena sa bouche à trouver celle de Clémence pour lui arracher un baiser des plus passionné, long et langoureux. Son sourire s'élargit encore plus lorsque leurs lèvres s'éloignèrent très légèrement, de sorte que la belle ressente son souffle chaud sur son visage.

Clémence se brossait les cheveux, l'esprit un peu ailleurs. La journée avait mal commencé mais s'était très bien terminée en fin de compte. Elle n'avait jamais remarqué à quel point Andran pouvait être à l'aise avec les enfants. Peut-être parce qu'elle n'y avait jamais prêté plus attention que ça jusqu'à présent. Peut-être parce que cela ne lui avait pas importé jusque là. Peut-être parce qu'elle n'avait jamais pensé au jour où ils en auraient aussi... Ils pouvaient remercier Anne-Lise pour les avoir rassurés et son mari pour être resté aux côtés de son frère lorsqu'il en avait eu besoin et l'avoir aidé à évacuer sa colère. Cette douloureuse expérience avait au moins eu le mérite de resserrer les liens entre les deux hommes et de créer une véritable ambiance familiale. Elle avait presque eu l'impression de se retrouver sur les terres des Hadjaoui à un moment donné...

Un grincement attira l'attention de l'estrevine et elle leva les yeux vers le miroir. Elle vit Andran s'approcher lentement avec un regard qui ralentit aussitôt sa respiration. A mesure qu'il approchait, elle laissa ses mains à l'ouvrage dans ses cheveux redescendre lentement jusqu'à pouvoir poser la brosse sur la coiffeuse. Il l'étreignit et elle laissa son dos se poser contre son torse nu. Elle sentait déjà le creux de son ventre s'échauffer sous ses mains pourtant si sages... Mais elle savait qu'il brûlait d'envie de reprendre ce qu'ils avaient à peine effleuré dans le salon... Et elle se surprit presque à retrouver ce désir après si peu d'attentions de sa part.
Sentant les lèvres d'Andran descendre dans son cou, elle pencha la tête de manière à lui laisser libre passage, sa respiration se faisant déjà soupir. Ses doigts caressèrent ses avant-bras jusqu'à venir se mêler à ceux de son amant sur son ventre. Elle le regarda à l'oeuvre à travers le miroir et elle les trouva si beaux ainsi... Il était doux et aimant malgré son désir qu'elle devinait sans peine et cette position était si romantique. Lorsqu'il lui offrit un baiser, elle le lui rendit sans la moindre hésitation, goûtant à ces lèvres qu'elle n'avait plus pu approcher depuis plusieurs heures. Doucement, elle desserra l'étreinte de son chevalier. Pas assez pour lui échapper, mais suffisamment pour pouvoir pivoter et lui faire face. Ainsi, elle serait plus à son aise pour l'embrasser.
Ses mains se posèrent sur le haut du buste du noble et remontèrent jusqu'à venir s'accrocher à son cou. Elle le serra contre elle aussi fort qu'elle le pouvait alors qu'elle n'avait plus de raison de faire taire le désir en elle. Elle voulait au contraire s'y plonger à cœur perdu jusqu'à se laisser aller encore une fois dans les bras de son amant.
Tandis qu'ils se faisaient plus langoureux et passionnés, les mains de la belle métisse caressèrent la peau d'Andran là où elle lui était accessible. Leurs corps plaqués l'un contre autre empêchait certaines attentions mais Clémence ne pouvait se résoudre à se détacher de lui plus de quelques secondes... Et elle réalisa bien vite... qu'elle savait ce qu'elle voulait.

Au prix d'un gros effort, elle interrompit leurs baisers pour pouvoir prononcer quelques mots au milieu des soupirs. Elle plongea son regard dans ses yeux bleus avec amour et désir.

-Quand j'ai cru être en train de te perdre... Je me suis rendue compte que j'avais plus peur de ça que n'importe quoi d'autre au monde. Plus encore que... de passer à l'acte.

Elle l'avait dit... Elle peinait à le croire mais elle venait de le faire. Et elle sentait qu'elle ne pouvait plus s'arrêter maintenant, il fallait qu'elle aille jusqu'au bout de sa pensée.

-Je sais que je t'ai demandé d'attendre la nuit de noces, que je t'ai promis que je serais prête ce jour-là... Qu'elle arrive dans quelques mois ou quelques ennéades... Pour la symbolique... Pour ce que cela représente... Mais... Elle prend encore un instant avant de se jeter à l'eau. J'ai envie de toi, Andran. Je veux être à toi ce soir.

Andran comprit que Clémence était réceptive rien qu'à la saveur de ce baiser. Il n'avait besoin ni des mots, ni de gestes intimes et sans équivoque. Andran souhaitait même que ces instants charnels puissent être l'occasion de montrer à sa fiancée qu'il pouvait être romantiques et suaves, sans pour autant honnir la sensualité et l'érotisme. Pour elle, qui n'avait vécu que cela de manière brutale et violente, c'était certainement la meilleure chose à faire pour qu'elle s'y ouvre, et qu'elle y prenne du plaisir avec son compagnon. Cela n'était cependant pas un choix par défaut. Andran préférait sincèrement lorsque les choses se déroulaient ainsi. Il aimait Clémence, et il la désirait tout autant. Lui témoigner les deux à la fois lui était bien plus agréable.

Les mains de la jeune femme qui se glissèrent sur son torse lui procura une telle chaleur qu'il faillit suivre leur mouvement avec ses doigts. Mais Clémence le serra contre elle d'une force dont elle ne faisait jamais montre, et Andran laissa son corps s'approcher du sien jusqu'à se plaquer contre lui. Leurs lèvres continuèrent de s'échanger de tendres baisers et, si Clémence caressait sa peau de ses mains, lui laissaient les siennes sur son dos. Dans l'intimité de leur chambre, le couple pouvait enfin laisser libre cours à ce désir intense qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre, rendu plus fort par cette obligation de le faire taire depuis trop longtemps. Comme toujours, Andran fit preuve de patience, guettant les signes de Clémence le conviant à aller plus loin. Même si elle s'ouvrait toujours plus à lui, il ne voulait ni la brusquer, ni précipiter les choses. Il s'est toujours montré attentionné avec sa protégée, il pouvait bien l'être pour sa future épouse. Il fut d'abord surpris lorsque celle-ci interrompit leurs baisers, et encore plus lorsqu'elle lui souffla ces mots. Plus que surpris, il était ébahi, et interloqué. Le chevalier avait tellement songé à attendre la venue de leur nuit de noces qu'il ne songeait pas à franchir la dernière étape si tôt. Il lui avait souvent promis qu'il attendrait qu'elle soit prête, même s'il mourrait d'envie de passer à l'acte. Et puis… quelle déclaration d'amour. Le sexe a toujours été un sujet éminemment difficile pour Clémence, et savoir qu'elle craignait plus qu'il ne la quitte que passer à l'acte était une grande preuve de l'amour et de la confiance qu'elle lui témoignait. Elle était d'autant plus courageuse que, cette fois-ci, il n'avait pas eu à le lui réclamer, elle venait spontanément à lui. Après quelques secondes d'hésitation face à une telle déclaration, Andran retrouva le regard de Clémence, et lui donna un nouveau baiser.

« Tu ne seras pas mienne si je ne suis pas tien… » souffla le chevalier, cherchant la main de Clémence pour entremêler ses doigts aux siens. Il se recula d'un pas, invitant la jeune femme à le suivre au milieu de la pièce, et posa son autre main sur sa joue avant de l'embrasser une nouvelle fois. « Et je ne peux rien te refuser. »

Une telle offre ne pouvait absolument pas se décliner. Même s'il appréhendait ce moment, Andran le souhaitait depuis longtemps. Il voulait le découvrir avec elle, et elle-même le redécouvrirait, car il serait bien différent de ce à quoi elle avait été habituée. Il ne savait pas comment cela allait se dérouler, ni même si Clémence y prendrait du plaisir. Peut-être même que ses affres finiraient par rejaillir et qu'elle serait tétanisée. Mais il ferait attention, comme toujours. Il surveillerait les réactions de Clémence et s'interromprait s'il lisait sur son visage la peur et la douleur. De son côté, il n'avait aucune raison de tressaillir. Ce serait sa première fois, certes, mais, jusqu'à maintenant, toutes ses initiatives furent couronnées de succès, même si elles ne valaient rien, comparées à l'acte final.

Maintenant que les deux fiancés étaient prêts à donner leur corps à l'autre, Andran prit les mains de sa princesse et les amena à se poser sur sa poitrine musclée pour qu'elle puisse le caresser. Quelques pas les séparaient du lit, mais le chevalier n'insista pas pour qu'ils s'y allongent. Ils iront peut-être au bout, ce soir, mais ce n'est pas pour cela qu'Andran voulait précipiter le moment. Pendant que Clémence avait champ libre sur son ventre et même son dos, il lui offrit un énième baiser avant de faire de même sur toute partie de son corps que sa robe de nuit ne couvrait pas. Il dessina des mouvements amples mais soyeux sur sa poitrine, son cou et ses épaules, puis approcha ses lèvres pour accompagner ses caresses de baisers lascifs. C'est alors que ses mains commencèrent à doucement faire glisser les bretelles de sa robe pour que la splendide Clémence s'en défasse…

Les premiers mots d'Andran la firent sourire tendrement. Il parlait de réciprocité... Chose qu'elle n'avait encore jamais connu jusqu'alors. Les hommes avaient pris leurs plaisir avec elle sans se préoccuper du sien. C'était totalement différent avec lui et ces mots en étaient le parfait symbole. C'était un partage... Il ne prenait pas de plaisir si elle non plus. Toujours attentif à ce qu'elle ressentait, il menait toujours ses approches avec douceur, prêtant attention à ses réactions et lui demandant même silencieusement s'il pouvait continuer ou aller plus loin. Ils s'étaient mis d'accord pour ne pas franchir la dernière étape avant leur mariage mais c'était plutôt un accord en faveur de l'estrevine... Une façon de lui accorder un peu de temps et de lui laisser l'opportunité de s'accoutumer à leur progression actuelle sans redouter une requête de la part de son amant pour en venir aux ébats eux-mêmes. Elle avait conscience de le surprendre avec sa déclaration mais c'était ce qu'elle ressentait, ni plus ni moins.

Les mains de Clémence furent déposées sur le buste dénudé et elle les étira jusqu'à ce que ses paumes toutes entières soient en contact avec la peau de son chevalier. Elle lui rendit son baiser avec amour tandis que ses doigts commençaient à parcourir le corps d'Andran. Ce dernier ne resta pas non plus passif et elle se montra particulièrement réceptive à ses attentions... appuyant un peu plus ses mains sur lui en réponse. Lorsqu'il mêla ses lèvres à cette redécouverte, elle se mit à soupirer à son oreille, basculant la tête de manière à lui laisser le champ totalement libre. Ce soir-là, il lui faisait plus d'effets encore que depuis leur toute première découverte de l'érotisme. Elle sentait le feu dans son ventre s'embraser un peu plus à chacune de ses attentions, confirmant le souhait qu'elle avait exprimer et ce malgré l'appréhension qu'elle avait ressenti après l'avoir dit. Elle avait envie de lui. Elle voulait connaître le plaisir charnel lorsqu'il était partagé et pas seulement donné. Il lui avait toujours fait du bien mais elle avait l'impression grandissante qu'il pouvait y avoir... plus que cela.
Tandis que les doigts d'Andran tiraient sur les bretelles de sa chemise de nuit, elle replia ses épaules afin de l'aider à les lui retirer, participant pour la première fois à son déshabillage. Elle ne ressentait pas la moindre peur ni gêne. Elle se contentait d'écouter ce désir si fort qu'elle voulait se laisser submerger. Et puis, ce n'était pas comme s'il la voyait nue pour la première fois. Il l'avait déjà conduit jusqu'à l'extase à quelques reprises.

Les épaules dénudées, Clémence laissa son chevalier adresser toutes ses attentions à cette partie à peine plus étendue de son corps. Elle soupirait de plus en plus souvent, se retenant de venir se coller de nouveau à lui. Cela l'empêcherait de la parcourir autant qu'il le voudrait et, elle, de caresser son torse que ses mains venaient visiter régulièrement, entre deux allers et retours sur son dos, ses bras, sa nuque et jusqu'à l'arrière de sa tête afin de l'encourager à poursuivre ses baisers sur sa peau.
Après de longues minutes, la belle estrevine se détacha légèrement de son compagnon, se soustrayant à ses lèvres, mais peut-être pas à ses mains. Elle plongea son regard clair dans ses yeux bleus avant de porter ses doigts sur le laçage de sa chemise de nuit, situé entre ses seins. D'une geste lent, elle tira sur la ficelle pour en défaire le nœud puis elle détendit les lacets. A l'aide de ses bras collés contre son corps, elle retenait le vêtement de tout simplement tomber au sol. Elle avait beau brûler de désir pour lui, elle aussi voulait prendre son temps. S'il connaissait son corps, il devait encore l'appréhender d'une manière différente des fois précédentes... Car ce soir-là, il en prendrait possession. Quant à elle, si elle savait comment était fait un homme, elle n'avait jamais encore vu Andran nu et allait le découvrir pour le première fois... Elle verrait l'objet de son désir, celui qui formait cette bosse dans son pantalon, et devait apprivoiser l'idée qu'il allait entrer en elle.
Alors, ce moment qui précédait leurs ébats était plus important en ce jour qu'au cours des derniers mois... Elle voulait donc faire les choses bien et à leur rythme. Debout devant son chevalier, elle attendait qu'il approche de nouveau pour prendre ce qu'elle lui offrait : La possibilité de dénuder son corps au rythme qui lui plairait et avec l'assurance que c'était ce qu'elle voulait.

Au contact des doigts de Clémence, Andran sentit ses muscles se contracter et son corps se cambrer, comme incapable de rester indifférent à sa douceur. Le feu du désir brûlait tout son corps, et sa fiancée pouvait le sentir à son souffle chaud caressant sa peau entre deux baisers. Elle l'avait elle-même aidé à chasser ses bretelles et à laisser nue tout le haut de son corps. Elle était désormais bien plus à l'aise avec lui et elle devenait même active, ce qui n'avait pas toujours été le cas au départ. Clémence avait confiance en lui, mais elle avait aussi confiance en elle. Andran, lui, appréciait que Clémence lui rende chacune de ses caresses et chacun de ses baisers. Il voulait s'offrir à elle comme elle s'offrait à lui. C'était la relation qu'il désirait, dans laquelle ils se donnaient autant l'un à l'autre. Pour cela, Clémence devait guérir, mais le chevalier s'était montré patient, depuis toujours, en attendant qu'elle soit prête à franchir les caps si difficiles. Bientôt, tout cela ne sera qu'un lointain mauvais souvenir, et le couple n'hésitera plus, ne s'empêtra plus dans le doute et la crainte.

Leurs corps instinctivement attirés l'un à l'autre emportés par le désir, Andran sentit celui de Clémence s'éloigner de quelques centimètres et une main quitter son corps. Ses gestes se furent lents, pour ne pas le troubler, ni le brusquer, et il fut contraint de mettre fin à ses baisers sur sa peau pour retrouver son regard. Là, il vit sa main attraper le lacet de sa robe, la regardant tirer le fil en se mordant la lèvre inférieur. Grâce à ses bras, le vêtement ne tombait pas, même si un geste brusque suffirait à le laisser s'écraser. Clémence ne voulait pas tout lui donner d'un coup, et Andran n'y avait même pas songé. Il avait pris l'habitude de progressivement gagner le corps de sa fiancée, parce qu'elle appréciait cette intention, mais aussi parce qu'il aimait prendre son temps. Le chevalier s'avança vers Clémence, prit son visage en coupe, sa vint trouver bouche pour un baiser enflammé. Puis, ses mains glissèrent vers son cou jusqu'à sa poitrine, reprenant d'abord les caresses là où elles s'étaient interrompus, comme si elle n'avait pas détaché le lacet de sa robe. Son visage était resté proche de celui de sa fiancée de sorte que leurs souffles chaud et rapide caressent la peau de l'autre. De là, ses mains commencèrent à chasser le vêtement de la jeune femme, dévoilant à nue sa poitrine dont il cajolait le creux du bout de l'index, et s'aventura jusqu'en haut de son ventre. Son pouls et son souffle se faisaient toujours plus rapide à mesure qu'ils s'approchaient de la dernière étape, mais Andran demeura serein. Son corps frissonna d'un froid ne réclamant que le retour des mains de Clémence, il ne désirait pas qu'elle abandonne sa robe. Ses doigts parcouraient le ventre et la poitrine de la jeune femme de part en part, pendant que leurs lèvres s'attiraient et se repousser pour attiser l'ardeur de l'autre, avant qu'il ne se baisser pour accompagner de sa bouche les mouvements de ses mains.

Cependant, cela trahissait cette idée qu'il venait d'imaginer. Plutôt que de continuer à laisser sa robe glisser le long de ses hanches, Andran s'agrippa au pan de celle-ci et le fit remonter tout doucement le long de ses jambes. Il s'interrompit lorsque ses cuisses commencèrent à apparaître. Peut-être que sa fiancée apprécierait patienter encore un peu avant de le laisser re-découvrir son intimité. Elle pourrait même apprécier que son compagnon ne se précipite pas pour passer à l'acte final. Si Clémence était prête à passer ce cap, ce n'est pas pour cela qu'Andran devait se passer de ses gestes doux et sensuels qui lui procuraient du plaisir. Le chevalier s'approcha encore un peu plus de Clémence, jusqu'à ce que leur poitrine endurcies par leur désir n'entre en contact, et laissa sa seule main libre s'aventurer sur sa jambe nue. Sa main descendit jusqu'au creux de son genou pour la soulever et la plaquer à sa hanche. Il pouvait maintenant la caresser comme il voulait sans tendre le bras, se mouvant quelques fois jusqu'à ses fesses. Andran put alors relâcher le pan de la robe, et laisser passer son autre bras derrière le dos de Clémence, le bout de ses doigts cheminant du creux des reins pour que leurs corps se rapprochent un peu plus. Dans cette position, la jeune femme ne pouvait pas tomber. Par la suite, Andran releva le regard pour retrouver celui de Clémence, et il vint lui extirper un nouveau baiser passionné. suivi de plusieurs autres tous aussi enflammés et brûlants de passion et de désir, pendant que sa main poursuivait ses voluptueuses caresses sur sa cuisse.

Andran était doux et patient, ce qui rendait chaque contact d'autant plus espéré et d'autant plus fort une fois qu'ils étaient enfin accordé. Occupée à tenir sa robe, Clémence ne pouvait plus le couvrir de ses caresses, condamnée à attendre ses attentions et à la savourer. Elle finit néanmoins par libérer une de ses mains afin d'être en mesure de l'étreindre et de répondre à ses caresses. Tandis que les lèvres de son amant retrouvaient sa peau, elle reprit ses soupirs. Des soupirs qui s'intensifièrent alors qu'il découvrait sa poitrine avant de la cajoler à l'aide de ses mains et de sa bouche. Elle se pencha légèrement en arrière pour lui en faciliter l'accès. Le premier baiser sur la pointe de ses monts lui arracha une réaction de surprise et de plaisir en même temps tandis que des doigts graciles vinrent se placer à l'arrière de la tête du chevalier pour lui demander de continuer.
Pendant ce temps, elle sentit un pan de sa robe se soulever doucement... et une main rugueuse venir parcourir sa peau... Puis Andran se redressa, collant son corps à celui de sa fiancée, levant son genou, l'embrassant avec passion. Etant donné que dans cette posture la chemise de nuit ne risquait plus de tomber davantage que ce que le noble avait déjà fait, Clémence récupéra sa seconde main et vint s'accrocher au cou de son chevalier qui la gardait plaquée contre lui, lui évitant ainsi de tomber. Elle lui rendit chacun de ses baisers avec la même intensité, le feu dans son ventre s'embrasant de plus en plus à mesure qu'il pressait leurs corps l'un contre l'autre et qu'il parcourait sa cuisse.

Durant de longues minutes, ils échangèrent ainsi caresses et baisers de plus en plus passionnés. Le désir de la belle ne faiblissait pas et elle maintenait toujours ses attentions visant à montrer à son amant qu'elle appréciait chacun de ses gestes et à lui faire partager ce qu'elle ressentait par la même occasion. Mais la belle en voulait plus et ses gestes se faisaient de plus en plus pressant. Dans cette posture, elle ne pouvait pas être beaucoup plus participative et il ne pouvait avancer plus loin. Il leur faudrait changer bientôt et, si Andran n'y venait pas, Clémence le lui ferait comprendre assez vite...

Les minutes s'égrenèrent mais leurs baisers se voulaient toujours enflammés. Grace à sa posture, Clémence pouvait lui adresser quelques gestes qui réchauffèrent le corps d'Andran, poursuivant ses caresses sur sa cuisse. Finalement, le chevalier finit baisser la jambe de la jeune femme et l'accompagna jusqu'à ce que son pied se pose sur le sol. Ainsi, la robe ne tomberait pas brusquement mais glisserait le long de son corps, jusqu'à ce que la belle estreventine ne soit nue devant lui. Sans y prêter la moindre attention, il continua d'embrasser Clémence, et ses deux mains glissèrent jusqu'à ses hanches et descendirent lentement le long de celles-ci pour atteindre ses jambes. Pendant de longs instants, Andran dessinait de tendres caresses sur ses cuisses et n'hésita plus à remonter jusqu'à ses fesses. Puis, finalement, l'une de ses mains atteignit son intimité et, sans pour autant glisser ses doigts à l'intérieur, la cajola dans le seul but d'attiser encore plus le feu qui dévorait sa fiancée. Lorsqu'il touchait cette partie-là du corps de Clémence, Andran se montrait particulièrement prudent et doux, guettant les réactions de la jeune femme afin de s'assurer qu'elle aille bien.

Mais, même s'il ne lut aucune peur dans ses yeux, il cessa ses gestes et enroula ses bras autour de la taille de sa fiancée, la souleva doucereusement, et, alors qu'elle plaqua ses jambes contre ses hanches, il déposa plusieurs baisers sur sa poitrine pendant qu'il l'amena jusqu'à leur lit. Là, il l'allongea très lentement sur les draps, comme si Clémence était fragile et qu'il ne voulait pas lui faire de mal. Tout son corps à la merci de ses mains et de sa bouche, Andran ne tarda pas à reprendre ses gestes, glissant les mains de ses mollets jusqu'à ses cuisses pendant qu'il embrassait son ventre et sa poitrine. Il grimpa à son tour sur le lit en posant ses genoux en califourchon sur Clémence au niveau de ses jambes, mais demeura précautionnant en lui laissant de l'espace pour qu'elle ne se sente pas compressée et bloquée. Il savait bien que ce genre de positions réveillait ses peurs, et ce n'était pas du tout le moment. Le chevalier était toujours vêtu de son pantalon de nuit, mais il ne souhaitait pas encore s'en défaire. De nature pudique, il appréhendait encore l'idée de se mettre à nu devant Clémence. Elle ne l'avait jamais vu tout nu, et, bien qu'elle pouvait apercevoir tout le désir qu'il éprouvait d'un coup d'œil sur son pantalon, Andran ne savait pas comment elle réagirait en le voyant, et le sentant en elle s'introduire dans la chaire de sa chaire. Même s'il était l'homme qu'elle aimait et avec qui elle découvrait les plaisirs charnels, Andran savait que toute première fois était toujours une épreuve. C'est également pour cela qu'il ne souhaitait pas se déshabiller : il préférait attendre qu'ils soient, tous les deux, prêts à passer à l'acte plutôt que de brusquer Clémence.

Pendant qu'il inondait le corps de sa belle d'amour et de sensualité, Andran l'invité à faire de même sur son corps musclé aussi bouillant qu'au sortir d'une séance d'entraînement des plus intenses. Par moment, il n'hésita pas à regarder Clémence avec passion et à trouver ses lèvres pour l'embrasser avec toute l'ardeur d'un homme fou de sa compagne. Pendant de longues minutes, ses mains voguèrent de ses cuisses jusqu'à ses hanches, laissant son ventre et sa poitrine à la merci de sa bouche qui la cajolait avec passion mais tendresse. Revint ce moment durant lequel l'une de ses mains retrouva son entrejambe et la lui caressa d'un geste toujours soyeux, bientôt rejoint et remplacé par ses lèvres qui avaient doucereusement cheminé jusqu'ici. Andran avait reculé une jambe pour pouvoir se baisser et ainsi cajoler de sa bouche son intimité. Contrairement à la précédente nuit pendant laquelle il avait réalisé le même geste, Andran se montra moins intense et l'interrompit bien plus tôt. Il reposa son genou qui s'était effacé sur le lit, et retrouva le regard de Clémence pendant que sa main prenait le relai de ses lèvres. Elle n'avait pas peur, et ses soupirs n'étaient à rien de devenir des gémissements, ceux d'une femme se délectant des gestes de son compagnon. Andran adorait caresser sa peau, et il avait pu les rendre plus plaisants au fil de certaines nuits. Pourtant, le chevalier hésitait toujours à laisser ses doigts se glisser en Clémence. Il ne savait pas quels en seraient les effets, et encore moins si elle y prendrait du plaisir, bien qu'elle craindrait certainement moins ses mains que son attribut. Finalement, lorsqu'il se sentit prêt à essayer, Andran passa très doucement l'index à l'intérieur, guettant les réactions de Clémence pour s'assurer qu'elle ne ressente aucune peur…

Alors qu'Andran venait de reposer sa jambe, Clémence laissa un de ses bras retomber le long de son corps afin que la bretelle de sa chemise de nuit passe son coude et qu'elle parvienne à l'enlever. Elle fit de même pour l'autre côté et le vêtement descendit lentement sur son corps. Passé les hanches, il chuta en silence, mettant la belle estrevine parfaitement à nu. Le chevalier se fit alors plus audacieux, allant jusqu'à la caresser entre ses cuisses. Une fois de plus, elle se libéra d'un soupir de plaisir à ce geste. Rien dans ce qu'il se passait en cet instant ne l'effrayait et elle voulait le voir poursuivre... toujours convaincue qu'elle parviendrait à aller jusqu'au bout cette fois-ci.
Sous l'impulsion de son amant, elle plaqua son corps contre le sien et il la souleva par la suite comme si elle ne pesait rien... Afin de l'aider, elle passa ses bras autour de son cou et ses jambes autour de sa taille. Elle savoura ses baisers sur son buste tandis qu'il la menait jusqu'au lit qui les attendait et dans lequel ils seraient mieux installés pour la suite.

Aux soupirs se mêlèrent parfois de minces filets de voix tandis qu'Andran se faisait de plus en plus aventureux, tendre et langoureux dans ses approches. Clémence eut la sensation qu'aucune parcelle de sa peau n'était ignorée et elle retrouva sans la moindre appréhension le contact de ses lèvres sur son intimité. Malgré les ondulations involontaires de son corps, ses baisers étaient doux et décuplaient son envie plus que son plaisir. Le chevalier revint à ses côtés après seulement quelques minutes de cet échange voluptueux mais elle ne lui en voulait pas, bien au contraire. Ce n'était pas ainsi qu'elle envisageait que se termine cette soirée... Mais alors qu'elle accueillait son retour en caressant son torse et en s'approchant pour l'embrasser, elle sentit sa main revenir entre ses cuisses et ses soupirs empêchèrent ses lèvres de trouver les siennes. Elle se sentait pratiquement prête...
Mais alors qu'elle allait faire un signe à Andran, il tenta une expérience nouvelle. Les paupières de Clémence papillonnèrent une seconde et sa bouche s'ouvrit plus grande dans une expression qu'il lui avait déjà vue... Dans ses yeux, il n'y avait strictement aucune peur et elle n'avait pas eu le temps d'appréhender son geste si bien que tout ce qu'elle ressentait... C'était du plaisir. Un plaisir différent et fort à la fois. Ses mains agrippées à la nuque du chevalier, elle se surprit à accompagner ses allées et venues de ses hanches et ses soupirs se muèrent en doux gémissements. Mais après quelques instants seulement, elle eut un brusque mouvement pour essayer de se dérober alors que son doigt allait de nouveau s'insérer en elle.

-Attends.

Elle était essoufflée et étourdie mais encore loin d'être satisfaite. Tout était parfait et Andran avait su l'emmener jusqu'ici sans que rien ne l'effraie. A présent... il était temps. Délicatement, elle détacha ses mains de la nuque de l'Inquisiteur et les descendit le long de son corps dans une caresse à peine perceptible. Le regard plongé dans le sien, elle trouva l'attache de son pantalon et, de la même manière qu'elle avait détaché sa chemise de nuit, elle défit la ficelle et sentit le tissu se détendre alors que la pression y était devenue intense. Ses doigts remontèrent ensuite sur la taille de son compagnon et elle commença à faire descendre le vêtement afin qu'il s'en débarrasse. Avec son aide, elle parvint à le rendre aussi nu qu'elle l'était depuis quelques dizaines de minutes déjà. Toujours les yeux dans les yeux, elle attendit qu'il s'installe confortablement. Maintenant qu'ils y étaient, elle appréhendait forcément un peu... Cependant, elle passa ses bras autour de lui dans une caresse et replia ses jambes. Lorsqu'elle fut prête, elle lui adressa un sourire et patienta, le cœur battant. Il s'immisça alors en elle, lentement, et à mesure qu'il entrait, il put voir le visage de son amante reprendre cette expression qu'elle avait eu un peu plus tôt... Car la sensation était la même que lorsqu'il avait utilisé son doigt mais... en beaucoup plus intense.
Lorsqu'il fut rendu au plus loin possible, la belle estrevine reprit enfin sa respiration. Regardant toujours Andran, elle sourit soudain, heureuse. Ils y étaient... Il était en elle et elle allait bien. C'était différent. C'était chaud. C'était doux. C'était bon... Elle l'embrassa, tout à son bonheur, alors que leurs premiers ébats pouvaient enfin commencer. Il avait été patient des mois durant et leurs efforts conjugués allaient enfin payer car elle était en train de vaincre son dernier démon.

Andran lisait sur le visage de Clémence que tout allait bien, et put alors continuer ce geste qu'il découvrait avec elle. Il sentait le corps de sa belle se raidir à mesure qu'il insérait son doigt un peu plus loin, et plus encore lorsqu'il répétait le mouvement tout en se voulant plus rapide. Se firent entendre les prémices des gémissements, et le chevalier vint parfois chercher ses lèvres pour l'embrasser, et laisser la jeune femme exprimer son plaisir par les baisers.

Puis, alors qu'il s'apprêtait à réitérer le geste, Clémence l'arrêta, mais d'une manière bien différente et moins repoussante que lorsqu'elle avait peur. Là, Andran sentit ses mains parcourir son corps jusqu'à sa taille dans une caresse si douce qu'il en ressentit des frissons et que ses muscles se cambrèrent. Clémence trouva le lacet nouant son pantalon et le dénoua comme elle avait détaché sa robe quelques minutes plutôt. Le chevalier, noué par l'appréhension revenue s'emparer de son cœur, essaya de respirer pendant que sa fiancée fit glisser le vêtement le long de ses jambes. Les yeux plongés dans ceux de Clémence pour espérer de trouver le courage de se lancer, il se recula légèrement pour se défaire complètement de son pantalon, pendant que la jeune femme replia les jambes pour se préparer à franchir le dernier cap de leur relation, l'étape ultime de sa guérison. Andran se positionna de sorte que leurs visages soient proches, afin qu'ils puissent soutenir le regard de l'autre dans cette difficile épreuve. Après quelques secondes d'hésitation, le chevalier s'infiltra d'un geste très lent, ne détournant pas le regard du visage de Clémence qui semblait l'apprécier. Alors, Andran poursuivit son geste jusqu'à atteindre sa limite et rendit un sourire radieux à celui de Clémence. Ils s'embrassèrent pour se congratuler, alors que le chevalier avait interrompu son geste comme s'il pensait ne pas devoir le répéter. Cette première fois était… si intense. Son corps s'était embrasé un peu plus alors qu'il était réfugié en la seule femme avec qui il voulait découvrir les relations charnelles. Cette seule femme qu'il aimait et qu'il désirait. Aujourd'hui, cela était devenu possible, et ils en étaient heureux.

Leur baiser une fois terminé, Andran ne releva pas le visage, laissant sa bouche très proche de la sienne, et son nez contre le sien. Puis, il se retira afin de répéter le mouvement de va-et-vient à un rythme lent. S'il entendait Clémence gémir un peu plus souvent et un peu plus fort, elle pouvait sentir son souffle brûlant caresser ses lèvres, alors que le feu du désir brûlait son cœur et son corps. Chacune de ses insertions fut suivi d'une autre très légèrement plus rapide, bien qu'il faisait toujours preuve de douceur et de prudence. Andran s'interrompit un court instant et, s'éloignant de Clémence pour se redresser, il passa les bras sous les jambes de Clémence et les amena avec lui lorsqu'il se pencha vers elle. Ses mains se grippèrent sur ses cuisses qu'il couvrit de baisers. De là, il amena son visage devant celui de sa fiancée si magnifique en même temps qu'il reprit leurs ébats, invitant la jeune femme à s'accrocher à lui tel un koala. Il glissa ses mains sur ses hanches pendant qu'il s'insérait en elle toujours plus rapidement, lui arrachant de fougueux baisers entre deux gémissements. À mesure qu'Andran pressait le pas et que ses muscles se contractaient dans son effort, il ressentait les ondulations et les raidissements du corps de Clémence lorsqu'il fusionnait son intimité à la sienne. Toujours les yeux dans les yeux, les deux amoureux pouvaient lire dans leurs iris tout le plaisir dont ils s'imprégnaient.

« Je t'aime, Clémence… » souffla le chevalier dans un murmure, alors que leurs lèvres conclurent un énième baiser enflammé et qu'il accélérait toujours le pas. « De tout mon cœur… et de tout mon corps. » Andran étira un sourire cajoleur avant de lui embrasser le cou pendant qu'il s'insérait toujours en elle. « Je suis tien… je suis tout à toi, désormais… »