Pyks d'Ortheims - Fin de carrière. (Gendry)

Le voyage pour les Pyks d’Ortheim fut long et fastidieux. Ils avaient emprunté aussi bien de simples traces serpentant au coeur des bosquets que des chemins au travers de vastes étendues. Et parfois, il avait même fallu couper à travers la végétation. Les jours et les nuits s’étaient succédés, pour qu’enfin, après trois bonnes ennéades à dormir, la plupart du temps, à la belle étoile, les deux aventuriers approchaient de la fameuse carrière d’où émanait de sombres rumeurs. Les hommes de Noblecombe préféraient ne plus s’en approcher, tant et si bien qu’elle était abandonnée depuis bientôt un mois maintenant.

- On est plus très loin. Grommela le vieil homme qui ouvrait la marche en s’aidant de son bâton. Que la Damedieu vous protège, parce que tous ceux qui s’y sont aventurés et beh… On les a pas revus. C’pour ça qu’la garde en a interdit l’accès. Il marque un temps d’arrêt en poussant un soupir. J’vois pas vraiment ce qu’ils s’imaginent en vous laissant tenter vot’ chance…

- C’est qu’on fait ça toute l’année, l’ami. Répondit Gallen dans un sourire confiant en lui accordant une tape amicale sur l’épaule. On vit pour ça !

- Et moi je veux pas mourir pour ça, alors je m’arrête ici.

Leur guide désigna l’Ouest. Son index pointé en direction d'un pan de falaise qu’on distinguait entre les pins. L’entrée de la carrière n’était qu’à quelques minutes. Une bouche béante dans le cœur de la roche débouchant sur une étendue taillée dans la montagne de laquelle, blocs après blocs, on avait extrait la pierre.

- Alors, on prend le relais. Gallen coula un regard vers Gendry avant de lever les yeux en directions des cieux. On profite de l’après-midi pour repérer les lieux ? Avec un peu de chance, on trouvera quelques indices sur ce qui se trame ici. Qu’est-ce que t’en dis ?

Le vieux mineur agita mollement la main puis leur tourna le dos sans ajouter un mot. Il repartait déjà en direction de la petite cité de Noblecombe, érigée au cœur des forêts bordant les Pyks d’Ortheim. Le bougre grommelait dans sa barbe tout en s’éloignant, laissant les deux aventuriers entre eux.

- Sympa le vioc’. Lâcha le jeune homme avec une ironie bien sentie.

Lorsqu'on voyage avec Gendry, il y a deux trois éléments qui peuvent surprendre. Son extrême pudeur est l'élément le plus remarquable. Même pour dormir ou pour ses ablutions, alors qu'entre guerriers ou aventuriers on perd vite cette pudeur lorsqu'il s'agit de se laver ou de se préparer pour la nuit, lui fait tout pour être à l'abri des regards. L'autre élément surprenant étant que si on ne lui parle pas, il ne prendra pas l'initiative. C'est un compagnon taiseux et discret, mais pas asocial pour la cause. Quand on lui parle, il répond. Mais il prend rarement l'initiative, sinon pour se fendre d'une phrase, s'il l'estime utile. Et comme ce n'est pas lui l'aventurier expérimenté mais l'autre, il ne trouve pas utile de dire ce qui ressemble à des évidences. Donc, la majorité du temps, il se tait.

Oh, lorsque le vieux se demande pourquoi on envoie encore des gens dans cette zone maudite et que Gallen répond qu'ils font ça toute l'année, il aurait pu répondre que Gallen sans doute, mais pas lui. Mais ça aurait changé quoi ? Et lorsque Gallen lui suggère qu'on profite de l'après midi pour faire un repérage, il acquiesce simplement. C'est Gallen le chef, hein ? Il hésite puis pose une question :

- On a d'quoi faire une torche pour chacun ? Le feu, ça peut dépanner si jamais...

Rien que si des insectes les emmerdent, ou si la zone devient sombre. La remarque ironique de Gallen ne fut pas perçue telle quelle par Gendry.

- J'trouve pas. J'aurais dit "désabusé" pour ma part. Mais s'il a vécu jusqu'à son âge, c'est ptet la bonne attitude à avoir. Etre prudent assure une vie longue...

Il soupire...

Et ennuyeuse... Pour ça que je suis sorti de ma forge, j'ai encore envie d'être surpris

Bref, pas plus impressionné que ça pour l'heure. Le voyage lui a plu et il attend la suite.

Gallen opina du chef, il déposa son sac au sol et se mit à fouiller à l’intérieur. Quelques secondes plus tard, il imbibait des tissus d’alcool qu’il s’empressa d’enrouler autour de bouts de bois secs récupérés dans les environs.

- Tu as raison. Sait-on jamais ! Lance-t-il dans un sourire en tendant une torche improvisée à son compagnon de voyage. Bouge pas, je vais nous les allumer.

Il s’empara de silex et d'herbes sèches aux alentours. Après quelques essais infructueux, une petite flamme finit par prendre, il alluma sa torche avant d’écraser le départ de feu du pied.

- On reste prudent, d’accord ? Si on peut éviter la castagne et les ennuis, on évite. Il tendit sa torche vers celle de son camarade pour l’embraser. Et si on a pas le choix et beh… On avisera !

L’aventurier s’élança à nouveau sur le chemin, d’un pas guilleret, presque trop, il marchait vers la carrière, tout confiant qu’il était. Une poignée de minutes plus tard, il se trouvait planté à côté d’une cabane en bois marquant l’entrée de la fameuse carrière.

- Et beh... Souffla l’aventurier en sifflant, impressionné par le trou béant dans le mur. J’ai du mal à imaginer un insecte faire un truc pareil.

La bâtisse était sens dessus dessous, la table brisée, les chaises éparpillées, au sol trainaient autant de pioches et de pelles abandonnées. Du matériel d’excavation en pagaille et pas dans le meilleur des états. Cependant, l’attention de Gallen était portée sur les marques de griffures dans le plancher et les empreintes devant le mur éventré.

- Vise un peu la taille de ce truc… On dirait une empreinte d’ours, mais… Un sacré gros ours.

L’homme s’écarte et vient se poster sur le sentier de terre et de roche descendant jusqu’au centre de la carrière. Il observe calmement les environs. Ce qui autrefois devait être une cuvette naturelle au cœur de ces pics avait souffert les pioches, les pelles et les cisailles de l’Homme. L’on avait arraché la montagne à elle-même, blocs après blocs, sur plusieurs étages. Les palans permettant de faire descendre la pierre jusqu’aux chariots et charrettes était comme les avait laissés. Tout avait été abandonné, et les seuls témoins du drame qui s’était déroulé ici devaient être ces quelques corps pourrissant éparpillés ci et là.

- Bon… Ça m’a l’air plutôt calme. Fit Gallen en tirant sa lame de son fourreau. On va voir ? Je surveille tes arrières.

- A moins que nous ayons à faire avec une termite géante... et pour être franc, ça serait totalement du genre à m'effrayer

Annonce un Gendry qui a poutant survécu à une drow. S'il craint une termite géante, c'est parce qu'il ne lui voit aucun point faible. Alors qu'il continue de penser qu'une drow peut être raisonnée. L'avantage de la jeunesse, c'est qu'on a encore des espoirs... Puis le côté guilleret de l'aventurier expérimenté avait eu le don de rassurer notre forgeron. C'est qu'il estime le danger assez "réduit". Ce qui n'interdit pas la prudence, ou l'analyse. Et quand il parle d'ours de grande taille comme option possible en ce qui concerne le propriétaire de l'empreinte qu'ils ont découverte, il acquiesce gravement.

- Je ne suis pas spécialiste des empreintes, mais ça y ressemble, oui. Donc, un ours géant...

C'est "concret" comme ennemi. Pas rassurant, mais concret. Mais quand Gallen suggère que Gendry passe devant, ce dernier étouffe un rire.

- Ca y est, je comprends pourquoi tu es si détendu. T'as un pigeon qui t'ouvre la voie et qui pourrait te laisser le temps de fuir... Pas con !

Une râlerie ? Pas vraiment, car Gendry s'engage pour descendre dans la cuvette, s'assurant à chaque pas de la solidité du sentier. Mourir d'une glissade, voilà qui l'intéresse peu. Craignant que l'écho accentue les bruits qu'il produit, il murmure à l'intention de Gallen.

- Si le gros ours surgit, je vise avec mon marteau sa mâchoire ou ses griffes, suivant avec quoi il m'attaque, afin de détruire son point fort. Un marteau peut faire du dégât et s'il a mal, il ne pourra pas s'en servir... ou avec difficulté. Si je puis me permettre, vise l'oeil, c'est là qu'une lame a le plus de chance de s'enfoncer et de mettre fin au combat.

Puis une réflexion plus terre-à-terre.

- Quand on quittera les lieux, on incendiera la cabane. J'suis pas architecte mais vu le trou, j'doute qu'elle reste solide. Puis cela fera une sépulture pour ces pauvres gars en train de pourrir. S'il devait m'arriver quelque chose, brûle mon corps, qu'il redevienne poussière. Servir de garde manger à insecte, c'est pas trop mon ambition. En tant que poussière, je pourrai encore voyager, et par les airs, je me dis que ce monde pourrait être beau.

Il a fini de parler. Il n'y a pas de familles ou d'amis à prévenir. Sa forge sera réattribuée au bout d'un certain temps, même si sa mort n'a pas été officialisée. Mais c'est "pour le cas où", il n'a pas l'intention de mourir, et torche dans une main et marteau dans l'autre, il ressemble plus à un combattant qu'à une victime sacrificielle.