De retour à la maison... | Vil & Tom

Deuxième ennéade
Été, Verimios 20:XI

En temps normal, il aurait attendu la nuit.
En temps normal, il serait passé par le toit.
En temps normal...

Mais il n'y a rien de normal aujourd'hui.

Fantôme rentre seulement de mission. Bon, en fait, il est rentré depuis deux jours mais il n'a pas pu venir plus tôt. La cicatrice sur son flanc est presque invisible mais elle est encore toute récente. Il fallait qu'il se fasse soigner avant d'être autorisé à sortir. S'échapper aurait éveillé les soupçons et Djen l'a convaincu de patienter encore quelques heures, le temps d'une séance de soins de plus. Pourtant, il lui a été bien difficile de se retenir. Déjà parce qu'il n'a pas vu Viliam depuis plus d'un mois, ce qui fait bien long. Surtout maintenant que leur relation est devenue plus intense. Mais, lorsqu'il a appris ce qu'il s'était passé en son absence... C'est bien pour ne pas attirer l'attention et prendre le risque de dévoiler sa relation avec l'Aile Blanche qu'il s'est retenu de quitter aussitôt le quartier général des Chimères.

A croire que Viliam s'est ennuyé pendant qu'il était parti... Lui et sa bande se sont montrés sacrément actifs ! Et que de vies perdues pendant ce temps... Tous du côté adverse, est-ce que ça lui importe au moins ? Il se pose la question parfois. Mais il ne peut pas fermer les yeux maintenant que les victimes ne sont pas de simples accidents. Il faut vraiment que son compagnon calme le jeu.
Mais, avant tout chose, Tom veut s'assurer qu'il va bien. L'impatience fait qu'il n'a pas attendu que le jour baisse. Et sa blessure, qu'il prend la porte d'entrée plutôt que le balcon... Il s'est seulement assuré qu'il n'était pas suivi.

Dans l'auberge, il y a pas mal de monde. Plus qu'il n'en a l'habitude vu les heures auxquelles il traîne habituellement par ici. Il avance vers le comptoir, péniblement, zigzagant entre les tables et les gens. Là, il prend sur lui pour jouer les clients lambda, saluant le tenancier comme s'il ne l'avait encore jamais vu. Il commande une boisson pour qu'il ait l'occasion de s'approcher et de lui parler, plus bas.

-Il est là ?

-Tu cherche des oiseaux de nuit mon gars. S’amusa alors le tenancier en lui servant d’un main lourde une épaisse chope d’alcool amer. Son regard se tourna vers un soldat, ou du moins un type en armure d’acier, accoudé plus loin mais l’air plutôt ivre. Amuse-toi donc et revient plus tard, j’ai du travail.

Derrière son ton bourru et sa façon de presque envoyer l’intrus bouler se cachait en réalité une sympathie sincère. L’homme connaissait le mercenaire et il avait bien comprit qui il venait chercher. S’il n’avait pas été un ami de l’Aile blanche, la réponse aurait été d’autant plus sèche et sans appel, sans le moindre indice. Là, il l’enjoignait plutôt à demi-mots à attendre son compagnon, ne pouvant pas lui en dire d’avantage pour leur sécurité à tous. Il faudrait que Tom décrypte le message.

Il faudrait aussi à Tom pas mal de patience, car longues furent les heures pendant lequel rien ne se passa de plus que la tranquille routine d’une taverne comme les autres,- à l’exception que celle ci ne portait pas de nom et qu'il semblait y avoir plus d'habitués que de curieux- . Le soldat finit par s’éclipser, titubant à moitié sur son chemin. A un moment donné, plus tard, une patrouille plus vive fit son apparition, cherchant visiblement quelque chose parmi les clients qui leur répondaient d’un regard noir et de quelques mots à peine, crachés. Une bagarre manqua même de se déclencher lorsqu'un regard fut de trop , ou bien une remarque du garde, difficile à dire, mais le tavernier réussit à calmer le jeu in extremis et les soldats tournèrent les talons, promettant  malgré tout à grand cris de revenir.

Les heures s'écoulèrent encore, sans plus de heurt. Finalement l’endroit s’était déjà pas mal vidé, et la nuit commençait doucement à se faire. Les visages des quelques clients restant devenaient certainement plus familiers pour Fantôme qui pouvaient si ce n'était les nommer, au moins les associer à la bande de vaurien que menait son compagnon.

A un moment donné, un sifflement finit par retentir au loin faisant lever les têtes. Ce qui était devenu une étrange attente se brisa brusquement au bout de quelques minutes, comme une bulle qui éclate sans prévenir, lorsque la porte se rouvrit sur quelques silhouettes vêtues de blanc.

L’un en particulier se détacha vite du groupe. Grand et plutôt imposant de carrure, il portait un petit sac dans sa main. Si ses vêtements usées ne suffisaient pas seuls, sa capuche vite abaissée laissa aussitôt attester de l’état quelque peu désordonné de son allure, ses cheveux noir en bataille et quelque peux poussiéreux les premiers. Baissant son foulard, il révéla son visage dont les traits trahissaient une certaine fatigue derrière une barbe de quelques jours. Il portait encore la vague trace d’une ecchymose quasiment résorbée sur sa pommette. Pourtant, si ces signes laissaient penser que les derniers jours n’avaient pas été de tout repos, il se mit bien vite à sourire et lança à la petite foule.

-Adain’Vinje* ! Fit-il avec un certain entrain dans la voix, alors qu’il jeta son petit sac cliquetant sur une table. Ce soir c'est une nouvelle victoire. Fêtons ça comme il se doit !

Ce qui bien entendu fut accueilli avec pas mal d’éclats de voix. Certain levèrent leur choppe, certains se mirent à rire. D’autres encore encouragèrent les nouveaux arrivants à s’installer avec eux. Personne ne se fit prier en tout cas.

Pourtant le premier ne s’était pas approché tout à fait du comptoir qu’il remarqua celui qui n’était pas tout à fait des leurs. Alors une lueur de surprise illumina ses prunelles. Viliam échangea quelques bref sifflement avec le tavernier avant de s’approcher de son amant. Voilà des lustres qu’il ne l’avait pas vu. Jusqu’ici ses pensées avaient été ailleurs, mais de le revoir là maintenant, le bandit eut d'un seul coup la brusque sensation que la Chimère lui manquait terriblement.

Il éluda l’appel enjoué de l’un de ses hommes à leur célébration alcoolisé d’un simple geste de la main et s’approcha.

-Salut ‘Tom. Sourit-il bien plus doucement. Ça fait une paie.

L'aubergiste ne lui apprend rien qu'il sache déjà, il savait que les chances de le trouver ici à cette heure étaient minces, mais ça ne coûtait rien de demander. Et puis, le fait qu'il lui dise de rester à d'attendre -malgré son ton bourru- le rassure un peu malgré tout. S'il n'avait pas eu la possibilité de le voir, il l'aurait invité à chercher ailleurs. Ce qu'il aurait fait, même si certaines cachettes sont plus difficiles à atteindre de jour et avec une blessure fraîchement soignée.

Alors, suivant les indications du tavernier, Tom se tourne vers la salle. Pour l'heure, il n'y a aucune place assise alors il reste au bar un moment. Lorsqu'un table se libère vers le fond, il s'y dirige et prend place de manière à voir la salle dans son ensemble. Assis nonchalamment contre le mur, un pied posé sur la chaise d'en face pour faire comprendre qu'il ne veut pas de compagnie, il observe les allées et venues. A mesure que les heures passent, son visage se ferme de plus en plus, résultat de l'inquiétude qui fait grimper son impatience alors que le jour décline bien trop lentement à son goût.
Lorsque le Guet passe par là, la présence d'un homme assis dans un coin de la pièce et avec un air un peu sombre les attire forcément. Il répond à leurs questions, à sa manière et avec son humeur du moment en prime. La seule chose qui va finir par faire lâcher prise à ses molosses, c'est lorsqu'il déclinera son identité. Si son pseudonyme les a fait rire, comprendre que c'est une Chimère a répondu à bon nombre d'interrogations laissées en suspens. Ces mercenaires ont parfois leur caractère mais aucun ne pourrait rester dans la compagnie s'il ne respectait pas certaines règles. Alors les deux importuns se tournent vers d'autres après seulement quelques minutes d'entretien.

Mais cette conversation a un peu retourné l'esprit de Tom... Il a toujours su que ses activités et celles de son compagnon sont incompatibles. Il prend un risque conséquent en fricotant avec l'Aile blanche... Même si aucun des deux amants ne partagent d'informations, il arrivera peut-être un moment où ils se retrouveront face à face sur le terrain... Et la Chimère se retrouverait totalement coupée en deux.

Occupé par toutes ces pensées, les heures s'écoulent un peu plus vite pour le mercenaire. Lorsqu'une bagarre manque d'éclater, il ne s'en mêle pas. Un coup peut vite partir et ce serait trop risqué pour lui dans son état. Alors il reste bien sagement sur son banc, à regarder comment la situation évolue, se tenant prêt à se mettre à l'abri en cas de besoin.
Quand la luminosité faiblit enfin, l'impatience de Fantôme refait rapidement surface, de même que l'angoisse. Et si finalement le tavernier lui avait dit d'attendre pour qu'un autre vienne lui annoncer une mauvaise nouvelle ?... Agité, il n'a de cesse de tapoter la tranche d'une pièce sur la table, la faisant parfois rouler entre son pouce et son majeur avec l'aide de son index. Peu à peu, la pièce se vide, mais pas totalement. Le mercenaire commence à reconnaître des visages. Nombre d'entre eux le remarque mais personne ne vient à sa rencontre. C'est assez étrange... Être suffisamment reconnu pour ne pas être mis dehors mais pas assez pour être mêlé au groupe. Il ne peut pas vraiment leur en vouloir... S'il a le droit d'être ici et d'en savoir autant sur eux, c'est du fait de sa relation avec leur chef. Un passe droit qui ne fait pas de lui l'un des leurs. Pire encore, il travaille parfois pour le camp d'adverse. Pas pour les marchands d'esclaves, trop de Chimères refuseraient catégoriquement, mais pour les riches, ceux qui détiennent l'argent et s'en servent parfois pour acheter leurs serviteurs. Alors, forcément, ils sont sans doute nombreux à penser qu'il n'a pas sa place ici. Mais ils ont trop foi en Viliam ou ils lui doivent trop pour contester sa décision...

Finalement, un sifflement. Tom relève la tête et dirige son regard vers la porte. Tandis qu'elle s'ouvre, il range sa pièce. Et lorsqu'une haute silhouette entre, il se lève avec lenteur. Il ne le quitte pas des yeux alors que celui qu'il attend depuis des heures se présente enfin. Il lève son verre et porte un toast à leur victoire du jour. Est-ce qu'il a présenté les choses ainsi le soir où il y a eu tant de morts ?...
Liam le remarque rapidement et se dirige vers lui. L'accueil qu'il lui réserve est... perturbant. Oui, "ça fait une paie". Plus d'un mois... Mais ce n'était pas vraiment comme ça qu'il s'imaginait leurs retrouvailles et l'air qu'il affiche doit bien le lui montrer.

-Roh, la ferme. Lâche-t-il avant de rapidement combler la distance qui les sépare encore pour le prendre dans ses bras pour le serrer contre lui. Malgré son agacement, la sensation de soulagement qu'il éprouve à ce contact est si forte qu'il ne peut empêcher un soupire de soulagement s'échapper de ses lèvres. J'suis pas un de tes potes... Lui glisse-t-il à l'oreille.

Non, il n'a pas aimé cette distance qu'il a mise entre eux en arrivant et le bandit peut sentir un peu de frustration dans sa voix. Alors oui, certes, il est assez discret dans ses démonstrations d'affection, presque pudique, mais qui pourrait dire en les voyant qu'ils sont plus que des amis ou des frères ? Pourtant, il n'a pas l'intention d'en dire plus sur son ressenti. Pour l'instant, il veut simplement retrouver son compagnon...

-Toi aussi tu m'as manqué. Viliam soupira a son tour.

S'il s'était légèrement crispé, surpris par la réaction du mercenaire, rapidement ce dernier avait pu le sentir se détendre entre ses bras. Il n'était pas rare que le bandit réagisse ainsi quand les gestes de son compagnon se trouvaient un peu trop brusques, mais à chaque fois il finissait également par s'y faire et se laisser aller dans ces bras qu'il savait sécuritaires. Cela faisait simplement partie de nombreux réflexes défensif qu'il s'efforçait d'atténuer à défaut de se trouver capable de totalement les effacer.

Oui, la Chimère lui avait terriblement manqué et il lui semblait accuser ce coup de plus ce soir. Une foule de sentiments traversaient son esprit. Il n'était pas certain de comprendre le frustration de ce dernier. De l'autre il était frustré lui aussi par des semis reproches qui venaient alors qu'un mois était passé sans nouvelles. Mais il y avait aussi une bonne part de soulagement, car au final Tom était là et il allait bien.

Il ne fit donc rien pour échapper à l'étreinte de son amant, la prolongeant même volontairement quelques longues secondes de plus, osant même passer une main douce dans ses cheveux en épi et fermant les yeux pour profiter de ce bref instant volé. Si les autres ne pouvaient que remarquer ces retrouvailles, puisqu'ils n'étaient pas vraiment discrets, tous eurent la décence de les laisser tranquille, se préoccupant aussitôt d'avantage de leurs propres réjouissances personnelles. Aussi la foule autour devint rapidement un simple brouhaha rassurant.

Quand leurs regards se retrouvèrent enfin, le bandit avait beau sourire, son compagnon ne serait malgré tout certainement pas aussi dupe que le reste de ses hommes et il pourrait appercevoir la fatigue qui pesait soudain sur ses épaules. La joie presque arrogante de quelques instants plus tôt ne semblait presque plus qu'une étrange façade.

-J'esperait pas te revoir dans cet état. Désolé. Plaisanta- il légèrement en désignant les vêtements salis qu'il portait.

Il n'était pas du genre à faire plus que le strict minimum lorsqu'il s'agissait de son apparence. Mais en général il restait tout de même correct et propre. Ça lui était arrivé de faire quelques efforts supplémentaires lorsqu'il laissait ses obligations de côté pour ne consacrer qu'à une soirée simple en la seule compagnie de Tom. Mais ce soir là, la présence de la Chimère était un inattendu et il se trouvait presque pris de cours.

-Phileas m'a dit que tu attendais depuis toute l'après midi. Est-ce que tout va bien ? Finit il par s'enquérir, légèrement inquiet d'une potentielle raison plus grave de la présence de son compagnon parmi eux.

La main dans les cheveux, on ne va pas se mentir, ça fait un peu plus que des amis qui se retrouvent... De même que la longueur de leur étreinte. Mais, cette fois, Tom s'en fout. Il le serre contre lui et se rassasie de sa présence autant que de son odeur. Viliam répond à une phrase qu'il n'a même pas prononcé, même si... dans le fond... c'était un peu le sens de ce qu'il a dit.

Lorsqu'ils se détachent enfin, le mercenaire hausse un sourcil.

-Et ça c'est rien. Tu t'es regardé dans un glace dernièrement ? Fait-il d'un ton railleur, masquant l'inquiétude que cela lui inspire.

Bon, lui n'est pas tellement mieux. Son teint un peu plus pâle que d'habitude cache une légère anémie. La fatigue, quant à elle, s'est bien estompée avec ces deux jours de repos forcés au sein du quartier général. A croire qu'ils ont tous les deux été bien occupés pendant un mois.

-Hm... J'sais pas. Je reviens de mission et j'apprends un peu tout ce qu'il s'est passé en mon absence. La prime sur ta tête a pratiquement doublée. Pourquoi je serais inquiet au point de t'attendre pendant plus d'une demie journée pour être sûr que tu vas bien ?

Ce n'est pas un reproche mais plutôt une observation faite sur un ton sarcastique. Il reste inquiet et n'est pas sûr de comprendre tout ce qu'il se passe... Pourquoi l'Aile blanche est soudainement devenue aussi active et se fait autant remarquée ? Il se demande nécessairement ce qu'il se passe et a peur pour son compagnon...

-hé. Viliam fronça les sourcils et vint encadrer le visage de son amant entre ses mains. Ainsi il força un peu son regard à soutenir le sien. Son sourire avait disparu. Je vais bien Tom. Asséna-t-il avec sérieux.

Il se doutait bien que la Chimère avait entendu les rumeurs qui devaient circuler çà et là. Elles étaient difficiles à ignorer pour qui pouvait les connaitre. Mais il devait avouer que l’inquiétude de mercenaire le déstabilisait plus que de raison. Et puis, en fin de compte il n’avait aucune idée de ce qu’il avait bien pu entendre exactement.

-S’il te plait, t’occupe pas de ces histoires de prime, elles changent rien à ma vie. Je sais pas ce que t’as pu entendre ces dernier temps, mais ça va.

Il laissa échapper un soupir un peu agacé en le relâchant. S’il était sincère lorsqu’il disait se ficher royalement des dites primes, de leur montant dans tout les cas, il n’ignorait pourtant pas le statut qu’il avait pris aux yeux du guet. A vrai dire, ce qui en était à l’origine n’étant pas de son fait, cela le contrariait. Sans parler de l’inquiétude au fond de son cœur à l’idée d’avoir attiré sur lui et Ren, d’ancien ennemis puissant dont ils pensaient s’être débarrassés. Pourtant celle-ci il la taisait, n’en parlant même qu’à demi-mot avec son lieutenant de toujours. De l'autre côté il ne voulait pas inquiéter d’avantage Fantôme. D’autant qu’il lui aurait fallu expliquer certaines choses qu’il avait choisi de passer sous silence depuis longtemps.

-On a juste été forcé d’accélérer le pas après qu’une tentative d’alliance ait mal tournée il y a quelques temps. J’ai été con ce soir-là, on paie les pots cassés.

Il glissa un regard vers la salle. La petite foule s’était réuni près de l’âtre où brulait un grand feu. L’un des bandits était occupé à conter un récit aux autres qui écoutaient avec un impressionnant silence.

-Mais je crois qu’on s’en sort mieux que je ne l’espérais.

-Physiquement, peut-être...

De ce que le mercenaire peut voir, Viliam n'est pas blessé. Mais la réciproque est sûrement vraie pourtant Tom a bien été touché lors de l'un des derniers combats qu'il a mené avant de rentrer. Alors qu'en sait-il finalement ? A moins de le traîner dans la chambre pour le constater par lui-même, il ne peut que se contenter de sa parole et c'est ce qu'il fait. Même s'il n'en est pas vraiment convaincu.
En revanche, le fait qu'il néglige l'impacte de cette prime sur sa tête l'agace un peu plus.

-Qui dit deux fois plus d'argent dit deux fois plus de mecs à ta recherche. Donc ça se limitera plus juste au Guet. Tu peux pas juste l'ignorer.

Viliam ne lui explique qu'à demi-mots les raisons de ce surcroît d'activité mais cela ne satisfait pas son compagnon.

-Tu parles d'Aruj ? Fait-il pour lui faire savoir qu'il est au courant, lui rappelant qu'il a ses sources. Normalement, après un coup pareil, on se fait tout petit. Là, on a plutôt l'impression que votre connerie est pleinement assumée. Et quand je dis "assumée", je veux dire "volontaire". C'est ce que ça donne vue de l'extérieur.

Tom n'est pas en train de lui faire la leçon, contrairement aux apparences. D'habitude, il ne se mêle pas des affaires de son compagnon mais, cette fois, il s'inquiète de la façon dont il gère les choses. Il s'expose bien plus qu'il ne le devrait et leurs actions, jusqu'alors ponctuelles, sont subitement multipliées, faisant d'eux une cible plus importante. Après les morts qu'il y a eu, on peut même dire qu'ils deviennent une menace.

De surprit et passablement frustré de ces froides retrouvailles, Viliam se trouvait maintenant irrité par les reproches que lui faisaient son compagnon. Reproches infondées puisqu’il n’avait certainement qu’une idée biaisée de ce qu’il qualifiait de connerie volontaire.

-Tom, t’es vraiment en train d’imaginer que j’ai voulu et provoqué la mort de plus d’une dizaine d’innocent ? Que je l'assume comme j'assume de voler trois sous à un marchand ?

Il se sentait blessé et le laissait voir. Il avait reculé d’un pas et croisait ses bras contre sa poitrine. Fantôme lui faisait-il si peux confiance pour le croire heureux de porter la responsabilité d’autant de morts ? Plutôt que de chercher à comprendre, il débarquait après un silence total, se fiait à des rumeurs idiotes et à il ne savait quel intermédiaire, le tout pour l’engueuler comme s’il était sa mère. Alors oui c’était bien joli de s’inquiéter de l’état de son visage… Mais d’entre tous les habitant de cette ville, Tom était-il de ceux qui le voyaient comme un fou assoiffé de sang ?

D’autant que dans la réalité des fait, cette nuit-là, il n’avait mis à mort que deux ou trois des soldats qui tentaient alors tout autant de le tuer. Aucun des esclaves n’avait été poussé à quoi que ce soit de sa part, il n’avait que cherché à calmer un engrenage déjà lancé. Il ne savait même pas exactement ce qui avait mené à leur exécution lorsque le guet avait été alerté par Guilin.

-Tu t’es pas dit qu’on m’avait peut être forcé la main par hasard avant de me mettre ça sur le dos ? Tu aurais pu….Je sais pas, chercher à m’envoyer un message avant de t’imaginer les pires horreurs !

Il se surpris presque à s’agacer de plus belle, comme si toute l’angoisse et la fatigue explosaient d’un seul coup. Mais ses hommes non loin, il lui restait une dernière barrière qu’il ne voulait surtout pas sauter ici. Il ne discuterait pas de tout cela au milieux de ses compagnons, aussi bruyant et inattentifs pouvaient-ils paraitre.

-J’ai besoin de prendre l’air. Si tu veux qu’on discute, suis-moi. Fit-il en tournant brutalement les talons. Agacé il eut la très mauvaise et très soudaine envie  de jeter de l’huile sur le feu. Il le regretterait certainement plus tard lorsque leurs esprits se seraient calmés. Si tu préfères te fier aux rumeurs alors bonne soirée.

Oui, bon, la réaction de Viliam ne le surprend pas vraiment, il s'y attendait. Quoi qu'il lui faut un petit moment pour comprendre qu'il y a une incompréhension entre eux. Et les derniers mots de son compagnon ne font que le lui confirmer. Seulement rester ici pour en parler n'est pas une bonne idée. S'ils finissent par s'engueuler, ils ne vont pas passer inaperçu et le mercenaire n'aime pas trop se faire remarquer de manière générale. C'est pour ça que c'est le furtif de son escadron...
Alors, même s'il a envie de retenir son amant pour le détromper, il le laisse s'éloigner avant de lui emboîter le pas. En traversant la salle, il y a un brin d'agitation et une petite bousculade. Rien de bien méchant, si ce n'est que Tom passe par là à ce moment-là et qu'il se prend un coup involontaire sur le flanc. Serrant les dents, il retient un cri de douleur étouffé. Le jeune qui lui ait tombé dessus se retourne aussi sec et s'excuse mille fois (au moins...).

-C'est rien. C'est rien.

La Chimère reprend vite son chemin vers l'escalier, un main sur sa blessure fraîchement soignée, essayant de marcher le plus normalement possible. Lorsqu'il est à l'abri des regards, il s'arrête pour regarder sa chemise à l'emplacement de la plaie et découvre qu'elle suinte légèrement... Il murmure un juron puis se contente de fermer quelques boutons de sa veste -lui qui ne le fais jamais- avant de repartir, emboîtant à distance le pas à son compagnon. Une chance pour lui, il a emprunté une voie classique pour monter sur le toit, lui évitant d'avoir à escalader une paroi dans son état -dont il ignore pourtant tout-. Il l'y retrouve donc assez rapidement, s'arrêtant au haut des quelques marches qui l'ont conduit là.

-Tu crois vraiment que je te connais pas assez pour savoir que tu les as pas tué de sang froid ? Je sais même pas si c'était toi ! Et puis j'ai jamais dit que c'était ma vision de ce qu'il s'est passé. Je t'ai seulement fait part de ce pour quoi ça passait auprès des autorités, et du public accessoirement. Mais j'aurais beau leur dire le contraire, personne me croirait. Et s'ils savaient pour nous, ils me croiraient encore moins ! Conclut-il avec ironie, essayant tant bien que mal de faire baisser la tension dans l'air.

Tom marque une pause et s'avance de quelques pas, sans pour autant entrer dans la sphère de Viliam. Il en rester à bonne distance en attendant de savoir ce quelle humeur il est et s'il entend ce qu'il vient de lui dire.

-On se dit certainement pas tout mais ça m'empêche pas de savoir qui tu es. Et ton adoration pour Néera t'a un peu trahi...

Un meurtrier n'est pas aussi attaché à la DameDieu que le bandit. Il a une effigie dans sa chambre et la prie très souvent. Il s'est même rendu dans son Temple pour se rapprocher d'elle et il est proche d'une religieuse. Ils n'en ont jamais parlé mais la Chimère l'a remarqué tout seul, notamment suite à l'attaque contre les prêtres pendant sa mission avec Alicia.

Il était venu s’asseoir près du bord, perché sur la rambarde. Sa colère était un peu retombée mais il restait bien contrarié. Machinalement il joua avec sa broche alors que son compagnon faisait allusion à sa religion.

-C’est bien la seule chose que je tienne de là où j’ai grandi. Soupira-t-il. Il ajouta avec un grimace en jetant un regard vers la lanterne qu’il avait prise et déposée dans un coin du toit plat. Enfin si on excepte les phobies.

C’était dit sur un ton qui se voulait ironique malgré la tension évidente qui l’habitait. Finalement il se tourna et regarda son compagnon.

-Je sais que je suis pas quelqu’un de facile Tom. Que je te dis rien, et que t’es obligé de composer avec…il fit un vague geste de la main ne désignant rien en particulier. Tout ça. J’aimerais que ça soit différent, je te le promets.

Mais il en était incapable. Et aussi muet était-il, sans doute devait-il s’estimer heureux de ce que le mercenaire lui accordait. Il devait aussi s’estimer heureux de l’avoir à ses côtés malgré le danger qu’il représentait pour lui.

-Si tu veux tout savoir. Tout ce bordel date d’il y a un mois maintenant. Expliqua-t-il d’un ton plus calme, son regard revenant sur la petite boucle dans ses doigts. Il y a un type, Zaahrian las’Danir. J’imagine que tu dois connaitre son nom. Il me déteste et je lui rend pas mieux, mais passons. Il avait besoin de mon aide pour un truc simple : il avait des fugitifs chez lui, et il savait pas quoi en faire. Le problème c’est qu’une d’entre elle voulait retrouver sa sœur dans la maison de ce Aruj. Un sourire amère. Tu me connais assez pour savoir que j’allais pas l’abandonner alors on y est allé. Il mit un bref temps avant de continuer, hésitant sur ce qu’il devait dire ou non. Finalement, il éluda certains détails avant de continuer. Comme d’habitude il a fallu que ça dégénère : les esclaves de ce type voulaient se faire la malle sans avoir aucune foutue idée de comment et fallait les guider ou c'était le massacre assuré. On a fini par tomber dans un piège et j’ai eu qu’un choix si je voulais qu’ils se tirent : j’ai pris pour les autres. 

Doucement il porta la main à son cou, là où il portait toujours son foulard. Tom savait ce qu'il cachait, sous l'encre de son tatouage, même s'il ne lui avait jamais fait de remarque. Cela faisait partie de ces choses dont ils ne parlaient pas.

-Je crois que Aruj connaissait …eh ben…

L’espace d’un instant, il lui sembla que les mots ne pouvaient franchir la barrière de ses lèvres. Il lutta mentalement quelques secondes. C'était comme si il y avait quelque chose au fond de lui qui refusait totalement de verbaliser un fait aussi simple.

-Le salopard à qui je suis sensé appartenir. Légalement. Mangea-t-il ses mots avant de fixer le vide devant lui. J’ai pensé que quitte à ce qu’on se doute de mon implication, au moins ça laisserait du répit aux autres. Alors j’ai confié tout ce beau monde à Zaahrian et j’ai fait diversion. Sauf que quand je suis revenu chez lui, il était inconscient et son pote avait déjà balancé tout le monde dehors, directement aux gardes. La colère agita ses mains qui se fermèrent durement sur sa broche. Il revoyait le corps brisé d’Obwin qui lui demandait pardon dans un dernier souffle. Puis ceux empilé sur les chevaux, comme s’il ne s’agissait que de déchet à évacuer. La moitié était déjà morte quand Ren et moi les avons rattrapés. Ils n’ont eu aucune pitié ni pour les gosses, ni pour les vieux, ni pour celle qui portait l’enfant de son tortionnaire. En résumé : non j'ai pas voulu tuer tout ce monde. J'y suis pour pas grand chose. Ce soir-là j’ai été trahis et j’y ait perdu ma sécurité, celle de mes hommes, et la vie d'une demie douzaine de personnes qui ne demandaient rien d’autres qu’un toit, du pain et de l’eau. Alors depuis j’ai préféré faire la seule chose que je sache faire : aller de l’avant, refuser d’être inactif et refuser qu’on ne détruise la seule chose qui compte. On oubliera pas les gosses qui sont morts ce jour-là et on laissera pas tomber notre combat. Peut importe la prime que j’ai sur la tête, ça je refuse.

Voilà, Tom savait tout à présent. A nouveau silencieux, il se dandina un peu sur son perchoir, mal à l'aise. Ça ne le rassurerait sans doute pas mais, lui ayant plus tôt émis la sincère volonté d'être honnête, c'était la moindre des choses.

Tom jette un œil rapide sur la lanterne. Oui, ça aussi, il l'avait remarqué. Et il n'y a qu'un évènement particulièrement pénible qui peut marquer un homme de cet âge au point qu'il est terrifié à l'idée de se retrouver dans le noir... Ou d'intervertir les rôles en amour. Même si, ça, ils y sont parvenus, ensemble. Il a compris tout cela et, pourtant, il ne lui a jamais rien demandé alors le voir s'en excuser n'a pas de sens pour lui.

-Tu connais pas mon vrai nom. Tu sais pas d'où je viens ou si j'ai connue ma famille. Pour toi, ma vie commence avec les Chimères alors que j'avais quatorze ans, pourtant tu m'as jamais entendu dire que je me souvenais pas de mon passé. T'as tes raisons de pas me raconter tout ce que tu as vécu et je suis mal placé pour te le reprocher. D'ailleurs, je te le demande pas. Et tant que j'ai pas un besoin vital de le savoir, je te le demanderai jamais.

Non pas que cela ne l'intéresse pas ou qu'il ne veut pas prendre la peine de l'écouter, bien au contraire. La première fois qu'il a voulu éteindre la bougie, il s'est aussitôt arrêté et l'a pris dans ses bras. Il l'a soutenu sans lui poser la moindre question. Et quand il y a eu ce quiproquo, lors de leur première fois, il était prêt à faire les choses telles que Viliam le voulait... Parce qu'il n'a pas besoin de savoir ce qu'il lui ait arrivé par le passé pour être là pour lui, aujourd'hui.

Finalement, le bandit se met à tout lui raconter afin de lui donner sa version des faits. Lentement, Tom le rejoint. Maintenant qu'ils sont sur la même longueur d'ondes, plus rien ne l'en empêche. Et, il ne sait pas pourquoi, mais il sent venir un moment pénible pour son compagnon... Il ne dit rien et écoute... Même s'il a un "oh putain" lorsqu'il évoque le nom de l'assassin. Pas un mauvais type celui-là mais un brin imprévisible sur les bords... Mais, en fin de compte, ce n'est pas de lui que le pire est venu. Et lorsque Viliam évoque l'ami de Zaahrian, le mercenaire est plus démonstratif...

-Par les Dieux... Souffle-t-il en baissant la tête avant de passer sa main à l'arrière de son crâne et remontant pour s'ébouriffer la crinière, comme à chaque fois que quelque chose l'angoisse ou lui prend la tête. Un geste que son amant connaît bien désormais.

Tom laisse son ami finir son récit, ne pouvant qu'imaginer ce qu'il peut ressentir en cet instant. C'est un mercenaire, une sorte de soldat. Ce genre de situation, il l'a vécu mais a aussi vu ses amis la traverser. Alors il sait quoi faire... Même si cette fois ce n'est pas un ami qu'il veut aider mais l'homme qu'il aime. Lorsque ce dernier a terminé, il le prend dans ses bras et le serre contre lui, une main venant se placer dans sa nuque. Il reste ainsi un moment avant de briser le silence.

-Ce n'est pas ta faute, Liam. Il se détache juste assez pour retrouver ses yeux, plaçant ses mains de chaque côté du visage de son compagnon. Tu as fait tout ce que tu as pu, tu ne pouvais pas prévoir ce qui allait se passer. Celui qui devrait s'en vouloir, c'est le type qui les a mis dehors, pas toi !

La responsabilité... Tout drame a un responsable. Ou doit en avoir un d'après la société. Et, pour Tom, il est tout trouver dans cette situation. On est venu demander de l'aide à Viliam et il a répondu présent. Il y a eu des complications et il a pris sur lui pour sauver tout le monde. Et quand il est rentré, c'était trop tard... Qu'aurait-il pu faire de plus ?

Rien.

-Je comprends que tu veuilles redoubler d'efforts, même si je continue à penser que ce n'est pas à toi de réparer la connerie d'un autre, mais... Tu ne fais qu'attirer plus l'attention. Sur toi, sur ton groupe, sur... tous ceux que tu essaies de protéger ! Ça sert à rien d'intensifier ta lutte si c'est pour que vous tombiez tous à la fin.

-Je sais que c’est pas ma faute. Il avait doucement ri devant l'empressement de son compagnon à le consoler. Il posa sa main sur celle de son compagnon et la caressant doucement. Je suis en colère, mais pas vraiment contre moi. Je suis en colère contre ce qui s’est passé ce soir-là. Ça me tord le cœur parce que les véritables responsables ne payeront jamais. Mais moi, je sais que je n’aurais rien pu faire de plus…ou quasiment. J’aurais probablement dû jamais accepter de venir chez Zaahrian, mais qui sait ce qu’il aurait fait de ses esclaves…

Il eut un nouveau rire, plus amère. Il avait fait tant de vains efforts pour tenter d’établir une relation avec cet homme…Et au final, le résultat avait été d’autant plus pathétique. Comme tout bon vaani il e foutait bien des vies qui n’étaient pas la sienne.

-Pour ce qui est de nos efforts, c’est plus compliqué que ça Tom. Lui fit-il ensuite. Je cherche pas simplement la vengeance ni à réparer quoi que ce soit. Je ramènerais personne d'entre les morts. Notre regain d’activité a été forcé, mais…il n’est que la continuité de ce qu’on cherche. Il ajouta rapidement. Pas la violence à tout prix bien sûr. Mais à aider les gens. L’argent que tu m’as vu ramener tout à l’heure, il appartenait à des percepteurs. De sales gars qui passent plus de temps à intimider les paysans du coin que faire leur travail. Il haussa les épaules. On leur a simplement fait une frayeur avant de filer.

Il retint à peine un sourire méchamment amusé en revoyant la tête du type partit à toutes jambes en se sachant pris au piège.

-Je suis conscient de l’attention qui pèse sur nous. Tu as dû voir des soldats passer en bas j’imagine. Y en a pas mal dans le quartier. Et y a pas que le guet qui me cherche, encore plus maintenant. Mais ça non plus je ne peux pas y faire grand-chose. Quoi que je fasse, même si je devenais soudain le plus vertueux des hommes, rien n’y changerait pour le guet. Je suis un fugitif et rien que ça ça me condamne à la corde ou au fouet dans le meilleur des cas. Je préfère finir par me faire tuer en ayant peut être sauvé quelques autres personnes que de laisser tomber ce pour quoi ma vie à enfin un sens et risquer tout autant de me faire tuer au coin de la rue. Il en va de même pour Ren, pour Clarisse, et pour chacun d’entre nous. Ils ont tous accepté les bons comme les mauvais côtés de cette vie et c’est toujours ce que j’exigerais de chacun de mes hommes : savoir dans quoi il s’embarque. Ceci dit, je ne fabrique pas non plus des inconscient et les danger d'aujourd'hui deviennent de plus en plus tangible c'est vrai. C’est bien pour ça que nous avons choisi de nous réfugier dans la Plaine, je sais que je ne pourrais pas éternellement leur offrir la sécurité ici.

Tôt ou tard, ce premier refuge ne serait plus aussi sûr et cela avait déjà commencé. Il y avait eu la drow une première fois. Les gardes rodaient de plus en plus et il n’y avait que leur sens de l’astuce pour éviter d’être pris. Cela ne durerait pas. Alors, il y avait la Plaine, un endroit dont l’accès était difficile et donc défendable. De plus, il fallait le chercher et connaitre son existence pour y accéder, et cela Viliam pouvait facilement le contrôler.

Il ajouta une dernière chose sur un ton plus léger.

-Tu devrais voir à quoi elle ressemble maintenant, on a fait pas mal de changement depuis l’autre jour.

Viliam a une réaction bien plus saine que ce à quoi son compagnon s'attendait. Surtout en connaissant l'existence des cicatrices qu'il a aux poignets. Il se sent presque un peu couillon d'avoir conclu à son discours qu'il se sentait coupable pour la mort de ses gens. Mais, en même temps, le rapprochement était facile à faire. En sauver plus pour compenser la perte des autres, c'était un classique. Peut-être un peu trop alors...
Cependant, les explications du bandit sur l'attention extérieure qu'on leur porte l'attristent malgré tout. Cela ne semble pas avoir la moindre espèce d'importance à ses yeux... Parce qu'il a décidé un jour que la mission qu'il s'est donné finirait par le tuer et il l'a accepté. Et, même s'il se dit désolé de l'impact que sa vie peut avoir sur celle de Tom, ce dernier se sent blessé quelque part de voir que leur relation ne lui donne pas une raison de faire un peu plus attention à lui.

Le mercenaire lâche le visage de son ami et porte son regard sur la nuit à sa gauche. Sa lèvre inférieure disparaît sous sa jumelle tandis qu'il réfléchit. Il ne sait plus vraiment quoi penser... Ils tiennent l'un à l'autre, il n'en doute pas une seule seconde, et, physiquement, c'est... une expérience incomparable pour lui. Mais où vont-ils comme ça ? Leurs vies sont totalement incompatibles mais aucun ne demandera jamais à l'autre d'en changer parce qu'elles comptent trop pour eux. Pour l'instant, ça reste gérable mais qu'en sera-t-il dans quelques années ? Sans compter que Tom va vieillir bien plus vite que Liam. Alors... où ils vont, tous les deux ?

Mais cette pensée est toute nouvelle pour le mercenaire qui ne se sent pas de l'aborder maintenant. Ce serait peut-être mieux s'il savait lui-même où il en est, non ? Enfin, c'est ce qu'il se dit... Et puis, ils viennent déjà de se prendre la tête, il ne veut pas recommencer.

-Continuer à faire ce que vous faites mais en vous exposant moins, c'est pas forcément incompatible. Finit-il par dire simplement.

Sans faire partie du groupe ni être au courant de leurs actions, cette phrase peut paraître vide de sens... Et Tom l'efface en relevant la tête dans une grande inspiration avant de changer totalement de sujet.

-Je dois rentrer. J'ai pas la permission de minuit. Dit-il en se forçant à étirer un sourire amusé, traduisant une consigne sur le ton de l'humour. Je devrais même déjà être de retour à... au quartier général, je voulais juste m'assurer que tu allais bien.

C'est la première fois depuis qu'il connaît Liam qu'il a un couvre-feu. La dernière fois, c'était une sanction et une façon de le garder à l’œil. Aujourd'hui, le but est toujours de l'avoir à portée de main pour pour raison médicale. Seulement, il n'a pas prévu de le dire à Viliam, même si la plaie à son flanc gauche le lance assez pour qu'il ait compris qu'elle suinte de nouveau. Il vaut mieux qu'il retourne à l'infirmerie avant que sa chemise ne puisse plus retenir les gouttes de sang qui s'échappent de la blessure.

-Oh… J'ignorais que tu avais ce genre de restriction.

Viliam semblait déçu. Ils ne s'étaient vus que quelques minutes et engueulés les trois quarts de ce temps dérisoire. Tu parles de retrouvailles... Mais comme le mercenaire faisait mine de se relever, il fit de même, plus lentement et sauta du rebord sur lequel ils étaient perchés.

Pourtant, il vint attraper une main de son compagnon pour l’empêcher de partir aussi vite.

-Attend. Souffla-t-il soudain.

Il s’écoula quelques secondes durant lesquels il sembla oublier pourquoi il réagissait ainsi. Il se contentait d’afficher un air implorant à son compagnon, comme s'il lui demandait presque silencieusement de simplement rester, peu importe le prétexte. Finalement il sembla se décider et l’entraina bel et bien vers la sortie.

-Je voudrais…Viens, j’ai quelque chose à te montrer, tu comprendra mieux.Marmonna-t-il.

Au lieu de descendre directement à l’étage ou bien même dans la grande salle du rez-de-chaussez, il poussa une porte directement dans l’escalier. Discrète, on ne la remarquait presque pas en passant à coté. Comme beaucoup de cache que comportaient l'endroit. Ce n'était après tout pas qu'une simple taverne, et il n'étaient pas rare que les bandit y cachent du matériel.

Bien entendu, le bandit avait récupéré la lanterne et s’en éclairait de sa main libre tandis qu'il guida son amant dans une large pièce très sombre, probablement même lorsqu’il faisait jour. Quand ils en atteignirent le fond, la lueur orangée mit en évidence une sorte de cage en acier haute de toute la hauteur de ce qui semblait être les combles du bâtiment et assez large. De l’autre côté des barreau, un petit trou laissait passer la lumière de la ville.

Quelques roucoulements mécontents retentirent, laissant présager que les pensionnaires de l’endroit n’appréciaient que peu ce soudain dérangement. Il y eut un mouvement de plume dans le noir, et un éclat blanc passa dans la portée de la petite lampe.

-Je voudrais que tu en prenne une.Viliam se tourna alors de nouveau vers Tom. Cache là quelque part où il n’y a que toi. Comme ça, on pourra au moins échanger en cas d’urgence.

Cela n'arrange pas vraiment Tom que Viliam remarque qu'il a été contraint de rentrer pour la nuit et il se retrouve un peu ennuyé... Et se sent un peu obligé de donner une explication.

-Ouais... C'était pas arrivé depuis longtemps. Mais c'est pas une première.

Bon, ça suffira... Et, s'il n'insiste pas plus, alors tant mieux. D'ailleurs, il tente de s'échapper mais son compagnon le retient. Il le rejoint rapidement et lui prend la main pour l'entraîner à sa suite. Il retient une grimace alors que ce geste tire sur sa blessure et se contente de serrer les dents. Il le suit, sans un mot. Il n'était jamais passé derrière cette porte dissimulée -bien qu'elle ne le soit plus à ses yeux depuis la tempête qui l'a vu séjourner dans le bâtiment pendant trois bien longues journées-. Pour la première fois, il découvre ce qu'elle cache et descend les escaliers, plus inquiet à l'idée de devoir la remonter que de ce qui se trouve tout en bas. Après tout, il n'a aucune raison de redouter quoi que ce soit...
La réponse lui vient néanmoins bien vite et, si Tom ne comprend pas tout de suite où son compagnon veut en venir, il est éclairé en seulement quelques mots. Son expression intriguée change alors et il lâche un petit rire, à la fois amusé et touché.

-Pas très discret dans mon dortoir. Et je la vois mal tenir dans ma poche quand je pars en mission. Remarque-t-il avec humour.

Même s'il ne trouve pas l'idée réalisable, il a compris la proposition de Liam, aussi pose-t-il sur lui un regard tendre.

-Je trouverai un autre moyen. A ces mots, il s'approche de lui pour venir l'embrasser avec amour. Il faut que j'y aille... Souffle-t-il avec regret tout en pensant au fait qu'il va encore devoir tenir bon jusqu'au quartier général. Tu fais quelque chose demain soir ?

Viliam affichait le même air déçu que quelques instants plus tôt. Il ouvrit la bouche pour suggérer à Fantôme qu’il pouvait bien la cacher n’importe où cette colombe, et pas dans son dortoir forcément, mais finalement il renonça. Tant pis, ils trouveraient un moyen comme il le disait bien et ce n'était pas la peine d'insister.

Mais ce qui le contrariait plus, c’était son départ si rapide. Il espérait que derrière sa douceur actuelle, leur engueulade n’avait pas fait fuir son compagnon. Malgré tout, lorsque ce dernier l’embrassa il se permit un doux sourire.

-Non.J'ai tout mon temps.En réalité il n'en avait bien aucune idée, mais il ferait en sorte d'être là. Le reste attendrait une soirée.Tu m’avais manqué Tom.

Sa voix était douce en prononçant ces dernier mots. Il lui avait déjà dit plus tôt dans la soirée, mais c’était tout aussi sincère. Finalement il vint lui voler un dernier baiser avant de reculer, faisant mine de le laisser enfin partir, à contrecoeur.

-Passe par l’arrière-cours demain. Rajoutât-il malgré tout, n'ayant aucune idée de ce qui avait empêché la Chimère de procéder ainsi cette fois là. Tu risques moins les gardes.

-Toi aussi... Souffle Tom en réponse.

Il ne l'avait pas dit jusque là. Tout au mieux son compagnon l'avait-il compris dans son attitude au moment de leurs retrouvailles. Il est aussi sincère que lui, d'autant que ce passage ici lui a fait du bien. Lui qui se posait mille questions quelques instants plus tôt s'en pose un peu moins pour l'instant.
Sentant Viliam reculer, il mâche le vêtement que sa main était venue saisir lors de leur second baiser sans même qu'il ne s'en rende compte, au niveau du ventre de son amant. Ce qu'il aimerait pouvoir rester... et le retrouver, vraiment. Lui montrer combien il l'aime et à quel point il lui a manqué. Mais ça devra attendre le lendemain, que sa blessure ne soit plus un obstacle. Passer par l'arrière, il n'est pas encore sûr de pouvoir... Il hoche pourtant la tête en signe d'entente. Puis il se dirige vers l'escalier. L'absence de lumière ne le gêne pas, contrairement à son compagnon. Cela fait même partie de ce qu'il est. Il monte les marches d'un rythme qu'il veut aussi léger que régulier, essayant de ne pas trop forcer même si, sur la fin, tenir la cadence est plus difficile.
A présent, il doit faire le chemin jusque chez lui, avec le flanc douloureux qui imbibe de plus en plus sa chemise.

Isayha va le tuer quand il va voir ça...

~~~~~~~~~

Marchant dans les couloirs du quartier général de Chimères, Fantôme rajuste la veste qu’il vient d’enfiler. Le jour a décliné, ce qui veut dire que c’est l’heure de son rendez-vous avec Viliam, à la fois court, complexe et intense. Après l’entretien de la veille, il lui tarde de le retrouver. Il n’a pas décidé de ce dont il a envie pour leur avenir mais rien ne l’oblige à le faire tout de suite… Sans compter que le geste de son compagnon, avec la colombe, l’a sincèrement touché, ce qui motive d’autant plus le souhait d’attendre encore un peu.

Alors qu’il traverse la salle principale, se dirigeant vers la porte de sortie, une voix l’interpelle. Il se retourne aussitôt vers celui qui l’a hélé et qui n’est autre que le Commandant en second. Ce dernier se tient au beau milieu d’un escalier et lui fait signe de venir avant de finir de remonter à l’étage. Tom a une seconde d’arrêt puis finit par lui emboîter le pas. Ça peut être bon signe comme très mauvais. Malheureusement, il a rarement de la chance en la matière et se retrouve plus souvent convoqué pour se faire taper sur les doigts que féliciter. Bien qu’il ne sache pas trop ce qu’il a bien pu faire de mal dernièrement et dont la Compagnie pourrait être au courant.

L’officier n’a pas attendu l’éclaireur qui trouve le palier vide mais une porte laissée ouverte lui indique la direction à suivre. Il pénètre alors dans le bureau du Commandant et, sur sa demande, referme derrière lui. Puis il se place debout devant le bureau, attendant que son supérieur prenne la parole en premier.

-Comment va ta blessure ?
-Mieux qu’hier.
-Tant mieux. Ce n’était pas gagné étant donné que tu es rentré après ton couvre-feu et du sang plein ta chemise.
-Quelqu’un a trébuché près de moi, je l’ai rattrapé par réflexe. Pour le coup, pas besoin de mentir… Je suis rentré directement. Ah, là, c’est un mensonge !
-Tu devais être loin alors vu la quantité de sang que tu as perdu par rapport à la taille de la plaie.

Tom fronce légèrement des sourcils.

-Oui, assez.
-Tu te sais blessé, avec un horaire à respecter, et tu t’éloignes pour plusieurs heures…
-Il y a un problème, Commandant ? Demande la Chimère qui a parfaitement compris qu’il ne s’agissait pas d’un entretien ordinaire.
-Je ne sais pas encore.

Voilà qui n’aide pas tellement l’éclaireur…

-Il paraît qu’un de tes amis du Guet t’a rendu visite l’autre jour.

Fantôme a soudain l’impression qu’une tonne de sable lui est tombée dessus mais il n’affiche aucune réaction. Il s’en cache mais il sent venir le truc…

-Et al…
-Et que tu t’es renseigné auprès de lui sur les activités récentes de l’Aile Blanche. Je peux savoir pourquoi ?
-J’étais coincé ici, j’avais rien de mieux à faire que de prendre des nouvelles sur ce qu’il s’est passé pendant notre absence. J’ai vu que la prime sur le chef de l’Aile Blanche avait doublé, ça m’a intrigué. C’est un problème ?
-Non… Non ! Pas si tu n’as pas en tête d’essayer de démanteler cette organisation à toi tout seul.

Fantôme pourrait se sentir soulagé de voir que l’officier se trompe à ce point mais il sait qu’il n’est pas sorti d’affaire pour autant. Après tout, le Commandant a vu un lien entre lui et le groupe de son compagnon… Il préfère cependant ne pas répondre, démentir le desservirait plus qu’autre chose.

-Ce Viliam est un furtif, tout comme toi. Ce serait un beau défi. Et ça expliquerait toutes tes disparitions nocturnes et le fait que tu aies moins de vices depuis quelques mois, trop concentré sur ta nouvelle lubie. Mais, si les activités de ce type sont autorisées, il ne faut pas que tu en viennes à négliger ta santé pour autant. Tu n’étais pas en état, hier.
-C’est pas ce que j’ai fait hier soir. Assure-t-il.
-Peut-être. Mais comme je ne peux pas en être sûr et que ton soigneur ne t’estime pas encore parfaitement remis, je te consigne ici jusqu’à ce que ce soit le cas.

Là, on ne peut pas vraiment dire que Fantôme saute de joie… Cependant, il sait qu’insister ne servira à rien. Alors, il sert juste les dents.

-Très bien.
-Tu peux disposer.

L’éclaireur tourne les talons et sort sans rien ajouter. Sa position se complique… Le Commandant lui-même l’a à l'œil et a identifié son intérêt pour l’Aile blanche. Il va devoir redoubler de prudence. Mieux encore, il est obligé de faire faux bond à Viliam et n’a aucun moyen de le prévenir. La seule personne de confiance qu’il pourrait envoyer transmettre un message ne connaît pas l’auberge où il retrouve son amant et ce serait de toute façon trop flagrant si on le surveille désormais…
Alors qu’il retourne à l’infirmerie, il souffle un juron au détour d’un couloir vide. Lui qui pensait avoir du temps avant de se poser des questions sérieuses… La situation semble l’avoir rattrapé.

Si Fantôme se trouvait bien en peine de le rejoindre, le lendemain, Viliam n’avait bien entendu aucun moyen de le savoir. Ce jour-là, la taverne n’était plus aussi vive. Il n’y avait que quelques hommes dispersés aux quelques tables mais sans grande agitation. Cette fois, il n’y avait pas d’évènement à attendre pour justifier de leur réunion alors la plupart des bandits voguaient à leur occupations personnelles.

Viliam lui s’était accoudé au comptoir, fumant machinalement ses étranges fins rouleaux d’herbes séchées. De l'autre coté, le tenancier lui jetait parfois un regard inquiet, interrogateur, mais n'osait pas lui demandait ce qu'il pouvait aussi patiemment attendre comme ça. D'habitude il était joyeux, mais là il semblait broyer du noir.
Bon, même si la nuit était tombée, il ne s’inquiétait pas outre mesure, tentait-il de se dire. Après tout la Chimère avait probablement des affaires à régler… Il n’avait qu’à attendre un peu.

Pourtant, une heure passa…puis deux. Et toujours rien. La salle se vida d’avantage, les herbes incandescentes se raréfièrent et finirent pas devenir cendre, rapidement remplacé par d’autres. Le bandit ne bougeait pas, la mine sombre. Non, peut-être avait-il eut un contretemps. Sans doute viendrait-il plus tard.

Mais une heure de plus passa et rien. Alors, l’inquiétude se mêlait à la colère, la peur à l’incompréhension.

-Hé. Sans qu’il ne l’ait vu venir, le grand blond s’était soudain glissé à ses côtés. T’en a pas marre de picoler tout seul ?

C’était maladroit, mais Viliam comprenait l’intention de Ren. Il était inquiet pour lui. Il savait qui il attendait et qu'il n'était pas normal que son ami soit encore seul à cet instant. Au fond il avait toujours craint l'effet de cette relation sur lui, mais n'en disait pas plus que nécessaire, et faisait bonne figure devant Fantôme.

-Je picole pas. Râla pourtant l'autre, à moitié.

-Pas encore mais vu la tête que tu fais t’en es pas loin. Une main vint se poser sur l’épaule de son ami alors qu'il se faisait plus doux. T’en fait pas, je suis certain qu’il a une bonne raison d'être en retard.

-C’est bien ce qui me fait peur. Il grogna, puis frappa soudain le bois du plat de sa main et se redressa. Bon je vais pas attendre là. Tu m’accompagne dans la Plaine ?

Mais avant qu’il ne renchérissent, un sifflement strident, inquiétant retentit au loin.

-On dégage !

Sans attendre, tous se levèrent d’un coup et filèrent aussitôt dans les arrières du bâtiment fuyant par les sorties dérobées. Viliam avait automatiquement saisit le poignet de Ren et tous deux filèrent à leur tour, sans se retourner au son des bottes de métal qui frappaient le sol, de plus en plus près.

Le bandit eut une pensée pour son compagnon alors qu’ils sautèrent au-dessus d’un balcon, puis d’un toit, cherchant à rejoindre un grenier caché non loin. Sa seule prière, bien paradoxale, c’est que la Chimère ne pointe jamais le bout de son nez ce soir-là. Il craignait bien ce qui pourrait alors lui arriver...pire , ce qui lui était potentiellement déjà arrivé.

Deux jours se sont écoulés. Deux jours durant lesquels Fantôme a tourné comme un lion en cage sans trouver aucun moyen pour avertir Liam de son confinement. C'est d'ailleurs bien plus que ça... Si quelqu'un a su voir un lien entre l'Aile Blanche et lui, d'autres le peuvent aussi... Il sait agir sans laisser de traces mais cela n'a pas suffit cette fois. Et il ne peut partager son angoisse avec personne. Pas même avec Djenaba. Il ne peut pas l'impliquer, même si elle a probablement déjà fait le lien entre l'avis de recherche et son compagnon dont elle connaît le nom. Il est presque certain qu'elle sait mais qu'elle garde le secret, pour lui.

Deux fois par jours, Isayha lui prodigue des soins. Il travaille si bien que la cicatrice est à peine visible. Après la dernière séance, alors qu'il estime que l'éclaireur est totalement remis et que le Commandant émet des doutes, Tom propose de faire un essai dans la salle d'entraînement. Escalade, tractions et même combat... Il se soumet à tous les exercices qu'on lui demande, sous la surveillance du soigneur qui vérifie régulièrement que l'ancienne blessure. Quand finalement tous les tests sont relevés, l'officier n'a plus d'autre choix que de laisser le mercenaire sortir.
Le temps de se laver et de se changer et il est dehors. La nuit tombe déjà et il presse le pas. Il prie pour tellement de choses en cet instant... Pour que Viliam ne croit pas qu'il l'a lâché, pour qu'il ne lui en veuille pas, pour qu'il soit à l'auberge ce soir...

Traversant le quartier où se situe le principal point de ralliement de l'Aile blanche, Tom a l'impression de ne pas reconnaître l'endroit qu'il parcourt pourtant de long en larme depuis quelques mois. Bien vite, il remarque la présence de plus de Guetteurs que d'habitude. Plus encore que lorsqu'il est venu la dernière fois... Ce n'est pas bon signe.
Arrivé sur place, la Chimère choisit de ne pas passer par la salle cette fois. Il prend par l'arrière et grimpe discrètement jusqu'à la chambre de son compagnon. Là, trouvant la pièce dans le noir, il force la fenêtre pour entrer. Tout est sans dessus-dessous, les lieux ayant visiblement été fouillés... Mais, si Viliam avait été capturé, le Commandant le lui aurait dit pour lui faire arrêter sa "traque". Sans compter que, si on attrape le chef d'une bande, pas besoin de retourner sa piaule.

Tom sort aussitôt. Esquivant une patrouille, il s'éloigne afin de ne pas être pris sur place. Il monte sur le toit le plus haut du coin. De son perchoir, il observe les alentours. Il sait où se trouvent les planques les plus proches. Il peut en éliminer certaines si elles sont aussi sombres que la chambre de son amant à l'heure actuelle... Se faisant, il en voit une, pas très loin, où on peut distinguer un brin de lumière. Alors il descend et s'élance.
Le chemin est bien plus lent lorsqu'il faut éviter les gardes... Mais Fantôme est habitué et, vingt minutes plus tard, il est au pied du bâtiment. Profitant d'un vide entre deux rondes, il saisit une corde, normalement utilisée pour faire monter des charges lourdes au grenier. Il se hisse ainsi à la force des bras jusqu'en haut. Une fois devant la trappe, il bloque sa position sur le cordage avec ses pieds et peut ainsi libérer une de ses mains pour... eh bien... toquer à la trappe d'où la lumière s'échappe à travers les intersitces afin que quelqu'un vienne lui ouvrir.

Au départ, lorsqu’ils avaient rejoint leur refuge en catastrophe, le duo s’était probablement sentit pris au piège. Viliam en tout cas, l’avait difficilement vécu le premier soir, la tension de savoir ce qui avait pu arriver à son amant en plus de l'inquiétude pour ses amis. Viliam n'avait de toute façon jamais supporté l'enfermement. Ren cependant avait eut une réaction bien plus calme et avait aidé à détendre son chef. De toute façon ce n’était ni la première, ni la dernière fois que cela arriverait, alors il fallait prendre les choses avec philosophie. Quelque jours suffiraient avant qu’il ne puisse prendre le risque de rentrer à leur quartier général en toute sécurité.

D’ailleurs ce deuxième jour était sans doute leur dernier et ce soir-là etait une précaution presque extrême. Ils étaient nettement plus détendus dans ce qui leur servait d'appartement de fortune. Ren était revenu d’un discret état des lieux quelques minutes plus tôt et ils en discutaient. Viliam était nonchalamment allongé dans un coin de la pièce, fixant le plafond et y faisant rebondir une petite balle. Mais alors qu’il allait la relancer pour la millième fois, Ren leva la main, le visage grave.

-Quelqu’un approche. Siffla-t-il tout bas.

Alors son camarade se releva doucement. L’étranger toqua à la trappe. Le duo attendit quelques secondes, mais aucun sifflement ne vint pour expliquer l’identité de l’importun. Alors, sans un bruit, l’un tira sa rapière et se plaça pendant que le second s’accroupit près de la trappe. Un regard s’échangea, avant que brusquement, Ren ouvre la trappe et saisit sans douceur le type en bas. Il fallut que l’étranger se retrouve au sol, rapière sur la gorge pour que tout s’éclaire à peine une seconde plus tard.

-Tom ?! Viliam n’avait pas pu s’empêcher de souffler à mi-voix avant d’immédiatement retirer son arme.

Il avait l’air complètement surpris, mais il eut tout de même le réflexe de s’agenouiller pour tendre la main vers lui.

-Est-ce que ça va ? Fit-il doucement.

-Désolé. Lança Ren derrière, une main dans ses cheveux et l’air contrit. Je savais pas que vous aviez rendez vous. Ironisa-t-il sans méchanceté.

L'accueil est... Plutôt violent. En une seconde, la trappe s'ouvre et le pauvre Fantôme se retrouve jeté au sol et une arme vient se poser sur sa gorge. Il a connu plus chaleureux, même de la part de l'Aile Blanche. Cependant, il ne cherche en aucun cas à se défendre. Que ce soit les bandits ou le Guet, ils n'ont pas de raisons de le tuer.
Fort heureusement -si on peut dire...- ces deux hôtes le connaissent bien et la Chimère entend très vite son surnom.

-Salut chéri, je suis rentré... Sort-il, la voix éraillée par le choc d'arrivée mais trouvant encore le moyen de faire de l'humour dans une telle situation.

Il faut dire que garder son sérieux sous la pression, ce n'est pas vraiment son truc. Viliam a déjà pu le constater.
Entrouvrant les yeux, Tom distingue la main qui lui est tendue. Il la saisit et se retrouve rapidement debout, malgré un gémissement de douleur. Il faut dire que son dos a pris cher dans la manœuvre. Une chance que ses soins soient terminés et aient été éprouvés. Cependant, un large bleu l'attend et il va devoir trouver de quoi se soigner, il ne peut pas retourner voir Isayha après tout ce qu'il s'est passé ces derniers jours.

-Je sens encore mes orteils... Donc je dirais que ça va. Lance-t-il tout en s'affaissant pour poser ses mains sur ses genoux.

Aux excuses de Ren, il tourne son regard vers lui. Un regard qui en dit long. Il est persuadé qu'une part de lui n'est pas mécontente de la situation. Il sait que le blondinet ne l'apprécie pas tellement dans le fond et il ne peut pas vraiment lui en vouloir pour cela. Il connaît tout ou presque de Viliam, ils sont extrêmement proches. Ils ont même été amants des années auparavant. Alors, forcément, il est très protecteur avec son ami et Tom représente un risque potentiel de blessure pour le demi-elfe, surtout avec leurs choix de vie respectifs. Comment lui reprocher de se méfier dans ces conditions ? Et puis, quelque part, cela rassure la Chimère. S'il disparaissait demain, pour quelque raison que ce soit, Liam ne serait pas seul... Alors, même s'il persiste un certain ressentiment, Tom fait mine de l'ignorer... ou s'en amuse, comme maintenant. Et il pouffe légèrement de rire avant de se forcer à se redresser.

-J'ai pris peur en voyant tous ces Guetteurs dehors... Puis il se tourne vers Viliam. ... et ta chambre sans dessus dessous. Ils ont fait une descente ?

-Ouai. Viliam soupira. Ils sont en rogne parce qu’ils arrivent pas à nous mettre la main dessus alors ça se multiplie. Mais ça va, ils ont rien dû piquer de grave.

Il haussa les épaules, presque nonchalant alors que le sujet avait tout d’inquiétant. En tout cas, pour l’était de sa chambre il semblait ne pas s’en préoccuper plus que ça. Tom quand à lui allait bien, et quelque soit la raison de son absence l'autre jour, il était là désormais et aurait certainement une explication.

-C’est pour ça qu’on à la Plaine.

Voilà longtemps qu’il avait pris ses précautions. Dans Thaar, il ne laissait plus rien trainer, même dans les caches qu’il considérait comme sécuritaire. Ses plans restaient avec lui ou dans les mains d’hommes dont il avait l’entière confiance. Ils avaient mis en place bon nombre de système d’urgence, au cas où le guet approchait trop. Jusqu’ici ça avait suffisamment fonctionné pour qu’ils ne soient jamais pris et ils avaient toujours eut le temps de faire disparaitre ce qui devait l’être. Ceux qui devaient fuir savaient où ils allaient, et bientôt, leurs oiseaux seraient assez nombreux pour peupler leurs refuges. Tout n’allait donc pas si mal…

-On devrait probablement y retourner d’ailleurs. Ajouta Ren, un regard vers la trappe. Si tu nous as retrouvé, Fantôme, tu seras pas le seul. Je sais pas vous mais je compte pas me battre dans un terrier à lapin.

-C'est pas tellement qu'ils aient pris quelque chose qui m'inquiète... Fait remarquer Fantôme, sans pour autant se montrer agressif.

Il connaît suffisamment Viliam pour savoir qu'il a eu la prudence de ne rien conserver de compromettant chez lui, d'autant plus en sachant que le collet se resserrait sur l'auberge. Mais le simple fait que le Guet ait trouvé sa principale cachette est préoccupant. Et Ren n'a pas tort que les autres ne sont plus tout à fait sûres.

-J'ai l'avantage de connaître les emplacements des planques du coin. Il m'a suffit de chercher celle d'où s'échappait de la lumière. Mais y'a tellement de patrouilles dans le coin qu'ils tarderont pas.

Là encore, aucun reproche. Le bandit sait probablement que sa phobie est un point faible qui peut le trahir mais il ne peut rien y faire... Lutter contre une telle angoisse n'est pas donné à tout le monde. Dans un monde parfait, il pourrait y consacrer du temps et se faire accompagner dans sa démarche. Cependant, dans ce monde-ci, survivre est sa priorité.

-Mais, y'a un autre problème... Se tournant vers son compagnon. On peut se voir, seul à seul ?

Tom suit Liam tandis qu'il les conduit dans un endroit plus au calme. Il est un peu agité, passant sa main de ses cheveux pour s'ébouriffer de l'arrière de la tête au dessus du crâne. Il ne sait pas vraiment comment annoncer ça ni avec quels mots... Il se rend compte que son attitude ne rassure certainement pas son compagnon alors il finit par se lancer.

-Mon Commandant a fait un lien entre nous.

-Je sais. On a essayé de calfeutrer comme on pouvait mais ça passe un peu à travers les planche.J’arrive pas à faire sans. Il haussa les épaules, un peu mal à l’aise de devoir le verbaliser.

Au final, même lui ne savait pas vraiment pourquoi il avait si peur d’être dans les ténèbres. Il se souvenait vaguement de punitions d’enfance, d’un placard au fond du quel un enfant inobéisant devait passer quelques heures de correction, mais il n’est pas tout à fait certain de savoir qui de l’un ou de l’autre est le plus ancien. Du plus loin qu’il se souvienne, il avait toujours craint le noir complet.
Il ne comptait de toute façon pas en parler, encore moins ici et maintenant Le fait était qu’il n’avait jamais réussi à passer outre, pas même avec tout l’aide du monde qu’avait pu fournir Ren. C’était comme ça.

Mais comme si ce constat agaçant ne suffisait pas, son compagnon fit mine de vouloir s’éloigner un peu, et après un regard entendu à son meilleur ami, ils s’écartèrent un peu et le blond s’occupa avec le premier objet qu’il trouva, -soit la balle précédemment dans les mains de Viliam-
L’inquiétude se lisait clairement sur les traits du chef de l’Aile Blanche lorsqu’il entendit les mots de son amant.

-Quand et comment ? Souffla-t-il. Putain c’est pour ça que je voulais te filer un oiseau. Râla-t-il plus pour lui-même qu’en guise de véritable reproche. Il va falloir qu’on se protège mieux qu’on le fait.

C’était trop. Trop d’enjeux en une seule petite phrase. Fantôme était un accès direct à nombre de leur secret, et même si Viliam avait toute confiance en lui, il n’avait pas confiance dans le reste de ses frères. Ils travaillaient ben trop étroitement avec le guet. Si l’un d’eux suivaient fantôme à son insu, s’en serait finit d’eux. Et puis il s’inquiétait pour la chimère aussi. Tout cela pourrait finir par détruire cette vie à laquelle il tenait.

-J'ai fait une connerie. Admit-il. Je venais de rentrer de mission, j'avais à peine le droit de sortir de l'infirmerie, alors du bâtiment, c'était même pas la peine. Seulement j'ai quand même pu prendre des nouvelles de l'actualité et j'ai appris ce qu'il s'était passé par rapport à toi et à l'Aile Blanche... et ça m'a tellement inquiété que j'ai pas réfléchi et j'ai demandé à un pote du Guet de passer pour savoir de quoi il en retournait et surtout s'il t'était arrivé quelque chose. Quelqu'un a dû nous entendre et l'a rapporté au Commandant.

Oui, le moins qu'on pouvait dire, c'est qu'il avait merdé... Mais la peur l'a emportée sur tout le reste. Et puis, si son ami lui avait appris que Viliam était mort, ça n'aurait pas eu la moindre importance qu'on apprenne ce qui l'unissait à lui. Il aurait été effondré, tout simplement... Maintenant, avec le recul, il réalise qu'il n'a pas été malin sur ce coup-là. Et se reprocher ses propres erreurs, il est doué pour ça...

-Au moins, il ne croit pas qu'on soit proche. En fait, il est persuadé que tu es un défi à relever pour moi... Un fantôme contre un autre. D'un côté ça l'arrange parce que je bois presque plus et j'ai pas perdu ma solde aux cartes depuis des ennéades. Et puis c'est pas interdit par le règlement d'avoir d'autres activités sur notre temps libre, donc il va me laisser faire. Seulement il va certainement me garder à l’œil pour pas que ça vire à l'obsession et que je dérape, ce dont il me croit à la limite. Il m'a interdit de sortir du quartier général jusqu'à ce que je sois remis à cause de ça. Et heureusement, vu l'accueil... Conclut-il en esquissant un sourire amusé et en désignant de la tête la trappe par laquelle il est entré.

Fantôme a repensé longuement à la colombe. Il a eu tout le temps qu'il fallait pendant qu'il n'avait pas le droit de s'entraîner ni de sortir. Il en avait vu les bons côtés mais aussi les mauvais. Comment l'emmènerait-il en mission ? Et, s'il ne la prend pas, qui s'en occuperait en son absence ? Qui saurait qu'il faut la lâcher s'il ne revenait jamais ? Et puis, il n'y avait pas que cela...

-Je t'ai dit que j'allais trouver une solution... Mais l'oiseau, je peux pas le justifier. Au contraire, ça serait évident qu'il me servirait à discuter avec quelqu'un sans qu'on découvre qui et j'aurais l'air plus suspect qu'autre chose. Et si on les utilise à chaque fois que l'un de nous a eu des ennuis, plus personne ne va croire que je te traque. Ils vont plutôt se mettre à penser que j'ai une liaison avec Clarisse. Fait-il avec humour alors que seule Djenaba sait qu'il ne goûte plus à cela.