Étrange rencontre [PV Eleonor]

-Excusez-moi,demanda une voix.

Kay se retourna et posa son regard clair sur la personne qui l'interpelait. Il s'agissait d'un homme d'environ une trentaine d'années, aux yeux verts et aux cheveux noirs. Vêtu avec simplicité, il portait une tunique un peu sale, un pantalon ainsi qu'une ceinture à laquelle pendaient un petit fourreau et une bourse de tissu. Le voleur détailla son interlocuteur des pieds à la tête, arrêtant bien évidemment son attention sur sa bourse avant de revenir à son visage.

-Mmh? donna pour toute réponse Kay.

L'inconnu leva la tête pour regarder Kay-Lahn dans les yeux, car il faisait au moins une bonne tête et demi de moins que lui.
-Eh bien... Je dois avouer être perdu, dit-il.

-Comment ça t'es perdu? demanda Kay avec nonchalance.

-Eh bien... Eh... Je n'habite pas dans le coin et...

-T'habites où?

-Heu... Je vis à Ydril, mais en fait, je voudrais seulement...

-Et c'est bien?

-Je vous demande pardon?

-Vivre à Ydril, c'est bien?

-Heu... Enfin... Oui, mais je...

-T'aurais mieux fait d'y rester, mon vieux. On t'a pas dit que Diantra avait été frappée par la peste?

-Si, et c'est justement pourquoi je viens ici.

Kay haussa un sourcil et fixa l'inconnu. Ce dernier, un peu mal à l'aise d'être ainsi dévisagé, tripota légèrement sa ceinture, attendant une réaction de son interlocuteur. Mais celui-ci ne dit rien, et le silence, qui s'était installé un instant se prolongea.

-Alors, t'attends quoi pour continuer? le questionna Kay. On laisse pas le début d'une histoire en suspend comme ça, sans raison. Si tu m'as interpelé, c'était sûrement pour me la raconter. Vas-y, je t'écoute.

-Heu... Eh bien, ma mère habite Diantra, commença l'inconnu, un peu déboussolé par la personnalité de ce grand homme à la chevelure de neige. Comme sa santé est fragile, je me suis inquiété en sachant que la peste se répandait dans la ville. Cependant, je ne viens pas souvent, et heu... en essayant de me diriger, heu... je me suis perdu.

-Je vois. Et elle habite où ta maman chérie?

-Tout près d'une auberge nommée L'Étoile Filante.

-Ah, c'est miteux comme endroit. Tu trouves pas?

-Heu... J'en sais rien, je n'y suis jamais allé.

-J'te conseille pas. Y'a beaucoup de rats et de coquerelles. Quand j'y suis allé, j'en ai embroché un, je l'ai fait cuire et j'ai mangé de la brochette de rats. Et de la salade de coquerelles. Délicieux. Mais bon, c'est pas pour rien qu'ils ont appelé cette auberge "L'Étoile Filante" : faut dire que leurs clients filent assez rapidement.

L'homme ouvrit grand les yeux. Kay eut un imperceptible sourire en coin. Vraiment, il y avait des gens qui gobaient tout ce qu'on leur disait. De la brochette de rats et de la salade de coquerelles... Kay sourit largement et s'approcha de l'homme. Il lui donna une claque dans le dos, le genre de claque amicale agréable lorsqu'elle n'est pas administrée par une personne de la force de Kay.

-Enfin, rats et coquerelles mis à part... Tu suis cette rue, puis tu tournes à ta gauche. Ensuite, tu vas voir deux ou trois auberges, tu prends la droite et tu y es, dit Kay.

Il mit son bras autour des épaules de l'homme et le secoua comme un vieil ami. Il le lâcha ensuite, puis serra ni vu ni connu quelque chose dans son manteau.

-Merci, merci! s'exclama l'homme.

-Pas de quoi, répliqua Kay. C'est toujours un plaisir.

L'inconnu sourit et partit en marchant dans la direction indiquée par Kay en remerciant celui-ci encore deux ou trois fois.

-Ne me remercie pas trop, qui sait, j'ai peut-être la peste! lança Kay en ricanant tout bas.

L'homme sembla se figer un moment avant de reprendre sa route avec un peu plus de hâte qu'auparavant. Kay leva les yeux au ciel et sourit, poursuivant son chemin. Tout en déambulant dans les rues avoisinnant la cathédrale Notre-Dame de Deina, le jeune homme glissa sa main dans son manteau et en sortit l'objet qu'il y avait rangé un peu plus tôt. Dans la paume de sa main se trouvait à présent la petite bourse de tissu appartenant à l'inconnu qui l'avait abordé. Curieux, il délaça le cordon qui maintenait le sachet clos et versa tout ce que la bourse contenait dans sa large main. Il n'y avait pas grand chose. Quelques écus, et un bijou de pacotille.

-Ça vaut pas un clou, marmonna Kay en élevant le pendentif à la hauteur de ses yeux.

Il le jeta par-dessus son épaule, laissa tomber la bourse sur le sol et rangea les écus dans la sienne. Il lui sembla alors entendre des pas feutrés derrière lui, et il se dit que ce devait être l'homme qui revenait sur ses pas parce qu'il s'était rendu compte de la perte ou plutôt du vol de sa bourse. Les lèvres de Kay s'étirèrent dans ce sourire en coin qui le caractérisait si bien.

-Viens pas me dire que tu t'es perdu même si j't'ai dit où aller! rit-il, pivotant à moitié vers la provenance du bruit.

Un regard oblique lui permit cependant de constater qu'il n'avait pas affaire à son petit monsieur tout perdu...

La peste ayant envahie la ville, Diantra était maintenant une place où la mort et la vie se côtoyaient plus fréquemment qu’à l’habitude. Ce jour là Eleonor sortie de la cathédral Notre-Dame de Deine le cœur lourd de souci. Le don de Néera, la vie, était menacé par ce sombre mal. Marchant l’esprit ailleurs, elle passa quelques petits chemin sans craintes puisqu’elle était habillé sobrement et subtilement. En général elle n’était pas remarquée par les gens et cela lui plaisait. Elle pouvait ainsi se consacrer pleinement à ce qu’elle voyait comme sa raison de vivre : servir la déesse Néera et la laisser guider ses pas.

C’est à un tournant qu’elle vu un étrange personnage : un homme. Mais pas simplement un homme… de dos on pouvait apercevoir son immaculé chevelure et la peau pourtant beige de celui-ci. Elle s’approcha lentement puisque son chemin passait déjà par cette route…et puis… aucune raison d’être remarqué. Cependant l’homme marmonna quelque chose et jeta à terre un petit bijou. Celui-ci pu voir alors, non loin de là, une silhouette plus petite que lui qui avançait maintenant, encapuchonnée. Marchant lentement les mains jointe devant elle, elle s’abaissa doucement et prit le petit pendentif entre ses doigts et le glissa dans un des multiples replis de ses larges vêtements. Ce bijoux elle connaissait à qui de droit lui venait… enfin pas personnellement mais elle allait prier à l’église. Elle lui rendrait donc en temps convenu.

À l’exception de ses doigts, toute sa peau était dissimulée et de longs cheveux noirs ruisselaient de son capuchon abaissé qui cachait presque l’entièreté de son visage et plongeait dans l’ombre le reste. Cette étrange personne semblait garder en tout temps le visage baissé avec beaucoup d’humilité et se donnait une démarche la plus neutre possible mais malgré tout très légère à cause de sa constitution. Elle n’approcha pas directement l’homme, ne le provocant pas puis leva légèrement la tête afin de regarder brièvement celui-ci. Son regard et sa carrure la frappa immédiatement. Comment oublier cet étrange jeune homme? Il y a quelques années de cela, lorsqu’elle aidait à l’orphelinat, elle avait entrevu ce jeune homme maintenant devenu bel et bien un homme à part entière. Il avait grandit et semblait même beaucoup plus bâtit. Malgré sa pudeur naturelle elle dévisagea celui-ci afin de rafraîchir sa mémoire. Un peu avant qu’il s’enfuit de l’orphelinat, elle lui avait donné un pain à manger lorsqu’elle aidait les moines à nourrir les occupants de l’orphelinat. Cependant ses souvenirs à propos de lui s’arrêtaient là.

Pendant ce long moment de réflexion silencieuse de la part d’Eleonor, Kay pu entrevoir le visage maintenant à la lumière de la jeune femme. Des denses cheveux couleur ébène encadraient son visage d’une pâleur laiteuse. Ce qui restait probablement le plus marquant chez elle était la couleur de ses yeux, plutôt inhabituelle, un violet à la fois clair et obscur que l’on appelle zinzolin.

Non, il ne s'agissait pas du tout de l'inconnu qui lui avait demandé des directions. La silhouette s'avançant vers Kay était beaucoup mince et moins carrée, plus petite aussi. Il n'y avait aucun doute là-dessus : cette silhouette appartenait à une femme. De là où il se trouvait, Kay-Lahn ne pouvait pas distinguer son visage ou quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. La nouvelle arrivante était couvertes par de nombreuses couches de tissu et sa capuche dissimulait ses traits à la vue de tous.

Légèrement intrigué, Kay se tut et pivota entièrement vers l'inconnue. Il fit même un pas vers elle, mais n'alla pas plus loin. Comme la jeune femme le dévisageait, le Silencieux eut le temps d'entrevoir le visage de celle-ci, que la lumière du jour éclairait faiblement sous la capuche. Il put donc apercevoir cette peau d'une blancheur rare, cette épaisse chevelure d'ébène qui encadrait le visage de l'inconnue, mais surtout, il put observer ces yeux captivants par leur couleur étrange, un zinzolin de toute beauté.

Kay fronça les sourcils. Il connaissait ce regard, ce visage. Il en était certain. Cependant, il ne parvenait pas à se rappeler où il avait pu croiser cette femme, ou dans quelles circonstances elle avait été placée sur sa route. Une seule certitude s'imposait à son esprit : il ne savait pas et n'avait jamais su son nom. Kay n'oubliait jamais un visage ou un nom. Jamais. Nécessairement, lorsque l'on a plus personne, on tente de se souvenir de tout le monde. Il s'agit peut-être là d'une manière de se sentir entouré même dans la plus profonde solitude. Qui sait?

Le voleur tenta de rappeler à lui ses souvenirs enfouis dans les recoins les plus éloignés de son esprit, mais rien n'y fit. Il crut d'abord l'avoir croisée dans la rue et lui avoir piqué une dague ce jour où la tempête avait fait rage à l'extérieur, mais il se rendit compte qu'il se trompait. Ensuite, il se dit qu'elle devait être cette femme qui vendait des bouquins et qu'il avait volée lorsque la folle idée d'apprendre à lire par lui-même lui avait traversé le crâne. Il écarta bien vite cette supposition qui le ramenait dans un mauvais souvenir et surtout une cuisante défaite envers lui-même. Il chercha, chercha et chercha encore, mais il ne se souvint pas.

Secouant discrètement la tête, Kay regarda la femme de haut en bas. Il soupira imperceptiblement en voyant qu'elle ne semblait rien posséder d'intéressant à voler. Enfin, peut-être avait-elle des objets de valeur cachés dans les replis de ses vêtements, mais il avait la flemme d'aller fouiller. Et puis, il trouverait bien quelque riche marchand à dépouiller de ses biens intéressants pour s'enrichir un peu.

Kay fit un autre pas vers la femme et baissa la tête pour la voir tandis qu'il s'adressait à elle:

-T'es perdue, toi aussi? demanda-t-il.

Il recula et s'appuya contre le mur d'une bâtisse, croisant les bras avec désinvolture et ne quittant toujours pas son interlocutrice du regard

-À moins que tu te caches dans des rues peu fréquentées comme celle-là pour jouer au chat et à la souris avec la peste, espérant qu'elle ne te trouve pas.

Il haussa les épaules et lui fit un sourire en coin.

-Mais bon, qu'en sais-je? Peut-être que c'est rien de tout ça, qu'en dis-tu?

Kay croisa à nouveau le regard violet de l'inconnue et ce fut comme si un éclair le frappa. À l'orphelinat! C'était là qu'il l'avait vue! À présent, cela ne faisait plus aucun doute. Il se rappelait vaguement l'avoir croisée dans les couloirs du monastère. Il ne lui avait jamais adressé la parole, mais il avait dû échanger un ou deux regards avec elle, sans doute. Oui, ce devait être cela. Sinon, qu'était-ce d'autre?

Kay fronça encore une fois les sourcils, puis, pour en avoir le coeur net, lança:

-On s'est déjà vus quelque part, non?

La femme resta calme puis joignant les mains lentement et pieusement elle écouta le jeune homme. Par ses actions, il semblait assez arrogant, peut-être par manque ou par surplus d’assurance. Perdue? Allons, elle connaissait bien cette ville et tout ses bas fonds crasseux où les familles démunies se réunissent essayant de s’épauler dans leur mutuelle pauvreté. Lorsqu’il mentionna qu’elle pourrait avoir peur de la peste elle sourit légèrement avec une grande sérénité. Peur de la peste? De la mort? Inutile si elle devrait mourir sous le joug de cette maladie ce serait le choix de sa déesse. Cet homme partageait, à ce qu’elle pouvait remarquer, une vision complètement différente de la vie à la sienne. Quoi qu’il en soit, il lui avait pausé une question pertinente et elle allait y répondre sans aucun doute. D’une voix douce et apaisante elle dit :

- Jamais je ne serai perdue, tout en pensant : « Car Néera me guide »…puis elle continua, et je ne vois pas pourquoi je me cacherais de la peste, sans vous offenser, messire car elle est partout n’est-il pas?

Elle fit une légère pause, la fatigue étant évidente dans son visage mais elle ne semblait pas s’en inquiéter.

- Nous nous sommes certes déjà rencontré. Il fut un jour où vous logiez à l’orphelinat. Elle prit une courte pause et continua avec douceur et courtoisie : étant membre du clergé j’aidais à la distribution de nourriture et nous nous alors aperçu à cet endroit.

Pensant silencieusement un moment elle regarda le ciel quelques instants avec véhémence puis se retourna à nouveau vers lui.

- Comme vous le savez la peste envahie la ville et il faut des gens pour en aider d’autre mais beaucoup de gens ont peur des coins mal fréquenté de la ville et laisse des personnes mourir...

Eleonor se tourna vers le sol laissant paraître malgré elle une mine un peu affligé qu’elle essaya de chasser rapidement. Elle resta ainsi pensive un moment puis releva un peu la tête mais pas complètement gardant cette posture bien particulière et pieuse.

Pendant que son interlocutrice parlait, Kay observa la manière d'agir de celle-ci. Ses gestes gracieux, sa voix apaisante, son sourire tranquille et même la fatigue lisible sur son visage, tout chez elle respirait la sérénité. Le voleur fut étonné du calme que dégageait cette femme au regard particulier. Son caractère sociable l'avait amené à faire de nombreuses rencontres au cours de sa courte vie ; il avait croisé toutes sortes de gens, des plus énervés aux plus tranquilles. Et pourtant, la sérénité de cette inconnue surpassait de loin celle de tous ceux qui étaient tombés sur sa route. En un sens, Kay se voyait impressionné par un calme d'une telle force. Selon lui, une telle sérénité ne pouvait être que le résultat d'une certaine paix intérieure. Or, le voleur n'avait guère trouvé la sienne encore. Les contradictions qui emplissaient son esprit s'entrelaçaient pour aboutir à un seul et même endroit, à un seul et même but, à un seul et même désir qui l'empêchait de trouver cette paix à laquelle tant de personnes aspiraient. Mais un jour, tout serait terminé et il connaîtrait cet état d'âme incroyable. Oui, un jour, il dormirait d'un sommeil léger, sans cauchemars, sans idées obsédantes. Et la Lune lui sourirait.

-Dire qu'elle est partout serait une erreur, puisqu'elle n'est ni avec toi, ni avec moi, répliqua-t-il avec un haussement d'épaules sec.

L'inconnue lui rafraîchit alors la mémoire en lui racontant les circonstances de leur rencontre. Automatiquement, Kay se revit au monastère, un peu plus jeune, mais toujours aussi grand et toujours avec cette énorme épée qu'il ne quittait pas. Il se revit assis dans un coin, en train d'essayer d'apprendre à lire tandis que tous les autres priaient à l'église. Quelle perte de temps! Il avait tout oublié des quelques leçons que l'on avait bien voulu lui donner avant de le priver de cet apprentissage en voyant qu'il ne comptait pas devenir moine. Enfin, Kay se revit également en train de se moquer des autres, amicalement pour la plupart. Un léger sourire effleura ses lèvres avant de mourir avec son dernier souvenir, qui mettait en scène cette inconnue lui tendant gentiment un pain avant de s'éloigner sans un mot.

-Possible, j'm'en souviens pas, lâcha-t-il finalement, même s'il s'en rappelait parfaitement.

Il la regarda lever les yeux vers le ciel, et il en fit autant, se demandant pourquoi elle le scrutait de cette étrange manière. Il reposa bien vite son attention sur elle, ne voyant pas l'intérêt de fixer cette étendue d'azur parcourue de filets nuageux.
L'inconnue parla à nouveau, puis baissa la tête, l'air affligé, avant de la relever et de prendre cette posture qui semblait lui être particulière.

-Ah, ma chère, la nature humaine est ainsi faite : on veut tout d'abord sauver sa peau avant de sauver celle des autres, répondit-il. La peste, cruelle et brutale, empêche souvent l'une de ces options de se réaliser, sinon les deux. Je ne suis ni médecin ni philosophe, mais c'est une réalité qui ne m'échappe tout de même pas.

Donnant un coup avec son dos sur le mur de la bâtisse, Kay reprit une position droite. Il remonta subtilement le gant de cuir couvrant son avant-bras, puis fit quelques pas en direction de son interlocutrice. Il la fixa de son regard bleu clair, devinant ses yeux dans la pénombre qu'occasionnait sa capuche. Il poursuivit:

-C'est pour ça que t'es là? Tu veux aider ceux que l'on laisse tomber parce qu'ils sont frappés de plein fouet par la maladie, tu veux rendre leur sort moins misérable en tentant de les sauver?

Il rit un peu.

-C'est une mission bien noble, mais plutôt inutile.

Sa voix, sans le vouloir, était empreinte d'une teinte de moquerie qui laissait comprendre qu'il trouvait qu'elle perdait son temps. Cette moquerie restait cependant sans malice aucune et ne faisait qu'exprimer sa pensée.

La jeune prêtresse de Néera écouta Kay avec attention et sourit lorsqu’il dit que la peste n’était pas avec eux. Que savaient-ils vraiment? Ni elle ni lui pouvait savoir si la vie leur serait retiré mais qu’importe, ils le verraient bien dans un futur prochain. Lorsque celui-ci lui dit qu’il se souvenait pas d’elle, elle n’en fut aucunement surpris et lui répondit gentiment.

- Le contraire m’aurait fort surprise vous savez je ne suis qu’une simple prêtresse de Néera. Dit-elle d’un ton un peu amusé comme si le fait de se souvenir d’elle serait impensable à ses yeux.

Écoutant la suite à propos des morts de et l’égoïsme humain, elle fit un sourire d’autant plus serein et lui servit un regard rempli de tolérance et de compassion. Baissant légèrement la tête et méditant visiblement à la manière de lui dire les choses elle la releva lentement et le regarda droit dans les yeux un bon moment pour la première fois depuis le début de leur conversation.

- Vous savez messire...Elle fit une légère pause puis recommença : La seule certitude que tout humain peuvent avoir c’est qu’ils vont mourir un jour ou l’autre.

Joignant les mains avec calme elle sourit avec une expression presque mystique et dit finalement :

- Les différences entre vous et moi sont multiples pour ne pas dire infini tout comme les ressemblances. Mais ce qui reste probablement le plus flagrant sera nôtre manière de voir la vie. Vous vivez pour vous et je vis pour ma déesse. Vivant pour vous-même vôtre vie prend alors une valeur considérable tout comme vôtre bien être. Les gens ainsi, qui sont la majeure partie de la population prennent.

Elle montra délicatement le pendentif que celui-ci avait jeté puis le remis avec douceur dans les replis de ses vêtements.

- C’est tout à fait normal puisque l’environnement ici est dur et seul les plus forts survivent.

Elle déposa vaguement une main où son cœur et lui dit avec un regard transperçant de franchise.

- J’ai abandonné ma vie à ma déesse… mourir ou vivre? Si je dois mourir pour préserver plus de vie que la mienne et bien soit je le ferai et ce sera pour moi un grand honneur de servir ainsi ma divinité.

Elle sourit regardant avec une légère timidé le sol et laissa même un petit rire cristallin bref mais clair sortir d’entre ses lèvres puis elle dit le regard toujours vers le sol.

-Je suis absolument consciente que pour la majeure partie des gens ces paroles sont vide de sens, complètement absurde et ridicule. Je le sais mais je ne m’en fais pas car j’ai trouvé ma paix ainsi.

Elle releva la tête puis lui dit calmement, toujours aussi sincère.

- Peut-être que vous aussi, un jour, vous trouverez vôtre manière d’être en paix avec vous-même.

Joignant les mains finement, elle se tut.

Ainsi, cette femme vouait un culte à Néera, la déesse de la vie. Kay la savait prêtresse, de par ses paroles précédents et ses habits ; toutefois, qu'elle prie la divinité de la vie le surprenait un peu puisque Néera était plutôt méconnue de la population. Il se demanda comment elle en était venue à offrir son dévouement à cette divinité, mais choisit de ne pas poser la question. Après tout, cela ne lui importait pas, surtout qu'il ne s'intéressait aucunement à la religion. À vrai dire, il s'en fichait. Non, "s'en ficher" n'était pas l'expression correcte, il la méprisait plutôt! Et a vec raison...

Il fut un temps où Kay était croyant et vénérait les Dieux, persuadés qu'ils veillaient sur lui et sa famille, qu'ils les protégeaient du mal. Après la mort de sa famille, il avait refusé de perdre la foi, et tout en errant, il avait prié, prié pour que cet évènement horrible ne soit au fond qu'un cauchemar, prié pour revoir le sourire de ses parents adoptifs, pour entendre le rire cristallin des deux jumelles... Les Dieux avaient ignoré sa requête désespérée. On lui avait toujours répété que les divinités punissaient ceux qui le méritaient. Or, on lui avait enlevé sa mère, son père, son frère et sa famille adoptive. Certes, il avait volé pour assurer la subsistance des siens. Mais était-ce là une raison suffisante pour expliquer la punition qu'on lui avait infligée? Pas selon Kay. Les Dieux l'avaient abandonné, et il n'avait eu aucun scrupule à les abandonner à son tour. Qu'ils souffrent, qu'ils brûlent, qu'ils meurent! À présent, ils n'étaient pour lui que de vulgaires personnages inventés par les conteurs.

La femme fixa enfin Kay dans les yeux, et il soutint ce regard zinzolin serein et apaisant. Le jeune homme écouta son interlocutrice en silence, méditant ses paroles au fur et à mesure qu'elle les prononçait. En effet, les différences les séparant étaient évidentes comme un nez au beau milieu d'un visage. Kay ne connaissait pas cette femme, mais il pouvait dire aussi qu'ils n'avaient rien en commun, du moins en apparence. Cependant, si les paroles de l'inconnue s'avéraient vraies en ce qui concernait leurs différences, elle se trompait quant à la raison pour laquelle il vivait. Car non, le voleur ne vivait pas pour lui-même. Bon, tout de même un peu, puisque la nature veut que l'être humain garde une once d'égoïsme peu importe la noblesse de son coeur. Mais son but principal ne concernait pas sa petite personne. Sa raison de vivre, aussi peu louable était-elle, le mettrait sans doute en danger dans un avenir rapproché ou lointain. Fort heureusement, le danger n'effrayait pas Kay, et il ne comptait pas renoncer à vivre sa vie pour d'autres que lui-même.

L'inconnue sortit le pendentif des replis de ses vêtements, et Kay le regarda sans grand intérêt. Elle pouvait en faire ce qu'elle voulait, cela ne le dérangeait pas le moins du monde. Si elle le désirait, elle pouvait même essayer de retrouver son propriétaire. Les chances qu'il vienne réclamer son bien à cette dame étaient toutefois minces...

Kay vit alors la femme baisser les yeux avec timidité et l'entendit rire doucement. Il retint imperceptiblement son souffle à ses dernières paroles. Son regard prit un instant une lueur indéfénissable, et, gardant une expression indifférente soignée sur le visage, il se détourna un instant, faisant mine de suivre un oiseau qui traversait le ciel. Il reposa ensuite son attention sur son interlocutrice.

-Si ta croyance t'as permis de trouver ta paix intérieure, tant mieux, dit-il. Ce que les autres pensent n'a pas d'importance. Si j'te dis que j'en ai rien à foutre des Dieux et que c'est n'importe quoi, ça ne devrait pas avoir d'importance pour qui que ce soit sauf pour moi. Idem pour tout le monde.

Il avait ignoré son commentaire sur sa paix intérieure.

-J'crois pas en Néera, avoua-t-il en ricanant un peu. Et je trouve que faire semblant d'y croire serait être malhonnête envers les autres et envers moi-même. J'dis pas que j'suis l'homme le plus honnête du monde ou même juste de Diantra, loin de là, mais prétendre que les Dieux existent alors qu'ils ne sont pour moi que des illusions, ça ne servirait à rien.

Il eut ce sourire en coin qui le caractérisait si bien.

-Et puis, j'pense pas que j'ferais un très bon disciple de toute façon. En fait, je crois même que je serais très, très mauvais.

Il désigne du menton l'endroit où elle avait rangé le collier et se tut, l'air amusé.

Eleonore écouta les paroles désinvoltes de Kay et sembla, curieusement, s’en ravir avec une certain retenu. Pourtant celui-ci dénigrait les dieux en les traitants d’imaginaires et de fantasme. Cela ne la dérangeait pas en fait, tous étaient libre de penser ce qu’il voulait, certains n’avaient simplement pas encore trouvé la vérité au fond d’eux même. Pendant qu’il parlait, son regard se perdit dans une brume qu’elle-même ne pu exprimer… la fatigue? Elle ne le savait pas. Mais ce fut dans cet étrange moment que son esprit recula assez loin dans le recoin fortifié et scellé de son âme, méandre de son enfance et genèse de sa piété, où elle avait offert ce morceaux de pain à Kay. Plissant légèrement les yeux comme si elle voyait quelques choses au-delà des cartiers sombrent et sale, son regard sembla attentif et à la fois vide et détaché de ce monde comme si son esprit était ailleurs. Bien sûre, tout ceci se faisait en quelques secondes le temps que ce souvenir oublié revienne exiger d’être vu pour ne pas dire vécu à nouveau :

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Un prête s’avançait vers une jeune adolescente qui était elle-même. Lentement, il leva son panier de pain et lui en donna un d’un ton calme presque hypnotique il lui dit :

-Chère enfant, j’aimerais que tu ailles porter ce plain à ce jeune homme là-bas, lui pointant Kay-Lahn, isolé dans un coin de la cours.

Eleonore regarda le prêtre avec un certain étonnement elle prit lentement le pain et se tourna vers lui.

-Mon père?

Une question lui démangeait les lèvres malgré qu’elle fût plutôt insolente selon elle. Mais à cette époque, un peu avant la mort de dame Diel, sa jeunesse et sa candeur prenait encore, parfois, le dessus.

-Pour…Pourquoi vous n’y aller pas?

Le prêtre regarda Eleonore et au lieu de sermonner sur sa curiosité, il lui répondit :

-Ce jeune garçon n’est ni méchant, ni sauvage. Cependant il est différent et il n’est pas très enclin aux personnes de l’orphelinat. Ta présence étrangère ici l’agressera moins que le reste peut-être. Maintenant, va, il s’appelle….

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Ce fut à ce moment qu’Eleonore revînt à elle-même. Levant les yeux vers kay, elle lui dit avec un ton lointain tout en rebaissant pieusement le regard.

-Toute personne en se monde peuvent être un excellent disciple messire. Mais disciple de quoi là est toute la subtilité. Je suis sur que vous faite un bon disciple de vôtre propre discipline.

Puis, finalement, elle leva les yeux en silence et dit lentement.

-Sur ce je vais continuer ma tâche. Peut-être nous nous reverrons, Kay-Lahn Arameïr.

Esquissant l’ombre d’un sourire à l’aspect mystique et profond elle s’éloigna le fixant toujours puis se détourant vers le sol, courbant l’échine devant le ciel et par le même cas, sa déesse.

Kay, qui avait terminé son discours, observait à présent son interlocutrice dans le silence, effaçant lentement son air amusé pour en prendre un plus neutre. La prêtresse sembla perdue dans ses pensées, et le voleur n’interrompit pas ce moment d’égarement. Il en profita plutôt pour songer à la curieuse réaction de la femme, quelques secondes plutôt, lorsqu’il parlait. En effet, sa mine ravie lui avait semblé étrange, considérant les propos peu élogieux qu’il avait entretenus à l’égard des Dieux et surtout de Néera, à qui elle se dévouait visiblement corps, cœur et âme. Elle différait beaucoup de la majorité des moines et des prêtres qu’il avait connus et qui considéraient son opinion personnelle comme le pire des blasphèmes. Cette opinion forgée dans le fer, de nombreux religieux avaient tenté de la changer, de la faire pencher vers ce qu’ils nommaient « la bonne voie » ou encore « la voie divine ». Oh oui, ils avaient essayé, mais aucune parole, aucun argument n’avait réussi à modifier cette position inébranlable. Enfin, tout cela pour dire que voir une prêtresse accepter sa vision de la religion sans s’en offusquer ou essayer de le convertir surprenait un peu Kay, qui n’avait jamais rencontré des religieux assidus faisant preuve d’une telle ouverture.

La jeune femme se reconnecta soudain à la réalité et leva les yeux vers le voleur tout en s’adressant à celui-ci. Kay médita ses paroles un bref instant. Lui, un excellent disciple? L’idée sonnait faux, et l’imaginer s’avérait plus qu’absurde. Bien que la prêtresse avait précisé que le dévouement dont elle parlait pouvait s’appliquer à n’importe quelle discipline, l’homme aux cheveux blancs restait sceptique. Que pouvait-il être? Un disciple du vol? Kay ne trouvait pas qu’il s’agissait d’une discipline en tant que telle. Il voyait plus le vol comme un mode de vie, voire un métier pour assurer sa survie. Après tout, n’était-ce pas pour assurer la subsistance de sa famille que Kay avait commencé à cambrioler des marchands? S’il n’avait pas vécu dans la pauvreté et qu’il avait reçu une éducation quelconque, il serait sans doute devenu autre chose que voleur. Or, la vie ne lui avait guère donné le choix, et il s’était tourné vers la solution la plus rapide et la plus efficace. Kay ne regrettait pas d’avoir pris la décision de faire du vol son art, et il n’éprouvait aucune honte de pratiquer ce métier que l’on disait peu honorable ; lorsqu’on y pensait, il fallait quand même posséder certains talents pour être considéré comme un bon voleur, et de nombreux gens s’avéraient ainsi incapables de dérober des objets sans qu’on les aperçoive. Mais même s’il était un cambrioleur doué et qu’il prenait à présent un certain plaisir à user de ruse pour départir hommes et femmes de leurs biens, Kay-Lahn ne croyait pas à ce que la prêtresse venait de dire. En fait, il n’était même plus certain du sens des paroles de celle-ci et que son propre raisonnement tenait la route.

Kay alla répliquer, mais l’étrange jeune femme le regarda et parla à nouveau. Puis, sans rien ajouter, elle s’éloigna. Le voleur la suivit des yeux, son propre nom prononcé par la prêtresse raisonnant en écho dans son esprit. Comment… comment pouvait-elle connaître son prénom et son nom de famille? Il ne lui avait jamais mentionné ces deux informations au cours de leur discussion. Et au monastère, qui lui aurait divulgué son identité? Pourquoi aurait-elle voulu savoir qui il était? À quoi cela servait-il de le savoir? Tant de questions sans réponses flottaient dans la tête du jeune homme...

Kay-Lahn frissonna très légèrement lorsque la voix s’éteignit. Il eut un petit tic à l’œil, puis il releva son gant de cuir, ne quittant toujours pas la femme du regard.

-Oui, nous nous reverrons sans doute, murmura-t-il pour lui-même tandis qu’elle disparaissait peu à peu de son champ de vision.

Soudain, une idée le foudroya, et ses yeux clairs brillèrent avec une intensité renouvelée. Un sourire d’une expression indéfinissable étira ses lèvres, et il chuchota :

-Sans aucun doute... tôt ou tard.

Puis, Kay tourna les talons dans la direction opposée de celle que la femme avait prise, et son idée, qui l’avait frappé tel un éclair déchire le ciel d’encre, s’évapora lentement en surface, mais resta profondément ancrée au fond de l’esprit du voleur.

-Étrange rencontre -> Terminé-

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