[Rues] Tourbillons de pensées

L'aube pointait son nez à l'est, lors de ce frais matin d'hiver.. Elle apportait avec elle un jour nouveau, promesses de péripeties pour les uns, de routine pour les autres. Il était donc tôt, sur Ydril, en ce Kÿrianos glacial. La semaine reprenait, et la ville s'affairait déjà. Dans toutes les rues raisonnaient des bruits de sabots, des voix viriles criant des ordres... Le marché s'installait, sur une des grandes places de cette cité portuaire ameutant les chiens errants faméliques, gueulant sur les chats, bavants. Dans une rue fréquentée, le dos contre un mur rendu gris de poussière, était assise à même le sol une jeune femme. Elle dormait, ses paupières closes sur ses yeux fatigués. Sa position avachie laissait à penser que les journées précédentes n'avaient pas été des plus reposantes. Le vacarme de la ville ne réuissait pas même à la reveiller, et ceux qui passaient devant elle ne lui accordait pas plus qu'un regard ininteressé. Un chat, qui faisait la proie d'un chien joueur s'appuya soudainement sur la statue endormie, afin de gagner une fenêtre laissée ouverte.

Dans un gémissement, la jeune femme s'éveilla enfin. Elle cligna des yeux plusieurs fois, tentant de comprendre où elle se trouvait, et pourquoi. Il lui fallut quelques minutes pour émerger de sa torpeur. Tout d'abord, elle grimaça. Elle avait passé la nuit sur un sol en pavé, et ses fesses étaient endolories, tout comme son dos. Elle s'étira, baillant à la vue de tous les passants, et se résigna finalement à se lever, vacillante. Aewyl secoua la tête, comme pour chasser le flou qui obstruait encore ses yeux endormis et souffla un bon coup. Tout d'abord, elle chercha à résumer la situation. Cela sentait le poisson, et l'iode venue des embruns. L'image d'Ydril s'imposa à elle, et petit à petit, le puzzle se reconstitia. Elle était partie l'avant-veille de Diantra, pour se rendre jusqu'à la ville orientale. Elle n'avait alors aucun but lorsqu'elle avait quitté la capitale mais la jeune femme avait du temps à revendre, et il était vrai qu'elle n'avait pas remis les pieds ici.. depuis son facheux accident, il y avait déjà trois ans.

Elle avait parcouru la moitié du chemin en une journée de marche, et avait cherché de quoi dormir, lorsque la nuit venait à tomber. Celle ci se révéla être difficile, sous le couvert d'un petit bosquet, à proximité d'un village. Tout d'abord, Ae' n'était pas sûre d'y être en securité. Peut être y avait-il des loups, ainsi gardait elle toujours la main vissée sur le pommeau de son épée, prête à dégainer. Deuxièmement, les habitants du village lui avait paru hostiles lorsqu'elle avait rempli sa gourde à une fontaine de pierre, et aucun ne lui avait donné la bougie qu'elle réclamait. C'est donc dans le froid, et dans une certaine crainte qu'elle avait tenté de reposer ses membres fatigués durant les courtes heures de la nuit. Dès que le soleil avait percé la couche de nuages, la jeune femme se remit en route, sans guère prendre le temps de se raffraichir dans un ruisseau gargouillant. Cette seconde journée de marche fut plus difficile, à commencer par l'orientation. Ae' avait pour habitude de choisir son chemin en fonction du soleil, Ydril était plein ouest, sans suivre les routes tracées depuis fort longtemps. Elle évitait ainsi de croiser des bandits de grands chemins, qui auraient tôt fait de la dépouiller de ses maigres richesses, et cette tactique n'était pas si risquée. Elle était simplement inefficace lorsque de lourds nuages noirs venaient s'interposer entre le soleil et la jeune femme, et déverser de glaciales averses sur la région. Les pieds dans la boue, Ae' n'avait pourtant pas rennoncé à avancer, en ligne droite, pensait elle. Malheureusement pour la jeune femme, lorsque l'orage eut éclaté et que le vent violent eut balayé le trop plein de nuage, il s'avéra qu'elle s'était fichtrement égarée. Afin de ne pas commetre d'autres erreurs, elle décida de revenir sur ses pas, et de retrouver la grand route. Elle avait prit du retard, et le soleil, sa fidèle boussole se couchait déjà lorsqu'elle atteignit l'axe recherché. Le reste de la route fut plus rapide. Elle ne s'octroya aucune pause, la noirceur de la nuit l'enveloppait déjà, alors qu'il restait encore deux heures de bonne marche.

Enfin, en pleine nuit, Aewyl avait franchi les portes de la ville. Cette odeur caracteristique, propre à la mer toute proche vint lui chatouiller les narines, et éveilla ses sens. Des souvenirs ressurgirent, traitres. C'était dans cette ville joyeuse que quelques années plus tôt, elle avait abandonné l'enfant mis au monde en toute clandestinité. Un goût amer dans la bouche, étrangeté du corps humain qui réagit à l'esprit, elle entra dans une taverne animée. Quelques chopes de bierre firent passer la soif. La faim attendrait quant à elle. Epuisée, Ae' sorti de la salle bruyante et respira l'air frais. Elle ne s'était pas attendu à cela, et ignorait que cet être innocent, cette tête presque chauve qu'elle n'avait vu que le temps de quelques minutes reviendrait la hanter. Elle s'était alors laissée choir contre un mur et s'était endormie presque sur l'instant, oubliant toute prudence, qui aurait souhaité qu'elle ne restât pas là pour la nuit. Par chance, sans doute, excepté quelques regards obliques de saoûlards, rien ne s'était posé sur elle.

Voilà donc ce qu'il s'était passé, et les raisons pour lesquelles elle s'était réveillé au coeur de cette ville. Cette mise au point faite, la silhouette gracile de la jeune femme quitta son piêtre lit, et s'en alla. Elle fit hâlte sur une petite place vide, au centre de laquelle coulait une joyeuse fontaine. Elle but à grandes gorgées l'eau cristalline, et s'en aspergea le visage et les bras. Elle laissa tomber son sac de toile à ses pieds, en tira une chemise écrue, trouée à l'épaule, et troqua ce vêtement d'infortune contre le chandail qu'elle portait. La place était déserte, Ae' n'était pas pudique. Le lin propre glissa sur sa peau, tandis qu'elle rangeait l'étoffe qu'elle avait ôté, avant de repartir d'un pas assuré. Elle ignorait tout particulièrement la manière dont elle allait s'occuper, et souhaitait secrètement qu'une rencontre changerait le cours de ce jour nouveau.