Ce soir c'est le soir !

Ce soir c'est le soir !

C'était le leitmotiv que susurraient, dans l'obscurité humide de quelque bouge des bas-fonds, une race de forbans. Ils sirotaient leur chope de mauvais vin, méditant un sourire mauvais au coin des lèvres. Au coeur de l'auberge chichement éclairée, entourée des malfrats, une silhouette aux cheveux bruns, le visage enfoui à l'ombre d'une lourde capuche, s'entretenait avec ses comparses des larcins qu'ils préparaient.

Mais depuis, les ombres se cachent derrière les objets, le soleil, roi des honnêtes gens, rayonne sur le port de Diantra, notamment sur l'imposant Trois-Mât de la Marine Royale. Tout un équipage s'activait sur les voiles, les ponts, les châteaux et les cordages. Au centre du ponton, le capitaine du puissant "Pourfendeuse des vents" humait les embruns de la paisible mer.

Après plusieurs mois au service de la couronne, qui avait cruellement besoin de marins expérimentés, il avait su décrocher la commandature du roi de la flotte, le seul et le plus magnifique rescapé du massacre de Nelen. Il avait déjà envoyé de glorieux bâtiments par le fond, et le jeune Lysandre comptait bien augmentait les trophées de sa nouvelle bête.

Comme dit plus haut, la flotte du roi Trystan, traumatisée par les attaques des pirates et leur victoire finale, avait commencé à recruter tous les hommes valides et assez cupides pour rejoindre, une poignée d'or en échange, la marine pour les prochaines années de leur vie. Lysandre était parmi eux, et avec lui, de nombreux compagnons l'avaient accompagné. La racaille des mers, se recyclant dans la marine royale en mal d'officiers et souffrant d'un manque d'aristocrates patent, avait donc pris d'assaut les bureaux de recrutement, attendant avec impatience que les nouveaux navires de guerre de la Couronne soient armés.

Gilrad était debout devant la "Pourfendeuse des vents". Il appréciait le puissant navire droit devant lui, avec les flambeaux qui illuminaient le pont et faisaient danser les hombres des hommes d'équipage sur la voilure blanche.
Ce navire fier avait vu moult combats et témoignait de la grandeur du Royaume humain. Il était droit et ses mats semblaient défier la voute céleste.

L'Amiral était venu voir l'avancement de la construction des navires de guerre qu'il avait commandé, et était passé voir Lysandre, dit le bateleur, qui avait été nommé capitaine du bijou qui lui faisait face en grimpant les échelons un par un. C’était un fils de la rue. Il avait rejoins l’armée comme famille, et était a la recherche perpétuelle de richesse et de gloire. Ses instructeurs avaient prévenus Gilrad qu’il était impulsif et qu’il serait risqué de confier un bâtiment d’une telle valeur entre ses mains, mais l’Amiral voyait en Lysandre un homme qui était prêt à tout pour gagner. Il voulait cet homme car il était le seul à avoir vécu ce qu’aucun autre n’avait vécu. Il avait plus d’expérience qu’aucun autre capitaine n’en avait en sortant des classes.
Gilrad était venu faire sa connaissance. Il savait que le capitaine serait sur son navire.
Il se dirigeait donc sur le bateau d’un pas décidé.
Lorsqu’il monta la rampe, les hommes le dévisagèrent. Ils ne savaient pas qui ils avaient en face d’eux. Gilrad les dévisagea un par un, quand une voix qui sortait du château cria :

« Garde à vous devant votre amiral bande de larve ! »

C’était Lysandre.
Il s’avança parmi ces hommes qui s’étaient redressés comme des ressorts. Et vint saluer l’amiral.

« Bienvenue sur la « pourfendeuse des vents », nous avons effectué les quelques réparations, et le navire est prêt a prendre la mer !»
-Bien… Il faudra faire de vos hommes de vrai soldats… ils ne sont pas disciplinés. Allons dans la salle d’état major, nous avons à parler du futur de la marine Royale… »

Lysandre ne savait pas ce qu’était venu faire l’amiral sur son navire, néanmoins, il l’invita à le suivre dans la salle d’état major.

« Eh bien capitaine… il reste du travail à effectuer. Sur vos hommes surtout ! Je sais que vous avez beaucoup d’expérience, et je compte sur vous ! Notre mission est de donner du prestige à la Marine Royale ! Votre première mission est d’intercepter un navire de la marine marchande ou un navire qui vogue sous un pavillon pirate. Vous devrez le ramener ici même, en faisant le minimum de victimes possibles. Vous devrez interroger le capitaine du navire et connaître la position de leur flotte et de leur QG. Je sais que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour rapporter ces informations. J’ai bien dis TOUT ! J’ai entendu parler de vous. Vous êtes ambitieux… Et je sais que vous réussirez ! Vous avez le plus beau navire de guerre du royaume humain ! Je vous conseil cependant de vous attaquer a un navire isolé. La flotte royale ne supporterait pas de nouvelles pertes ! »

L’amiral avait parlé d’un ton dur. C’était des ordres. Il faudrait que Lysandre prévienne ses hommes qu’ils partiraient le plus tôt possible…

Il avait rencontré une fois, de loin tout du moins, le noble qui lui servait à présent de patron. C'était un grand chevalier, un comte à ce qu'il savait. Une tête pas commode, taillée à la serpe, qui dominait le capitaine, d'une stature moindre. Il ne l'avait cependant pas reconnu directement, vêtu comme il l'était, et peu accompagné. C'aurait pu être n'importe quel officier. Il fixa un instant le capitaine, qui se fit un plaisir de lui apprendre que la Pourfendeuse des vents était de nouveau parfaitement opérationnel, puis le somma de le suivre dans le château arrière, où l'état-major a l'habitude de se réunir pour manger et conseiller le capitaine.

L'Amiral voulait des têtes. La Couronne faisait enfin preuve de réaction face à la racaille de Meca, ou, du moins, voulait rehausser un peu l'étendard de la flotte royal avec un peu de sang de corsaires. L'Amiral voulait également de vrais soldats. Il est vrai que les hommes qu'on lui avait offert était souvent de simples gosses qui s'étaient engagés à cause d'une dette ou d'un esprit idéaliste. Il y avait certes de vrais marins, que Lysandre connaissait et commandaient au doigt et à l'oeil : c'était le noyau dur de ce géant des mers, ses muscles et ses yeux. Cependant, le terme "discipline" suffisait pour leur donner des boutons et leur relation avec les sous-officiers était assez tendue.

"Bien, sire amiral, j'obéis sur l'heure, se contenta de dire Lysandre, qui se détourna un instant de son supérieur et cria en direction de la porte : TURPIUS !" Une trogne malévole et rougeâtre apparut dans l'embrasure de la porte. Le capitaine lui ordonna de trouver les hommes, car demain à l'aube, la Pourfendeuse partirait en patrouille. Lysandre aurait volontiers fait un peu de zèle en armant son bâtiment dès l'après-midi, mais il savait l'importance que pouvait revêtir pour certains une dernière nuit avec leur famille, leur maître ou une simple pute des quais.

"Faites-moi confiance, sire amiral, je ferai de ces gamins de vrais loups de mer, les plus redoutables des mers miradelphiennes. J'ai reçu quelques rumeurs, il y a peu, de déplacements de pirate, plus loin dans le nord. Ils auraient profité de la guerre pour s'établir sur les côtes voisines du royaume. Je crois que nous allons commencer par là, et en profiter pour rappeler la présence de la marine royale aux populations du littoral." Tout en parlant, il se dirigea vers une table ronde, assez petite et vernie, étudiant plusieurs cartes et montrant certains point à son supérieure hiérarchique pour appuyer ses hypothèses. Capitaine ambidextre, il saisit de sa main gauche une bouteille et versa un vin d'une belle couleur dans deux verres en argile, proposant une lampée à l'amiral.

Sirotant tranquillement son hydromel (assez moyen, malheureusement), il considéra d'un regard le comte en se demandant s'il avait une quelconque expérience au niveau maritime, en terme de bâtiments maritimes voire de tactique navale. Il cacha un sourire avec son verre puis dit.
"Nous accompagnez-vous, sire amiral ? Si je puis me permettre, cela pourrait être une bonne façon de vous faire connaître de la Marine ainsi que de la racaille des mers. Vous pourriez également vous faire une idée de la capacité de monstre-ci", termina-t-il en toquant une poutre.

A l'annonce de cette nouvelle, Lysandre tangua l'espace d'une seconde. C'était comme une gifle, un pavé qu'on lançait dans la mare de ses spéculations. A cette hypothétique promotion, le capitaine ne put répliquer qu'un sourire désemparé. Son esprit était en proie à une sorte de joie enfantine, comme si on venait d'offrir au petit enfant un cheval à roues, et un peu de désappointement, comme si on annonçait au joueur d'échec qu'à partir de maintenant, les règles qui constituaient le jeu changeait en cours de partie.

"Messire... Vous me laissez sans voix. C'est... c'est pour le moins inattendu. Moi, un sujet parmi les plus humbles de tous les sujets..." Il avait déjà effacé de sa mémoire la générosité éthylique de son supérieure hiérarchique, mais commença à recouvrir empire sur lui-même, à encaisser le choc d'une telle annonce. Déjà son esprit recalculait les variables affectées, imaginait mille situations et brodait mille fois plus d'hypothèses. Après un instant muet, il leva ses yeux vers le sire amiral puis sourit, ses dents éclairant son visage d'un éclat à la fois heureux et narquois.

"Il semblerait, sire amiral, que demain sera l'instant de vérité, le début de quelque chose ou son avortement. J'ai hâte d'être à demain matin, dans ce cas !"