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| Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] | |
| | Auteur | Message |
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Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Mar 20 Jan 2009 - 20:08 | |
| Ailill marchait trop lentement, s'appuyant d'un bras replié contre le mur. Sa tête penchée frôlait le marbre coloré du château royal. Il sentait le froid de la pierre l'imprégner en profondeur, se diffusant toujours plus avant, jusque dans ses poumons secoués de quintes de toux. Un filet de sang mêlé de bave coulait à la commissure de ses lèvres. La violence de l'écarlate jurait avec la pâleur cadavérique de son visage. Il venait de quitter le bureau du chef du Lys d'Or, et personne n'aurait pu dire quelles pensées l'habitaient en cet instant. Peut-être celles de tout homme qui vient d'accepter un combat physique qu'il sait perdu d'avance ? En ce cas, il songerait à ce qu'il pouvait remporter, comme quiconque. Et il pouvait beaucoup. Ce duel était pour lui bien plus que le règlement officieux d'un quelconque outrage. Bien davantage encore que la tentative d'éliminer celui qui projetait de jeter un peuple sous la meule. Ailill ne se jugeait pas en droit de donner la mort.
La porte de sa chambre lui offrit une résistance inattendue. Lorsqu'il s'écroula sur la peau mitée, au sol, il ne savait plus s'il faisait nuit ou jour, il avait oublié que le sort de centaines de milliers de créatures dépendaient en partie de sa vie. Au matin, il trouva un plateau déposé à son attention sur le seuil. La soupe avait un goût de carton, ni froide ni chaude. Ou, peut-être, si, un arrière-goût de bile. Le regard bleu s'arrêta sur le fourreau de l'épée, au sol. Cette dernière en avait glissé. D'un geste lent, il la rengaina. Combien de temps depuis sa dernière utilisation ? Combien de temps écoulé depuis ces après-midi successifs d'entraînement de plus intenses, sous un soleil qui vous burinait la peau ? L'astre luisant, en ce jour, éclaboussait les toits de l'ouest d'un liquide orangeasse indéterminé. Il faisait froid ; la fenêtre demeurait ouverte, laissant passer un souffle de vent. Ailill aurait encore eu le temps de faire affûter sa lame à la forge, ou, au moins, de se raser. Il n'en fit rien. La même chemise blanchâtre recouvrirait la même armure, surplombant le même pantalon de toile grossière. Pourtant, l'homme fit quelque chose qui n'était, pour le moins, pas dans ses habitudes. Il piqua à sa poitrine une petite broche rouillée. Il ne s'encombrait pas de symboles, ni de vestiges du passé ; aussi, il ne chercha seulement pas à s'expliquer cet acte. Il avait eu besoin de le faire, voilà tout.
L'escalier résonna de ses pas hésitants, que le revêtement moelleux assourdissait mal. L'air sentait la poussière – ou fut-ce sa respiration encombrée qui lui donnât cette impression ? Quoi qu'il en soit, il allait mieux que la veille.
La cour se déroula à sa vue. Mais il ne s'intéressa pas au paysage. Il en fixait seulement le centre, et, d'une détermination que la lenteur rendait implacable, il atteint l'immense hêtre mis à nu par l'hiver. Ceci fait, il ne s'adossa pas. Puis il perçut un homme, vers lequel il ne retourna pas. Qui d'autre pour aller rejoindre un être maladif au milieu de la cour du château ?
« Vous voici, De Hautval. »
L'affirmation ne manquait pas d'un certain tranchant. Elle fut bientôt suivie du bruit caractéristique du métal contre le cuir épais, et la lame mise à nue refléta avec brio les lueurs d'agonie du couchant. Ailill fit un pas en avant.
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| | | Charles
Ancien
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Mer 11 Fév 2009 - 19:34 | |
| Diantra baignait encore dans la brume de la nuit lorsque Charles se réveilla. Son premier réflexe fut de se porter à la fenêtre, pour que son corps sec et nu soit baigné par un vent glacial des plus salvateurs pour se réveiller. Diantra...un lac de tuiles vertes de mousses, avec quelques ilots imposants que l'on appelait Château, fort de la Vaillance ou Notre Dame de Deina. Le soleil rougeoyant de l'aube commença à apparaître à l'horizon. Charles resta quelques minutes ainsi, méditant sur sa vie. Un réflexe qu'il avait avant chaque duel. On ne savait jamais si on allait y laisser sa peau ou non, que ce soit contre un incapable ou un maître d'armes. La large cicatrice qui siégait sur sa poitrine lui avait été infligé après tout par un godulerau aviné doué de beaucoup de chance...
Il se vêtit alors sobrement, entièrement d'un rouge sombre typiquement Hautvalois. Le baron ne reniait pas ses racines à la cour. Point de protections si ce n'était sa peau tannée par une vie au plein air. Autrefois...depuis qu'il était au château, il restait confiné dans ses pierres sombres qui le répugnait. Ses robustes bottes de cuir enfilées, il ceignit son épée à sa taille. Ecarlate reposait aux murs, entre deux crochets massifs à tête de lion.
Ceci fait, le baron se versa un verre d'eau, avant d'entamer légèrement une miche de pain. Il préferait ne pas trop manger avant un combat. Avoir l'estomac plein était une plaie.
L'aube...il fallait y aller maintenant. La lourde porte de ses appartements s'ouvrit. Deux gardes se raidirent à son passage.
"-Vous deux, suivez moi", lança Charles.
Le chef du Lys d'Or marchait d'un pas vif et alerte. Il descendit une volée de marche qui donnait directement sur la cour, par une petite porte peu visible normalement.
L'autre l'attendait. Le conseiller aux finances lui tournait le dos. Les deux gardes du Lys d'Or restait figés comme des statues.
"-Vous voici, De Hautval."
Charles ne répondit pas directement à l'interjection d'Aillil. Il fit quelques pas avant de poser la main sur le pommeau de son épée.
"-En effet conseiller..."
D'un coup de pouce sur les quillons, il dégagea la base de la lame de son fourreau. Ailill avait déjà l'arme au poing.
"-Conseiller...si vous reconnaissez votre faute et vous en excusez devant ces témoins de bonne foi, je tiendrais votre injure pour nulle et non avenue..."
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| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Ven 20 Fév 2009 - 22:35 | |
| [Mes excuses quant au retard]
Une brise fraîche et légère soulevait la poussière des pavés usés. Les nuages brumeux glissaient sur le sol, désordonnés, pour s'abattre tout à coup sur quelque plante qui avait eu le malheur de se trouver là. Et la poussière de s'immiscer un peu plus dans les nervures de ses feuilles, créant bientôt une croûte friable d'un jaunâtre terne qui drainait la lumière, et donc la vie. Les mauvaises herbes faneraient sans être la cause d'un surplus de travail pour quiconque. Quelque jardinier ne manquerait pas de louer cette chance. Que la nature est belle lorsqu'elle se soumet à l'homme, n'est-ce pas ? En revanche, haïssable lorsqu'elle le freine dans ses louables desseins... Qui n'a pas maudit la pluie qui ralentissait les chariots ou les troupes, qui poissait dans les armures ? Il est de ces choses que l'on ne peut prévoir et desquelles dépend le destin de trop de vivants. Puisqu'il existe tant de causes naturelles, contre lesquelles on ne peut rien, à la mort, pourquoi s'acharner à en ajouter d'autres ?
Un rat pelé, son gros derrière se balançant au rythme de ses petits pattes, franchissait la cour dans la lumière de l'aube. Il avait un œil poché, vitreux comme celui d'un poisson crevé ; sûrement était-il malade pour prendre si peu de précautions. Sa queue présentait des taches noires et blanches qui n'avaient rien de naturel. En un autre temps, peut-être Ailill aurait-il négligemment laissé tomber son repas – à condition d'en détenir un. Il n'avait jamais faim, et quoi qu'il n'ignorât évidemment pas qu'il devait se contraindre à se sustenter, il ne considérait pas comme un grand sacrifice d'omettre quelques repas.
Pourquoi avait-il décidé de ne pas prendre de témoin, léguant toute puissance au parti adverse ? Car cela se trouvait bien être un choix, et, quoiqu'il n'eût pas eu beaucoup de temps, il était libre de dénicher quelqu'un qui aurait pu lui assurer un minimum de sécurité. En cela, il aurait aussi respecté les mœurs de la cour. Peut-être, justement... Il aperçut les deux gardes, choisis par De Hautval. S'il n'avait amené de témoins, ils auraient enfreint les conventions sociales. Bien que n'ayant appris que peu de choses le concernant, il penchait plutôt en faveur d'un sens de l'honneur exacerbé. Mais si ces deux gardes devaient tricher, souillant par-là même leur honneur ainsi que celui de leur seigneur, il ne faisait aucun doute qu'il succomberait.
« Oublie, De Hautval. Sitôt que se sont fermés les battants de la porte de ton bureau, j'ai cessé d'être pour toi le conseiller Mânes. »
Aucun mépris, aucune supériorité suggérée ne perçait dans ces quelques mots. Seule l'affirmation de ce qu'ils étaient deux Hommes, non pas des bipèdes gonflés de suffisance et de manières, attachés aux faux-semblants. Ici, dans cette cour, il n'endosserait pas son rôle. Pourtant, son but, qui l'avait conduit à exercer la fonction de conseiller, n'était-il pas profondément ancré en lui ? Son travail n'était qu'un moyen comme un autre, peut-être plus efficace, d'y parvenir... En cet instant, sûrement, il réfléchissait. Non, il n'était pas ici pour des affaires d'honneur, ni afin de tuer un homme.
« Je t'accorde ce que tu m'as demandé. Rien d'autre. »
Et c'était faux. Pertinemment faux, il le savait, et il se pouvait que l'homme le devinât aussi. Peut-être était-ce qu'il cherchait. Sinon, pourquoi prononcer ces mots ? Jamais il ne se risquait à l'inutile.
Un rai de lumière parcourut l'arme frémissante. Une épée bâtarde de bel acier, si tant soi est que l'acier puisse être beau. C'était une arme utilitaire, toute comme celle d'Ailill. Depuis combien de temps les paperasses dévoraient-elles leurs muscles ? Lui, parfois, marchait, la nuit. Il arrivait que son corps opprime son esprit au point que les chiffres le fuient. En réponse à cette fugitive pensée, il fut saisit d'un frisson de dégoût. Le sang qui poissait le fond de sa gorge avait le goût de la rouille. Méthodiquement, il planta sa canine à l'intérieur de sa joue. Enfin, du sang pur et frais.
Avec lenteur, sa seconde main vint se poser sur la fusée de l'épée, effleurant le pommeau. Il s'avança avec aplomb, ne s'accordant pas encore le droit de douter. Le fil de la lame trancha l'air, produisant un sifflement aussi prompt qu'aiguë. Il avait, pour ouvrir le duel, opté pour un coup de taille vertical extérieur, en direction du bras. Son corps se tût, l'espace d'un souffle, tandis que sa science revenait à sa mémoire. Mais il n'ignorait pas que cela n'était qu'un répit dérisoire.
« Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile, Berceuse du chaos où le néant oscille, Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons, Toute pleine du bruit furieux des clairons... » V. Hugo
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| | | Charles
Ancien
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Mar 10 Mar 2009 - 11:16 | |
| HRP : Le fouet, je le mérite. Si si.
"-Pauvre fou," railla sèchement le baron alors qu'un rictus méprisant venait découvrir sa lèvre supérieure. Ecarlate eut été dotée d'une bouche elle aurait pu rugir de contentement. Voilà trop longtemps qu'elle ne sortait que le soir pour être huilée et aiguisée par son maître. Le reste du temps elle n'avait que pour utilité de faire joli au flanc du baron, dans son fourreau d'apparat de velours rouge cousu de fil dorée. Ah, qu'il était loin le temps où elle pouvait espérer goûter le sang d'un mortel au moins une fois par semaine ! Qu'ils étaient loin la chasse des bandits de la forêt d'Hautval, suivit de ce massacre mémorable devant la Grotte Rouge. Et la répression féroce de la jacquerie d'un hameau au Sud d'Hautval, où les têtes des gueux volaient par dizaines sous les coups du baron, accompagné d'une dizaine de chevalier sans état d'âmes face à cette gueusaille. Mais aujourd'hui était un jour de renaissance ! La poigne ferme et souple à la fois du maître qui part au combat, elle pouvait le sentir. Ce tressaillement nerveux qui le parcourait alors qu'il se mettait en garde, délectable. De leur côté, les deux gardes se placèrent de part et d'autres du champ d'affrontement, pour être sûr qu'il n'y eut pas "félonie ou forfanterie dans le duel" comme le demandait l'article IV du code des gentilhommes "en affaire d'honneur". Affaire d'honneur en effet car se faire aggripé ainsi par le col était loin de plaire au baron. Une substance nommé honneur coulait dans ses veines, et elle se troublait, se salissait à la moindre injure, rendant la vie impossible à son propriétaire. Mais voilà qu'on avait créé un liquide merveilleux pour laver cet honneur ! Le sang ! Le sang lavait très bien l'honneur, tout comme les cendres enlevaient les tâches de boue du costume du gentilhomme en vadrouille. Le sang en question devenait provenir de celui qui avait proféré l'insulte.En l'occurence le conseiller Mânes. "Qui a perdu l'honneur n'a plus rien à perdre", disait un ancien. Entre ce principe et celui que supposait la devise la maison de Hautval, et vu que Charles y adhéraient très fermemement, on comprend aisémement la cause de la rencontre des deux nobles. Le lecteur nous pardonnera ses divagations quant ce qui faisait la noblesse en ces beaux temps, puisque nous allons retourner au combat en lui même. Dès le début, Charles avait laissé venir son adversaire, pour parer son assaut d'un mouvement fluide du poignet. Le tranchant adverse rencontra le sien pour ripper violemment dessus. Les jambes nerveuses du chef du Lys d'Or se tendirent pour faire un pas en arrière, avant qu'il ne redonne violemment de l'avant pour se fendre violemment, tenant son épée bâtarde d'une seule main, comme un de ces escrimeurs se battant à la rapière, cette arme à la notoriété croissante. Le coup était droit, sans feinte, mais fulgurant, le baron se détendant comme un ressort pour frapper d'un estoc meurtrier droit au coeur de son opposant. |
| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Mar 10 Mar 2009 - 12:31 | |
| [ Plus le temps de me relire pour les fautes, mes excuses... Je ferai cela ce soir. ] Edit : Relecture effectuée ^^ La rapière, trop légère, vibra de manière menaçante, émettant un long cri perçant à l'intensité fluctuante. Épuisée, elle qui n'avait pas appelé ce duel de ses vœux, qui eut pu dire qu'elle n'avait pas compris qu'elle n'y survivrait probablement pas ?
Pauvreté, misère d'êtres réduits à une condition trop inférieure à celle des bêtes, en ce monde glauque empli de pourriture, de cadavre de chiens gonflés, dont la terre est souillée par ceux qu'elles portent. L'air transporte les effluves de la vie, de la mort peut-être, le néant total, pas la moindre odeur, à l'image des os blanchis par le temps. De ses doigts crochus, il pénètre les poumons, griffe et arrache la chair. Avec une jubilation abjecte, il accompagne le sang qui sue par tous les pores. Glacé tel le métal dans la chair, il entrave, paralyse toute éventuelle cicatrisation. Le corps n'a plus de défenses. Doit-il se résigner à mourir ? Mais, violent, acharné, le cœur heurte les parois de sa cage, cette coquille déplorablement superflue. Ah ! Si le corps avait été vide ! Si, à l'intérieur, il ne s'était rien trouvé de plus qu'un esprit nu !... dont l'annihilation n'aurait pu être provoquée par quoi que ce soit de différent de sa volonté propre. Alors, Ailill, jamais ne mourrait.
Et la rapière de fendre l'air, incontrôlable ; elle se piquait de voleter à son gré. La main qui la maintenait ne brisa pas son élan, ne contrariant pas sa volonté. Elle était libre, libre de l'aider, ou le cas échéant de favoriser l'arrivée de la Mort.
Pourquoi Ailill, en cet instant, était-il ici ? Il s'agissait là d'une question aussi redondante que dangereuse, du fait de la complexité et de l'ampleur des réponses éventuelles. Était-ce pour son propre intérêt, ou bien celui des autres ? Les deux étaient-ils dissociables ? Mille autres questions semblables eussent pu être posées ici. Mais en vérité, seules les intentions de l'homme ne comptaient-elles pas ?
« Es-tu déjà mort ? »
Vive telle un serpent qui se détend pour frapper, l'épée transperça l'air, hurlante. La promptitude de ses mouvements semblait trahir une sorte de folie. S'agissait-il de la soif du sang ? L'envie de voir apparaître dans son champ de vision une tache écarlate, de sentir l'odeur métallique de ce qui n'a rien de plus qu'un objet ? Au travers de cela, le désir de se sentir puissant ? A quoi bon ? Se rassurer ? Cet homme avait-il donc souffert ? Pourtant, rien n'absolvait ses actes.
C'est cela. Frappe-moi donc, créature perdue. Tu ne te contrôles plus, victime des réactions physiologiques de ton corps, de la colère. Dès lors que mon arme aura touché ta chair, si cela advient, l'adrénaline envahira ton sang, prenant possession de ton crâne. Pour moi, la défaite ne révèle rien.
« As-tu déjà ressenti en toi l'écoulement de la vie dans les derniers instants ? »
Appuyant brutalement sa jambe droite sur le sol, quoique dans un mouvement dénué de réelle force, Ailill esquissa un inhabituel volte-face. La lumière gicla sur l'épée, éclaboussant son profil hâve, auréolé de cheveux d'un noir absolu. Subitement, une bouffée de sang poisseux remonta jusque dans sa gorge. Sa respiration crépita, tandis que le liquide pâteux dégoulinait au coin de ses lèvres. Il n'interrompit pas son mouvement, alors même que l'arme se rapprochait de plus en plus. Haletant, il eut encore la force de cracher :
« As-tu déjà vu une mère serrer son gosse dans ses bras dans le but d'inhiber l'œuvre fatale de la mort, s'imbibant irréversiblement de son aura ? »
A chacun de ces mots qu'il martelait au travers de l'éternel murmure de sa voix, la souffrance se plaquait un peu plus contre les parois de son crâne. Il avait entendu les cris aiguës, en pleine nuit, d'enfants qui ne se possédaient plus. Et ces cris ne l'avaient jamais vraiment quitté, dès lors qu'ils avaient pénétré son esprit. Il avait vu des hommes devenir fous alors que d'autres serraient leur tête sous une meule au rythme de leurs propres éclats de rire gras.
Mais de quel droit avaient-ils agi ainsi ? Comment avaient-ils osé se l'octroyer ?
Et la pointe de l'arme ennemie de trancher cette chair malade accrochée aux os de son bras. L'épée s'enfonça à l'intérieur, perçant le membre de part en part, menaçant d'atteindre les côtes. Ailill eut alors un mouvement, presque un sursaut, pas tout à fait une chute, qui le précipita vers le sol. Alors que la poussière de la terre, celle-la même qui enveloppe le cercueil, favorisée par le vent, se plaquait contre sa peau, il parvint à se redresser. Sa main gauche dégouttante de sang, l'espace d'un souffle, avait touché le sol. Aussi rapidement que le lui permettait l'état de faiblesse de son corps, il fit à nouveau quelques pas, s'affranchissant de la menace immédiate d'un nouveau coup. Son bras gauche, quoique en lui-même insensibilisé par la douleur, lui donnait le sentiment d'être tombé dans un brasier et de s'y consumer sans fin. La douleur était partout extrême, à l'exception de ce bras. Il eut presque un sourire, durant une seconde éclatée. Si chaque nouvelle blessure tuait son corps de la sorte, alors peut-être cesserait-il de souffrir ? Quelle piteuse créature...
Son arme levée ne possédait pas d'âme. Pas davantage qu'aucun homme, peut-être ? ... Il n'était pas en droit de s'autoriser de telles pensées.
Fugitivement, il songea qu'outre les quelques mots prononcés de manière volontairement audible, il avait murmuré des bribes de ces pensées qui lui traversaient l'esprit. Peut-être De Hautval en avait-il attrapé au vol. Peut-être pas. Cela importait-il seulement ?
Encore, il frappa, presque aveugle cette fois-ci, c'est à peine s'il avait visé. Lointain était le temps où l'un des meilleurs maîtres d'armes lui transmettait son savoir en l'encourageant à grand renfort d'injures... |
| | | Charles
Ancien
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Mar 17 Mar 2009 - 15:33 | |
| La satisfaction du premier sang versé empli Charles. L'honneur commençait à retrouver sa propreté d'antan. Propreté parfaite, sans tâches. Une réputation de froideur et chasteté. Mais surtout d'un honneur plus pur qu'on ne peut se l'imaginer. Dans le monde des hommes. Chez les Dieux, l'homme qui tenait Ecarlate n'était qu'une souillure infâme.
« Es-tu déjà mort ? »
Charles ne fit pas attention. Il tenta. Les bravades de l'adversaire, combien en avait-il subi. Mais il échoua. Ses yeux se plissèrent, sa bouche se tordit d'un rictus malsain.
« As-tu déjà ressenti en toi l'écoulement de la vie dans les derniers instants ? »
Il ne devait pas. « As-tu déjà vu une mère serrer son gosse dans ses bras dans le but d'inhiber l'œuvre fatale de la mort, s'imbibant irréversiblement de son aura ? »
Il ne pouvait pas. Parricide. Marricide. Lépreux. C'était trop. Se moquant tragiquement de lui, la vie l'avait rendu fou pour ne pas le paraître. Combien auraient sauté sur la première corde venue, où se seraient jetés sur leur épée ? Mais non. Il avait fallu que le marbre recouvre son visage, que l'acier enserre son cœur. Charles de Hautval n'était plus que folie contenue sous un masque prêt à sauter. Mais il ne devait pas. Pour son honneur, et pour elle, Arianne, le seul barrage entre la folie pure,dévoilée et la folie dissimulée, cachée.
Quelques éclairs fugaces de raison.
Je suis déjà mort...pourquoi je m'attache à rester ici ? Je pourrais la rejoindre, la dame à la tombe blanche. Ma femme.
Une larme silencieuse aurait pu couler, mais ses yeux restaient désespérément secs alors qu'il faisait quelques pas de combat, inconsciemment. Mânes se rua sur lui.
Laisse, laisse la lame trancher ta chair, libérer ton âme perdue dans la manoir d'Hautval, pour qu'elle la rejoigne.
"-Non."
Pourquoi ? Tu dois vivre pour ta fille ? Elle n'est que du vent, peut partir n'importe quand !
Ecarlate terrifiée par le mutisme de son maître bondit de nouveau pour mordre l'acier, zébrant sur tous les côtés pour empêcher la lame de Mânes de meurtrir son amant. Néanmoins, le flottement de Charles permis à la pointe froide d'en face d'entailler le cou du chef de Lys d'Or, juste avant qu'Ecarlate ne s'interpose pour éviter le pire. Le sang commença à couler, épais et noir comme du goudron.
Implacable, le regard plus glacé que jamais, d'Hautval entama une danse de mort. Nul ne devait jamais l'écarter de son chemin. Mânes l'avait fait trébucher, sa vie devait être ôtée à tout jamais. |
| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Mer 18 Mar 2009 - 20:02 | |
| Sur les navires, l'homme est seul et livré à lui-même. Or, la peur possède un empire inimaginable, surtout lorsqu'elle porte en elle la menace de la mort. On pourrait croire que l'imminence du péril ultime est moins supportable que l'éloignement relatif de celui-ci. Il n'en est rien. L'homme qui prend conscience de ce que les griffes de la faucheuse remuent son sang se laissera aller à tourner en rond, en surface, sans plus penser à rien d'autre qu'à l'avenir qu'il n'aura pas - tel un rat crevé dans les remous de flotte sombre. A moins qu'il ne possédât suffisamment de volonté pour vivre encore. Cette dernière ne tenait peut-être même pas au désir de profiter de ce que la vie offre, ni de quêter le bonheur. Ni même à la peur de la mort. Peut-être la vie devenait-elle une habitude, au fil du temps. On en venait à se convaincre qu'elle était précieuse sans plus savoir pourquoi. On se ressassait des souvenirs qui furent doux mais que le temps gâta, laissant derrière lui des ossements âpres-amers. On a plus de raison de vivre, mais pourtant l'on vit toujours.
Cela n'était pas véritablement le cas d'Ailill. D'une certaine façon, semblait-il. Mais après tout, ne se sentait-il pas contraint d'aider ses semblables ? N'avait-il pas, dans ce but, renié une part de ce qu'il était, jusqu'à sa liberté ? Quoi qu'il en soit, il n'estimait pas avoir eu de vie propre, depuis que sa jeunesse s'était évanouie - dès lors que la maladie l'avait prit. ... Ou bien servir cette cause n'était-il pas devenu une habitude ? Non, il était encore entier. S'il n'avait pu œuvrer à la préservation d'autrui, alors sûrement se serait-il engouffré jusque dans les plus profondes entrailles des grandes bibliothèques. Il existait encore en ce monde des choses qu'il appréciait.
Qu'en était-il de Hautval ? Sûrement ne le saurait-il jamais...
"-Non."
Le regard de l'homme paraissait trouble, comme s'il observait quelque lointain horizon.
Ailill avait connu la mort de ceux auxquels il avait tenu, jadis. Avait-il était inhumain de sa part que de reléguer ces défunts dans les plus sombres recoins de son esprit, allant presque jusqu'à oublier leur existence passée ? Combien cela lui avait-il coûté ? Qu'importait, désormais. Il avait eu la force d'avancer encore. A moins qu'il n'ait oublié une part de son être en cours de route, si loin dans le passé que jamais il ne pût retourner la quérir ? Était-il véritablement entier ? Ou bien... tronqué ?
En face de lui, les yeux de l'homme fixaient sans voir, à la manière de ceux dont l'esprit s'emplit de difficiles pensées. Ailill, quoiqu'il n'ait eu aucun argument tangible, songea que certaines choses le taraudaient. Il ne voulait même pas savoir lesquelles. Après tout, s'il cherchait à induire ne serait-ce qu'un seul changement dans le comportement de cet assassin légal, peu lui importait le pourquoi et le comment. Ou plutôt, ce genre de réponses coûtaient bien trop à ceux qui les possédaient. Pourquoi les hommes évoqueraient-ils leur passé, ce qui les a fait tels qu'ils sont, à savoir les clefs de leur compréhension ? Pourquoi offriraient-ils suffisamment pour qu'on les juge ? A moins de ne plus pouvoir contenir trop de souffrances, ou bien d'avoir une confiance aveugle en l'oreille attentive de l'autre.
Mais Ailill n'était absolument pas digne de confiance, n'est-ce pas ? Il était un être honni, adversaire qui visait à le tuer. C'est alors que son arme mordit la chair. La vision de ce sang le plongea aussitôt dans les abîmes de la réflexion qu'entraîne le constat... Cet homme était malade. Jamais le fluide vital n'était si sombre et poisseux, chez un être sain. Alors, c'était cela ? C'était la maladie qui rongeait ce type ? Ou peut-être bien davantage ?
« Non ? Serais-tu ignorant de ces sentiments ? »
Porté par la bise, un papillon de nuit s'interposa entre les deux combattants. Ses larges ailes supérieures découvraient à rapide intervalle une paire d'ailes violemment écarlates. Le bruit feutré qu'il produisait dans son vol évoquait... Tranché. Les cliquetis métalliques résonnèrent avec une intensité renouvellée au-dessus du cadavre déchu. Ailill reçut un nouveau coup, qui lui lacéra le côté de la poitrine - la lame glissa sur la côtes. Pourtant, quoiqu'il reculât, il ne céda pas de manière significative. Son arme faiblissante n'était pas encore... pas encore assez faible.
Sa voix était trop peu audible.
« ... Ou bien refuses-tu d'évoluer ? » |
| | | Charles
Ancien
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Jeu 19 Mar 2009 - 16:34 | |
| Les yeux du fou se révulsèrent à moitié, par à coups. Une lueur de folie s'alluma dans le regard normalement si froid, si franc du baron. Ses dents apparurent, ses lèvres retroussées comme celle d'un chien enragé. Il devait tuer Mânes. Il le fallait et vite, très vite.
Le sang chaud et poisseux qui coulait sur son torse l'appelait à en faire couler encore. Une large tâche sombre commença à se profiler tout du long du pourpoint rouge que Charles portait. Le flot était n'était pas régulier, mais arrivait par à coups, comme si son corps rongé de l'intérieur ne donnait de l'effort qu'en temps de plus en plus espacé. Mais il n'avait plus besoin de sang pour bouger, la folie suffisait ! Elle vous tenait debout un homme durant des jours, le rendait insensible à toute forme de douleur, d'émotion. Ô douce folie, vient danser avec moi. Avec elle, ma lame.
Pauvre fou domine toi...
Son oeil redevint glacé, pour un court instant.
Pourquoi ? Nous nous amusons !
Les pupilles se dilatèrent de nouveau, les d'Hautval paraissant d'un coup totalement noir. Il continuait de se fendre, d'attaquer sans cesse, Ecarlate rugissant de plaisir à voir son maître ainsi. Le tranchant et la pointe de l'épée bâtarde ne laissaient aucun répit à son adversaire, attaquant furieusement de tout côté pour ôter la vie.
Un misérable papillon connut sa fin. Hi ! Hi !
Doux raclement de l'acier contre l'os de l'ennemi. Hi hi !
Ses restes de raisons parvinrent à lire les lèvres de son ennemi. Raison mise à profit par la folie, qui se fit fort de répondre, d'une voix éraillée :
"-J'évolue, je tue !"
Accompagné d'un ricanement sarcastique. Les gardes du Lys d'Or ne disait rien, observant le duel comme des statuts de pierre. Pas de valets pour l'instant...heureusement.
Des gouttes de sueurs apparurent sur le front enfiévré de Charles. Coulant plus ou moins rapidement au rythme des battements des duellistes, elles descendaient pour aller se lier au liquide vital qui dégoulinait du cou du chef du Lys d'Or. |
| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Mer 25 Mar 2009 - 19:19 | |
| Hautval demeurait-il un homme ? Sinon, qu'était-ce que ce pantin désarticulé, qui se mouvait avec une aisance hors du commun ? Il ne paraissait plus mortel. Ses yeux révulsés pulsaient, scandaient le rythme de ses mouvements. Et les brefs gémissements de son armure devenaient de plus en plus fréquents. La lumière éclatait par à-coups sur le métal trop lisse, sur lequel elle ne parvenait pas à prendre prise. Violemment déviée, elle giclait sur le visage d'Ailill, conférant une aura bleu nuit à ses cheveux, l'espace d'une fraction de seconde. La lumière glissa sur ses prunelles d'un azur acier, avant de fendre l'air en direction de canines acérées. Demeurerait-il une bête ? Quel alchimie avait-elle cours aux tréfonds de cet homme ? Se pressentait-il traqué ? Mais Ailill n'était pas la menace, s'il y avait, quoi qu'il pût en penser. Cependant, n'est-il pas plus aisé de désigner un coupable ? Si cet homme souffrait, ce n'était pas du fait du Conseiller - probablement pas. A moins que ce ne fut ce dernier qui réveillât des douleurs enfouies. A quoi bon repousser indéfiniment la vérité ? Contre le gré, elle finira toujours pas éclater.
La maladie du corps n'est pas l'expression de celle de l'âme, toutefois, elle nourrit cette dernière. Assurément, cette créature humaine souffrait de ces deux maux. Le temps accumulé durant lequel cela avait été le cas importait peu. Lutterait-elle encore ?
Les spasmes de la folie se rétractèrent, l'espace d'un instant. Seul le bruit rythmique des pas sur le sol dur et sec, le claquement aiguë du métal, s'élevaient encore à l'encontre du silence. Une goutte d'encre se répandait dans les prunelles dilatées.
Le ton sur lequel l'homme prononça ces quelques mots en disait bien plus long que leur sens même. Dérober la vie n'était pas un acte noble. Jamais. Évoluer en tuant ?... Quoi de plus absurde ? Si un changement se produisait chez le meurtrier, cela venait de ses pensées, ou de la victime, du fait de ses réactions... Ce n'était pas la mort en elle-même qui eut pu avilir, ou "faire évoluer" selon, mais bien ce qu'il se produisait avant, non ?
Et Ailill sourit. Sans mépris, sans pitié aucune, il esquissa un mouvement aussi significatif que des mots, aussi sujet à des interprétations antithétiques. Peut-être l'homme ne comprendrait-il pas tout ce que ce message portait - peut-être ne s'en apercevrait-il pas. Déjà, comme un trait sur le sable, effacé par un souffle de vent, il avait disparu. Il... Ce sourire, ou bien cet homme ?
*
L'aube rosissante ayant été incorporée dans son entier à l'or fondu du ciel de la cité, les hommes et les femmes avaient jugé bien séant de paraître, vêtus d'étoffe judicieusement choisies afin qu'elles s'accordassent. Aujourd'hui, semblait-il, l'écarlate était de mise. Les éclats de voix des volées de gosses débraillés montaient dans la lumière, de l'autre côté des murailles du château. Un oiseau, nimbé de soleil, qui volait au-dessus des toits, éclata soudain. Et le sang de retomber à la suite du corps en une fine pluie mêlée de touffes de duvet. L'un de ces gosses savait manier la fronde. Ils étaient pauvres, maigres et hâves ; ils étaient l'avenir de la capitale et du peuple.
Au château, l'on s'activait. Bientôt, les domestiques ne manqueraient pas de traverser la cour pour aller quérir de l'eau. On s'attrouperait, peut-être, pour observer le duel - mais de loin, seulement, avec une sorte de pudeur feinte. Non pas qu'on eût peur de recevoir un coup perdu, mais plutôt d'être reconnu par ses semblables. On ne voulait pas que ce goût pour la violence se sache. Toutefois, une fois l'épisode terminé, on deviendrait quelqu'un, auprès de la basse cour.
*
Des décombres, des miettes ; il ne restait d'eux que des vestiges d'êtres que le vent balaierait. Un nouvelle fois, l'épée de Hautval mordit la chair d'Ailill. Encore, il tenta de riposter, oubliant, peut-être, de bloquer la lame ennemie qui déchirait son flanc. A nouveau, le sang s'écoula, plus clair, plus fluide. Un liquide translucide lui était mêlé. La partie supérieure de la plaie conserva une teinte presque blanche, tandis qu'Ailill s'arrachait à cette étreinte qui se voulait fatale. Aucun son ne monta de sa gorge brûlante lorsque l'eux de ses genoux rejoignit brutalement le sol. La poussière se souleva aussitôt, ne tolérant pas, peut-être, de demeurer sous cette créature qui se mourait. Appuyant sa main libre sur sa jambe, ignorant de la douleur, il se redressa péniblement. Il chancela. Ses doigts glissèrent sur son front trempé de sueur, rencontrèrent les mèches noires qui engloutissaient la lumière. Ne serait-il bientôt plus qu'un fragment d'étoffe près à perdre toute consistance, perdu dans l'obscurité absolue, éteinte ?
« Je ne voulais pas que tu crèves. »
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| | | Charles
Ancien
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Jeu 2 Avr 2009 - 16:45 | |
| Les tempes palpitantes, le déchaînement sauvage du baron continuait. Ecarlate courait à droite et à gauche pour siffler de plus en plus vite, de plus en près de son adversaire. L'acier d'Hautval était déjà teinté de sang sur sa pointe, et en réclamait encore. L'homme d'en face devait mourir. Mais vite, le soleil sanglant de l'aube laissait place à son petit frère du matin, qui plus vif, plus scrutateur, permettait à quelques personnes, de plus en plus nombreuses minutes après minutes, de traverser la cour, entamant leurs activités du jour. Un jeune écuyer s'asseyait déjà dans un coin de la cour, à distance respectable des duellistes, pour observer l'affrontement, fasciné. Le jeune homme n'avait que d'yeux pour ce combat. Était-ce donc bien réel ? Deux conseillers du Roi, en charge des affaires les plus importantes du Royaume, en train de s'affronter, apparemment, à mort ?
Les deux combattants étaient couvert de sang, le leur majoritairement. Mânes écarlate, par giclées s'écoulant de ses nombreuses plaies. La résistance du conseiller aux finances était démoniaque. N'importe quel autre homme ce serait déjà rendu. Mais son mépris pour sa personne était des plus fascinants. Quant à Charles, une large nappe rouge dégoulinante. Le sol de terre battue sur lequel ils s'affrontaient était maintenant tacheté de gouttelettes noires. Coulant le long de son entrejambe, le filet régulier d'hémoglobine gouttait au rythme des passes d'armes. La pâleur de Charles signifiait clairement son affaiblissement. Mais ses yeux fiévreux laissait supposer qu'il n'en avait cure.
Un chat de gouttière se lova un instant au rebord d'une fenêtre qui donnait directement sur les combattants, témoin fugace du jeu meurtrier de l'honneur. Les yeux fixes de la créature, sa bouche close, son poil noir, le transformait en véritable juge de la scène. Le verdict tomba en même temps que Mânes.
Charles fit quelques pas de côté, tournant le côté de son adversaire, la bouche tordue par un rictus malade et dérangé, les yeux exorbités. Son souffle était court, rauque, sa face pâle comme celle d'un mort. Jamais il n'aurait prévu une telle résistance de ce...déchet. Mais les Dieux avaient fait leur choix. Sa botte cloutée balaya l'espace devant elle, intégrant l'épée longue d'Ailill. La lame valdingua sur le côté, sonnant tristement sur les dalles qui bordaient les murs. Se penchant brutalement en avant, le baron saisit les mots du vaincu. Ricanement :
"-Que je crève ?"
Il leva les yeux au ciel, pour prendre les dieux à parti, écartant les bras. Combien de fois avait-il risqué sa peau dans sa vie ? Que ce soit contre les drows, contre les brigands infestant sa baronnie lors de sa prise du pouvoir, d'autres nobles qu'il avait affronté dans des cours comparables...souvent, il ne s'était fallu d'un rien pour que la lame d'en face ne lui ôte la vie. Mais à chaque fois il avait triomphé. Par sa hargne, sa force, son adresse. Et ce misérable osait lui lancer cela ? Charles posa son regard sur le mourant à ses pieds. Sa résolution avait été prise. Mânes devait mourir. Serait-il resté à la querelle de la soirée, un premier sang aurait suffit. Mais quelques hommes pouvaient le faire sortir de la voie de rédemption qu'il avait empruntée pour expier ses fautes. Rien au monde ne devait le faire trébucher, dévier.
"-Adieu Mânes..."
De son pied, il retourna sur le dos sa victime. Saisissant le pommeau pour que sa lame pointe vers le sol, l'exécuteur leva haut son instrument de mort, la pointe prête à fuser vers le poitrail du vaincu. Murmure.
"-Vae Victis..." |
| | | Ailill Mânes
Humain
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Sam 11 Avr 2009 - 18:28 | |
| Haut dans le ciel, il avait vu, sans vraiment le voir pourtant, ce soleil qui virait à l'orange délavé, puis du sang infiltrer l'astre diurne, chair rouge et froide, blessure par le métal glacé, accrochée à la paroi de l'éternel adversaire de la lune. Les gens vivaient, nimbés de lumière, à tel point qu'ils se fondaient, se mêlaient les uns les autres, perdant leur caractère d'être à part entière. Ils ne formaient rien de plus qu'une uniforme nappe blanche et mouvante, un étau fluide autour de deux êtres blessés. Leurs regards se faisaient de plus en plus acérés. Ils ne perdraient pas une miette de l'évolution de ces taches de couleur. Pour eux, De Hautval et Mânes étaient-ils réellement davantage que des chimères, des êtres rêvés ? Sûrement ces hommes et ces femmes arboreraient-ils bientôt le rictus de ces hyènes devant lesquelles des lions se sont dépecés. Ils seraient toujours prêts à se disputer les morceaux, ces courtisans, intrigants, ambitieux. Pudiquement, une jeune femme porta un mouchoir écarlate à ses joues ; il n'atteint pas ses yeux captivés, qu'elle semblait incapable de détacher de la scène. L'un d'eux interviendrait-il ? Cette interrogation ne vint même pas à l'esprit d'Ailill. Il n'espérait rien d'eux.
L'épée fut projetée de côté, contre son gré. Un instant, elle avait tenté de demeurer au creux des doigts faibles, usant du sang poisseux comme d'un liant. Désespérément, elle avait essayé d'atteindre cette jambe ennemie, détachée de tout corps, ce membre de chair qui s'élevait contre elle, qui l'arrachait à l'homme qui l'avait vue naître, rompant à jamais cette symbiose qui était leur. Pourtant, déjà, elle percevait les vibrations précipitées dans chacune de ses fibres de métal, alors que le pavé la heurtait. Quelques éclats de métal argenté giclèrent, étincelants. Qu'il vive, qu'il meure, Ailill ne la ramasserait pas. Jamais.
De Hautval se pencha, si proche tout à coup qu'Ailill perçut son haleine, cette blancheur cireuse et cette odeur maladivement tiède qui semblaient appeler la mort. Sûrement l'homme ne s'en apercevrait-il pas - il est de ces drogues qui permettent de laver la gorge et les tripes. Pourtant, Ailill avait compris, semblait-il, combien la déchéance s'était emparée de cet être. Il est aisé d'entretenir une façade, mais il l'est moins d'endiguer l'inondation par l'esprit de l'autre une fois les brèches ouvertes. De Hautval, encore, fut pris d'un sursaut d'orgueil. Était-ce là un ultime soubresaut, ou le signe qu'il faisait à nouveau main basse sur ses capacités intellectuelles ? Pas un instant Ailill n'avait cessé de réfléchir. En cet instant, les flux qui traversaient son esprit s'étaient complexifiés comme jamais auparavant. A tel point qu'ils en étaient devenus opaques pour sa propre conscience. Parvenait-il à comprendre De Hautval ? Essayait-il seulement ?
Il gisait, allongé sur le dos. Gisait-il ? Il s'était trouvé ainsi, avait accepté cet état de fait comme l'on accepte de respirer ; puis cela devient un état naturel, une gloire personnelle, à laquelle on ne pense pourtant plus, à moins d'être confronté à ceux qui en sont incapables. Il gisait, étendu, et pour rien au monde il n'aurait souhaité se relever. La pesanteur qui sourdait dans ses muscles n'était pas en cause.
« Andoe, et non Mânes. »
Ses yeux regardaient sans voir, fixement fichés au cœur du ciel en lambeaux. N'accorderait-il plus un regard à De Hautval ? Probablement pas. Cependant, le murmure de sa voix montait, irrégulier comme un filet d'eau issu d'une source.
« Que mon cœur cesse de battre, maintenant, te confèrera sûrement cette paix à laquelle tu aspires - qu'elle soit intérieure ou matérielle. Mon intervention aura eu quelque impact sur ta personne, ainsi... »
Non, il ne cherchait pas de prétexte, ni d'excuse qui eut pu atténuer le caractère partial de sa mort.
« Cela devrait me suffire. »
A tout instant, sa vie pouvait s'interrompre. Il percevait cet éclat argenté, promesse de noir absolu, fragmenté par les taches mouvantes de sang. La lumière éclaboussait son visage, que ses cheveux, pour une fois, délivraient de l'emprise de l'ombre.
« Cela me suffira. Je ne suis ni un gosse geignard ni l'un de ceux qui se cramponnent aux battements de leur cœur sans raison aucune. Je ne suis pas de ceux qui vivent par habitude. »
Parfaitement étendu, il se sentait infiniment plus fort. Ce sentiment de toute puissance, absurde peut-être, il n'en était pas maître. Il s'était emparé de lui, simplement, c'était un fait. Vae Victis ? Jamais il n'avait prononcé ces mots, jamais il n'avait humilié celui qu'il vainquait. C'était pour cela, il voulait le croire, qu'en cet instant, il lui était accordé de ne plus souffrir. Aucune quinte de toux ne vint abraser ses poumons, aucune de ses pensées ne s'égara vers ceux qui lui étaient chers. Il clôt ses paupières. Il avait perdu connaissance. |
| | | Charles
Ancien
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| Sujet: Re: Par le fil de l'épée [Charles][Terminé] Jeu 23 Avr 2009 - 17:36 | |
| Le baron resta un instant suspendu au dessus de sa victime. Frémissante, la pointe d'acier d'Ecarlate n'attendait que de tomber sur la chair offerte de la proie, pour mordre goulument jusqu'à la mort. Ce coup serait le dernier. Autour d'eux, la foule, monstre avide de sang, de morts scandaleuses, s'étaient déjà resserrée autour des deux combattants. Ou plutôt autour du bourreau et du condamné. Malgré les murmures de la foule, le bruissement des robes de ces dames, Charles semblait être dans une bulle de silence. Mais les regards étaient là. Insistants, avides. Désireux de mort. Deux haut fonctionnaires du Royaume en lutte à mort ! Voilà un spectacle rare et délectable dont on pourrait parler pendant longtemps ! Les mains du baron tremblotèrent. Où était passé sa détermination dans le meurtre ? Etait-ce la proximité de cette foule, l'insistance du soleil qui les éclairaient maintenant ? Ou alors sa victime en elle même. Qu'était-ce donc que cet homme qui ne tremblait pas aux portes de la mort ? Tous se compissaient dessus. Tous imploraient, appelaient toujours leur mère, dans un retour fulgurant à l'enfance, avec un désir intense de retrouver la lourde étoffe protectrice des jupes maternelles. Le conseiller lui, dégageait allongé au sol une puissance étouffante, une dignité morbide dans son contexte. Comment pouvait-il rester si calme, si froid et...sarcastique. Une paix...il n'y aurait jamais de paix. Il n'y aurait toujours que cette souffrance intérieure permanente. Ce feu qui le dévorait en permanence, qui triturait de ses doigts ardents son esprit affaibli. Il était en guerre depuis plus de quinze ans et ne trouvait nul trêve si ça n'était la vue de sa fille. L'homme à ses pieds venait de poser un doigt moqueur et cynique sur son existence de souffrance. Les mots d'Andoe tombaient avec tant de vérité, de cruauté. Voilà qu'il était jugé par sa victime. Plus Charles pensait à cet feu que stupidement il voulait éteindre d'une vie, plus il avait l'impression qu'Ailill lui volait sa place de vainqueur. Certains tuaient par l'Epée. Ceux là étaient nombreux. D'autres, moins nombreux, bien plus destructeurs, utilisaient le Verbe. Et sous les yeux de la foule de courtisans, le Verbe tranchait à pleine vitesse, fracassant, broyant, écartelant. Les doigts se firent moins ferme sur la poignée. La détermination à mettre à mort se réduisait à rien. Le visage du baron se ramollit, ses jambes flageolèrent. La poitrine immobile de Mânes, sa froideur, son absence de réactions, tout cela lui donnait l'impression qu'il était sur le point de commettre un sacrilège impardonnable. La chape de plomb de la peur du divin s'abattit sur le malade. "-Pardon, murmurèrent ses lèvres crevassées" Lorsqu'il s'avança vers la foule, l'épée à la main, cette dernière se fendit rapidement à son passage. Un murmure étouffé monta dans son dos, qu'il ignora, les yeux fixés dans le vague. Deux jours plus tard, le baron ressortait enfin de ses appartements. On signalait des troupes Drows à Alonna. Il ne Lui manquait plus qu'une couche à faire sauterHRP : Fin et suite à Hautval ici . Merci beaucoup Ailill ! |
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