Ainsi donc, la guerre était-elle déclarée. Merwyn avait envoyé l'ultime lettre, insolente de surcroît. La teneur en était infâme, et elle proposait une reddition au seul qui, dans cette affaire, soit dans son droit. Baudoin avait simplement pensé à lancer la lettre au feu, et songea que ce serait une grossière erreur. Il l'avait alors posée rageusement sur une table qui traînait là. Comme un siècle plus tôt, l'envahisseur Serramirois viendrait traîner ses chausses enfoirées sur le bon sol d'Oësgard, et comme un siècle plus tôt, la baronnie leur en ferait payer le prix fort. Les drows, qui si longtemps avaient été les seuls ennemis d'Oësgard, étaient maintenant rejoints par les hommes. Une chose dramatique, s'il en était...
Le baron observa le feuillet, l'imaginant comburé instantanément par l'appétit dévorant des flammes. Assurément, ç'eut été une grosse erreur de jeter ces sottises au feu. Il huma un instant l'air humide qui pénétrait son bureau, plus une sorte de salon austère qu'un bureau, et contempla la lande désolée qui s'offrait à lui. Humide, défoncée par d'innombrables fondrières, abreuvée par une pluie battante. L'automne était rude et laissait présager un hiver exécrable : les cinq faisaient preuve de bienveillance envers Baudoin. Les bellâtres de Serramire, habitués aux faveurs d'une chaleur gâtant à la fois l'endurance et la volonté, pâtiraient d'une telle rigueur.
Dans l'après-midi, une armée de clercs écrivit force missive pour tous les hameaux, bourgs et villes d'Oësgard. Les presses de Hasseroi imprimèrent moult harangues à l'adresse des crieurs publics et des lettrés ; les propagandistes du baron commençaient leur œuvre ; l'opinion publique glisserait facilement du bon côté. Du moins, celui du baron. En parallèle, une nouvelle fort profitable à Baudoin fut annoncée : le Roi de la Sorgne, pègre parmi les pègres, appelait à la résistance, à la pendaison immédiate de tout Serramirois et à l'assassinat de leurs chefs. Déjà une âpre méchanceté gagnait les chevaliers du surin, excitait la doublerie et rongeait les traîneurs d'épées. Chacun se gobergeait de la fougue de Merwyn de Serramire, et voyait dans cette inconscience une fort bonne occasion de laver l'affront séculaire des ducs de Serramire. Même les campagnards, qui d'habitude se tenaient loin des affaires du monde, grondaient mauvaisement contre l'envahisseur annoncé.
Outre ces préparatifs d'un ordre relativement spirituel, les baillages et prévotés furent invités à lever des compagnies. On ne levait pas encore en masse, et encore, que des volontaires. Mais cela suffirait à défendre la baronnie. Nombreux étaient ceux appâtés par le droit de cité Oësgardien ou l'aventure, ou le butin. Tous ces volontaires étaient d'abord recensés, puis renvoyés chez eux pour un temps : on ne voulait pas leur infliger une attente trop longue, et en plein hiver, qui émousserait leur vigueur. On lança aussi des revues extraordinaires sur les armements : armes et armures, montures, tout y passerait. On chargea les baillis de remplir les greniers et les citernes, tout en assurant une bonne part pour alimenter les troupes. Blé, sel, vin, viandes furent stockés en quantité. On réquisitionna aussi un certain nombre de véhicules, qui formeraient le Grand Charroi Baronial. En bref, la procédure habituelle, accomplie avec efficacité grâce à l'habitude proverbiale qu'avaient les Oësgardiens des conflits.
Les fortifications qui ceinturaient Oësgard ne furent pas non plus en manque de préparatifs : toutes furent scrupuleusement examinées et réparées, si besoin était. Adelagny, Erbay, Balau, Essenburg, Haurse-porc, Andelheim étaient pourvues de murs hauts et forts, et à présent exempts de toute détérioration. De plus petits bourgs tels que Esweller, Altkastell, Zönzell, Olmünster furent aussi examinés au nord, et leurs milices augmentées de quelques centaines d'hommes. Au sud, Brégny, Valbach, Palamy virent leurs défenses tout aussi bien garnies. De petites compagnies investirent les bastides de Château-l'Alette, Vistol-Matt, Saint-Albrecht qui gardaient gués et ponts sur l'Alette et ses affluents. Les fortifications des Monts-d'Or ne furent pas en reste : Bowasen, Vysle-Kastell, Bënnen, pour les plus importants, revivaient après quelques décennies d'une quasi-inoccupation. Ces fortifications solides contrôlaient les rares voies praticables qui lézardaient les vallées encaissées de l'ouest, les escarpements inextricables et leurs forêts noires.
Le régiment de la garde même se déplaça. En son intégralité. Le tout alla se baser non loin d'Essenburg, de là, il pouvait intervenir n'importe où où cela serait nécessaire. On leva aussi plusieurs compagnies de « partisans » avec à leur tête Friedrich de Porporie. Ceux-là iraient guetter les frontières, guideraient les troupes parmi des chemins que eux seuls connaissaient, tendraient des embuscades. Tous étaient des hommes rudes, réputés pour avoir participé à de nombreuses campagnes. Leur renommée disait qu'ils ne craignaient ni la neige, ni la nuit, ni la marche, et que leur férocité était aussi remarquable que leur discipline. Et bien qu'ils accomplissent leur service comme tout un chacun, on les gratifiait d'une prime coquette comme reconnaissance de leur valeur...